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Observations sur le système
syntaxique du français

 

 

Jacques Halbronn, Docteur ès Lettres

 

 

 

 

L’auteur a traduit notamment deux traités astrologiques de l’astrologue juif espagnol Abraham Ibn Ezra (1089-1164) – travaux parus aux Ed. Retz, en 1977 – et a consacré depuis de nombreuses études aux problèmes de traduction et d’emprunt (parues notamment sur ce site). Par ailleurs, J. Halbronn a accès à une bonne dizaine de langues.

 

 

 

On sait qu’en français, ce qu’on appelle l’imparfait du subjonctif tend à tomber en désuétude comme d’ailleurs le passé simple. Au premier abord, on pourrait croire que l’imparfait du subjonctif a quoi que ce soit à voir avec l’imparfait de l’indicatif.

Or, une analyse un tant soit peu sérieuse met en évidence les liens structuraux existant entre passé simple et ce qu’on appelle improprement, on va le voir, imparfait du subjonctif. Qu’en est-il au demeurant de l’imparfait de l’indicatif ?

Prenons un exemple : je voudrais qu’il fît. Qu’il fît ressemble nettement, accent circonflexe mis à part, au passé simple : il fit. On trouverait les mêmes rapprochements pour toute une série de verbes, avec éventuellement l’adjonction d’un t comme dans : Qu’il chantât, il chanta. Au niveau phonique, oral, sinon au niveau écrit, la similitude entre “imparfait” du subjonctif et passé simple est frappante.

Prenons les auxiliaires :

Qu’il eût, il eut

Qu’il fût, il fut

Qu’il vint, il vint

Rappelons qu’à l’imparfait de l’indicatif, on aurait : il avait, il était, il venait.

Il est vrai que notre étude vaut surtout pour la troisième personne du singulier au masculin et au féminin.

Dans le cas de l’imparfait, les similitudes, curieusement, se situent avec le présent du subjonctif et non avec l’imparfait du subjonctif.

Qu’il prenne : il prenait alors que le présent de l’indicatif est : il prend.

Qu’il s’en aille, il allait alors que le présent de l’indicatif est : il va

Qu’il se taise, il se taisait alors que le présent de l’indicatif est : il se tait.

Tout se passe ainsi comme si nous avions, dans la grammaire du français, deux couples :

Présent du subjonctif et imparfait de l’indicatif,

Imparfait (sic) du subjonctif et passé simple de l’indicatif.

Le présent de l’indicatif apparaissant, dès lors, comme un cas isolé.

 

Pourquoi a -t-on appelé “imparfait” un membre du premier couple et un membre du second alors que l’on s’attendrait à ce que soient appelés “imparfaits” les deux membres d’un même couple.

Le terme même d’imparfait ne désigne d’ailleurs pas a priori ce qui est révolu mais quelque chose qui est de l’ordre de l’inachevé, ce qui est le propre du présent. En revanche, l’expression “imparfait du subjonctif” apparaît comme impropre puisqu’elle désigne ce qui est révolu au même titre que le passé simple.

Le cas du présent

D’ailleurs, le présent de l’indicatif est une forme particulièrement difficile à maîtriser pour un locuteur étranger, comparé notamment avec le futur qui se construit, en français, par suffixation, à partir de l’infinitif : manger/je mangerai.

Le présent de l’indicatif se caractérise notamment par le fait que nombre de consonnes finales du radical deviennent muettes, du fait du système phonologique du français. Ainsi, j’attends ne fait pas résonner le D final alors que celui-ci s’entend au futur : j’attendrai. Idem pour je comprends, ce qui n’est pas très encourageant pour un débutant en français puisque dire, à voix haute, “je ne comprends pas” est déjà un casse tête.

Que dire du présent de l’indicatif “je veux”, “ je peux” si éloignés du radical consonantique vouloir appelons qu’à l’imparfait du subjonctif, nous avons : qu’il voulût et au passé simple à l’indicatif, il voulut et qu’il pût et il put, qu’il sût et il sut.

