Du rôle du père et de la mère
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Jacques Halbronn

 

 

 

Dans une société où le couple parental est si souvent en crise et où cela finit par devenir une crise de société, il est peut-être temps de s’interroger sur la signification de chacune des composantes de la structure parentale, dès lors qu’elles ne s’articulent plus nécessairement dans un vécu (en) commun.

On ne peut plus en effet se contenter de parler vaguement de “complémentarité”, il faut désormais préciser de quoi il s’agit et ce d’autant que bien des familles monoparentales vivent dans l’illusion que l’on peut faire l’économie de l’autre.

Car c’est bien à une crise d’altérité que l’on assiste, on voudrait que l’autre ne soit autre que dans son individualité et non plus en tant qu’homme ou femme. Or, parler d’individualité, c’est précisément quelque part nier l’autre dans sa différence radicale pour la réduire à une différence en quelque sorte anecdotique, ce qui n’a rien à voir avec une conscience de la complémentarité, on serait plutôt dès lors dans une sorte de juxtaposition d'éléments à la fois identiques et tous différents par tel ou tel détail qui permet certes de les reconnaître mais qui ne relève pas d’une quelconque fonctionnalité comme entre une prise mâle et une prise femelle. C’est le règne de la pseudo-complémentarité, de la fausse altérité, celle dont au vrai on peut se passer et c’est d’ailleurs ce que l’on fait : on ne tient pas à l’autre puisque cet autre est (devenu) peu ou prou en redondance avec nous mêmes, on s’en sépare, sans trop de scrupule ni de regret, ou encore on le laisse partir.

Nous voudrions dans cette brève étude aborder les répercussions de ce brouillage sur l’enfant, sur des générations d’enfants, faudrait-il dire qui risquent fort de se retrouver avec un père physiquement absent ou un père faible, rendu inutile, voire castré, d’un père qui, de plus en plus, ne se dresse plus – image phallique – devant la mère mais qui, au mieux, est relégué dans un ailleurs où il ne pourra pas jouer son (vrai) face à la mère mais seulement de façon supplétive. Car le rôle du père n’est pas tant dans son rapport avec ses enfants que dans son rapport à leur mère et vice versa. Une femme sans homme ou un homme sans femme ont quelque chose de monstrueux qui ira en se développant : les enfants auront donc affaire à deux “monstres”, chacun dans leur genre.

A cette occasion, nous souhaiterions revenir sur ce que nous avons écrit dans de précédentes études, sur ce site, concernant le Surmoi. En effet, nous avons attribué à la femme une fonction surmoïque dont il importe de mieux cerner la spécificité. Il conviendrait probablement de parler d’un “petit Surmoi” en ce qui concerne la femme et d’un “grand Surmoi” en ce qui concerne l’Homme.

Quand nous parlons en effet, dans un autre texte, de structure “prétextuelle”, nous insistons bien sur le caractère quelque peu aberrant des points d’intervention. Les interdictions féminines à l’égard de l’enfant relèvent d’une certaine idiosyncrasie. Entendons par là un choix de créneaux d’intervention qui diffère d’une femme à l’autre, aboutissant à une individuation surmoïque.

On ne peut, dès lors, parler que d’un “petit Surmoi”, d’un Surmoi foncièrement incomplet et qui ne saurait se suffire à lui-même sinon dans un cadre singulièrement limité qui peut être celui de la famille  : un Surmoi familial qui ne fonctionnerait qu’en circuit fermé.

En ce sens, nous disons que la mère joue, pour le pire et le meilleur, un rôle majeur dans le processus d’individuation de l’enfant, ne serait-ce qu’en tant que modèle. L’enfant apprend à son contact à développer une certaine originalité voire une certaine excentricité, bref à se différencier.

“Petit Surmoi”, par voie de conséquence, puisqu’il s’agit de se forger une personnalité autour d’un certain nombre de principes que l’on met en avant et qu’en quelque sorte l’on intègre. Petit Surmoi qui contribue à dessiner les traits d’un individu, ses idées fixes, ses insistances, voire ses phobies : je ne supporte pas, je déteste. Et cela s’accompagne de tout un arsenal répressif lorsque de tels desiderata ne sont pas respectés.

