Une Anthropologie des clivages

La société laïque nous interdit de penser les clivages et nous contraint à raisonner en termes d'individus (tous différents) ou de citoyens (tous pareils). L'anthropologie des clivages a pour objet de revaloriser la notion de Dualité, comme interface entre le un et le tous. Nous avons consacré en mai 2000 un Colloque à ce sujet. Toute société tend à introduire des alternatives, des alternances, qui sont la seule garantie de la liberté. Même la présence du père et de la mère comme instances bien distinctes est nécessaire à l'épanouissement de l'enfant. On ne peut contester que l'étranger se situe dans une altérité, dans le temps (processus en cours, seuils) et dans l'espace (culture autre, langue autre), par rapport à la société qu'il cherche à intégrer. Cette rubrique accueillera les textes qui n'hésitent pas à affronter les tabous liés au refus de dualité (procès en misogynie, en racisme, en exclusion des pauvres, des prostitués, de toute différence en fait) mais aussi ceux qui affirment leur rejet de la dualité en proposant une appréhension fondée sur des clivages allant au delà du binaire (le ternaire, le quaternaire), ce que Patrice Guinard, appelle matricialité.

 

Le baromètre féminin
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Jacques Halbronn

 

 

 

 

On entend ici et là des Cassandres annonçant, pour bientôt, des mouvements sociaux graves. Ces propos émanent souvent de ceux qui n’arrivent pas à se consoler de la déconfiture de la gauche aux dernières élections, présidentielles et législatives. Ou de ceux, parmi les astrologues, notamment, qui avaient annoncé la victoire de la gauche.

Encore faut-il comprendre ce qui conduit à une crise sociale comme ce fut le cas, notamment, en mai 68 ou en décembre 95. Nous tendrions à décrire ce genre d'événement comme revêtant un caractère dépressif.

Une société qui fait grève est une société qui implose. Par delà les revendications de salaire, de conditions de travail, il y a avant tout une perte de tonus qui joue sur le manque de motivation.

Or, les années qui viennent ne seront pas marquées, nous semble-t-il par une telle dépression et cela tient notamment au comportement féminin. Autour de nous, on remarque que nombreuses sont les femmes qui prennent des responsabilités ou qui accompagnent – on pense à l’entourage du président de la République par exemple – ceux qui en prennent.

Or, selon nous, quand les femmes sont dynamisées, c’est toute la société qui l’est et qui tourne. Comme on disait parfois : « quand le bâtiment va, tout va ! »

Une société qui « tourne », c’est un peu comme une machine dont le moteur est bien huilé. Inversement, quand les femmes dépriment, c’est la société qui s’enrhume et qui se croise les bras, ce qu’est de fait la grève.

La gauche a triomphé lors de la dissolution de 97 parce que les femmes étaient mal dans leur peau, ce qui a conduit la société à rechercher un rôle accru de l’intervention de l’État venant pallier une telle carence. Inversement, quand les femmes remontent la pente, le besoin d’État décroît. Il est d’ailleurs probable que l’accent mis sur la sécurité, sous toutes ses formes, est désormais inadéquat, il symbolisait avant tout un malaise, un mal être, il ne faudrait pas trop en faire en matière de répression « sécuritaire ».

Cette idée de conférer aux femmes un rôle de cheville ouvrière vient recouper d’autres de nos éditoriaux, dont celui voué à Spiderman. Un tel constat ne conduit pas pour autant à placer la femme sur un piédestal.

Car pour nous, l’activité féminine, par sa cyclicité même – puisqu’elle est nécessairement suivie, à terme, d’une phase dépressive qui peut faire des ravages – appartient au pôle mécanique, organique de nos sociétés; Plus les femmes sont présentes et se manifestent par leurs initiatives et plus notre société tend à verser dans un certain formalisme qui risque d’être un peu vide.

