La Loi Sarkozy – prostitution, état des lieux
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Rapport de synthèse des témoignages écrits de prostituées

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Martine Burger

 

Suite à l’offre consultative du gouvernement faite à l’Amicale du Nid, dans le cadre de l’élaboration des nouvelles lois concernant la prostitution, l’antenne Amicale du nid de Toulouse a choisi de proposer aux personnes qui se prostituent de parler de leurs conditions de vie et comment elles peuvent envisager le futur.

Afin que les voix des femmes soient entendues dans leur grande diversité, L’Amicale du Nid Toulouse leur a aménagé un espace d’écriture.

L’information de cette proposition a été diffusée au travers des journées d’accueil dans le service mais aussi par les travailleurs sociaux dans la rue. La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre, la participation à l’événement a été massive, même si toutes n’ont pas écrit. Pour celles qui ne souhaitaient pas écrire ou ne maîtrisaient pas bien l’écriture, des professionnels, travailleurs sociaux et animateurs, les ont entendues et ont retranscrit leur parole.

De l’extrême diversité de la population découle naturellement des textes et des positions très différentes. Néanmoins les textes recueillis proviennent surtout de femmes ou de transsexuelles françaises d’âge moyen ou d’âge mûr et uniquement de personnes travaillant dans la rue. La forme d’écriture était libre, toutefois quelques questions étaient posées, à des fins d’aide à la structuration du texte, pour celles qui en auraient eu besoin. Nous n’avons pas fait ressortir de ces questions un calcul d’évaluation des opinions car d’une part, beaucoup d’entre elles n’ont pas eu besoin cette grille, d’autre part, la complexité du problème fait apparaître que, trancher les réponses en un calcul statistique, ne pourrait donner qu’un résultat trompeur : à une situation complexe, les réponses le sont également.

 

Beaucoup d’entre elles ont connu l’époque « noire » du proxénétisme et craignent un retour aux « ténèbres » et son cortège d’emprisonnements, d'amendes, ainsi que les sauvageries de toutes sortes qu’amène inévitablement la clandestinité. Elles mènent une vie calme ayant depuis bien longtemps renoncé aux comportements bruyants et extravagants et aux tenues provocantes. Elles témoignent au travers de leur activité d’une volonté de discrétion et de respect du voisinage et de l’environnement. Elles sont indignées de l’amalgame qui semble se faire avec une autre génération de jeunes souvent étrangères, sous l’emprise de réseaux maffieux.

A propos du proxénétisme

Un sentiment d’angoisse très fort transparaît donc de ces textes et des réunions organisées autour de l’écriture. L’origine de tous ces débats leur semble liée à l’arrivée massive des personnes étrangères par l’intermédiaire des réseaux maffieux et elles vivent comme une injustice un choix politique visant à résoudre les problèmes engendrés par ces nouvelles formes de prostitution. Cela ressemble trop, malheureusement à ce qu’elles ont vécu avant la ratification par la France des accords de Genève[1] :

« Il ne faudrait surtout pas croire que les proxénètes sont des idiots. Au contraire, ils sont très intelligents et le projet de loi de Nicolas Sarkozy va bien sûr, leur permettre de réapparaître et de nous infliger les sévices que nous avons malheureusement connus déjà par le passé. La peur d’aller en prison sera pour ces gens-là un excellent moyen de faire pression sur nous. Ainsi c’est le contraire de ce à quoi prétend M. Sarkozy qui va se passer : la prostitution va redevenir clandestine et fera réapparaître tous ces gens-là.

J’ai commencé à cette époque là. J’ai connu des choses terribles avec les proxénètes, pour ces gens-là, nous ne sommes rien, juste une valeur financière.

Je sais combien déjà, ce n’est pas facile d’aller voir les flics, car ils ne nous traitent pas bien. Mais si nous ne pouvons plus y aller, quelle protection nous restera-t-il ? Quand les flics font bien leur boulot, le proxénétisme diminue. Le faire disparaître ? C’est impossible mais enfin presque. A Toulouse, ils font un bon boulot, ce n’est pas le cas à Marseille ou dans d’autres villes du sud. » 

A propos de la prostitution étrangère

Elles souhaitent le plus souvent le retour de ces femmes étrangères à leur pays d’origine.

