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Les peurs contemporaines : le constat

Catherine Barb�

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La permanence du sentiment de peur dans l�histoire de l�humanit� a �t� d�montr�e par J. Delumeau. Selon lui, la peur submerge l�Homme dans des situations pr�cises, que l�histoire r�p�te. La peur se projette toujours quand surgit l�inconnu, l�inopin�, l�impromptu, sous quelque forme que ce soit.

��Sans doute la peste noire ne nous effraie-t-elle plus, ni la fin du monde, ni les com�tes chevelues, ni les loups-garous, ni les diables grima�ants, ni la crise frumentaire... De nos jours d�autres peurs nous assaillent, qui n�ont pas toutes perdu leur dose d�irrationnel : le nucl�aire, le terrorisme, les fanatismes, les manipulations g�n�tiques, la pollution, le ch�mage alimentent les grandes angoisses d�aujourd�hui et de demain.��[1]

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L�auteur de cet article rapporte, par ailleurs, un sondage r�alis� en novembre 1989 pour l�Institut des Hautes �tudes de la S�curit� Int�rieure, o� ��la drogue (80%), le Sida (68%) et le terrorisme (67%), viennent en t�te des affres des Fran�ais.�� [2]

N�anmoins, les peurs ancestrales n�ont apparemment pas disparu.

Peurs ancestrales et peurs modernes

La premi�re exp�rience humaine de la peur est certainement li�e � son affrontement � la nature, aux ph�nom�nes et aux catastrophes dont l�impact reste imprim� dans la m�moire collective.[3]

Face aux ��caprices de la nature��, la peur de l�Homme moderne reste enti�re. Les coul�es de boue de Vaison-la-Romaine n�ont pas d��ge : survenues hier, en 1992, ou � l�aube de l�humanit�, elles suscitent la m�me terreur, le m�me sentiment d�impuissance face � une force impossible � ma�triser. L�Homme moderne est dans cette circonstance aussi d�muni que ses plus lointains anc�tres, peut-�tre plus encore, quand la nature persiste � �tre r�calcitrante � la volont� de contr�le humaine.

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Depuis qu�existe une tradition �crite, les t�moignages abondent. Les r�cits parall�les de catastrophes naturelles, �ruptions de volcans, raz-de-mar�e, quels qu�en soient le terrain et l��poque ne donnent pas lieu � des variantes notoires. A deux diff�rences pr�s : le nom des divinit�s, propitiatoires ou expiatoires invoqu�es et la m�diatisation dont elles sont l�objet. A chacun ses dieux, pourvu qu�ils soient nomm�s, tel pourrait �tre aussi le titre de ce travail.

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Non content de tra�ner avec lui les terreurs du pass�, l�Homme moderne en a fabriqu� de nouvelles. Nouvelles, la formulation est h�tive. Plut�t que de nous demander ��quelles sont les peurs d�aujourd�hui ?��, posons plut�t la question avec davantage de pr�caution : quelles formes modernes, la peur, dans sa permanence rep�rable � travers les si�cles et les cultures, rev�t-elle aujourd�hui ?

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La forme de la question induisant la r�ponse, c�est aux soci�t�s industrielles� contemporaines que nous nous adresserons, et avec une pr�dilection, voire une d�lectation toute particuli�re, � la n�tre, tr�s r�cemment nomm�e par un quotidien suisse qui nous donne le ton : ��La France, petit royaume obsol�te��. Car il n�est meilleur air que celui de notre douce France, m�me si nous ne nous interdisons pas d�aller humer, de �a de l�, les fumets et remugles de nos voisins proches ou lointains, mais toujours fr�res en industrie. En guise de m�lodie, nous nous accorderons sur la communication dans ses divers registres, �crit, parl�, publicit� et pourquoi pas cin�matographi�.

Peurs contemporaines : les monstres aujourd�hui

Peurs ��naturelles�� ?

Les ph�nom�nes entra�nent toujours les m�mes mouvements de panique. N�anmoins, quelque chose a chang�, la nature n�est plus incrimin�e comme seule responsable. Elle est devenue elle-m�me un jouet dans des mains peu recommandables. Quand une rivi�re d�borde, la faute est d�origine humaine, � tel point qu�il n�est pas superflu de se demander si la nature, dans sa repr�sentation traditionnelle � les champs, les for�ts et les petits oiseaux � celle o� l�Homme n�aurait jamais pos� le pied, ou le fer, (selon les versions), existe toujours objectivement. L�app�tit humain de connaissance a-t-il laiss� vierge une seule parcelle de terrain ? La sensationnelle d�couverte d�une �le minuscule � l�automne de 1995, pour int�ressante qu�elle soit, n�en reste pas moins anecdotique. La question se pose r�ellement en ces termes aujourd�hui : la nature, la vraie, la ��pure et sans tache�� existe-t-elle ailleurs que sur nos �crans de t�l� ? Mais la nature surm�diatis�e, est-ce encore la nature ? Ainsi, existe-t-il encore des peurs naturelles, alors que la science et le technique sont cens�es tout contr�ler ? Et quel est l�effet de l�intervention m�diatique ?

C�est par une exploration de quelques-unes des peurs contemporaines collectives, parmi les plus m�diatis�es, que nous allons tenter de r�pondre � ces questions.

Un relev� exhaustif serait un travail titanesque que nous laissons aux sociologues, mieux outill�s que nous pour l�effectuer. D�autant plus que nous situant sur le plan d�une exploration du fonctionnement de l�imaginaire, quelques exemples significatifs suffiront � notre d�monstration, sans compter �videmment que la volont� d�exhaustivit� nous semble �tre une manifestation parmi d�autres du d�sir de toute-puissance que nous soulignons.

Peurs li�es au progr�s technique

Mill�narisme : le retour ?

��Le rouleau compresseur technologique nous passe dessus et l�environnement paie ch�rement une industrialisation d�brid�e...�� Pour J.�C.�Grenier coauteur des �Onze Peurs des Fran�ais pour l�an 2000�, (1990), l�effet de serre est la crainte la plus fond�e en l��tat actuel des observations : ��Une temp�rature �lev�e, �a ne veut pas seulement dire qu�il va faire plus chaud. Une s�cheresse qui perdure, ce sont des centrales nucl�aires qu�on ne peut plus refroidir et qu�il faudra fermer. Toute notre �conomie s�en trouverait d�stabilis�e.�� (Pour Delumeau aujourd�hui, la peur est �conomique (�co c�est-�-dire oikon : proche, voisin).

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Et comment ignorer la rar�faction de la couche d�ozone, cens�e nous prot�ger des rayons ultraviolets, les pluies acides qui d�vastent les for�ts de nos ��marches�� de l�Est? Les scientifiques s��meuvent. ��A la limite, c�est eux maintenant qui d�clenchent les peurs, constate Denis Duclos, ce ne sont plus les pr�tres comme au Moyen-�ge.�� Mais surtout, comme le souligne C.�Amalvi, ces angoisses ��surm�diatis�es dont le potentiel d�effroi est inversement proportionnel � leur probabilit� d��ch�ance�� d�clenchent des temp�tes dans l�opinion publique.

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Alors, � qui la faute ? ��Au temps de la Grande Peste, analyse Philippe Roqueplo, il �tait inconcevable que l�on s�indigne contre son roi ou contre Dieu. Aujourd�hui on va chercher un responsable.���Et l�auteur de l�article d�invoquer le bouc �missaire, qui selon lui, sera ��le paysan abusant d�engrais, un entrepreneur, une soci�t頔, assimilant aussi, le ��malade du sida... parce qu�on condamne � travers lui une sexualit� sans frein...��

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Le point de vue semble pourtant r�ducteur : le v�ritable bouc �missaire, nous le verrons plus loin, le responsable pr�sum� n�est plus toujours l�. A la M�re nature, pourvoyeuse d�abondance et terrible, aujourd�hui mise au joug, il faut chercher un substitut dans sa fonction de mauvaise m�re.

Sur quoi l�auteur[4] conclut ��Jouerait-on � se faire peur ?��, montrant par l� une profonde m�connaissance de la psych� humaine et de l�impact de l�image, en m�me temps qu�une aptitude incontestable � la rationalisation, ce qui va souvent de pair : on ne ��joue�� avec la peur, elle est, nous aurons � y revenir longuement, un mal n�cessaire. M�me si, d�un certain point de vue, il y a l�apparence d�un jeu savamment orchestr� en un vaste ballet m�diatique, une sorte de jeu �ducatif, destin� � exalter l�imaginaire des foules, celui-ci n�est pas gratuit, et ses implications, en profondeurs sont telles qu�elles gomment le caract�re ludique que l�on pourrait lui trouver, nous aurons � y revenir.