Le problème, c’est que l’usage de ce Petit Surmoi ne se conçoit que par rapport au “Grand Surmoi” tout comme l’individuation ne fait sens que par rapport à une appartenance à un ensemble général bien défini, à commencer par savoir ce qu’est un homme et ce qu’est une femme, précisément.

Le Petit Surmoi nous fait penser à une inspection militaire où l’on ne ferait attention qu’à des détails secondaires, d’où l’expression “il ne manque pas un bouton de guêtre”. L’enfant ainsi équipé d’un Petit Surmoi est-il préparé à affronter la vie ? Nous ne le pensons pas, ce qui ne l’empêchera pas de le croire. Cet enfant va s’apercevoir que les conseils de sa mère n’ont qu’une utilité réduite. D’abord parce que d’autres femmes auront d’autres exigences, ce qui fera de chaque nouvelle femme une “nouvelle mère” puisqu’elle n’aura pas les mêmes attentes. Ensuite, parce que, chez l’adolescent, la polarisation sur les priorités maternelles peut conduire à des catastrophes, en générant une vigilance clignotante, qui identifiera des périls plus ou moins factices et en négligera d’autres souvent plus menaçants mais que l’on n’aura pas appris à craindre.

A contrario, le Grand Surmoi, placé sous la responsabilité paternelle – ce qui rejoint l’idée de Freud selon laquelle le Père incarne la Loi – nous apparaît comme autrement vital. Ce Grand Surmoi implique probablement un certain conformisme – qui se perçoit symboliquement sur le plan vestimentaire chez les hommes –  mais une attention moins focalisante mais plus “contextuelle”, selon l’expression employée dans un précédent article, c’est à dire un champ de conscience plus large.

Que sur ce Grand Surmoi puisse se greffer le Petit Surmoi, à la bonne heure ! Il convient en effet d’apprendre à dépasser le plan contextuel et global, pour apprendre à se différencier. En revanche, n’exister qu’au niveau du Petit Surmoi sans une solide assise au niveau du Grand Surmoi nous paraît dommageable. Pas d’individuation sans appartenance, pas de spécificité sans intégration.

Ainsi, faire de la femme la gardienne du Surmoi serait bien exagéré. Le Surmoi maternel est certes plus lourd, plus pesant, plus insistant mais il se neutralise lui-même par ses manques, par ses absences, il est prétextuel, il sert avant tout à avoir quelque chose à dire, à exprimer son intérêt pour l’autre : qui aime bien châtie bien. C’est un Surmoi qui permet de rapprocher l’enfant de sa mère mais qui quelque part l’éloigne de la Société et tend à aiguiser une certaine forme d’inadaptation s’il n’est pas neutralisé par le Surmoi paternel.

Certes, en principe, la mère a-t-elle eu longtemps la tâche d’élever, de dresser l’enfant mais même cela ne se déroule pas forcément sans particularités propres à l’imaginaire maternel quant à ce qui compte et à ce qui ne compte pas. Cela permet ainsi à toute mère d’être unique en son genre alors que le père serait un personnage plus fade voire interchangeable, moins identifiable en tout cas ne serait-ce que dans son apparence et dans son discours. Il est précisément le vecteur d’intégration dont l’enfant aura besoin pour se donner les moyens de s’ajuster avec la réalité, autrement plus complexe et protéiforme que celle que la mère incarne. Si la mère est déconcertante par une certaine irrationalité, le père apprend à l’enfant à se mesurer avec un monde surprenant et qui désarçonne celui qui ne le contemple qu’avec des lunettes déformantes.

 Les recettes de la mère font vite long feu mais encore faut-il qu’il y ait un père pour prendre le relais, pour que l’enfant ne voie plus le monde à travers un prisme – déformant –  à usage interne, subjectif à moins de limiter précisément son horizon à la mère. Prisme d’autant plus limité qu’il sera dévalué face à une autre femme : la clef maternelle n’ouvre qu’une seule porte, celle de la mère, la clef paternelle ouvre sur le monde objectif.

