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Nouvelles perspectives cliniques pour l’approche et la thérapie des rescapés de traumatismes sexuels précoces

vendredi 9 septembre 2011, par Kieser ’l Baz (Illel)

 

La sexualité dépend de marqueurs situés en amont de la constitution de la personnalité surtout quand le trauma est antérieur à la sexuation. Les facteurs sensoriels et émotionnels conditionnent, d’origine, la sexuation du sujet et les modèles sociaux. L’ensemble de l’image de soi, de « l’intégration corporelle » est en jeu. La thérapie doit en tenir compte en favorisant la réparation à l’origine de la conscience de soi. Tel pourrait être l’enjeu d’une refondation de la psychologie clinique, aux confins des neurosciences et de l’anthropologie.



 

Introduction

Les violences sexuelles infligées à l’enfant nous interpellent sur de nombreux plans. Personnel d’abord pour ce que cela implique de distorsions dans la constitution de la personnalité de l’enfant, collectif aussi car le silence pèse encore autour des maltraitances domestiques, d’autant plus si celles-ci s’accompagnent de violences sexuelles. Éthiques enfin, car le silence de l’imaginaire collectif (Benedict Anderson) autour de ces méfaits induit un aveuglement équivalent sur la valeur même que nous donnons à l’individu. Enfin, il est légitime, passé le feu de l’immédiate actualité, de se demander ce que deviennent ces rescapés de traumas[i] de l’enfance. Le corps morcelé en autant de pièces qu’il cumule de symptômes, l’âme en dérive et flottant au gré des miracles qu’une science maladroite leur promet, ils cherchent une unité que nos modernes psychologies ne peuvent leur proposer.
Nos cultures hédonistes conçoivent mal qu’il existe des lieux de l’âme humaine qui ne connaissent la paix que dans de rares circonstances. Les méandres de l’âme échappent encore à la lumière des experts. La question de la souffrance et de son abolition hante l’adulte rescapé des violences de l’enfance.
Confronté à la multiplicité des méthodes et des théories psychologiques ou neurologiques, la nécessité d’une approche globale s’impose mais il faut, pour cela que nous acceptions de passer des barrières, théoriques, morales, parfois religieuses. La division antique, en forme de séparation, du corps et de l’esprit a forgé, que nous le reconnaissions ou non, le corpus de pensée à partir duquel s’est élaborée notre approche de la psyché humaine.
Or, dès le début des années 80, les progrès de l’imagerie médicale et de la neurobiologie permirent une approche plus différenciée des mécanismes neuronaux sans, cependant, parvenir à objectiver tous les mécanismes de la conscience ni à répondre au problème de la source de celle-ci. Si nombre de processus inconscients sont désormais connus et constituent le corps principal des sciences cognitives, la conscience comme siège d’expériences subjectives dotées de qualités spécifiques et uniques selon chaque individu – qualia – est au centre de débats encore très vifs entre ceux qui défendent le caractère unique de l’expérience intérieure et ceux dont le but consiste à lever, chaque fois un peu plus, le voile qui pèse encore sur les mystères de l’esprit.
La question reste posée de savoir si l’approche objective et organiciste pourra un jour pénétrer les mystères profonds de la conscience et des mécanismes inconscients de l’esprit humain. Parmi les psychologues du début du xxe siècle, C. G. Jung, à partir du principe de synchronicité, établissait très tôt un lien indéfectible entre la matière et la psyché humaine qui, selon lui, appartiennent au même continuum, au même champ.
« Ce qui sert à ordonner la multiplicité chaotique du monde des phénomènes, c’est en tout premier lieu le nombre. Il est l’instrument qui nous est donné pour établir un ordre ou pour saisir une régularité préexistante mais encore inconnue, c’est à dire une structure ordonnée du réel. Il est sans doute l’élément ordonnateur primordial de l’esprit humain ». (1952)