Bornons-nous pour l�instant � souligner que ce type de discours est un classique du genre, fond� sur des constatations objectives, chiffr�es de pr�f�rence, et sens� valider le sacro-saint point de vue scientifique, mais manifestant la d�rive id�ologique du dit monde scientifique. Il est compl�tement inscrit, sans aucune distance, dans la th�se mill�nariste : c�est un discours v�ritablement mythique.

La pollution en g�n�ral et le nucl�aire en particulier

��Sous le choc de l�explosion, la colline s�enveloppe d�un nuage de fum�e blanche, le sable qui la couvre, secou� par le tremblement des roches, s�envole en cascade... Quelques secondes plus tard, une longue flamme jaillit du flanc de la colline (...) comme un gigantesque chalumeau. La flamme s��teint bient�t et elle est suivie d�une grosse �mission de fum�e, de couleur d�abord cuivr�e, puis de plus en plus noire. Un nuage atomique se forme au ras du sol et, en grossissant, il se dirige lentement vers nous, il faut �vacuer (...) (alors que) continue � hurler la sir�ne d�alarme (...) Le nuage noir nous enveloppe et il faut le traverser, masqu�s et couverts de nos effets sp�ciaux.[5]��

Il y eut l��ruption des volcans, le choc de Titans sur un mode h�siodique, puis le r�cit que donne Pierre Messmer, alors Ministre des arm�es, d�une explosion atomique, r�alis�e lors d�essais, le 1er mai 1962. La suite fait �tat de l��vacuation ��un peu d�sordonn�e des personnels�� de l�encadrement militaire que l�on supposer �tre un euph�misme, dont le ministre tirera enseignement tactique : ��Quelques explosions nucl�aires de petite �nergie ne vitrifient pas un champ de bataille��, observe-t-il, soulignant n�anmoins l�effet psychologique : la panique peut bien s�emparer de ceux qui les subissent au point z�ro, ou � son voisinage...��.

Dans un pass� plus r�cent, Tchernobyl fit d�ferler une vague de peur, sur l�Europe, qui, l�oeil riv� sur les cartes m�t�os des journaux t�l�vis�s, suivait la progression du nuage, d�est en ouest,. Mais, miraculeusement, nous dit-on alors, il contourna la France avec application !

La vid�o

Dans une soci�t� de ��l�image��, l�outil de transmission lui-m�me cristallise la peur.

Dans un de ses suppl�ments T�l�vision, Le Monde consacre un long article au �� ph�nom�ne D.B.Z.� [6], dont voici les grandes lignes.

L�auteur souligne que cette s�rie, pl�biscit�e par les enfants qui l��lisent en t�te du hit-parade des dessins anim�s du Club Doroth�e, inqui�te parents et psychologues.

Une premi�re version au ��graphisme agr�able��, � la trame plaisante��, o� fuse ��l�humour��, comble d�aise grands et petits. Mais dans un deuxi�me temps, l�auteur transforme son h�ros en ��super guerrier aux pouvoirs d�lirants�� avec des traits ��plus agressifs��, des muscles ��plus saillants��, et des ��aventures abracadabrantes, pr�textes � d�interminables combats.��

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C�est � ce moment-l� que la cellule de visionnage de TF1 a commenc� de s�inqui�ter : la pr�sence de la mort, toujours pr�c�d�e d�une longue agonie � habits d�chiquet�s, yeux inject�s de sang... Ce qui n�est pas sans faire grincer les dents des parents et surtout des psychologues qui, veillant sur le d�veloppement psychologique des enfants��, sont charg�s de d�celer les ��l�ments les plus traumatisants�, forte du principe selon lequel �toute pulsion est respectable tant qu�elle n�est pas perverse. Sont jug�s traumatisants le sang, la nudit�, les dialogues graveleux (la traduction fran�aise en est �dulcor�e) mais pas les champignons atomiques.

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A ceux que choque cet engouement, les admirateurs r�torquent par la �qualit� du graphisme�.

Le succ�s des Chevaliers du Zodiaque aurait �t� supplant� parce que San Goku a fils et femme, ce qui favorise l�identification, alors que dans les Chevaliers le h�ros est toujours seul.

L�auteur insiste alors sur le fait que l�itin�raire de la s�rie va ��du Japon vers la France, et les U.S.A.��.

En France DBZ obtient 70% d�audience, alors qu�au Japon, on pr�pare la rel�ve : Slam Dunk, inspir� par les exploits d�une vedette du basket am�ricain.

Un article si riche en informations appelle des commentaires, � deux niveaux.

Il est tout d�abord r�v�lateur de ce qu�on appelle ��violence�� dans le milieu des psychologues, qui, relay�s par les ��cellules�� de visionnage, impriment un cadre de censure morale au petit �cran, pour atteindre en bout de cha�ne les parents. Sont r�put�s violents le spectacle de la mort, la vue du sang, le d�braill� vestimentaire, le ��saillant��, le ��graveleux��, la nudit�, le combat. Mais quel seuil de tol�rance a d�pass� la s�rie japonaise, pour se retrouver ainsi mise � l�index ? Pour notre part, et des t�moignages relev�s alentour, le DBZ diffus� en France ne se diff�rencie pas des autres s�ries destin�es aux enfants d�une mani�re si radicale. Nous ne pouvons que conclure � l�efficacit� des ��cellules�� modernes de l�inquisition m�diatique. Il faudra qu�un jour on nous dise quelle est la norme, � quelle �chelle se mesure la violence ��traumatisante��.

Un soup�on surgit n�anmoins que DBZ pourrait �tre la goutte qui fait d�border le vase, face � l�invasion vilipend�e commun�ment des Mangas japonais. Ne serait-ce pas le retour du ��p�ril jaune��, venu de l�Est, suivant la route trac�e par le soleil, les anciens p�lerinages et les vieilles invasions barbares. Les nuages nucl�aires suivent le m�me chemin !

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L�auteur de l�article lui-m�me, nous semble assez ambigu dans son propos : il embo�te le pas des d�tracteurs, sans pouvoir retenir une certaine ironie, comme s�il avait des difficult�s � prendre parti dans un d�bat plus global o� le d�sir d��vacuer les germes perturbateurs se heurte aux enjeux �conomiques, repr�sent�s en l�occurrence par les ��parts de march頻

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Si l�on approfondit, nous pouvons affirmer que toutes les peurs sont li�es d�une mani�re ou d�une autre au facteur �conomique. Car l�enjeu �conomique est le ressort commun des peurs contemporaines.

Peurs �conomiques

L�instabilit�

��La peur des Jacqueries��[7]

��Balladur cherche sa voie pour sortir des turbulences��[8] ou qui n�avance pas recule.

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Face aux mouvements sociaux qui s�amplifient, on assiste � l�inauguration d�un nouveau mode de gouvernement : la reculade. Nos gouvernants seraient-ils eux aussi saisis par une terreur irrationnelle, derri�re leurs discours raisonnables ?

��Le changement est long dans un pays o� les structures sont bloqu�es.��[9] a constat� le Premier Ministre sur la cha�ne publique.

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Pourrait-on le soup�onner de reprendre � son compte les v�rit�s qu�ass�ne la presse depuis des mois et de s�en faire un rempart, ou comme le sugg�re la presse �crite est-il vraiment ��convaincu qu�une explosion sociale peut � tout moment survenir�� eu �gard ��aux soubresauts de la soci�t頔[10]

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��La pr�carit� de l�emploi�� d�fraie aussi la chronique. Jusque dans les plus profonds recoins du monde actuel, l�instabilit� est traqu�e. M�me dans l��change des banalit�s sur le temps qu�il fait, l�Homme de la rue se lamente : ��Y a plus d�saisons��.

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Notre monde ne serait-il qu�un vaste marais o� nous risquons � chaque pas de nous enliser dans des sables mouvants ?

Le constat d�une soci�t� ��fig�e�� dans ��l�immobilisme�� g�n�re, en m�me temps qu�une peur de l�instable, une volont� f�roce de se raccrocher � toute chose stable, et de l�ancrer dans sa permanence. L�instabilit� est le signe du chaos caract�ris� par l�absence de rep�res. Et parmi les signes de ce moderne chaos, le ch�mage.