Le cas de la première et deuxième personnes du singulier..

L’imparfait du subjonctif - pour garder cette expression impropre - est également significatif à la première personne : que je fisse, je fis, que j’eusse, j’eus etc. On note que le renforcement de la finale, au subjonctif, consiste en fait simplement à faire en sorte que l’on entende la dernière consonne, ce qui n’est pas le cas au passé simple. Or en ajoutant un “e” à la fin, on fait ressortir la consonne “s” à l’imparfait du subjonctif. Et il en est exactement de même pour la deuxième personne du singulier.

Qu’en est-il au pluriel ? Il semble bien que le parallèle n’existe pas et ce tout simplement parce qu’à l’imparfait du subjonctif, il y a simplification par rapport au passé simple : causassions à l’imparfait du subjonctif pour causâmes au passé simple, causassiez pour causâtes, causassent, pour causèrent.

Les huit modulations du verbe français

Si nous faisons le compte, nous avons deux modulations à l’indicatif ( imparfait et passé simple), deux au subjonctif (présent et imparfait), une à l’infinitif jumelée avec la modulation du futur (et accessoirement du conditionnel) et, isolée, la modulation du présent de l’indicatif que les grammairiens ont voulu associer, à tort, selon nous, avec le présent du subjonctif.

Mais ne pourrait-on associer le présent avec le participe passé ? Je pense, pensé, je danse, dansé etc. ce qui a d’ailleurs donné en anglais : change, changed. D’ailleurs on appelle cette forme en anglais : present perfect, étant entendu que le participe passé se construit à partir de la troisième personne du singulier, par adjonction d’un e accentué, pour certaines conjugaisons, d’une consonne qui s’entend notamment au féminin, pour d’autres : je prends, pris, prise.

Les causes d’une confusion

Ce qui a pu conduire à rapprocher le “présent de l’indicatif” du “présent du subjonctif” tient à certaines similitudes. Ne dit-on pas : je chante, que je chante. On croit ainsi pouvoir observer que souvent les deux formes sont identiques. Mais il s’agit là de cas particuliers et souvent le présent est fort éloigné de la forme subjonctive, comme on l’a vu : que je comprenne, je comprends, que je veuille, je veux etc.

Nous sommes placés, en tout cas, face à une description grammaticale défectueuse que nous nous proposons de (faire) rectifier.

Il ne faudrait pas, en effet, s’imaginer que la grammaire d’une langue n’est pas perfectible, elle est fondée sur des observations plus ou moins pertinentes. Notre approche, précisons le est à ce niveau de type structurel, archéologique, elle ne s’appuie pas sur l’étude de textes anciens, il y a là recours à une méthodologie particulière à propos de laquelle il peut y  avoir débat ;

Passage de huit à six modulations

Nos observations nous semblent pertinentes dans le domaine de la didactique du français langue étrangère. Il conviendrait alors d’expliquer que l’imparfait de l’indicatif est en fait une sorte de présent narratif.

En fait, le présent du subjonctif devrait s’appeler imparfait du subjonctif et l’imparfait du subjonctif un passé simple du subjonctif. Il semble qu’il y ait eu glissement.

Il est remarquable, comme nous le notions au début de notre exposé, que le passé simple de l’indicatif soit en perte de vitesse tout comme l’imparfait du subjonctif. On resterait ainsi avec six modulations : “imparfait”(ex présent) du subjonctif et imparfait de l’indicatif, infinitif et futur, présent et participe passé.

La simplification des conjugaisons

L’exemple anglais, avec ses emprunts massifs au français, montre bien comment une langue peut être simplifiée et de fait la syntaxe du français est simplifiée en anglais, le pluriel étant assimilé au singulier dans la plupart des cas : I think ; we think. De même, au sein d’une même langue, peut-on assister à des simplifications et en ce sens le subjonctif est plus simple que l’indicatif : ils mangèrent, qu’ils mangeassent directement dérivé de qu’il mangeât alors que mangèrent introduit de nouveaux éléments, de nouvelles sonorités, ce qui n’est d’ailleurs pas le cas pour l’imparfait de l’indicatif où le pluriel, phoniquement, s’entend comme le singulier : je mangeais, tu mangeais, il (elle) mangeait, ils (elles) mangeaient.