De cet énoncé « … Que l’on supprime la prostitution étrangère… » on en vient parfois à l’étrange raccourci « …que l’on supprime les étrangères… ». Pareil glissement sémantique procurera sans doute au lecteur quelques frissons glacés. Cependant comment s’étonner d’un tel dérapage xénophobe trahissant la forte charge émotionnelle ambiante : la peur de l’avenir face à la menace gouvernementale. Ce climat de peur est –il l’apanage de ces femmes ou bien avivé dans un contexte plus global ? Le gouvernement, quant à lui, agit-il dans le calme nécessaire à la réflexion ? Ne se laisse-t-il pas gagner par la précipitation que seul un danger imminent autorise. Mais quel est ce danger ? Est-il besoin de déclarer l’état d’urgence ? Le registre dans lequel s’inscrit cette hâte à légiférer est celui du sentiment, de l’irrationnel et de l’émotionnel, là où l’on attend la raison.

Mais pour certaines « Elles ont le droit d’être là, la terre n’appartient à personne, il faudrait simplement qu’elles soient plus discrètes » elles les considèrent comme des victimes ayant besoin de l’aide des gouvernements. Elles situent la résolution de ce problème dans l’interpellation des réseaux et une aide apportée aux femmes. Ces femmes qui témoignent peu mais lorsqu’elles le font nous disent : « Comme il n’y a personne pour nous aider, si on ne travaille pas on n’aura rien à manger, pas de sous pour payer l’hôtel, on va dormir à la gare un jour, deux jours et après on va mourir »

Selon certaines la voie la plus simple et réaliste de résoudre les problèmes de voisinage et d’environnement, consisterait en un travail éducatif préparant au civisme et à la responsabilité, qui devrait être pris en charge par les associations.

« J’ai fui la Bulgarie à cause de la misère, je suis libre, mais ici le problème le plus terrible que je rencontre sur le trottoir, c’est la mauvaise ambiance entre les filles : chacune pour soi, pas de respect de l’environnement, de la saleté, du bruit, des attitudes qui me choquent beaucoup. C’est la question du respect mutuel qui est absent. Ce qui dérange vraiment les gens dans la prostitution, c’est ce qui est visible. Mais cela dérange aussi les filles qui exercent la prostitution et qui ne se comportent pas comme cela.

Il me semble qu’une solution réaliste et simple pour résoudre ce problème serait que les associations et les travailleurs sociaux assurent un rôle d’éducation civique, qu’ils apprennent aux filles un sens minimum de la responsabilité civique »

Mais toutes les personnes qui se sont exprimées se plaignent de l’incivilité, non seulement elles comprennent les riverains mais se situent de leur coté, en disant qu’il faut que cela cesse. Elles n’aiment en aucun cas l’image que cette nouvelle prostitution véhicule.

A propos de pénalisation

La pénalisation est une menace d’interdiction de se prostituer à peine déguisée. Elle est insupportable pour toutes ces personnes qui ont bien souvent des enfants. Cela les mettrait dans une situation dramatique :

– Sans source de revenu, comment vivre, comment faire face aux engagements déjà pris ?

– La difficulté d’une reconversion au vu du marché de l’emploi, de l’âge de certaines, du manque de qualification pour d’autres.

– Sans compter les problèmes d’adaptation sociale après une vie ou des années de marginalisation : comment et pourquoi perdre son indépendance ? Comment se faire aux contraintes d’une vie professionnelle classique pour celles qui trouveraient un travail ?

« Personnellement en tant que transsexuelle, la prostitution me permet de survivre mais c’est un choix du fait de mon orientation sexuelle. De plus la société ne m’accepte pas. Il est difficile de trouver un travail, il ne faut pas être hypocrite en nous disant que l’on va nous intégrer dans la vie active. Il en est de même pour une femme qui a 10, 20, 30 ans de métier…. »

Moins visible et plus grave, selon certaines, sont les réseaux qui se développent sans risque dans les sex shop et autres centres.