Le ch�mage

Le ch�mage devient le sympt�me privil�gi� d�une ��fracture�� sociale : ��La symbolique �tait forte. L�unit� syndicale d�un c�t�, le regroupement des forces vives, salari�s-�tudiants de l�autre. Or de la journ�e d�hier, on retiendra surtout que ces images ne suffisent plus � d�crire un climat, pas plus qu�elle ne permettent de montrer les fractures de la soci�t�. Le fait majeur de cette journ�e tient dans cette inconnue : comment ce ras-le-bol continuera-t-il de s�exprimer, comment pourra-t-il se canaliser puisqu�il est acquis que le pourcentage de jeunes au ch�mage (un sur quatre) ne pourra pas baisser avant longtemps ? Au fond, cette journ�e aura r�v�l� une autre facette de la soci�t� duale. Celle de demain.��[11]

La ��fracture��

Il fut un temps o� les media s��panchaient sur la ��faille�� apparente dans la soci�t� contemporaine. Mais la surench�re est venue : la f�lure s�est �largie, et dans un craquement de sinistre augure, est devenue ��fracture��, entra�nant un ��clivage�� dans une soci�t� o� r�gnent ��rigidit頔 et ��immobilisme��. Une association en appelant une autre, sont venues la ��scl�rose�� et ��l�aust�rit頔, comme si l��volution sociale prenait pour mod�le le glissement s�mantique, ou comme un rattachement de derni�re instance � des racines, ne fussent-elles qu��tymologiques ![12]

Les titres lus dans la presse de la semaine du 14 au 19 mars 1994[13] sont �loquents � d�crire les signes de la scl�rose et les domaines o� elle est install�e :

"Soci�t� bloqu�e", � des nombreuses reprises� (Cf. Lib�ration, Le Figaro du 18/3, Le Monde du 15/3) ;

"Deux mondes ont d�fil� sans se voir" (Lib�ration du 18/3) ;

"Deux cultures" (Le Monde du 19/3) ;

�La langue fun �branle le CSA� (Lib�ration du 10/3).

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On ne rechigne pas � la redondance :

"La minorit� de blocage bloque l'�largissement de l'Europe" (Lib�ration du 10/3).

De telles sorte que la polarit� immobile ��blocage�� au carr� appelle forc�ment sa mie la ��fracture�� qui interne � l�hexagone, s��panche alors au plan international :

��Sarajevo verrouill�e�� (Le Monde du 13/04).

Mais, la vision du monde s��largissant, nous effectuons du m�me coup un saut p�rilleux en arri�re du temps, car voil� qu�elle partage le monde entre barbares et civilis�s :

Paul Nahon, pr�sentant un reportage sur le Rwanda, et parlant des quelques milliers de casques bleus ��envoy�s pour apaiser la conscience des pays civilis�s �.[14] (26/5/94 - A2 - Envoy� sp�cial).

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Le lapsus, nous voulons croire que c�en fut un � mais chacun sait aujourd�hui qu�est surtout ��r�v�lateur�� ce qui �chappe au contr�le conscient�� du pr�sentateur concepteur de l��mission, m�ne directement � la fracture fondamentale :

Mais r�v�lateur de quoi ?

Comme nous le faisons remarquer dans un courrier � Lib�ration[15], les bons sentiments ni la bonne conscience ne parviennent � occulter l�id�ologie profonde inscrite dans le jud�o-christianisme. Quels que soit les efforts d�ploy�s � maintenir le couvercle, le lapsus fuse et l�on retrouve ��les Juifs�� list�s entre Afghans et Tch�tch�nes, de la mani�re la plus naturelle qui soit !

La fracture est inscrite � la source m�me du mod�le dualiste et l�on vient s��tonner aujourd�hui qu�il frappe de son sceau la structure et la fige ! Na�vet� ou inconscience ?

Serait-ce la fin d�un monde ? Le moule serait-il cass�, o� ont pris forme nos us et coutumes, nos structures et nos institutions ?

Les tensions entre �cologique et �conomique

Oikos, qui sert de racine aux deux termes signifie en grec ��la maison��, autant au sens de ��bien, propri�t頔, que dans le sens �tendu de ��famille, race��.

A cette souche commune, s�attachent les deux branches du logos et du nomos.

Logos, ��le discours��, ��la science�� se pose aujourd�hui comme antith�se du nomos, ��la loi des hommes��.

La pl�thore de discours des deux ordres - �conomique et �cologique - ram�ne � la proximit�, contre ce qui est lointain, une sorte de nombrilisme exacerb�, contre le xenos, l��tranger, tant ha� : le discours et la loi du ��proche�� ont en commun la peur de la contamination.

L�antagonisme en est tellement puissant, dont chacun des protagonistes occupe une place m�diatique �norme, qu�on se pla�t � r�ver de ce qu�il adviendrait s�il se r�solvait.

Un tour d�horizon des discours �cologiques nous en apprendra peut-�tre davantage ult�rieurement.

Les contaminations

Les invasions de b�tes immondes de toute sorte menacent l��quilibre humain.

Les ��invasions biologiques de tortues tueuses��, la ��prolif�ration de l�algue tueuse��, en passant par ��le retour des m�duses Pelagia��[16] sont les moindres des maux qui guettent le xxie si�cle. En outre, l�observation des moeurs de nos contemporains est �difiante : ��Le chasseur de microbes�� est ��en voie de prolif�ration.��[17]

La b�te s�infiltre jusque dans le corps de l�Homme : on note la prolif�ration vertigineuse des virus, le retour de microbes et bact�ries que l�on croyait disparus.

Mais le ph�nom�ne d�passe les limites de ce qu�on appelle traditionnellement le corps : il aussi de l�outil technologique : nos ordinateurs couvent eux aussi des virus. Chaque fois qu�un �change de disquettes s�effectue, on peut �tre assur� qu�un des deux �changeurs au moins demandera � l�autre ��s�il est �quip� d�un anti-virus��. La formulation volontairement ambigu� est une retranscription fid�le et vous vous demandez certainement ��mais qui est �quip� ?�� Justement, on ne sait pas ! L�ordinateur ou le propri�taire ? Et l�on ne fait pas grande diff�rence entre cette situation et celle de futurs amants, qui en guise de pr�liminaires, produiraient une attestation de non-s�ropositivit�. Tout se passe comme si l�outil prolongeait naturellement le corps, tel un appendice nouveau d�une humanit� mutante. Apr�s tout pourquoi pas ? Ce ne serait pas la premi�re. La biologie nous a appris que de notre queue animale, il ne restait qu�un trognon, inutile, voire parasite, appel�e � dispara�tre compl�tement. Si nous nous inscrivons dans ce discours, la m�me logique qui fait dispara�tre le superflu, devrait faire appara�tre ce qui est n�cessaire � l��volution de l�homo economicus.

Montesquieu tenait d�j� le m�me discours : � voir ses contemporains se d�placer en chaise � porteur ou en voitures, il sugg�rait que dans l�avenir, l�esp�ce humaine n�aurait plus de jambes !

Suppositions que tout cela, bien qu��tay�es par le discours scientifique. A l��chelle d�une vie humaine, les mill�naires que n�cessiteraient des telles transformations rendent bien improbables une r�ponse scientifique assur�e � ce genre de question. Mais l�imaginaire est l� pour nous renseigner utilement, pour peu qu�on le consid�re comme une r�alit� tout aussi objective que la r�alit� physique.

Or, l�imaginaire ��infiltre�� cette r�alit�, la contamine, tel un virus impossible � juguler.

��Selon les �tudes de marketing, les maniaques de la propret� sont pass�s de 10 � 25% des consommateurs en 7 ans. La peur du bacille est une tendance de l��poque, la d�sinfection devient un argument de vente.��[18]

La maladie � virus

Les grippes exotiques, de Hongkong et d�ailleurs, le virus Ebola... d��tranges maladies chassent l��tranger, dont le pedigree n�est pas pr�cis�, n�anmoins:

��Les ressortissants �trangers sont (...) gagn�s par l�inqui�tude. Beaucoup ont choisi de prendre des vacances en Europe ou en Afrique du Sud. D�autres prient les directeurs d��tablissement scolaires occidentaux de s�lectionner avec soin leurs �l�ves. Certains exigent que les petits Za�rois soient dispens�s de cours dans les semaines � venir, pariant sur la s�gr�gation pour immuniser leur prog�niture��[19]

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La r�actions des nantis r�sidents en Afrique eut un �cho dans les a�roports europ�en, o� furent instaur�es des mesures sanitaires. L��pid�mie de chol�ra au Mali en mai 95 ��qui �meut tant la presse occidentale est sans commune mesure avec les ravages du Sida sur le continent noir��[20]

Le sida

��Dire le sida. Insidieusement, l��pid�mie transforme les attitudes sociales. Chacune de ses progressions multiplie les peurs. Celles qu�elle� fait na�tre en attaquant, celles qu�elle r�veille... Nomm�es scientifiquement sida, elle a pour agent un virus que l�on peut dire pervers, disposant d�une extraordinaire capacit� de camouflage et d�attente, tuant par d�l�gation en ruinant les d�fenses de l�organisme��[21]

C�est tr�s �tonnant ! On croirait entendre J. L. Debr� vilipendant les terroristes islamiques !

