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Leïla Zouggari |
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Sans nom, sans rien à quoi se raccrocher,
seuls, perdus dans la foule, les exilés souffrent… À travers ces
personnages égarés, dépossédés, on s'aperçoit que l'un des plus grands
maux des exilés est l’absence de lignage, de racine. La séparation, partie
intégrante de “l’exil politique”, qui ne se souciait pas d'enlever une
mère à ses enfants, de diviser les couples, d’extraire de la tribu, est
portée comme une blessure saignante. Ces liens rompus, entre les membres d'une
“communauté", si ce mot a encore un sens. Ce déchirement est mortifère
: Nadia est une femme appartenant à nulle part et qui n'a pu être
une enfant qui se souvient, elle ne s'en est jamais remise. Destituée de son
histoire et de ses racines, une fois de plus c'est son identité même
d’humain qui est touchée. Non seulement dire : « Nos ancêtres
sont les gaulois » mais essayer de le croire, alors que les siens sont
des « Kabyles d’Algérie » ; c’est effacer les repères
pour ne plus savoir se construire une identité stable. L'absence quasi totale
de souvenirs qu’on a occultés pour fermer l’accès à la mémoire
collective qui se transmet de génération en génération bouillonnent en
elle et cherche une soupape. Et comme tous les hommes à la merci de
“l’amnésie” elle est des plus vulnérables chaque fois que des images
font surface, c’est la déchirure entre la passé et le présent. Cet état de fait crée un certain
isolement, puisque très peu peuvent compter sur des parents proches, et que
chacun est occupé a se fondre dans l’Autre ou à trouver des trucs et des
subterfuges pour paraître “Autre”. Plus tard ces hommes et ces femmes
devenaient frères des réfugiés de tout bord car ils ont un point
d’intersection; leur désespoir d’avoir perdu une partie d’eux mêmes. L'identité “d’exilé” est ressentie,
pour certains comme une acquisition, car elle signifie un lot de souffrances :
la plupart de ces hommes ne pouvaient pas toujours, dire : « Je suis le fils
de. . . », « mon nom est . . . », « Je viens de tel ou tel bled », leur
seul moyen de se positionner, d'exister en quelque sorte, était de dire
qu'ils étaient “Harkis, Arabes, Exilés, Putes…. ” quand ils pouvaient
se permettre de le dire sans honte ou justification ou encore explication des
raisons ou actes responsables de leur état. Seulement, quand ils se sont réapproprié
leur vie, leur histoire, et qu'ils ont “réussi” socialement, la plupart
exposent leur identité d’origine. C’est ainsi que nous avons observé
dans la communauté arabe, formée de chercheurs, scientifiques et autres
dessus du panier dans des cités américaines, revendiquer leur Histoire, se
souvenir à haute voix de leurs ancêtres, rudes paysans ou citadins ancrés
dans la plus profonde tradition arabo-musulmane entre autres. 1.
Le patronyme ou l’identité nom Se franciser ou s’américaniser c’est
souvent “opter” pour un autre nom qui fasse apparaître ou se sentir intégré.
Et si exister en tant qu’individu c’est être un nom donc, le perdre
c’est couper le lien avec ses racines ; porter celui d’un autre c’est
devenir étranger à soi. Rachid en devenant Richard est dépossédé de tout,
même du sentiment de se sentir appartenir à soi ou même d’appartenir à
un lieu ou personne. Le système carcéral dans le but de châtier
efface le nom du prisonnier qui n’est plus qu’un nombre. C’est ce que
les allemands, dans les camps de concentration, avaient mis en pratique. Pour
“effacer” complètement les hommes on les privait de leur nom, ils
devenaient de vulgaires matricules. on les chosifiait. Mais ces hommes avaient
leurs souvenirs et leur identité en eux qu’ils pouvaient les caresser en
eux même, ce qui n’est pas le cas lors des tentatives d’assimilation ou
d’amnésie volontaire. On ne peut imaginer de plus misérable condition
humaine. L’être est dépossédé de tout ;même de son nom; cette
distinction banale que nul ne revendique mais qu’on nous octroie d’office.