« …les pouvoirs publics pourraient faire des descentes dans les sex shop où l’on peut louer les services de jeunes hommes, de nombreux sévices sexuels y compris la pédophilie en cassette vidéo »

« …Je fais un travail comme tout le monde et je suis aussi propre que ces femmes dites respectables qui ont des amants et fréquentent les endroits échangistes ou même les sex shop avec leurs amants. Il faudrait que le gouvernement s’intéresse de plus prés à tous ces endroits, car eux ne sont pas inquiétés et il s’en passe de pire que dans notre profession. »

« …Et ces Messieurs du gouvernement ne se sont-ils jamais offert une call-girl (prostituées de luxe) ? Ou ne vont-ils jamais assouvir leur désir ailleurs ?

Aucune d’elles n’est favorable à la pénalisation du client qui revient de façon détournée à interdire la prostitution.

A propos de réglementation

Elles sont majoritairement contre une réglementation par la mise en place de lieux spécifiques (maisons closes, eros center), elles le vivent comme une privation de liberté, un enfermement et une officialisation du proxénétisme.

« Je ne suis pas d’accord pour être enfermée dans un lieu de travail, j’estime que même si beaucoup de gens pensent que c’est de l’argent facile, ils ont bien tort ! C’est aussi ce que je croyais en arrivant à Paris. Cet argent est peut-être rapide mais pas facile à gagner, je le fais pour mes gosses et il n’est pas concevable que je donne un pourcentage au tôlier … »

« On nous parle de réinsertion, il faut savoir que la rue pour nous autres prostituées est le seul endroit d’où l’on peut sortir de la prostitution, parce que c’est le seul endroit de rencontre. »

Elles souhaitent une forme de reconnaissance de leur être et de leur activité, certaines le traduisent par une demande de professionnalisation de la prostitution tandis que d’autres disent que « le tapin n’est pas un métier » Avoir un statut de travailleur indépendant comme certaines l’ont fait, pourrait être une solution mais financièrement pas viable pour beaucoup :

« Depuis que les filles de l’est sont sur le trottoir, financièrement on ne s’en sort plus. » Elles sont également angoissées par une démarche qui demande une stabilité et une compétence qu'elles n’ont pas toutes. Cela exigerait un apprentissage et elles pensent que ce serait le rôle des associations de les aider dans ce sens.

Un souhait unanimement partagé : « Qu’on nous laisse tranquille et surtout que l’on ne condamne pas la prostitution car elle existera toujours et sous n’importe quelle forme»

A propos du rôle social et de la reconnaissance

Ce n’est pas d’aujourd’hui que les personnes prostituées ont le statut de paria de notre société.

« c’est bien la première fois que l’on nous demande notre avis… de toute manière, on n’en tiendra pas compte… »

Cependant, au cours du temps, on observe des vagues plus répressives…

Une politique de prohibition amènerait aujourd’hui un changement brutal : il est ressenti comme une grande violence par ces femmes qui non seulement s’assument financièrement (et contribuent pour certaines, par leurs impôts, à la vie de la nation, sans toutefois en recevoir beaucoup d’avantages) mais revendiquent également d’assumer une part de souffrance de beaucoup d’êtres malheureux. Cette menace d’interdiction signifie une négation de leur humanité et aussi de leur rôle, parce qu’il reste obscur, dans la régulation sociale, 

« De l’expérience d’un travesti : les clients que nous montons sont souvent très agressifs, très refoulés, heureusement que nous sommes là…. Si vous saviez ce que certaines personnes nous demandent de faire, je crois que personne ne peut se l’imaginer…. Nous sommes utiles à la société et si pour le gouvernement le projet de lutte contre l’insécurité consiste à nettoyer la ville en se débarrassant des prostituées, je crois qu’il ne voit pas la saleté par laquelle il faut commencer à nettoyer les villes »