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Georges Balandier continue : ��Un virus d�autant plus pervers qu�il emploie ce qui produit de la vie, de l�amour, de la jouissance.�� Attention, vampire ![22]

La drogue

Associ�e � celle de la contamination par le virus HIV et celui de l�h�patite, la peur de la drogue r�sonne jusque dans le milieu m�dical, dont elle constitue pourtant une arme efficace dans l�arsenal th�rapeutique. Les m�decins devraient �tre immunis�s contre cette peur, eux qui entretiennent avec les drogues un rapport d�intimit� constant. Tout au contraire, ils contribuent paradoxalement � alimenter la terreur li�e aux substances hallucinog�nes, alors qu�il ont de plus toute licence l�gale pour les utiliser. La raison tient en une ligne :

��Je ne veux pas que mon malade devienne toxicomane.�� ainsi comment� : ��Cet argument est symptomatique des r�ticences qui freinent la lutte contre le douleur. M�me si l�attitude des m�decins, r�unis en congr�s � Paris, �volue, les antalgiques, dont la morphine, font peur. Et les progr�s de la recherche restent lents�� [23]

Le paradoxe est d�autant plus surprenant que la lutte contre la douleur est un des fers de lance du combat m�dical contemporain, bien accordant en cela � l�id�ologie o� s�articulent les valeurs dont nous parlons plus loin.

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Les maladies venues d�ailleurs, comme la peste, le virus Ebola, la grippe ou la sida, c�est l�envers des �changes. La hi�rarchie de valeur entre les dangers pour la vie humaine inh�rents � chacune de ces maladies est nulle. La part m�diatique saisonni�re r�serv�e � la campagne de vaccination anti-grippe, destin�e d�une mani�re privil�gi�e aux vieillards et aux enfants, parce qu�ils sont les plus vuln�rables, n�a rien � envier au retour rituel du serpent de mer sida, quand il n�y rien d�autre � se mettre sous la dent (m�diatique, est-il besoin de le pr�ciser).

Comme si tout �tait bon � propager la peur.

Et cela sans compter ��Les Nippons (qui) nous empoisonnent��[24], submergeant le march� de coquilles saint Jacques surgel�es ! Mais n�anticipons-pas, et poursuivons notre tour d�horizon aux fronti�res de la peur. Frissonnons, mes fr�res : l�Autre, � nos portes, nous guette. Il nous d�vorera si nous n�y prenons garde !

Le terrorisme

C�est l�actualit� br�lante qui fournit au monstre sa plus belle parure m�diatique. Nous ne r�sistons pas au plaisir de citer encore une fois notre Ministre de l�int�rieur, qui d�cid�ment trouve toujours le mot juste, en pr�nant ��La mobilisation de la nation face au fl�au terroriste��[25]. Jean-Louis Debr�, contamin� par le virus de l�Int�rieur, imprim� dans les circuits de la carte g�n�tique familiale, serait-il de surcro�t inscrit dans la lign�e de Michel Le Peletier de Saint Fargeau, chantre de la d�mocratie naissante qui d�clarait en 1791 devant la Constituante, pendant la Terreur : ��L�on pourrait dire que la libert�, semblable � ces plantes fortes et vigoureuses purifie bient�t de toute production malfaisante le sol heureux o� elle a germ�.��[26] ou le lointain cousin d�Europe de Bill Clinton, d�clarant au lendemain de l�attentat d�Oklahoma City que tout serait mis en �uvre contre ��Les forces du mal��, qualifi�es, comme si le message n��tait pas suffisamment explicite de ��diaboliques��[27].

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Mais encore faut-il pr�ciser que la d�claration de Monsieur Le Peletier commen�ait en ces termes : ��Partout o� r�gne le despotisme, on a remarqu� que les crimes se multiplient davantage. Cela doit �tre parce que l�homme y est d�grad�.��

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Ainsi, tout terreau est-il bon � engraisser le discours politique. (Et la recherche serait riche d�enseignements � sur l�image en particulier, cela va de soi � qui traquerait la m�taphore dans les discours politiques, depuis les Orateurs attiques, en passant par Cic�ron jusqu�� nous jours. Sans doute r�v�lerait-elle que les politiques, quelques soient les r�gimes, n�ont pas beaucoup innov�, et que toujours, lorsque coule le navire, les rats l�abandonnent).

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Quoi qu�il en soit, la juxtaposition des d�clarations qui pr�c�dent nous invite � la r�flexion sur le renversement et la manipulation du discours politique. R�flexion � mettre � disposition des gouvernants, sur les concepts de libert�, de d�mocratie et de despotisme. Car enfin, l�enseignement de l�histoire aura-t-il �t� vain, qui montre qu�� un moment donn�, � un mod�le caduc, il faut laisser se substituer un autre, dont les jalons se font jour d�eux-m�mes et qu�il suffit d�accueillir et d�int�grer ?

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Mais nous sommes loin de ce temps, puisqu�aujourd�hui encore, en guise d�int�gration, nous pratiquons toujours la politique de l�autruche et du bouc �missaire.

La figure de ce dernier commence � se dessiner assez nettement : film vid�o, virus, drogue[28], terroriste, l�ennemi vient d�ailleurs et il se manifeste souvent de mani�re irruptive voire explosive, incontr�l�e et donc incontr�lable, violente en un mot.

La violence

Le d�bat sur la violence audiovisuelle a �t� r�activ� r�cemment en Angleterre, par l�affaire des deux enfants de dix ans, meurtriers d�un autre plus petit[29] dont ��le juge avait pr�tendu que, peu avant leur crime, les deux gar�ons avaient regard� un film vid�o extr�mement ��violent��. Le point de vue sur cette violence t�l�visuelle n�est n�anmoins pas unilat�ral.

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D�un c�t�, l�opinion publique ��sugg�re qu�il y a un lien entre le comportement des individus et le spectacle que leur pr�sente la t�l�vision (sinon, pourquoi les annonceurs publicitaires d�penseraient-ils des fortunes?)�� les sp�cialistes ��ont toujours �t� divis�s sur cette question : la violence encourage-t-elle les comportements violents ?��[30]

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Mais, dans le camp adverse, Georges Gaskelle, sp�cialiste de psychologie sociale � la London School of Economics pr�cise : ��Les jeunes� regardent-ils davantage la t�l�vision aujourd�hui qu�il y a vingt ans ? Oui ? Y a-t-il aujourd�hui plus de violence � la t�l�vision et au cin�ma ? Ce n�est pas �vident � d�montrer, notamment parce que notre conception de la violence a �volu�.��[31]

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Il semblerait effectivement que quelque chose a chang�, que personne ne veut voir. L�examen des valeurs dominantes des soci�t�s technologiques contemporaines nous en apprendra davantage sur la question du lien entre l�expression d�une certaine violence, la mani�re dont elle est re�ue et l�encadrement id�ologique subs�quent. Contentons-nous, donc, pour l�instant de nous demander, toujours en r�f�rence � l�article cit�, si le point de vue pond�r� de George Gaskell a quelque chance de se faire entendre contre la cohorte de ��vingt-cinq psychologues et p�diatres de renom (... qui) viennent de remettre un rapport au gouvernement et lui demandent de prendre rapidement des mesures afin de mettre un terme � l�accroissement inqui�tant des films ultra-violents (...) Ils estiment que les enfants s�identifient toujours avec l�auteur des violences et jamais avec sa victime et d�noncent l�irresponsabilit� des parents��[32]

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Ces ��suggestions�� appellent de nombreuses remarques, sur la justesse du diagnostic psychologique que nous laissons � l�appr�ciation des sp�cialistes, mais aussi au sujet d�une culpabilisation orchestr�e de la parent�le. D�autant plus que l�auteur de l�article pr�cise contradictoirement : ��Mais une autre enqu�te, r�alis�e par l�Institut des �tudes politiques, indique que les 12-18 ans en g�n�ral et les jeunes d�linquants du m�me �ge regardent, peu ou prou, les m�mes vid�o.��[33] O� trouver une coh�rence ?

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Un retour sur le ph�nom�ne �Dragon Ball Z� s�impose alors, face aux front uni des psychologues. Dans un premier temps pour �clairer ce que les psychologues anglais d�signe sous le vocable de ��violence��. Ce sont sans doute, les m�mes choses que leurs confr�res fran�ais jugent ��traumatisantes��[34], c�est-�-dire la pr�sence de la mort, de sang, les traits agressifs des personnages et les interminables combats.

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Ceci pos�, on peut s�interroger sur une r�alit� psychologique aussi abruptement ass�n�e ! Oserions-nous seulement sugg�rer, emport�e par la flamme et une g�n�ralisation h�tive, que �D.B.Z� ne fait qu�utiliser les m�mes sch�mas actualis�s, que l�on retrouve dans les histoires pour enfants et contes du monde entier ? Restons donc plus sagement dans le cadre que nous explorons : de toute �ternit� Hercule a combattu contre l�Hydre de Lerne, Hector contre Achille, dans des luttes sanglantes. Les enfants grecs, nourris aux mamelles hom�riques �taient-ils pour autant, plus enclins � la violence que les autres ? Rien, dans les textes, ne nous le laisse supposer.