Physiologie du trauma

Le trauma et le stress qui en résulte, perturbent les équilibres neurologiques du moment, provoquant des réactions de défense dont la finalité immédiate est de permettre à l’organisme, dans son entier, de survivre. Mais ces réactions défensives ou de fuite s’avèrent dangereuses si elles persistent. Mais elles ne persistent qu’à deux conditions : que la blessure consécutive du trauma ne soit pas cautérisée ou bien que l’agent traumatique continue son action malfaisante. Dans ces circonstances, l’organisme doit lutter contre une forme d’auto empoissonnement dû aux drogues libérées par le cerveau – noradrénaline et cortisol – et contre l’agent stresseur. Le cerveau et les réseaux neuroniques sont alors l’objet d’un chaos interne qui peut altérer durablement les capacités même du sujet à évoluer et progresser dans sa vie. Ce sont les mécanismes d’acquisition et d’apprentissage qui, désorganisés, se trouvent gravement blessés, désorganisés et incapables de fournir les bonnes réponses aux stimuli extérieurs. Le circuit de réaction Amygdale – Hippocampe est soumis à un emballement tel que la relation même du sujet à la réalité physique objective peut être l’objet de pathologies qui, d’aigües qu’elles étaient après le trauma, deviennent chroniques pour constituer l’apparente trame de fond de la personnalité.
Le chaos primaire qui suit le trauma étend la désorganisation à tout l’organisme, des mécanismes de régulation des neurotransmetteurs, c’est toute la chaîne hormonale qui est touchée, les mécanismes de régulation de l’humeur perturbés. Les grands cycles vitaux de l’horloge biologique sont également touchés et l es rythmes veille/sommeil perturbés.
L’amygdale est essentielle à notre capacité de ressentir et de percevoir. C’est le cas de la peur et de toutes les modifications corporelles qu’elle entraîne. Si vous vous promenez la nuit dans un bois inconnu et que vous entendez des bruits suspects, votre cœur se met à palpiter et l’amygdale s’active en libérant ses signaux. L’amygdale reçoit de nombreuses connexions de l’hippocampe. Celui-ci est impliqué dans le stockage et la remémoration de souvenirs explicites, ses connections à l’amygdale peuvent être à l’origine d’une émotion déclenchée par un souvenir particulier. L’hippocampe tempère la réaction immédiate suscitée par l’amygdale en puisant dans le stock mémoriel une réaction pertinente. L’hippocampe est aussi spécialisé dans le traitement non pas d’un seul stimulus mais d’une collection de stimuli, et/ou du contexte d’une situation. Et c’est à par l’hippocampe et de ses liens étroits avec l’amygdale que le contexte associé à un événement traumatisant peut devenir une source d’anxiété. Car, alors l’apprentissage est déjà déficient.
Dans ce cas, l’approche thérapeutique devra tenir compte de ces éléments mémoriels – sources de souffrances – et des apprentissages chaotiques. Mû par un processus d’auto protection, l’organisme crée alors deux plans de vie, l’un s’inscrira dans la réalité de manière apparemment normale et permettra de nouveaux apprentissages, l’autre demeurera enfoui derrière une muraille d’oubli tout en demeurant menaçant. L’énergie emmagasinée au sein de cet espace demeure menaçante et c’est de là que proviennent cauchemars, flashbacks et explosions émotionnelles. La dissociation s’installe et peut s’avérer fortement nuisible, mais pas forcément…