La grève, c’est en effet, l’arrêt des machines mais c’est aussi le ralentissement de ces  éléments moteurs de nos sociétés que sont les femmes. La grève, c’est aussi une certaine libération par rapport à une activité qui fait des gens des rouages. La grève, en ce sens, serait anti-féminine ou plutôt hostile à la phase hyperactive qui la précède et qui produit quelque surchauffe. D’où son ambiguïté: elle est protestation mais elle est aussi découragement, démission.

La grève a quelque chose de masculin, du fait même que l’homme est par essence paresseux et c’est pour cela qu’il fabrique des machines pour le transporter, pour le prolonger, pour le seconder. La grève, c’est une réaction contre le machinisme, contre le fonctionnalisme et finalement contre un certain féminisme.

A l’opposé de la grève, du mouvement social, qu’y a-t-il ? Il y a une phase de concurrence, d’émulation, qui induit une suractivité qui convient au tempérament féminin, et qui est faite d’une juxtaposition d’actions souvent les plus diverses, où l’on passe du coq à l’âne.

Les hommes qui vivent avec des femmes sont les plus touchés par cette nouvelle pression, cette volonté de servir à quelque chose, de se rendre utile. Ils sont entraînés dans le mouvement. En revanche, les hommes solitaires, misogynes, refusant à s’appuyer sur une femme, sont défavorisés, puisque se privant d’une dynamique qui leur servirait d'électrochoc voire de prothèse.

Mais ces solitaires n’ont pas dit leur dernier mot et quand la machinerie féminine commencera à s’enrayer, ils ne seront pas entraînés dans la chute. Si l’on prend le cas de de Gaule, il faudrait apprécier le rôle positif ou négatif de « tante Yvonne » dans les hauts et les bas de son époux, tant en 40, en 58 ou 69. On sait ce qu’il en a été, ces derniers temps, pour Jacques Chirac. Il est des moment où les femmes sauvent la mise et d’autres, au contraire, où elles poussent leur partenaire à se retirer, ce qu’il fait, s’il est trop dépendant de leurs états d’âme. La coopération homme/femme a donc ses bons et ses mauvais côtés – pour le pire et pour le meilleur – à moins de considérer que la société a besoin de vacances et que les femmes sont programmées, périodiquement, à avoir un effet calmant, démobilisant, sinon soporifique, anesthésiant.

De fait, la séduction féminine, aux deux visages, peut aussi bien encourager l’homme à l’effort que le faire succomber, tel Hannibal sur la route de Rome, aux délices de Capoue.

Disons qu’il est des moments où la femme se fait dominatrice, affirme ses exigences, qui vont généralement vers un surcroît de réglementation mais au niveau privé et non à celui de l’État. Et il y a d’autres moments, pour paraphraser l’Ecclésiaste, où la femme sent qu’elle doit faire une pause, qu’elle est en manque de carburant et c’est alors qu’elle peut entraîner l’homme dans sa déprime, si celui-ci dépend par trop de ses états d’âme et de son moral.

Il semble que les sociétés anciennes, dont nous sommes les héritiers, bon gré mal gré, aient voulu un tel état de choses de façon à ce que l’homme ne démissionne pas complètement devant la machine, sous toutes ses formes. Et c’est à ce moment là que l’homme doit prendre le relais et régler les problèmes à sa façon, faute de quoi la société concernée plongera dans le marasme et le doute.

Le respect du sabbat (Shabbat, d’où l’espagnol sabbado), un des Dix Commandements, nous rappelle cette dualité entre le temps du faire et le temps de la pause. Ne dit-on pas que Dieu, lui-même, après avoir oeuvré à la Création, se reposa, au septième jour ? Or ce monde de la Création, ce n’est pas autre chose que tout un environnement technologique dont il faut parfois s’abstraire et s’isoler ? Pratique qui reste vivace chez de nombreux Juifs mais avec ce paradoxe que c’est précisément au moment du repos sabbatique que les machines sont les plus mobilisées, par un système de minuterie qui rend l’homme encore plus dépendant . Le vrai shabbat serait d’une autre veine et impliquerait que les hommes se retrouvent entre eux, en l’absence des femmes, ce qui est d’ailleurs le cas à la synagogue, où les femmes sont séparées voire dissimulées par une cloison, une jalousie. Le Shabbat, c’est littéralement une grève mais qui n’est rendue possible que parce que la femme s’est mise en veilleuse.

