Judéité et culture
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La question du non-juif

Jacques Halbronn

 

 

 

Y a-t-il une culture proprement juive ? L’affirmer serait, selon nous, commettre un contresens. L’idée d’une culture juive est quelque part liée au sionisme. Il faut, n’est-ce pas que les Juifs puissent revendiquer une culture comme tout le monde. Ce faisant, on reniait la contribution des Juifs à diverses cultures, à commencer par le phénomène concernant le yiddish auquel on opposait, notamment chez le juif d’Odessa, Ahad Aham (1856-1927), à la fin du XIXe siècle, le retour à l’hébreu (notamment dans Al Parashat Drakhim), perçu comme symbole de cette fameuse culture juive (cf. B. Avishai, The Tragedy of Zionism, New York, Helios Press, 2002, pp. 53 et seq.). Or, pour nous, la judéité se situe au delà de toute culture spécifique, au sens où on l’entend généralement.

La culture est, en fait, une entité dans laquelle les individus s'insèrent, bon gré mal gré, et qui les absorbe, bref un melting pot, un creuset. Or, il nous semble que les Juifs sont capables d’une certaine résistance par rapport à un tel processus de digestion et d’intégration et c’est ce qui fait ; d’ailleurs, tout leur intérêt.

Non pas, certes, qu’ils ne soient marqués par la culture dans laquelle ils se sont inscrits, au cours des siècles et qu’ils ont peu ou prou, par la force des choses, modulée à leur manière. Mais, force est de constater que les Juifs, comme nous l’avons écrit ailleurs, sont des étrangers structurels, c’est à dire que le rôle qui leur est imparti par la société – ce qui donc dépasse la question de leurs desiderata personnels – est de rester en éveil face à des cultures si pesantes, si prégnantes.

Nous avons insisté (cf. notre étude sur la dialectique Vie/mort) sur la place de la mort dans nos existences et on pourrait probablement classer les cultures dans la mouvance “mortelle”, ce qui d’ailleurs signifierait qu’elles ne sont précisément pas mortelles, puisqu’elles sont déjà mortes. Entendons par là des entités qui se perpétuent et qui sont marquées par une dimension de mémoire et de répétition, impliquant des codes et des rituels.

Plus on s’enferme dans une culture et plus on serait marqué par une dimension de Mort. L’étranger que nous avons appelé conjoncturel se dégage d’une culture pour entrer, plus ou moins inévitablement et mimétiquement, dans une autre.

En revanche, le juif, en tant qu’étranger structurel, aurait une aptitude à ne pas suivre la pente d’une telle fatalité. Il graviterait certes, pour employer une imagerie astronomique, autour d’une culture donnée, se mettrait certes en orbite autour d’elle mais ne serait pas pour autant, à terme, aspiré, happé, par la dite culture.

.On aurait ainsi un modèle duel, avec un certain nombre de cultures autour desquelles tourneraient des satellites et ces satellites, restant en orbite, seraient les juifs alors que les autres populations s’approchant des dites cultures finiraient par se fondre avec le corps central, perdant ainsi leur spécificité d’origine.

En ce sens, ne pourrait-on pas dire que les Juifs représentent la vie face aux cultures qui seraient la mort ? D’un côté, donc, des ensembles – les cultures – absorbant les humains ordinaires, de l’autre, les Juifs, restant en orbite et permettant ainsi la bonne marche d’un système duel, gémellaire.

On conçoit , à la lumière d’un tel modèle, ce que peut avoir d’aberrant l’idée de culture juive non seulement pour les juifs mais pour l'écosystème duquel ils participent et en quoi nous renforçons ainsi la légitimité de ce qu’on appelle, de façon d’ailleurs assez malencontreuse, la Diaspora.

Les Juifs, en étant programmés, pour rester en orbite des différentes planètes-cultures, contribuent au maintien de leur vitalité. En ce sens, les juifs seraient l’élément masculin tandis que les cultures et les populations absorbées par elles, seraient l’élément féminin. (cf. sur ce sujet, « judéité et féminité », les Cahiers du CERIJ in http://www.cerij.org)

Les autres populations, même en état de migration, n’offrent pas ce caractère de résistance proprement judaïque aux cultures, elles ne s’en dégagent que de façon tout à fait provisoire et tombent de Charybde en Scylla, c’est à dire ne quittent une culture que pour retomber dans une autre, pour d’ailleurs éventuellement revenir vers la première.

.Dès lors, il est triste, voire inquiétant, de devoir reconnaître à quel point l’existence de l’État d’Israël fait problème. Non pas certes en soi, car il ne s’agit jamais que d’une présence juive reconstituée à proximité sinon au sein du monde arabe, mais de la façon dont il est perçu comme étant la culture – linguistiquement, géographiquement, historiquement – dans laquelle les juifs devraient désormais s’absorber..

Mais on est en droit aussi de considérer l’expérience sioniste comme la preuve, a contrario, du fait même de son échec à mobiliser tous les juifs et notamment des pays où ils ont toute liberté de mouvement, que la question juive est d’une autre nature. En ce sens, notre propos est-il post-sioniste. Par post-sionisme, on entendra la prise de conscience du caractère régional d’Israël et la prise en compte des enseignements qui en découlent pour mieux appréhender le fait juif, pour le XXIe siècle.