Étapes et processus de la thérapie

Margaret Wilkinson a repris certaines hypothèses de Jung en s’intéressant aux phénomènes dissociatifs consécutifs à des traumas de l’enfance. « Au cours des dix dernières années, les analystes et les spécialistes des neurosciences ont commencé à ébranler le monde psychanalytique pour proposer des modèles nouveaux de fonctionnement de l’esprit à partir des connaissances issues des neurosciences. Je trouve qu’à bien des égards, c’est la compréhension de Jung sur l’esprit, la condition humaine, et le Soi[ii], qui est la plus compatible avec les enseignements qui se dégagent de neurosciences aujourd’hui. » (Wilkinson, 2004, p. 84). Un des phénomènes les plus singuliers qu’il nous soit donné de rencontrer en écoutant les témoignages de rescapés de maltraitance de l’enfance – c’est aussi le cas pour des rescapés de tortures, d’attentats, des exilés, etc. – est l’apparition d’une dissociation de la psyché. Une part de l’être semble « fonctionner » de manière pertinente pendant qu’un autre, comme tapie dans l’ombre, ne manque jamais de submerger la première d’un flot d’émotions violentes, de flashbacks, de cauchemars… Si bien que la personne vit dans un état de constante anxiété, elle n’est plus harcelée par son prédateur de l’enfance mais par des démons intérieurs. La réaction logique serait alors de chercher à faire disparaître ces derniers. Or, en s’attaquant aux symptômes, en les différenciant les uns des autres, la thérapie introduit un morcellement préjudiciable à l’unité personnelle. De plus on peut passer à côté d’une vérité paradoxale : certains signes perturbants peuvent avoir une finalité pertinente en vue de réintégrer l’unité perdue.
« Dans ce document, je reprends les hypothèses que les neurosciences nous proposent sur ces patients dont l’expérience d’un trauma précoce a lésé leur capacité de conscience (their capacity to be ’in mind’) et, avec elle, leur fonction d’intériorisation (reflective self-function), qui présentent des signes de dissociation et dont les défenses maintiennent l’expérience insupportable du trauma à l’écart, hors du champ de conscience. » (Journal of Analytical Psychology, Volume 50, Number 4, September 2005, pp. 483-501)

Pour retrouver une unité

L’action thérapeutique passe d’abord par le renforcement de cette structure que l’on nomme conscience de soi. (Damasio) Il est important de repérer, dans un premier temps, les lieux où et comment cette conscience a pu s’installer en dehors des effets destructeurs du trauma. Ce sera soit une profession, un sport, un loisir, un art, voire une technique de méditation, etc.
C’est à partir de l’observation de ce domaine préservé que l’on pourra conduire une progressive reconnaissance de soi par le sujet en prise avec ses craintes, ses anxiétés et, surtout, son hyper-vigilance.
Chez la plupart des sujets souffrant de traumatisme il existe un champ de vie dans lequel toutes les ressources sont mobilisées et opérationnelles. Il arrive même, parfois, que certaines facultés y soient démultipliées. Il s’agit d’un phénomène compensatoire qui découle de l’utilisation de l’énergie bloquée par la zone traumatique et ainsi rendue disponible pour un usage particulier. Ce champ d’activités optima a échappé aux séquelles du trauma et le sujet l’a construit avec ses propres ressources. Il échappe donc au phénomène d’emprise du prédateur.
Par exemple, ce sera l’activité professionnelle pour certains, pour d’autres ce sera un loisir cependant que certains s’investiront dans un outil de créativité. Sans soutien ni orientation ce champ risque de faire écran à la souffrance muette voire de favoriser le déni et une forme d’unilatéralisation de la conscience. La surcompensation apparaît dans ce domaine que le sujet protège car il le sent comme lui appartenant totalement.
À partir du témoignage de la personne, on peut dresser une carte de cet espace libre et s’en servir de pour amorcer un processus de réparation…
Premier temps
Consolidation de l’espace conscientà renforcement de l’image soi à nouveaux apprentissages et premières inflexion comportementales à Consolidation et Inscription au temps
 
Premier point d’appui pour renforcer l’image de soi. Le sujet y aura développé des comportements, des attitudes, des appétences qu’il reconnaît comme lui appartenant et qui lui renvoie l’image de sa singularité. Ces composants peuvent servir de base à un élargissement rendu possible dans les phases qui précèdent. L’énergie ainsi libérée pourra alors être rapidement réinvestie pour des tâches et des apprentissages nouveaux.
Deuxième temps
Élargissement à structuration à intégration à ré-exploration du passé à Inscription au temps
 