Il y a d�cid�ment quelque chose de singulier au royaume des �psy� ! Encore plus si l�on souligne d�autre part, la volont� tr�s claire de culpabiliser les parents, coupables de laxisme audiovisuel moral. Ainsi donc, sont-ils de retour les censeurs de l�ordre moral, sous un masque o� on ne les attendait pas !

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Il est important de relever que le d�bat autour de la violence s�articule tout sp�cialement � l�impact que celle-ci peut avoir sur les enfants. Car l�enfant occupe, en g�n�ral, dans les soci�t�s industrielles modernes, enti�rement pr�occup�e d��conomie, une place centrale. Il repr�sente un march� potentiel important que les publicitaires n�ignorent pas. Cible privil�gi�e du march�, il �volue sous les spots dans des r�les diversifi�s, mais deux aspects reviennent n�anmoins constamment : enfant-martyr ou petit roi.

L�enfance en danger

Victime ou tyran, l'enfant est, chez nos contemporains, l'objet d'une attention et le centre d'int�r�ts particuliers : s�il est victime, il faut le prot�ger, s�il est bourreau, il faut s�en d�fendre. Mais dans les deux cas, le mal se r�pand�: �Les enfants et les adolescents sont de plus en plus les victimes ou les acteurs de d�r�glements sociaux et mentaux li�s � la crise �conomique et aux bouleversements politiques.�� annonce Le Monde sous le titre : ��Graines de violence��[35]

Le ph�nom�ne est d�une telle ampleur qu�il vaut que nous nous y attardions.

Enfant-martyr, enfant-roi

Notre �poque voit se d�velopper la cr�ation d'associations pour la protection de l'enfance, des campagnes de sensibilisation sur les droits des enfants. C'est aujourd'hui devenu un poncif que de dire que nous vivons dans une soci�t� o� l'enfant est roi, ph�nom�ne contemporain de l�apr�s-seconde guerre mondiale. Des personnalit�s comme Fran�oise Dolto ont largement contribu� � faire reconna�tre l'enfant comme individu � part enti�re. Lui qui hier n'avait que des devoirs se trouve aujourd'hui investi de tous les droits et de tous les pouvoirs.

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N�anmoins, les enfants martyrs existent toujours et � grand renfort de campagnes m�diatiques, on nous le fait savoir. On peut �tre frapp�, et douloureusement car ces r�alit�s sont effectivement insupportables : les reportages de presse, lors des �v�nements survenus en Europe de l'Est au d�but des ann�es 90, mettaient invariablement l'accent sur les s�vices subis par des enfants. Sur quelques minutes ou quelques pages de reportage, une place relativement importante y �tait consacr�e : gros plan sur une m�re et son nourrisson gisant dans un charnier de Timisoara en Roumanie, b�b� arm�nien br�l� sur une plaque �lectrique par les Az�ris, pour n'�voquer que les plus extr�mes. Largement couvert aussi le rapatriement en France des enfants roumains adopt�s, retenus en otages par le syst�me Ceausescu.

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Qu�un cataclysme survienne, et les premi�res images qui parviennent sur nos �crans sont celles d�enfants rescap�s ou non. De m�me quand une vague d�attentats terroriste d�ferle, comme c�est le cas depuis un an, d�Oklahoma City � Paris[36], d�autant plus que le terrorisme a tendance � prendre pour cible les cr�ches et les �coles.

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Quel objectif ces proc�d�s visent-ils? Sans s'avancer beaucoup, on peut supposer que sous le pr�texte d�alerter la conscience[37] collective, on ne parvient dans les faits qu'a exacerber la bonne conscience d�une part et de l�autre la peur ?.

Pourquoi ? Revenons dans notre belle d�mocratie et feuilletons une nouvelle fois la presse.

L'enfance martyris�e :

Lib�ration, du 25 mars 1988, p. 30

" Gifl�s, battus, viol�s parfois, ils sont cinquante mille enfants, chaque ann�e en France, � �tre maltrait�s par leurs parents. L'enfer reste confin� dans le cercle familial et n'alimente qu'en cas extr�me la rubrique fait divers. Il est alors trop tard. Le Qu�bec l'a compris, qui, le premier a cr�� une association d'entraide... L'initiative qu�b�coise a �t� reprise en France, en janvier 1986, avec la naissance de "Parents anonymes". Ligne d'�coute et r�seau d'entraide, cette association veut donner aux parents ��le droit de craquer�� ."

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La pr�sidente et fondatrice : ��On pr�f�re montrer du doigt les bourreaux d'enfants qui mettent leurs gosses dans les placards, pour ne pas avoir � se mettre soi-m�me en cause.��

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H�l�ne : ��Je ne me suis jamais sentie � la hauteur de ma t�che de m�re (...) depuis tout petit, Pierre m'�nervait. Tous ses gestes d'enfant, dont normalement une m�re s'�merveille, �a me paniquait (...) Je hurlais. J'ai un p�re qui m'a toujours braill� dessus. Avant d'accoucher, je ne me souciais de rien�� tente-t-elle de se justifier.

��Une femme appelle, elle est en pleurs. Il suffit alors de rassurer, de d�dramatiser. Ils sont contents qu'on les ram�ne � la r�alit�, d'entendre que leur d�sir est exag�r�.��

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Les parents rep�rent ensemble le moment o� ils perdent pied : le repas que l'enfant refuse d'avaler, les affaires qu'il refuse de ranger... C'est alors l'explosion : la gifle, l'engueulade, mais aussi les menaces, l'insulte, l'humiliation. ��Il faut que les parents se distancient par rapport � leur enfant pour voir que leur situation n'est pas anormale...Chaque parent doit trouver sa voie, il n'y a pas de solution unique.��

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Quel parent n'a pas �t� effray� par les prises d'autonomie de son enfant ? On nous dit souvent : "J�ai l'impression que mon fils me nargue"... et la plupart des parents pensent qu'ils sont agress�s et deviennent agresseurs.��

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Cet article souligne bien que la demande des parents concerne cette demande sp�cifique d'�tre remis en phase avec la r�alit�, alors qu'ils se trouvent submerg�s par les vagues d'une violence dont ils m�connaissent le fondement : une fois la temp�te pass�e, on se prend la t�te dans les mains, se demandant effar� : ��Qu�est-ce qui m'a pris ?��

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Face � l'enfant martyr ins�parable de son parent bourreau, notre soci�t� voit-elle se d�velopper en polarit�, l'enfant roi, affubl� de son parent martyr.

L'enfant roi :

Enqu�te in Marie-Claire, Ewa Evler, p. 34-38

��Sait-on qu'il y a aussi des parents martyris�s par leurs enfants, que ce ph�nom�ne progresse et que les petits bourreaux ne sont nullement des mal-aim�s, bien au contraire. Cet univers infernal o� nous emm�ne Ewa Evler n'a qu'une issue, la s�paration, mais personne ne veut s'y r�soudre.��

��Nancy, quatorze ans gifle sa m�re violemment avant de se pr�cipiter dans la cuisine pour en ressortir avec un couteau � la main (...) Nancy, qui menace de crever les yeux de sa m�re, Laura, avec un couteau, est une enfant miracul�e. Atteinte d'un cancer digestif, Laura choisit de renoncer � la chimioth�rapie pour avoir son b�b�. Le p�re qui d�sapprouve cette grossesse, (...) finira par la quitter avant la naissance de sa fille qu'il ne reconna�tra jamais.

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Laura, apr�s l�op�ration de son cancer, �l�ve donc seule sa petite Nancy. Elle renonce � sa vie de femme pour se d�vouer corps et �me � son ��enfant miracle��. Aucun homme n'aura le droit de venir perturber cette intimit� �touffante. D'ailleurs, elles partagent la m�me chambre...

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Qui sont ces parents martyrs et comment en sont-ils arriv�s l� ? � travers les nombreux cas recens�s un portrait type �merge. Enseignants, cadres, m�decins ou m�me juges, les parents martyrs sont g�n�ralement des privil�gi�s... Parent seul en g�n�ral, ou mari� � un conjoint qui ne joue pas son r�le parce qu'il est souvent absent du domicile ou d'une personnalit� faible et effac�e, soit encore parce qu'il a ses propres comptes � r�gler avec le parent victime.��

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Suit l'exemple d'une femme, enseignante, que son mari ma�trise pendant que sa fille la bat : elle souligne qu'elle gagne plus d'argent que son mari ; l'histoire ne dit pas si elle le lui fait remarquer d'une mani�re ou d'une autre! � l'inverse de ce que l'on pourrait s'imaginer, le futur bourreau, loin d'�tre mal-aim�, a �t� ardemment d�sir�. Sa naissance a m�me pu provoquer une s�paration entre les conjoints, la m�re ayant fait un choix conscient entre l'enfant et le partenaire. (cf. Supra, le cas de Nancy) Cela explique pourquoi les victimes de ce syndrome sont en majorit� des femmes.