Rappelons d’ailleurs que mai 68 a coïncidé avec la création du MLF (Mouvement de Libération de la Femme), qui se voulait aussi une sorte de grève, un refus de faire le jeu des hommes, l’expression en définitive d’un certain désarroi qui s’expliquerait par le second cycle de la femme.

Un tel questionnement nous interpelle en ce qui concerne le statut de la femme au XXIe siècle. Il nous semble que dans la compétition entre sociétés, entre civilisations qui n’est pas prête de s’arrêter, la gestion de la question de la femme sera tout à fait déterminante.

Dans un monde qui recherchera toujours plus d’efficacité, on ne pourra plus se contenter de vagues professions de foi sur l’égalité de l’homme et de la femme. Les sociétés qui le feront seront menacées à terme dans leur existence même.

.Car la fonction de la femme - et cela bien au delà de son premier cycle qui est lié à l’enfantement – s’inscrit dans une problématique plus vaste qui est celle de l’organisation du monde, de l’environnement, et tout simplement de la gestion optimale des ressources.

Paradoxalement, la complémentarité homme-femme ne saurait déboucher, contrairement à ce que d’aucuns s’imaginent, que sur une prise conscience aiguë de ce qui les distingue, la femme incarnant, nous l’avons dit, le pole (bio) technologique, organiciste lequel sera plus ou moins prégnant selon les périodes.

Les sociétés qui sauront gérer la question féminine, de la façon la plus lucide, et la plus cohérente, seront dominantes et en ce sens, l’Occident souffre d’un sévère handicap qui pourrait laisser présager son déclin à terme, à savoir qu’il est plus mal placé que l’Orient à conférer à la femme une position particulière. C’est là, véritablement, son talon d’Achille.

Il ne s’agit certes pas de défendre le statut de la femme musulmane, par exemple, tel qu’il est actuellement mais de dire que ce statut est porteur d’une évolution intéressante vers la modernité de demain et ce sans les tabous de l’Occident.

Il est possible que la prochaine révolution industrielle ne soit pas à la portée de l’Occident car cette révolution repensera la place de la femme au sein précisément de l’ensemble technologique. Et les sociétés qui sauront conférer à la femme la place optimale, au sens où nous l’avons laissé entendre, dans une logique de sexuation qui est plus que jamais cruciale, prendront l’avantage.

Comme le disait Max Weber (cf. Développement mondial et culturalités de Claude Raphaël Samama, Ed. Maisonneuve et Larose, 2001), il y a un lien étroit entre les représentations religieuses et les potentialités économiques. Il est d’ailleurs probable que l’avantage qu’ont pris les sociétés protestantes sur les sociétés catholiques aura tenu - ce que ne dit pas Samama – au statut de la femme. Il ne s’agit nullement, en effet, de mettre la femme sur la touche mais de l’intégrer dans une dynamique socio-technique qui renoue avec des enjeux très anciens et qui furent à l’origine de la fin de l’androgynat; La victoire allemande, en 40, fut probablement liée à une place différente de la femme dans les deux sociétés en présence.

L’argument selon lequel la meilleure façon d’exploiter le capital représenté par la femme consiste à la placer en situation d’égalité par rapport à l’homme est spécieux et sous tend une politique de l’autruche. Il est bien plutôt question de concevoir une meilleure articulation entre l’homme et la femme qui préserve toutes les potentialités... de l’homme.

Car, à terme, on ne saurait l’oublier, il s’agit bien avant tout d’éviter à l’homme d’être écrasé par le monde qu’il a généré et dont la femme est partie prenante, comme l’exprime à sa façon la Genèse. Un homme fragile face à la machine, en ce qu’elle a d’éminemment sophistiqué et puissant, et qui doit absolument en garder le contrôle, faute de quoi il sera absorbé par ce qui était censé le libérer et le prolonger, dans le temps et dans l’espace: sa création.

JH – 08/07/02

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