Élargissement
C’est à partir d’un champ d’expérience privilégié que le sujet adulte peut reconstruire un espace indemne de toute séquelle. J’ai donné l’exemple de l’exercice professionnel comme espace vierge de toute atteinte traumatique – même si, bien sûr, le sujet demeure l’objet de troubles conséquents. Cet espace recèle dévoile donc des attitudes, des comportements plus authentiquement caractéristiques du sujet. S’appuyer sur ceux-ci pour un travail d’élargissement du champ de vie est un garant de pérennité.
Pour l’enfant, il s’agit d’une reconstruction à partir de l’expérience sensorielle de l’espace et du temps. Chez l’enfant, aussi, il existe des poches de vie qui échappent aux agents de la lésion traumatique. Mais elles peuvent être très variées car leur qualité découle d’une rencontre aléatoire entre le milieu et les affinités du moment. Tel enfant trouvera refuge dans la nature en fuyant le plus longtemps possible les lieux de souffrance, tel autre se réfugiera dans sa chambre pour se laisser emporter par des rêveries qui l’emmèneront très loin (Elles lui serviront de refuge quand il sera devenu adulte). D’autres iront se réfugier en pratiquant avec intensité une activité divertissante, sports, activité artistique, etc.
Comme l’animal, l’homme blessé cherche refuge dans un lieu de paix où il peut se reposer de la violence subie…
Structuration
Sur ces lieux intérieurs l’entreprise de restauration de l’être peut trouver des appuis et des modèles. C’est en revalorisant leur place que le sujet parvient à sortir du premier dédale de ses souffrances en éprouvant le caractère positivant de la restauration de l’image qu’il a de lui-même.
Tels pourraient être les premiers pas d’un être qui fut longtemps le pantin passif d’un chaos terrifiant et qui conçoit enfin qu’il lui est possible d’être acteur de sa construction.
Intégration
Désormais plus autonome et agent, le sujet peut songer à l’intégration progressive des strates de son passé à sa vie présente. Le sujet ne se sent plus ni sale ni honteux de cette vilaine blessure, si elle demeure une marque de son passé, elle n’est plus un lien d’emprise.
Je demandais à une jeune femme pourquoi elle ne parlait pas des maltraitances subies dans l’enfance à son ami : « Parce que j’ai honte ! », me répondit-elle. L’intégration, c’est la possibilité enfin présente de retrouver les espaces de honte comme parties intégrantes de l’histoire personnelle sans crainte, ni haine ni déni.
Inscription au temps
Une fois ce travail d’intégration effectué, le travail d’histoire – celle de soi – peut s’achever en permettant au sujet de s’approprier le déroulement de sa propre histoire. Désormais, cette reconstitution ne dépend plus des autres, les parents, les souvenirs des autres, etc. ni des lambeaux de la mémoire traumatique, flashback, fantasmes, rêves, etc. mais d’un mémoire dont il se sera réappropriée l’étendue.
Selon la violence du trauma et sa durée, cette mémoire présentera des plages vides qu’il sera impossible de combler et cela sera probablement irréversible mais ce manque, ce vide d’histoire ne sera plus la source de menace qu’il était auparavant.
La mémoire épisodique permet à l’individu de se voir en tant qu’acteur des événements mémorisés. Le sujet mémorise non seulement un événement qu’il a vécu, mais tout le contexte particulier de cet événement.
C’est cette composante de la mémoire qui est le plus souvent touchée par les amnésies consécutives à des traumas. De plus, la charge émotionnelle vécue par le sujet au moment des faits conditionne la qualité de la mémorisation épisodique.
Une fois, tous les systèmes d’intégration et d’apprentissage restaurés, le sujet se retrouve en capacité d’être « complet », acteur de sa vie.