Subjonctif et infinitif

En français, l’on peut souvent faire l’économie du subjonctif en recourant à l’infinitif ; Il faut que tu chantes, il te faut chanter, ce qui est une forme invariable, quelle que soit la personne : il nous faut chanter, il leur faut chanter etc.

On peut se demander si cette forme n’est pas à rapprocher du futur anglais, formé d’un auxiliaire suivi d’un verbe invariable : you will look, he will look, we shall look et ainsi de suite.

Dès lors, l’infinitif jouerait en anglais un rôle déterminant dans la formation du futur, ce qui est d’ailleurs le cas en français mais par suffixation.

L’anglais use volontiers de Let suivi de l’infinitif : Let ‘s do it, ce qui correspond au français : il faut le faire.

D’ailleurs, le subjonctif en français a souvent valeur de futur : il faut que tu parles signifie bien il faudra que tôt ou tard tu parles.

Notons qu’en français, l’infinitif a souvent valeur d’impératif : ne pas fumer ou ne fumez pas. Et ce d’autant que phoniquement, la différence au niveau verbal n’est pas audible.

Rétablir les passerelles

Il est essentiel de rétablir le lien de langue à langue mais aussi à l’intérieur même d’une langue. Le rapprochement entre passé simple et “imparfait” du subjonctif pourrait contribuer à sauver ces deux formes qui reliées entre elles se renforceraient mutuellement.

Rappelons que le grammairien ne fait que redécouvrir, souvent imparfaitement, ce que certains codificateurs de la langue ont établi à un moment donné.

Même si nous ne dispos(i)ons pas de certains documents, le processus de codification peut être mis en évidence, y compris dans les cas où la langue aurait subi un certain processus de corruption voire lorsque des archaïsmes ont résisté à la codification.

De l’adjectif à l’adverbe

Pour confirmer notre argumentation, on rappellera que d’autres passerelles existent en français, notamment lors de la formation de l’adverbe à partir de l’adjectif au féminin : grande/ grandement, positif/ positivement, ce point n’apparaissant pas lors que l’adjectif est neutre comme dans agréable/agréablement, triste, tristement. Ce caractère neutre de nombre d’adjectifs français explique probablement le statut de neutralité propre à l’adjectif anglais, en général.

Les anglophones ont remplacé “ment” par “ly”, ce qui donne : positively. Toutefois, dans les cas où l’adjectif se termine déjà par une syllabe en Le, on se contente d’ajouter y ou de redoubler le L  ; Exemple : reasonable, reasonably, general, generally.

On peut se demander d’où vient cette forme anglaise en “ly” et s’il ne s’agirait pas d’un suffixe constitué sur l’exemple de formes adjectivales en L, puis, par la suite, étendu à l’ensemble des cas, alors qu’il aurait suffi d’ajouter y..

De l’ancien français à l’anglais contemporain

Stéphane Mallarmé qui était professeur d’anglais en plus d’être poète disait qu’il fallait accéder à l’anglais moderne à partir du français ancien. En effet, la mise en évidence du passage entre les deux langues n’est vraiment manifeste que si l’on remonte le temps et si l’on restitue le français dans ses formulations les plus éloignées. Inversement, l’étude de l’anglais moderne peut dans certains cas nous renseigner sur ce que pouvait être le français d’autrefois.

Rappelons aussi que tout apprentissage de l’anglais conduit à plus ou moins long terme à se familiariser avec le français qui est à l’anglais, peu ou prou, ce que le latin est au français, à savoir une langue matricielle.

Jacques Halbronn, Paris le 14/03/2002

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