1990, 1 040p., 130 F

Ce livre devrait faire date, à l'heure où la recherche dans le domaine des sciences religieuses en général, et de l'ésotérisme en particulier, se déploie en Europe et aux Etats-Unis, sortant ainsi progressivement du ghetto dans lequel elle fut longtemps exilée. Auteur d'une thèse de doctorat sur le sujet P. A. Riffard a voulu construire son ouvrage selon deux exigences : tout d'abord une réflexion théorique d'envergure, érudite dans son propos et approfondie quant à son effort méthodologique ; puis, un vaste choix anthologique de textes susceptibles d'illustrer l'idée d'ésotérisme et de mettre en lumière ses dimensions transdisciplinaire et plurielle. Cet énorme travail de synthèse évite la vulgarisation, grâce à un recensement historique très complet, à un appareil critique et scientifique développée, et enfin, à l'usage des plus récents outils méthodologiques dans un large éventail disciplinaire.

La complexité du sujet n'a pas été refoulée ou réduite par l'auteur qui, dans toute sa première partie, s'efforce d'en expliciter les mécanismes. En distinguant ésotéristes et ésotérologues, P. A. Riffard a tenté de clarifier un débat à plus d'un titre délicat : doit-on « ésotériser » sur l'ésotérisme, en parler de l'intérieur, ou bien est-il possible d'en saisir la genèse à travers des approches plus conventionnelles, historiques, philosophiques, etc., donc extérieures ? Cette question de méthode – « traditionnelle » ou « critique » – conduit Riffard à conceptualiser plusieurs notions, tout en demeurant au plus près des invariants de l'ésotérisme. Il parvient en somme à concilier les perspectives sans les confondre abusivement, à dégager certaines polysémies et à restaurer, selon les contextes historiques ou culturels, l'esprit comme la lettre des ésotérismes dont l'Occident a été porteur.

En choisissant de combiner étude diachronique et réflexion synchronique, P. A. Riffard rend ce livre accessible à tout public. Il parvient aussi a esquisser une coupe précise de l'ésotérisme occidental, avec ses diverses ramifications dans les domaines scientifiques, religieux, philosophiques, mystiques, ou même esthétiques. Enfin, plusieurs chapitres traitent du langage, des alphabets et des secteurs singuliers qui sont les siens : symbolisme, image, mythe, etc.

La seconde partie du livre suit la chronologie, depuis la Grèce antique jusqu'à nos jours. Le choix des textes, éclectique et judicieux, équilibre œuvres spéculatives et écrits « pratiques », plus particulièrement attachés à ce qu'on nomme les « sciences occultes ».

Si ce livre-somme a pour objet l'ésotérisme occidental, il ne manque pourtant pas d'ellipses ou de rencontres qui, à travers des modes de pensée communs, touchent à l'Orient. Bien que circonscrite, cette mise en regard est en plusieurs endroits stimulante.

Ajoutons que les index et les tableaux, les notices et les références de toutes sortes qui enrichissent l'ensemble constituent de points de repère non négligeables dans cette forêt de signes, de mots et de symboles qui traversent notre histoire, qui continuent de la travailler.

Avec ce livre, P. A. Riffard prend place dans la tourbe des philosophes et des anthropologues les plus prestigieux. Son œuvre donne à penser, elle participe à la revalorisation de l'ésotérisme dans le champ du savoir et de la connaissance qui sont aujourd'hui ceux des sciences de l'homme et de l'histoire de la spiritualité.

IBK