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(...) Con�u pour combler un manque affectif, l'enfant sera fatalement propuls� vers son r�le de futur bourreau. Laetitia Charier, psychologue explique : ��D�s sa naissance, cet enfant n'a jamais �t� � sa place. Ou il est cet enfant id�al, surinvesti, et il peut se croire � bon droit l'unique objet du d�sir de ses parents jusqu'au jour o� survient la cassure, ou il est fantasm� comme un enfant monstrueux ayant une puissance mal�fique. Il est per�u comme le plus fort.��

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�coutons Marie, trente ans, 20.000 francs par mois, belle, connue, branch�e, personnalit� du Tout-Paris, du �show-biz�, candidate au martyre :

��C'est fou de vivre une vie tellement pleine, avec des gens et des choses si chouettes, et de se retrouver toute seule le soir sans personne � qui tout raconter... J'ai v�cu � toute allure, j'ai v�cu en aveugle, le boulot m'a tout pris. Maintenant, le temps r�tr�cit. Il faut que je fasse un enfant avant trente-sept ans. Mais avec qui ? Je me suis tromp�e avec les hommes, j'ai pris les plus nuls. Des jeunes... un type m'a dit � il �tait comptable � "Tu m'�touffes, tu me fais peur". Personne n'imagine que je chiale le soir dans mon lit. Pourquoi prendre la pilule ? Pour rien du tout. Mon copain Claude vient de se marier avec une petite des Philippines. Elle a vingt ans. Il lui apprend tout, je ne fais pas le poids. Je sais trop de choses...��

La solution ? L'enfant :

" Le soir, avant de m'endormir, je me dis : et ce b�b�, quand est-ce qu'il va venir ? Quand j'ai appris que ma meilleure amie �tait enceinte, j'ai eu une crise de jalousie violente. J'�tais livide. Je ne pouvais pas parler. J'�tais jalouse comme jamais je ne l'avais �t� pour un homme. J'ai peur du temps qui passe....[38]

La m�re de Florent, parents confin�s � la cuisine pendant qu'il r�gne dans le salon, carabine � plomb sur les genoux: �� Il a toujours �t� m�chant, m�me b�b�. (Ses premiers mots selon elle : ��salope maman, salope m�m�.)��[39]

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Une autre m�re martyre : ��D�j� dans mon ventre, il me donnait des coups de pied. Il a toujours voulu me faire mal.�� Une troisi�me : ��Mon fils, c'est le diable r�incarn�.��[40]

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�tonnante tol�rance de tous ces parents envers la violence de leurs propre enfants. Mais pourquoi donc se laissent-ils faire? �coutons Florent, lors d'une s�ance de th�rapie familiale : ��Regardez-les, ce sont eux les dingues, pas moi.��[41]

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Il est � noter, et l'auteur de l'article le souligne, que dans les cas de figure �voqu�s, il arrive que l'enfant paie de sa vie. ��Jusqu'au jour o� le bourreau tapera trop fort, et la victime, ne contr�lant plus sa propre agressivit� accumul�e au long des ann�es, abattra son propre enfant en �l�gitime d�fense�." On se souvient du cas, pas isol�, du proc�s de cette m�re qui a tu� son fils toxicomane[42]. Exc�d�e d��tre rackett�e, maltrait�e...

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Alors, en fin de compte, quelle relation �tablir entre enfant-martyre et enfant-roi, puisque l'issue est la m�me ? Le fait divers suivant peut illustrer cet lien entre les deux : samedi 23 novembre 1991, Myriam, 29 ans, �touffe sa fille Lucie, 2 ans, avec un oreiller.

��Myriam Parmentier souffre de troubles relationnels notamment avec sa fille, une enfant agit�e, a indiqu� le Procureur. Il semble qu'elle ait eu une dispute avec sa fille. Celle-ci a eu � l'encontre de sa m�re un geste d�plac�.��[43]

Aux grands messes du 13 heures et du 20 heures, les grands pr�tres de l'information nous servent l'hom�lie � la sauce m�re meurtri�re. Que faut-il d�s lors penser de la focalisation m�diatique sur Christine Vuillemin ? Pourquoi privil�gie-t-on cette information plut�t qu'une autre, alors que partout dans le monde et dans le m�me temps des hommes meurent victimes de la faim, de cataclysmes, sous l'oppression et m�me, oui, de mort naturelle ?

L'acharnement sur cette m�re, pr�sum�e meurtri�re, n'en rappelle-t-il pas un autre, dont sont victimes, l�-bas, tr�s loin, sous la f�rule d'imams pas tr�s catholiques, d'autres femmes soup�onn�es seulement d'�illades coupables, et lapid�es sous ce seul pr�texte ? Ou un autre encore, plus lointain, contre les sorci�res ?

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Et d�un autre c�t�, mais dans le m�me sens, l��vocation de la toxicomanie n�entra�ne-t-elle pas imm�diatement aujourd�hui celle de la contamination ?

Le processus est constant, qui revient � projeter la peur sur le �diff�rent�, �l��tranger�, �l�autre� dont les media s�emploient � dupliquer � l�infini les repr�sentations comme vecteur d�une peur en perp�tuelle qu�te de formes nouvelles.

La valse des peurs m�diatiquement orchestr�e nous entra�ne en son tourbillon forcen�, jusqu�� nous faire oublier de r�fl�chir.

Car enfin, n�est-ce pas surprenant que chaque peur vaincue c�de la place � une autre, toute neuve ?

M�me la langue n�est pas � l�abri des contaminations !

L�autre

Chez les linguistes, on s��meut, au sujet de ��jeunes (qui) ne peuvent trouver leurs marques que dans le fran�ais[44] normal.�� Alors qu�on observe dans la langue des cit�s (oh, Barbares[45]) ��une jach�re linguistique et une d�-culture.�� Il n�est pas utile de citer davantage Monsieur Azouz Begag, chercheur en sociologie urbaine[46] pour comprendre qu�il rejette la langue des �banlieues� � lieux singuliers mis au ban de la soci�t� assez constamment ces temps-ci�� aux fronti�res de la barbarie. Sans doute n�aurait-il pas �t� de mauvais conseil pour Monsieur Toubon, pr�c�dent Ministre de la Culture, parti en croisade contre les pollutions dont notre vieille langue est victime[47]. Il n�est d�ailleurs pas contredit par Catherine Genin, auteur de l�article, qui sous-titre, reprenant les propos de Monsieur Christian Bachmann, sociolinguiste : ��La langue des Keums n�est ni une mode ni un simple argot. Invent� par une population d�connect�e[48] de l�univers des classes moyennes�� et, commente-t-il, ��ce dialecte[49] contemporain influence m�me une bonne partie des adolescents��[50].

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Nul doute que le ph�nom�ne fasse peur, aux �lites surtout, qui se retranchent soudain derri�re le uulgum, semblerait-il, � entendre le sociolinguiste pr�cit� : ��le Fran�ais moyen (qui) se sent agress� par cette langue, dont les courbes intonatives sp�cifiques sonnent comme des engueulades��.

D��argot� en �dialecte�, et m�me en �patois�, tout semble �tre mis en �uvre pour rel�guer le ph�nom�ne en marge. Il est vrai qu�on pr�cise en passant que la langue des banlieues est celle des Beurs. Et on se rassure comme on peut en affirmant, comme cette �ducatrice, que cette langue ��ils l�abandonneront d�s qu�ils conna�tront une vie sociale normale.��

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Le rappel constant � la normalit� ne peut que nous faire dresser l�oreille, surtout quand il s�agit de �jeunes�, les m�mes que ceux dont nous allons parler maintenant, qui en �bandes� �tiennent le mur� dans les �cit�s�, o� suinte l�ennui et la m�lancolie. Exclus par consensus des �lites, jusque dans la recherche d�une identit� linguistique, quelle �vie sociale� sont-ils appel�s � conna�tre, et selon quels crit�res de normalit� ?

Le t�moin suivant nous �clairera peut-�tre sur ce point :

��Se rend-on vraiment compte � quel point les valeurs communes de la soci�t� sont fragilis�es d�s lors que des zones enti�res du territoire national sont soumises � des bandes qui imposent leurs propres r�gles et leur propre hi�rarchie ? De telles conditions facilitent l��closion de groupes terroristes qui profitent de notre incapacit�.��[51] Ce discours ne nous vient pas de lointains territoires, ni des temps r�volus o� la menace barbare s�vissait, mais de J. L. Debr�, actuel Ministre de l�int�rieur.

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Vecteurs de l�instabilit�, de la peur en g�n�ral, l�autre est toujours l� pour endosser le responsabilit�. Tous les ��autres�� d�j� nomm�s plus haut, du virus au Beur, repr�sentent l�Autre absolu.