Protocole thérapeutique différencié

Face aux traumatismes graves il n’existe pas de solution ni de thérapie unique qui serait capable de venir à bout de tous les symptômes et signes pathologiques. Et ce serait une imposture de croire ou de laisser entendre la chose possible. Tout comme pour les polytraumatisés qui, de la salle de réanimation jusqu’au traitement de rééducation ambulatoire en passant par la chirurgie réparatrice, c’est une équipe complète de thérapeutes qui s’affaire auprès d’eux, en étroite collaboration et en synergie les uns par rapport aux autres. Dans le domaine des troubles psycho-organiques dont l’implication neurologique est souvent profonde, il n’en va pas autrement.
Ce processus en deux temps et neuf phases ne se développe pas de manière linéaire. Il faut bien penser, d’abord, que la conscience n’est pas une, elle est constituée de multiples éléments qui, en outre, n’évoluent pas forcément selon les mêmes rythmes ni dans le même temps. Si une part élémentale progresse vers un but, une autre peut mourir, cependant qu’une autre viendrait à naître. Dans ce processus extrêmement complexe, la linéarité d’un progrès vers la guérison ne peut être envisagée. On comprend d’autre part que la dissociation peut être intégrée au processus de réparation.
Si nous avons des repères sur le processus de restructuration des fonctions neuronales vitales, les outils de consolidation et de réparation peuvent varier et leur usage dépendra alors de ce qui s’offre à l’écoute attentive des témoignages au jour le jour, un pas à pas incontournable, minutieux qui impose une attention continue.
Ainsi, quand l’on procède à la consolidation de la conscience de soi sur la base de ce que celle-ci a construit en dépit du traumatisme, on peut fort bien utiliser les ressources de la psychologie comportementale. Mais dans ce même temps où de nouvelles adaptations se consolident et s’installent dans la vie de la personne, des réminiscences, des rêves, des flashbacks, des crises parfois violentes,… viennent perturber cette mise en ordre qui paraît alors chanceler dans un retour du chaos. La mise en ordre n’obéit pas à des lois de caractère linéaire, statistiquement convergentes. Il ne s’agit pas simplement de la remise en route d’un train avec une locomotive et des wagons qui la suivent dans le même sens. Nous sommes plutôt face à une structure chaotique au sein de laquelle des facteurs d’ordre parviennent à se placer comme autant de polarisateurs d’énergie mais sans lien apparent entre eux, tout au moins dans un premier temps.

Sens et place du rêve

Dans ce fatras, les images intérieures et les rêves nous sont de précieux auxiliaires. Les neurosciences nous en disent beaucoup sur les mécanismes neuronaux mis en œuvre chez un sujet qui rêve mais le contenu même, l’imagerie, parfois riche voire profuse, sont totalement négligé,s ramenés le plus souvent à une vague revisitation de la vie quotidienne. Un tel avis, profondément enraciné chez certains praticiens, néglige la formidable richesse de l’imagerie onirique. De plus, la question posée par le contenu même du rêve est ignorée. L’observation attentive de nombreux rêves durant quarante années d’écoute attentive nous conduit à relire avec attention ce que nous disaient Michel Jouvet et C. G Jung.
Pour Michel Jouvet (1992) le rêve serait une sorte d’équilibrateur de l’organisme humain et son contenu révèlerait, par sa scénographie et le jeu des images, une sorte de vision dynamique des forces mise en jeu dans l’organisme. Pour Jung, le rêve exerce un rôle compensateur ou complémentaire à l’action du petit Moi/Je confronté à des forces bien plus importantes émanant d’autres instances de l’organisme humain.
Selon Jung, les rêves fournissent des images et des scénarios qui sont fondamentaux dans l’investigation de l’inconscient. Accorder de l’attention aux rêves, c’est encourager la conscience du moment à certains moments de la vie domestique qui avaient échappé à la vigilance consciente. Ce simple apprentissage conduit, par la suite à associer certains messages du corps – sensations corporelles, viscérales, etc. – à des contenus plus volatils – pensée, fantasmes, émotions, sentiments, etc.
Cela va tout à fait dans le même sens que la médecine comportementale (Daniel Brown) ou des hypothèses d’A. Damasio. Attention, vigilance, écoute de messages de sens liés aux émotions et aux sentiments, l’état de la conscience dépend d’abord des représentations fortement chargées en émotions qui proviennent des organes des sens (proto-Soi), selon A. Damasio.

