Du prétexte au contexte
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Recherches philosophico-linguistiques

Jacques Halbronn

 

 

 

Selon la phonologie, saussurienne on distinguerait, dans une langue donnée, un mot d’un autre par des nuances phoniques qui échapperaient au locuteur non averti, c’est la question des phonèmes. Or, dans bien des cas, seul le contexte de la phrase permet de faire ressortir le sens, il est vrai que cela vaut surtout au niveau oral. Tout se passe ainsi comme si la phonologie était partie de l’écrit pour se constituer car si on distingue, à la lecture : il chante et ils chantent, il n’en est rien à l’écoute. La phonologie classique serait en fait une analyse de la façon dont l’écrit se prononce, elle relèverait de la didactique des langues, c’est à dire de leur apprentissage, toujours à partir de l’écrit, du manuel. Un point de vue qui date quelque peu. (cf. nos études, dans cette rubrique, sur l’écrit et sur l’ergonomie des langues)

En refusant son importance au contexte, la phonologie limite d’autant sa pertinence au niveau psycho-linguistique voire philosophico-linguistique – car nous pensons que par le linguistique on recoupe le philosophique.

Celui qui apprend une langue va butter sur certains mots et il va demander “qu’est ce que ce mot veut dire ?”, ce qui présuppose que le mot ait un sens “en soi”, c’est à dire hors contexte. Et il va demander quelle est la prononciation de ce mot, ce qui suppose qu’il ait un son qui lui soit propre. En ce sens, le professeur de langues et le linguiste ne font pas le même métier et la phonologie nous semble être une invention de didacticien.

Beaucoup de locuteurs seraient d’ailleurs incapables de préciser ce que signifie “en soi” tel mot mais dans le contexte, cela ne leur posera pas problème comme si le mot n’avait pas de réalité “individuelle”. Et le contexte renvoie au signifié, c’est à dire à une situation donnée, psychologiquement ou sociologiquement familière au groupe concerné. Le contexte, ce serait donc le texte au sein duquel se place chaque mot du dit texte mais aussi l’arrière – plan situationnel de ceux qui sont en train de communiquer.

Celui qui est étranger et qui apprend une langue “étrangère” sera tenté de ne pas contextualiser, tout simplement parce qu’il en est incapable, que cela ne va guère l’aider. Il aura plutôt tendance à s’accrocher à une signification décontextualisée, intrinsèque : qu’est ce que ça veut dire, comment ça se prononce (“ça”étant en fait tel mot écrit) ?.

Nous avons déjà montré, en d’autres occasions, qu’il y avait un jeu entre l’oral et l’écrit, que l’oral n’était pas fidèle à l’écrit, qu’il s’en émancipait tout en y renvoyant. Par comparaison, l’écrit serait la norme sociale et l’oral le vécu de cette norme, pouvant passer par une certaine transgression qui ne facilite pas la reconnaissance – dans tous les sens du terme – de la dite norme. Comprendre ce que “fait” quelqu’un n’est pas plus simple que de comprendre ce qu’il “dit”. Et là encore l’étranger (cf. notre étude, “Psychanalyse de l’étranger” sur ce site) tend à figer les choses, à tous les niveaux et pas seulement linguistique. Attention, ne bougeons plus, s’il vous plaît !

De même, il faudrait éviter d’analyser en “qu’est ce qu’il a dit” et préférer “qu’est ce qui s’est dit”, “qu’est ce qu’on est en train de dire” ? Tant notre prise de parole s’inscrit dans un ensemble sans lequel elle serait indéchiffrable.

Prétexte — Contexte

Il nous intéresse ici d’étudier la dialectique prétexte/contexte. Le prétexte s’oppose au contexte. Chercher un prétexte, c’est en fait refuser de prendre en considération le contexte ou en tout cas ne vouloir percevoir le contexte qu’au regard du prétexte, en l’occurrence de la présence d’un mot donné lui-même réduit à sa forme écrite

Le prétexte, c’est ce qui permet d’agir, d’intervenir, de basculer de la contextualisation à la prétextualisation. En termes psychanalytiques, le prétexte est foncièrement surmoïque. Prenons le cas d’un “gros mot”, celui-ci sera jugé inacceptable, quel que soit le contexte. Le “gros mot” est prétexte à poser ou à rappeler un interdit. Or, s’il fallait apprécier chaque fois le contexte, cela serait vraiment trop compliqué et on n’en finirait pas, n’est-ce pas ? Et donc on prétextualise.

Pré-texte, c’est à dire revenir au stade où le mot n’est pas inscrit dans le texte, où il préserve encore sa charge spécifique, où il est repérable. Le problème, c’est que précisément, ceux qui prétextualisent manquent généralement de repères, d’où leur difficulté à contextualiser.

Le prétexte et le contexte correspondraient en fait à deux niveaux de repérage, l’un primaire, lié à la présence supposée d’un signe qui devient signal, l’autre, plus sophistiqué, qui appréhende un élément au sein d’un ensemble, en le resituant dans son contexte socio-linguistique.

La machine est par définition plus prétextuelle que contextuelle :on peut lui apprendreà réagir à un mot, pas à un contexte sauf à nier celui-ci en tant que tel. La prétextualité est liée à la fonctionnalité et une machine à laver est a priori une machine à laver, quel que soit le contexte. Il y a donc une façon de ne percevoir un élément d’un ensemble que selon sa fonctionnalité : dans ce cas, le dit élément est immuable, il peut tout au plus être ou non activé. Or, si dans une pièce, une machine peut être là sans servir, on voit mal ce qui ferait que dans une phrase on fasse figurer un mot pour et ce mot ainsi employé ne l’a pas été en vain, lapsus y compris. La psychanalyse, par l’association de mots, tend à contextualiser ou à re-contextualiser le terme, le signe, isolés. Bien plus, c’est souvent le manque de contextualisation, chez l’enfant, qui a crée du traumatisme, du mal-entendu.