Historiquement, il est quand même assez évident que les juifs sont restés en marge des sociétés chrétiennes et islamiques (cf. notre article  : »le double défi »), comme une lune autour d’un astre central. L’antisémitisme, par ses arguments mêmes, s’interrogeant notamment sur la raison d’être des juifs, sur leur caractère parasitaire, rejoint un certain discours féminin à l’encontre des hommes.

Ce qui est mort est souvent perçu comme plus utile que ce qui est vivant, même si cela n’existerait pas – c’est le cas de ce qu’on appelle l’instinct – si le vivant ne l’avait pas précédé. Tout ce qui obéit à une fonctionnalité précise peut être qualifié de mort.

Le vivant, lui, est plus difficile à appréhender, à cerner et notamment au niveau individuel. Car, pour nous, l’individuel relève de la mort, il n’est nullement incompatible avec l’appartenance culturelle mais il en est un sous-produit, une variante, une variation.

Dès lors, parler d’une fonction des juifs – ou d’une fonction juive – pose problème car si fonction il y avait, elle serait de l’ordre de la mort, ce qui serait contradictoire avec le modèle que nous esquissons ici. La fonction du juif serait de ne pas en avoir à moins de parler d’une anti-fonction, comme on pourrait parler d’une contre-culture.

Que cette anti-fonction puisse susciter de l’antisémitisme (cf. notre étude à ce sujet) ne saurait surprendre et on pourrait même dire que l’antisémitisme, sa persistance et son omniprésence, en serait comme le révélateur.

Pour bien comprendre nos positions, faut-il rappeler que le vivant, selon nous, n’est pas structuré comme le mort, qu’il n’est pas aussi circonscrit ni définissable. Et il en est de même pour ce qui oppose le passé et le futur. Le passé, on sait ce que c’est, cela se raconte, cela a laissé des traces tandis que le futur, c’est virtuel, en suspension. Le juif incarnerait cette dimension de l’à venir, de ce qui est en gestation.

On peut même se demander si un tel modèle duel n’est pas une condition indispensable au maintien d’une civilisation capable de maintenir un certain élan créatif tout en gérant un capital de réalisations qui assure une certaine constance. On retrouve là la dialectique du fixe (l’étoile) et du mobile (la planète) dont nous avons traité dans nos travaux en astrologie.

Refuser l’idée d’une culture intrinsèquement juive implique bien entendu de ne pas considérer l’Ancien Testament, selon l’expression chère aux Chrétiens, comme narrant les origines des Juifs. On peut d’ailleurs penser que ceux-ci, comme partout ailleurs, n’ont fait que participer, en Palestine comme ailleurs, d’une culture et d’une langue qui n’étaient pas leurs, mais qu’ils se sont appropriée. Encore une fois, selon nous, rien de spécifiquement juif n’est lié à la Palestine, pas plus aujourd’hui qu’hier.

On pourrait poser la question juive ainsi : une société comprenant les deux pôles dont nous avons parlé et qui, par la suite, s’est diversifiée et segmentée en diverses cultures, contraignant les Juifs – quelle qu’ait pu être leur appellation alors – à procéder de même. Le jour où il n’y aura plus qu’une seule culture mondiale ou du moins blanche, il n’y aura plus qu’une façon d’être juif. La diversité du monde juif n’est que la conséquence de la disparité des entités culturelles, étant entendu que la présence juive au sein de chacune d’elles correspond à un besoin, voire à une nécessité, comme un antidote à la sclérose.

On ne saurait trop insister sur le fait que toute insistance sur l’existence d’une culture juive ne peut qu’avoir des effets pervers en ce que cela contribuerait à « mortaliser » ou à “féminiser” la dynamique juive qui doit préserver une totale liberté de mouvement.

Il convient de maintenir un certain flou dans la nature même de la judéité et ce faisant cela ne pourra que revaloriser le pôle masculin de l’Humanité, assailli par les structures propres au pôle féminin. La meilleure définition du monde juif, terme que nous préférerons à celui de peuple juif (nous avons d’ailleurs intitulé un de nos ouvrages Le monde juif et l’astrologie, Milan, Arché, 1985) ou de religion juive, serait celle de pôle du futur.

Toutefois, si on ne peut parler stricto sensu de culture juive, on ne saurait exclure que dans les textes relatifs aux juifs, on ne trouve certaines clefs quant à leur mode d’emploi. C’est ainsi que l’image du prophète, quelque part, nous semble pouvoir recouper ce rôle de veilleur, de sentinelle non pas du passé mais de l’avenir, que nous souhaiterions que l’on lui reconnût. Les juifs n’ont point , en effet, pour tâche, de veiller sur des trésors séculaires mais de maintenir ouvertes les portes de la cage dans laquelle, à chaque génération les cultures s’enferment et se cloîtrent : ce ne sont pas tant des bâtisseurs que des dé-constructeurs (cf. notre étude « Les juifs, bâtisseurs du temps », sur ce site). Mais en disant cela, nous ne proposons nullement aux juifs de vivre dans l’errance et nous regrettons que tant de juifs portent aujourd’hui les stigmates de l’immigration, tant en France qu’en Israël. Un juif heureux, opérationnel, est- nous l’avons dit, en orbite, en dialectique avec une culture donnée et c’est précisément dans la mesure où il est familier de cette culture qu’il peut gérer son devenir.

Jacques Halbronn, Paris le 06/03/03

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