L’enfant, trop marqué par sa mère, aura certes développé, à peu de frais, un profil original, une certaine créativité, un sens aigu de la différenciation par rapport à autrui mais sans nécessairement avoir maîtrise les bases, ce qui conduit, dans la marginalité, à construire des châteaux de cartes, ne se situant pas dans la continuité historique et sociale. C’est l’élément paternel, seul, qui permettra à cette aptitude à se démarquer de s’appuyer sur des fondements solides. Inversement, l’enfant, trop marqué par son père, une fois les connaissances générales assimilées, aurait du mal à y apporter une valeur ajoutée et sombrerait dans une certaine médiocrité, dans un mimétisme facile où l’objectif à atteindre serait trop bien défini pour être honnête, où il s’agirait de recevoir des bons points quand on a fait là où il fallait.

L’enfant sans père développe trop vite sa personnalité, un certain maniérisme, prend trop tôt des responsabilités, des décisions qu’ils ne peut assumer pleinement en toutes leurs conséquences et implications. On dira qu’il est la proie du mimétisme, en ce qu’il devient ce qu’il veut, qu’il s’identifie à sa guise, il choisit ses accessoires au supermarché des fantasmes. La présence du père freine ce processus de maturation accélérée en ce que le père a pour tâche de montrer le monde dans sa complexité et non de faciliter une expression superficielle du moi. Le père enseigne notamment la vertu du silence, à savoir canaliser, capitaliser, son énergie plutôt que de la diffuser à chaque instant pour affirmer une individualité quelque peu factice aux expressions un peu courtes, qui manquent de souffle. Si l’on considère que le père est, désormais, souvent absent ou ne peut pleinement jouer son rôle, nous risquons fort de nous diriger vers une société d’individualités en patchwork, décadente, baroque mais de moins en moins capable au niveau scientifique de comprendre le monde tel qu’il est et se contentant de projeter sur lui ses fantasmes. Il va de soi que la situation diffère quelque peu selon que l’enfant est de sexe masculin ou féminin.

La confusion entre petit et grand Surmois aboutit à confondre, pour un sujet donné, les opinons, les avis personnels ou les souvenirs scolaires ressassés et les thèses du chercheur, résultat d’un travail de longue haleine, en les plaçant sur un même plan – avec un effet niveleur – à ne pas savoir distinguer la nécessaire individuation différenciatrice propre à chacun et la percée du génie, ayant la pleine maîtrise de son domaine.. Il y a là comportement castrateur que de confondre la qualité d’une réflexion personnelle en profondeur avec la réaction à chaud sur tout et n’importe quoi, entre celui qui donne et celui qui reçoit, entre prise mâle et prise femelle.

En tout état de cause, le but du couple est de mener une vie commune, par delà la question des rapports sexuels ou de la procréation. Quand un des parents faits défauts, au quotidien, il ne faut pas hésiter à le remplacer, à le relayer. Ce processus de substitution est crucial et vaut assurément mieux que l’illusion que l’on peut devenir l’autre, la femme l’homme et vice versa. A l’instar de ce qui se pratique au niveau diététique, il importe de surveiller les carences au sein de la famille. Le problème se pose de façon plus aiguë quand il y a des enfants à charge que lorsque la personne est seule car les dégâts au niveau du couple parental sont plus importants même si l’intégration d’un élément étranger peut poser problème en se juxtaposant sur le vrai père ou la vraie mère. Or, il ne faut pas se leurrer, le fait que les enfants voient leurs parents séparément ne suffit nullement à leur apporter l’équilibre nécessaire si le père et la mère n’ont pas refait leur vie avec un nouveau partenaire, condition sine qua non de leur équilibre psychique respectif. La femme a besoin d’un homme qui, tout en étant à son écoute, puisse lui faire entendre raison.