Le XXIe siècle sera confronté à cette dialectique prétextualité/contextualité et le clivage entre ces deux modes sera la ligne de démarcation entre la machine et la non-machine. Les psychologues devront élaborer des tests pour jauger de l’aptitude à contextualiser et à prétextualiser, étant entendu que celui qui est extérieur à ce qui se passe, dit prétextualise et celui qui est à l’intérieur, en phase, contextualise

Prenons le cas de l’astrologie : le fait de se dire né sous tel signe relève de la prétextualisation, c’est un facteur repérable et récurrent, contrôlable. Ah c’est un Sagittaire ! Propose éminemment et délibérément réducteur qui permet de parler de cette personne non pas dans son contexte mais par rapport à ce que l’on dit des natifs de ce signe. Le fait de réagir au fait que quelqu’un est juif, hors de toute contexte, serait du même ordre, réducteur et conditionnant un discours à ce propos sur les Juifs.

Maintenant, si quelqu’un vient nous expliquer qu’il faut prendre en compte tout le thème astral, la position de chaque astre à la naissance, il prônera une forme de contextualisation à moins qu’il ne s’agisse plutôt d’une juxtaposition de prétextualisations, ce qui ressort notamment avec l’interprétation pré-programmée (genre Astroflash).

Car il ne faudrait pas confondre une combinaison de prétextes avec un contexte. Une machine peut parfaitement s’articuler sur plusieurs prétextes, elle a ce que nous appellerons un profil prétextuel, c’est à dire qu’elle multipliera ses occasions de se déclencher, elle sera donc ainsi plus active, plus “utile”.

Parmi ceux qui s’adonnent à l’astrologie (cf. “l’astrologie de demain”,sur ce site), on peut se demander s’il n’y a pas, fréquemment, une carence de la contextualisation. La quête d’astrologie horoscopique serait la tentative de passer de l’oralité au signe écrit, prétendument univoque et renvoyant à une définition précise, pré-écrite, prescrite, dans des livres ad hoc, qui envisagent tous les cas de figure, selon une sorte de pseudo-contextualité, d’une contextualité sous contrôle.

Epistémologiquement, cela fait problème si l’on s’imagine pouvoir prévoir en s’attendant à ce que la réalité s’accorde avec le pronostic, en termes de signifiants, de mots conformes, identiques. Cette réalité, qui d’ailleurs la décrira ? On peut facilement trouver confirmation d’un pronostic du fait que tel mot aura été employé dans un sens tout à fait autre. Ou au contraire, affirmer que le pronostic n’est pas vérifié alors qu’un mot équivalent a été préféré ! Or, on ne peut pas éviter la contextualisation et en même temps certains se sentent perdus dès qu’il s’agit de contextualiser car pour eux c’est n’importe quoi. On oscille ainsi du trop spécifique (prétextuel) au pas assez spécifique (contextuel). Quel dilemme !

On se demandera, ainsi, si les femmes, plus férues d’astrologie que les hommes, contextualisent de la même façon que les hommes ou si elles prétextualisent davantage. L’éducation de l’enfant est en tout cas très marquée par le prétexte, c’est à dire par une approche in-conditionnelle : on ne fait pas pipi dans sa culotte, un point c’est tout et il n’y a jamais d’excuse pour cela, pas de contexte à considérer. La règle est simple et son application tout autant : on sait de quoi on parle. Ce n’est que plus tard qu’il faudra apprendre à resituer, relativiser et c’est plutôt le travail du père que de la mère.

On observe que certaines personnes ont tendance à remplacer des concepts par des objets pour étayer un argument – on veut imager – en cela elles prétextualisent, elles s’efforcent de préserver des éléments intangibles, repérables alors que les concepts, eux, comportent des équivalents et qu’il faut s’accrocher pour les suivre à la trace, en dépit de leurs déguisements. Le langage littéraire, en cela, est plus contextuel que le langage scientifique, on n’a pas peur des répétitions, au contraire, elles sont nécessaires. Entre sciences molles et sciences dures, on aurait donc ce clivage prétexte-contexte. Il conviendrait donc d’établir une épistémologie contextuelle face à une épistémologie prétextuelle et c’est peut être cette carence de l’E. C. par rapport à l’E.P qui empêche certaines disciplines de se constituer. On notera que la linguistique, en sa partie phonologique, a probablement été tentée par l’E. P. ,en voulant échapper à l’approche sémantique. Le problème, c’est que si pour des étrangers, la contextualité fait problème, en revanche, pour les membres à part entière d’un groupe, elle va de soi. En ce sens, le regard de l’étranger, linguistiquement et culturellement, fait problème ; des communautés par trop mélangées, trop hétérogènes, marquées par l’immigration, seraient tentées de contester la légitimité de la contextualité pour basculer dans un compartimentage prétextuel, dont les effets sont encore mal appréciés et qui aboutirait à réduire le fossé entre l’homme, la femme, l’étranger et la machine, par un nivellement par le bas...

Dans un domaine qui nous intéresse au premier chef celui des cycles cosmiques, nous avons d’une part un plan prétextuel qui est la configuration astrale récurrente et de l’autre un plan contextuel qui est la succession de situations s’inscrivant diachroniquement dans ce cadre. Il y a là comme une sorte de hiatus qui se manifeste autour du point de passage du prétexte au contexte et vice versa. C’est peut-être là le défi que devra relever la science du XXIe siècle.

 

J.H. Le 13. 08.0 2

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