Conclusion

Le propos, ici, n’était pas d’apporter une contribution spécifique aux neurosciences mais de proposer des directions de recherche et des voies cliniques qui, à partir du domaine exploré par Margaret Wilkinson, peuvent être étendues à d’autres aspects de la psyché humaine. Même si mes recherches et observations se situent dans la lignée de la phénoménologie et de la psychologie analytique, les apports de Francisco Varela, de Walter J. Freeman et d’A. Damasio ont considérablement enrichi ma pratique en la libérant du poids de cette antique dualité Corps/Esprit.
La conscience, dont les degrés les plus primaires semblent reliés aux émotions, ne peut pas être réduite à une simple activité cérébrale mais elle résulterait d’une expérience globale du corps dans son ensemble. Les neurosciences se rapprocheraient alors d’une conception de l’esprit humain, défendue par Freeman ou Varela, qui accordent une place centrale au corps de l’individu situé dans son environnement. Ils s’opposent ainsi au courant cognitiviste traditionnel où le cerveau humain est vu comme un système qui manipule des représentations internes du monde en se basant sur des règles.
Les perspectives ouvertes par les neurosciences, combinées à la phénoménologie dont, une partie au moins, de la psychologie clinique est issue, nous conduisent à devoir reconsidérer les représentations que nous avions des troubles psychiques, notamment de la dissociation comme source de psychose. En revenant à des fondamentaux, à l’écoute première que la conscience a du corps, des sensations aux sentiments, bien des individus gravement lésés par des blessures d’enfance pourraient accéder à une unité que les méthodes classiques ne peuvent leur apporter tant elles morcellent le corps et l’âme…
Permettre d’explorer « l’inscription corporelle de l’esprit » en convoquant différentes écoles de thérapie, c’est accéder à cette approche incarnée dont parlait E. Varela. Celle-ci trouve son inspiration dans une forme de méditation bouddhique dite de « l’attention/vigilance » tout autant que dans l’écoute des images intérieures et des rêves. L’esprit est présent à l’expérience quotidienne et l’individu peut la vivre pleinement lorsqu’un corps interagit en temps réel avec un environnement tout aussi réel. Alors les facultés cognitives se développent en contribuant à l’unité de l’être.
 
 
 
 
Bibliographie restreinte
– Borsarello (Jean-François) (2005) Traité d’acupuncture, éditions Masson, Paris.
– Damasio (Antonio) (2002), Le sentiment même de soi, Corps, émotions, conscience, éditions Odile Jacob, Paris.
Jouvet (Michel) (1992), Le sommeil et les rêves, Odile Jacob, Paris.
– Jung (C. G.) (1952) Synchronicity : an acausal connecting principle, Collected Works, 220, Vol III.
– Khalsaa (Sahib S.) (2009) “Bilateral limbic system destruction in man”, Journal of Clinical and Experimental Neuropsychology, Volume 32, Issue 1, Pages 88 – 106 ;
Collectif avec : Justin S. Feinsteinab ; David Rudraufa ; Martin D. Cassellc ; Joel Brussa ; Thomas J. Grabowskia ; Daniel Tranel.
– Kieser ‘l Baz (Illel) (2007), Inceste et pédocriminalité, crimes contre l’humanité, éditions Lierre et Coudrier, Toulouse.
Kieser ‘l Baz (Illel)(2008) Enfance violée, maturité volée, in « Hommes et Faits »,<http://www.hommes-et-faits.com/Dial… ;
– Lakoff (George, Mark Johnson) (1999) Philosophy In The Flesh : the Embodied Mind and its Challenge to Western Thought, Basic Books.
– Varela (Ernesto), (1989), Autonomie et connaissance, trad. Paul Dumouchel et Paul Bourgine, Paris, Seuil.
– Varela (Ernesto), (1993), L’Inscription corporelle de l’esprit, sciences cognitives et expérience humaine, Francisco J. Varela, Evan Thompson, Eleanor Rosh, Paris.
Wilkinson (Margaret), (2006) Coming in to mind, the Mind-Brain Relationship : A Jungian Clinical Perspective, Rootledge Kegan, London & New York.


[i] – Le trauma représente l’atteinte interne ou externe portée à l’organisme à un moment donné. On nomme traumatisme la blessure qui en résulte immédiatement ou très tardivement au cours de la vie.
[ii] – Notez bien que le Soi dont il est question ici est un concept jungien différent du « soi » dont Antonio Damasio se sert pour illustrer la structure du sentiment de « soi ».

P.-S.



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