Nous irions autrement vers un monde au sens étymologique d’idiots (même racine qu’idiotisme, idiosyncrasie), qui exprime son opinion – “on est en République” – avec la même ingénuité sur la préférence d’un plat que sur l’ordre du monde, qui confond le cadre familial et amical, la sphère privée, avec des enjeux publics d’une toute autre échelle, qui vote de la même manière qu’il va au supermarché – et d’ailleurs ne recourt-on pas aux mêmes media pour le convaincre ? Un monde où l’on préfère le slogan sans appel à la prise en compte de tout un ensemble de données dont il faut tenter la difficile synthèse. Bien plus, au niveau épistémologique, l’illusion de pouvoir appréhender un élément “individuel” hors de son contexte fait son chemin. En fait, sans le contrepoids masculin, la femme n’a pas de garde-fous, elle tend à s’éloigner de la nature – de se dénaturer – et du bon sens au risque de tomber dans des aberrations, perdant toute mesure, voire d’accéder à une certaine monstruosité, par delà le bien et le mal. C’est en ce sens que la femme serait plus proche de la machine que l’homme, certains ont affirmé que la femme est ” l’avenir de l’homme”, en tout cas une sorte de protubérance  – passage de l’en soi au pour soi.

L’astrologie incarne probablement une telle évolution : le thème astral avec ses planètes multiples dispersées dans le zodiaque symbolise à merveille la juxtaposition des comportements, légitime les contradictions et les incohérences de la personnalité et du comportement sans parler du fait que par sa présentation même, il valide une demande exacerbée/.exaspérée d’individuation. Rien d’étonnant à ce qu’une telle astrologie horoscopique attire, en règle générale, davantage les femmes que les hommes. A l’inverse, tout se passe comme si les hommes n’éprouvaient guère d’attirance envers un tel savoir, au demeurant n’existant que par le caprice de la croyance, qui cristallise les différences entre les gens et fait écran avec l’appréhension du réel qu’il prétend décrypter. Face à l’astrologie, l’enfant sans père est démuni, en ce qu’il accorde trop d’importance à son ressenti, son expérience, ses repères personnels – le Petit Surmoi – et ne tient pas assez compte  du verdict officiel, qu’il tend à mépriser, à négliger, il est ainsi la proie facile d’une contre-culture qui est en quelque sorte meurtre du père en tant que vecteur de la Loi s’imposant à tous  : le Grand Surmoi..

On peut se demander si l’existentialisme sartrien ne serait pas marqué par une polarité féminine. Sartre a pu, notamment, s’inspirer de sa compagne, Simone de Beauvoir, auteur du Deuxième sexe. En effet, l’idée de construire sa personnalité au travers de choix et d’affirmations successives caractérise un processus d’individuation qui tend à minimiser les données “essentielles”, plus en accord avec pôle masculin. On proposera la formule suivante pour définir notre distinguo et résumer nos trois études  : pour l’homme, celui qui est ça fait ça, pour la femme, celui qui fait ça est ça. En d’autres termes, pour l’homme, l’important est l’en soi, l’appartenance objective, générique, historique, par delà ses manifestations ponctuelles et individuelles tandis que pour la femme, l’important est ce qui se donne à voir, ce qui veut se montrer, approche plus spécifique : pour elle, tous ceux qui se comportent ainsi sont à mettre dans le même sac. De ces approches croisées et complémentaires, l’une masculine, plus en amont, l’autre féminine, plus en aval,  naissent bien des malentendus. La femme nous apparaît comme un personnage singulier dans sa spécificité individuelle alors que l’homme, sauf lorsqu’il est particulièrement original, s’inscrit plutôt dans une normalité qui transcende la réalité. La dynamique du couple consisterait donc dans un compromis entre une approche féminine qui tend vers une complexité existentielle croissante et des plus touffues et une approche masculine rassurante par une certaine banalité, qui contraint la femme à un certain élagage mais où l’homme peut y gagner en fantaisie..

La dimension surmoïque de la femme tient au fait qu’elle introduit ses propres normes qui viennent se surajouter aux normes sociales admises globalement. C’est en quelque sorte un hyper-surmoi et en ce sens, nous n’opposons nullement le Surmoi au Moi, dans la mesure où, selon nous, le Moi est une construction arbitraire à l’instar d’une sculpture qui serait découpée dans un bloc de marbre.

JH – 08/07/02

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