Régulation d'ordre sexuel, mais aussi affective. «… des clients qui viennent trouver auprès de nous un peu de chaleur, de tendresse, d’affection, de caresses, et bien sûr le sexe fait aussi partie du jeu…c’est auprès de nous qu’ils viennent chercher un peu de réconfort, car nous sommes souvent à l’écoute… tout en restant sur nos gardes car nous ne sommes à l’abri d’aucun danger et bien des filles sont mortes à cause de leur inconscience ou de leur maladresse… » Elles écoutent les confidences « nous avons un rôle de psycho auprès d’un tas de types qui n’iraient jamais voir ces gens-là »

 

En conclusion, ces femmes refusent d'être assimilées à des victimes, elles entendent assumer leur choix quel qu'ait pu être la raison qui l'a motivé. La demande la plus claire semble aussi être la plus simple et la plus sensée pour le bien de ces femmes et celui de la communauté, c'est bien sûr celle de l'éducation civique : apprentissage pour certaines des rudiments d'une vie sociale, d'une vie ensemble qui ne peut se faire que si les conditions de vie sont acceptables, moins âpres et moins dangereuses.

Leur participation et leur désir de s'exprimer individuellement nous montre le sérieux de leur engagement.

Il semble que peu d'études approfondies aient été menées dans le domaine de la prostitution et que le débat lancé et repris par les médias amène aussi la confusion.

La richesse de la proposition d’écriture a suscité un grand intérêt parmi les femmes, elles y découvrent l’utilisation d’un outil qui leur laisse entrevoir des développements futurs. Les travailleurs sociaux témoignent aussi, au travers de cette expérience, de ce qu’ils y ont appris.

 

Ces personnes prostituées, hommes, femmes, transsexuelles passent de l’indifférence des pouvoirs publics à une stigmatisation délinquante. D’une façon ou d’une autre, elles ne recueillent que mépris et négation. Sentiments ré émergeants de sinistre mémoire… face à la nouvelle traque qui s’amorce et avant d’être submergés, n’est-il pas de notre devoir de nous interroger : quel problème de fond, posent-elles donc à notre société ? Que cherchons-nous à évacuer qui nous met si mal à l’aise et qui se trouve ainsi incarné en ces personnes ? Ne nous trompons–nous pas gravement de cible ? Des sentiments si vifs à l’égard des femmes prostituées ( le trouble se traduit également à l’inverse par une fascination ) ne s’adressent-ils pas plutôt à la brûlante question du sexe et de l’implication ?

 

 Et si nous ne trouvons pas de réponses, écoutons-les :

« … et si pour le gouvernement le projet de lutte contre l’insécurité consiste à nettoyer la ville en se débarrassant des prostituées, je crois qu’il ne voit pas la saleté par laquelle il faut commencer à nettoyer les villes »

 

Qu’ajouter à cela ? Si ce n’est qu’il serait aussi dangereux d’aller chasser en ville une autre cible. Où sont-ils donc ces habitants de la cité, ces aveugles à leurs propres turpitudes ? Sans doute pas bien loin.

En d’autres termes, en traquant l’individu quel qu’il soit, n’évitons-nous pas, à bon compte, une nécessaire confrontation à nous-mêmes ? En observant qui sont les marginaux d’une société, on peut voir se profiler l’ombre de ce qu’elle refoule.   

 

 

Toulouse, le 11/11/02

 

 

L’intégralité des textes des personnes prostituées est disponible à L’AMICALE DU NID TOULOUSE, 6, rue de l’Orient, 31000 – TOULOUSE 

ou au MINISTÈRE DES AFFAIRES SOCIALES.

Les écrits sont rassemblés dans un recueil en annexe du texte présenté ci –dessus.

 

 

[1] 1946 : La France renonce au système réglementariste pour adopter l’abolitionnisme.  Qui prône la suppression de toute réglementation de la prostitution et non l’abolition de la prostitution (amalgame souvent fait dans la presse)  1960 : La France ratifie la Convention de Genève du 2 décembre 1949 « Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui ». Voir à ce sujet le site du Nid.

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