Bilan

L�autre, servant de fusible � la propagation d�une peur, amplifi�e par les media, qui nous semble �tre broderie de l�imaginaire sur un canevas de donn�es physiques et objectives. Un des plus beaux exemples est peut-�tre celui de la rumeur qui enfle sourdement, qu�� Paris le dispositif serait pr�t � �accueillir� le d�ferlement des hordes de banlieues[52]. Il ne s�agit pas de nier l�existence d�un mouvement souterrain, bien au contraire c�est notre propos, mais de resituer � leur place, donn�es objectives � autant qu�il est possible � et enrichissements imaginaires, d�une part, et de nous demander par ailleurs si, par hasard les �objets� sur lesquels sont projet�es les peurs n�auraient pas, de leur c�t�, un message � transmettre ?

Les virus ne parlent pas une langue connue, m�me pour les biologistes, impuissants � d�crypter les signaux qu�ils �mettent, mais les �jeunes�, eux se font entendre. Ils ne sont pas les sauvages incapables de s�exprimer autrement que par des comportements barbares, comme certaines repr�sentations m�diatiques voudraient le faire croire, m�me s�il utilisent un langage hors-norme ?

On peut se demander si l�invention d�une langue n�est pas un des signes de leur message global : aspiration � la cr�ation d�un monde neuf, entrav� par le poids de la norme.

� la fameuse �r�volte� de la jeunesse, on ne peut d�nier son caract�re de provocation. Mais ne sont-ils pas les seuls � avoir compris que l�immobilisme suintant l�ennui ne s��mouvra que si on le bouscule.

Et que le vieux monde ne vienne pas se plaindre s�il est bouscul� un peu fort par un plus jeune � la recherche de limites, dans un ��d�sordre et une d�mesure�� quelque peu anarchique. Imaginons, la pouss�e de s�ve au printemps en qu�te d�un canal, le sang et pas de vaisseaux, un geyser et pas d�ouverture !

La s�rie de valeurs d�clin�e par le monde contemporain offre-t-elle une voie praticable ? Si elle n�existe pas, il faudra l�ouvrir � grands renforts de monstres m�caniques.

Il est difficile de faire un choix dans la pl�thore de documents qui nous est offerte dans le domaine des m�dia o� nous avons choisi des prendre nos informations. Plus difficile encore de diff�rencier et d�articuler les th�mes, tellement ils sont imbriqu�s et rebondissent de l�un � l�autre. Les documents en annexes ne repr�sentent qu�un maigre �chantillon, mais donnerons une id�e plus compl�te de notre constat.

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Avant de poursuivre, n�anmoins, d�gageons quelques constantes : le progr�s technique fait surgir la peur de la nouveaut�, que nous pr�f�rons nommer neon[53], non par souci d��rudition, mais, comme pr�cis� en introduction, pour �viter les lectures r�ductrices.

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Le neon, donc, fait peur et s�attache � des objets particuliers, dont nous avons �num�r� ceux qui, d�apr�s des enqu�tes men�es dans les derni�res ann�es, reviennent le plus dans les pr�occupations de l�Homme moderne. La focalisation des peurs sur l�enfant est un des faits marquants que nous avons soulign�, dont la fragilit� d�sign�e appelle la protection. Or, on dit de la soci�t� tout enti�re qu�elle est �fragilis�e�. Sa fragilit� r�side dans le fait que les anciennes structures semblent ne plus avoir ni efficacit� ni pertinence. Tout est �bloqu�, �fig�, dans �l��immobilisme�� et nulle issue en perspective : en aval, rien. Sur les versants affront�s de la �faille� devenue �fracture�, chacun campe sur ses positions. Un r�flexe bien humain porte les regards en amont et, comme hypoth�tique solution � la �crise�, on remet au go�t du jour les vieilles recettes �prouv�es. Est-ce que cela bouge ? En apparence, non. On pr�tend alors qu�il faut laisser l�effet se faire, avec la pri�re �qu�on nous donne du temps�. Mais les populations tr�pidantes, reprennent en ch�ur la r�plique de l�Huissier de Tartuffe. ��On vous laisse du temps��, certes, �� et jusques � demain, (nous) ferons surs�ance.��

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Car en d�pit de la �rigidit�, la vie continue. Regardez-les, nos bons peuples de France ou bien d�ailleurs se presser aux portes de la ville pour un week-end bien m�rit� � la campagne ; ce sont les m�mes assur�ment qui ont d�fil� d�un pas lent dans les rues de la capitale, banderole au bras, � l�appel g�n�ral des syndicats, �mergeant lentement apr�s des ann�es de l�thargie minimaliste. Pas de doute, �a bouge encore !

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Les d�fil�s d�filent, les serpents serpentent, et les filles au printemps ont toujours l�oeil qui brille ! Qui faut-il croire ? Nos yeux seraient-ils victimes d�hallucinations collectives ? Que vaut-il mieux regarder, la rue ou la t�l� ? Que vaut-il mieux lire ? La Presse, les livres d�histoire, ou le d�sir dans l�oeil de son prochain ? Les deux, tout ensemble, si l�on veut rester au point de contact d�o� �merge la r�alit� de la vie. La r�alit� n�a pas de parti pris, pas d�a-priori, c�est tout ensemble, ce que l�on voit, ce que l�on nous dit, ce que l�on veut nous faire croire, sans exclusive. Cela existe, donc c�est une facette de la r�alit�. Nul n�a le droit d�en occulter quelque pan que ce soit. Bien r�el aussi le prisme tant sot peu d�formant de l�outil m�diatique, dont l�intervention d�cuple l�impact de l��v�nement repr�sent�. En soi effrayant, un attentat terroriste, redupliqu� en ab�mes sur des �crans, impressionne l�imaginaire. De fait, les peurs m�diatis�es n�ont aucun int�r�t sur le plan strictement humain�: aujourd�hui le terrorisme, demain l�explosion d�une centrale nucl�aire. Elles sont en revanche mine d�enseignement sur le fonctionnement de l�imaginaire humain et sur sa propension � entretenir, par recr�ations et m�tamorphoses incessantes, la peur. Le constat reste paradoxal si l�on consid�re en regard la volont� de contr�le de l�impromptu.

On pourrait s�attendre, dans un syst�me aussi rationaliste que le n�tre � une relativisation, voire � une banalisation des peurs. En effet, selon la logique rationaliste et statistique, y a-t-il, dans une soci�t� industrielle certes, mais bien polic�e et pas en �tat de guerre, plus de risque de sauter sur une bombe que d�avoir un banal accident de transport ? Quelle commune mesure entre les victimes d�c�d�es ou mutil�es lors des attentats de l��t� 1995 en France et celles de la route, recens�es pour la m�me p�riode ? Nous ne sommes ni � Sarajevo ni � Alger.

Or tout se passe dans les media comme si nous �tions en �tat de guerre. L�irrationnel revient en force, par le m�me canal que le discours rassurant des publicitaires.

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Quel est le lien avec l�immobilisme ? Point de h�te. Revenons d�abord aux dominantes de cette fin de si�cle : dans notre syst�me de pens�e, quand surgit un �v�nement, inopin� de pr�f�rence, il faut de toute urgence en retrouver la cause. Qu�il s�agisse d�une crise, d�un meurtre, d�une pollution, il faut des responsables. Toute faute contre l�ordre des choses appelle un criminel. Or quels sont les criminels d�sign�s � la vindicte publique ? � un premier degr�, c�est celui qui a mis la main � la p�te : le poseur de bombe pour l�attentat, le p�trolier pour la pollution. Mais il n�en est pas ici comme des snippers en ex-Yougoslavie : le tireur que l�on d�signe � la vindicte publique est rarement isol� : il est membre d�un �r�seau� qui �tisse sa toile�, et qui plus est �surfant sur Internet�. Derri�re la pollution d�nonc�e par les �organisations� �cologiques grouillent les crabes v�reux des multinationales, tapis dans la Corbeille d�abondance. R�seaux, organisations et sectes diverses trameraient en arri�re-plan de l�actualit� un vaste complot mettant en danger la belle int�grit� d�mocratique. N�est-ce pas la part de v�rit� que l�on nous fait accroire ? Et comme nulle mauvaise graine ne peut pousser sur le noble terreau de la d�mocratie, Monsieur Le Peletier de Saint Fargeau l�avait bien dit, l�ivraie ne peut �tre qu�apport�e par les vents, mauvais eux aussi, cela s�entend, comme torrides siroccos venus du Sud, propagateurs de scories rouges de sang. Seront d�s lors fort bienvenus les islamistes de tout poil (qu�ils auront d�une mani�re bien sacril�ge ras� � [54] � simulator ac dissimulator) qui cumulent avec un �-propos rares tous les crit�res requis du coupable parfait : �tranger, pros�lytes religieux, et circulants en �bandes�. Et les Ministres de crier au loup, au �fl�au�, quand les pr�sidents, moins pond�r�s en appellent au Diable !