Que de courage il faut pour sentir que quelque chose subsiste au fond de ces
hommes quand ils ont été spoliés de la plus primaire des reconnaissances
d’exister : leur NOM. L’homme n’a pas besoin d’Amour comme
certains s’ingénient à le crier, il a besoin de la reconnaissance
d’Exister aux yeux des autres et c’est très différent de ce que
l’Occident nomme “Amour”. Sans nom, sans passé et même sans langue,
ces hommes et ces femmes ont choisi d’oublier leur dialecte et on ne parle
chez eux que la langue de leur nouvelle nationalité, une “pseudo identité”.
La langue charrie avec elle un patrimoine
culturel, une mémoire collective. C’est ce qui nous rattache à nos
“semblables” et qui fait qu’on “se raconte” d’une certaine manière
propre à un groupe donné, les maghrébins expriment à l’aide d’images
et de métaphores leurs sentiments les plus divers, l’amour, la peur,
l’anxiété, la joie… Souvent, quand ils se retrouvent entre eux ils
parlent spontanément leur langue et c’est une manière de réduire l’exil
et de revenir parmi les siens en partageant la même langue. Sans nom, sans
passé ou presque, sans langue maternelle. on se demande comment certains de
ces hommes ont réussi à survivre. 2.
La liberté ou le deuil du présent passé Etre libre sous-entend il de l'être
seulement physiquement ? Hélas, non ! La liberté affective est essentielle
et n’oublions pas de souligner que si les émotions humaines sont
universelles, elles peuvent disparaître tout simplement si les conditions qui
les engendraient venaient à disparaître. Respirer, dormir, manger, s’accoupler
sont, certes, des expressions de la liberté physique, mais est-ce l’unique
expression ? La liberté n'est pas que physique. Être libre; c’est pouvoir
se souvenir sans frémir, se remémorer sans atermoyer. Sinon, des images
affluent et forcent le passage sous diverses formes aussi bien conscientes,
subconscientes ou inconscientes et elles raviveront les maux. Ce traumatisme
qui revient sans qu'on l'ait invité re-déchire les blessures et les
approfondit contrairement au fait de plonger volontairement en soi à la
rencontre de ses démons pour se familiariser avec eux. Et à force de les fréquenter
on acquiert le pouvoir de les banaliser et d'en devenir un simple spectateur
après avoir été le principal acteur. C’est en quelque sorte, faire le
deuil de son passé sans trop s’apitoyer sur soi. Il n’y aura plus ni
vision atroce, ni violence féroce et encore moins de souffrance car les
regrets et les révoltes se seront tus. C’est sortir de la prison du passé
pour vivre le présent et s’approprier son identité pour s’aimer et se
pardonner pour ensuite cultiver l’amour en soi et pardonner aux autres.
Spinoza disait que « Les hommes se trompent en ce qu'ils se croient
libres », en effet, l’acquisition de la liberté en soi est un travail
continu car l’identité est en devenir dans la relativité du temps.
Atteindre cet état de vide c’est se préparer à l’amour donation, et non
l’amour possession et c’est à ce stade que les hommes rencontreront le
divin et iront vers le spirituel. (voir notre article sur « L'amour femme
dans l’Islam » et « L’amour Dieu ou le Soufisme » – à venir sur ce site) Zouggari Leila,
fait au Koweït le 6/12/2001 BIBLIOGRAPHIE C. G. Jung, Dialectique
du moi et de l’Inconscient, Collection Idées/Gallimard, 1973. Russ J., Les Chemins de
la Pensée, Philosophie, Armand Colin, Paris, 2ème édition 1988, 552 p. Comte-Sponville A.,
Deuils, " Vivre c'est perdre". Gaston
Bachelard, L'eau et les rêves : essai sur l'imaginaire de la matière, Paris,
Librairie J. Corti, 1942. Fabre D., Le retour des
morts (B. U. : VP 1072 E. R.). Bacquem
F., Le deuil à vivre, Paris, Odile Jacob, 1992. Hanus M., Les deuils de
la Vie, Maloine, Paris, 1995, 331 p. Laplanche J. &
Pontalis J-B., Vocabulaire de la Psychanalyse, P. U. F., Vendôme,
1994, 523 p. Freud S., L'inquiétante
étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard, 1985. | |||
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