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Et le vieil homme d�couvrit enfin, mais un peu tard, pourquoi il ne parvenait � regagner son tonneau : en guise de lanterne, en sa main il tenait depuis des si�cles une vessie. Serons-nous pour longtemps si aveugles ? Heureusement, quelques esprits chagrins, venus de l��tranger, pouss�s par le souffle de leur mauvais esprit s�ment le doute. (De l�int�rieur, on peut crier � s�en casser la voix, il n�y aura pas d��cho : les media ont une fois pour toute choisi le camp du moindre effort et du confort, assumant parfaitement leur fonction de miroir. Paradoxalement, pour se faire entendre, il convient de prendre des voies d�tourn�es, comme il �tait vrai il y a une dizaine d�ann�es (peut-�tre l�est-ce encore) qu�un voyage de Paris � l�Afrique �tait moins on�reux en passant pas Moscou. Tours, d�tours et contours ? Quid du mythe du plus court chemin d�un point � un autre, ce jourd�hui ?)

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En l�occurrence, le plus court chemin qui donnent acc�s � une information quelque peu distanci�e sur la France, passe par la Suisse : c�est encore raisonnable ! ��Le grand spectacle de la chasse � l�homme est le fait d�un gouvernement aux abois : du fugitif Kelkal, on ne sait encore pas grand chose (...) On sait surtout depuis les r�v�lations du Nouveau quotidien mais (...) que la version officielle de sa mort.��

Quelle circuit pour l�information... la ligne la plus droite du f�t du canon jusqu�� la chair � canon passe par, le croiriez-vous, ... une cam�ra, un journal relay� par un autre ... et enfin la censure. R�cup�r�e enfin, l�information fut diffus�e, mais pas les images. �lim�e, �raill�e, lamin�e par la rumeur, elle a fait plouf. Qui s�en est �mu ? Un poseur de bombe de moins : on est rassur�, furent en r�sum� les commentaires de la rue diffus�s sur les ondes, mod�r� d�un �pauvre gars� de la part d�un sexag�naire attrist�. Personne n�est venu interviewer ceux qui, peut-�tre plus nombreux qu�on ne le croit, au c�ur de leur foyer, apprenant la nouvelle, ont vers� une larme, et soudain ont eu honte�! Il n��tait pas n�cessaire de voir les images pour reconstituer la sc�ne. La phrase lapidaire a suffi � l��vocation d�une chasse au renard, plut�t qu�� l�Homme, compte-tenu des circonstances et n�en d�plaise � J. Claude P�clet, qui est encore bien polic�.

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Le complot, existe-t-il vraiment ? Mais de quel c�t� du miroir ? Malgr� ces d�veloppements en apparence de digression, nous ne nous �cartons pas de notre propos : les circuits de l�information, son impact, l��motion qu�elle suscite sont appr�hendables � ce modeste niveau. Qu�un gouvernement pleure sur l�immobilisme et se livre � la traque � courre ? O� est le mouvement ?

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Dans un monde de �blocage bloqu� �mergent des r�flexes d�fensifs de d�fense. Et que la gram-m�re[55] et le grand style nous pardonnent d�une si grossi�re offense. Nous puiserons une derni�re fois � la source minist�rielle de l�Int�rieur, d�non�ant ��l��rosion des fondements de notre syst�me r�publicain��, et ��les belles �mes qui font la fine bouche devant ce qu�elle nomment une politique s�curitaire.�� Mais quel moyen de l�appeler autrement�? Alors qu�elle fournit en m�me temps un �l�ment de r�ponse � la question de �l�immobilisme� que nous posions plus haut : lorsqu�on est agripp� au versant abrupt d�une faille, alors que les nuages s�amoncellent � l�horizon, qu�elle autre solution se pr�sente que d�assurer le bivouac, de s�arrimer � la paroi et d�attendre. Surtout ne pas bouger, sinon... le gouffre !

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Au tableau des sombres terreurs inspir�es par les fl�aux de notre temps fait pendant celui des valeurs dominantes, tr�nant, omnipr�sentes, gr�ce aux outils modernes de communication qui distillent par le m�me truchement, en parts �quivalentes, peurs et messages rassurants, subtilement polaris�s par l�image. Devant l�omnipr�sence de la peur dans tous les domaines, quelles valeurs la soci�t� contemporaine propose-t-elle ?

Catherine Barb�, Paris 1996

Les r�f�rences aux annexes renvoient au texte complet de la th�se.

Parution originale, Lierre & Coudrier, 1997. Deuxi�me �dition Hommes & Faits, avril 2002

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Suite de l'�tude : Face � la peur � Constats et rem�des

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[1] � "De l�An Mil � l�an 2000 : la peur de la fin du monde", Christian Amalvi, in L�Histoire, n�138, p.8-21, novembre 1990.

[2] � Ibid.

[3] � Il ne s�agit pas pour autant d��tablir une relation de cause � effet entre l�exp�rience objective et la formation des images et des mythes. Nous y reviendrons plus loin.

[4] � Ibid.

[5] � P. Messmer, Apr�s tant de batailles, A. Michel, 1992.

[6] � Le Monde, suppl�ment programmes T.V., 3-4/9/95.

[7] � Le Monde du 2 mars 1994.

[8] � Lib�ration, lundi 7 mars 1994.

[9] � L�Heure de v�rit�, �mission du 14 f�vrier 1994 sur A2.

[10] � Lib�ration, lundi 7 mars 1994.

[11] � Lib�ration du vendredi 18 mars 1994.

[12] � Rigide : de skl�ros, austhros, d'o� nous viennent la scl�rose et l�aust�rit� !

[13] � Voir en Annexe.

[14] � En Annexe, projet de lettre � Messieurs Nahon et Benyamin, du 28/5/94.

[15] � Voir en Annexe.

[16] � Voir en Annexe.

[17] � Lib�ration du 29 mars 1995.

[18] � Ibid.

[19] � Le Monde du 17 mai 1995.

[20] � Ibid.

[21] � Le Monde du 8 avril 1994.

[22] � Voir annexe sur le sang.

[23] � Lib�ration du 24 ao�t 1993.

[24] � Voir article en Annexe.

[25] � Courrier international du12 au 18 octobre 1995.

[26] � Le Monde du 1er mars 1994.

[27] � Voir en Annexe.

[28] � � notre connaissance, l�opium ni le chanvre indien ne sont pas cultiv�s dans les pays industrialis�s. Ce serait m�me plut�t une sp�cialit� des ��autres�� du Triangle d�or et d�Am�rique Latine Pour l�anecdote,on retiendra le bruit r�cemment fait autour d�une culture de chanvre non toxique en France, commandit�e par un Minist�re � l�insu des autorit�s r�gionales.

[29] � Le Monde du 26 novembre 1993.

[30] � Le Monde du 14 avril 1994.

Nous reviendrons longuement sur la fonction de la violence dans la 4�me partie. S�il y a effectivement une relation entre publicit� et violence, i.e. l�impact de l�image, on ne peut n�anmoins les r�duire, ni les assimiler. La publicit� utilise, comme nous le verrons, des images archa�ques dans un but �conomique, alors que la violence est une des composantes irr�ductible de l�image.

[31] � Ibid.

[32] � Ibid.

[33] � Ibid.

[34] � Le Monde, suppl�ment T.V., 3-4/9/95.

[35] � Jeudi 4 ao�t 1994.

[36] � Voir en Annexe.

[37] � Ce que j'entends par conscience est cette instance qui pousse l'individu ou le groupe � agir, souvent press� par l'urgence d'une situation devenue insoutenable.

[38] � Nouvel Observateur, 9/15 mars 1989, "Les c�libattantes".

[39] � Voir en Annexe, � Marie-Claire, octobre 1989.

[40] � Ibid.

[41] � Ibid.

[42] � Voir en Annexe.

[43] � Le Bien Public, 25/11/1991.

[44] � C�est moi qui souligne.

[45] � Le Barbare est �tymologiquement celui qui ba...ba.. baragouine, i.e. qui ne parle pas la langue du cru.

[46] � Le Monde, samedi 2 septembre 1995.

[47] � Voir article en Annexe.

[48] � C�est moi qui souligne.

[49] � Idem.

[50] � Je dois avouer que j�ai sursaut� la premi�re fois o� j�ai entendu mon ch�rubin de fils �ructer ��nique ta m�re !��.

[51] � Le Monde, 30 septembre 1995.

[52] � Une variante du th�me a �t� d�velopp�e r�cemment autour des ��armes dans les banlieues��, dans un reportage suspect� d�avoir �t� mis en sc�ne (voir Lib�ration en annnexe).

[53] � Voir introduction, p.26.

[54] � En r�f�rence au portrait que dresse Salluste de Catilina, c�l�bre ourdisseur de complot politique.

[55] � Au XVIIe s., on pronon�ait de la m�me mani�re grand-m�re et grammaire � dans le sud de la France �galement jusqu�� ce jour, dont nous nous permettons de faire un nouveau monstre, par go�t d�invention linguistique.

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