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Jacques Halbronn
Il importe de déterminer dans le couple qui fait quoi, qui donne et qui reçoit. Question sacrilège quand il s’agit du rapport sexuel généralement considéré comme une opération blanche, en termes comptables : chacun ne donne-t-il pas quelque chose à l’autre ? Au niveau de la logique économique, cependant, il convient d’éviter un tel cas de figure qui se referme sur lui-même. En effet, si faire l’amour ne comporte pas un émetteur et un récepteur, il n’y aura pas ouverture vers autre chose que sur le sexe. Dans l’acte sexuel, il nous semble bien que c’est l’homme qui donne et la femme qui reçoit. Et nous ne disons pas cela uniquement parce que la femme est réceptacle du sperme masculin mais aussi parce que l’homme donne davantage de lui-même, que son effort est plu significatif, sauf si, bien entendu, la femme n’apprécie pas ce qu’il lui fait, ce qui est une toute autre histoire. Il est évident, en effet, que si celui qui reçoit n’est pas demandeur, l’échange devrait être appréhendé différemment mais disons qu’en règle générale, il y a accord sur l’échange sinon sur ses implications. Or, à partir du moment où c’est l’homme qui donne, que reçoit-il en retour ? Nous l’avons dit, il n’est pas question ici de considérer comme une contre partie le seul plaisir de donner ou le seul accord pour recevoir. La contrepartie se doit de se situer au delà des limites de la relation physique. Sinon c’est un marché de dupes. Prenons un exemple dans un autre domaine, celui de l’écriture. L’écrivain va produire un texte et va chercher à le faire publier. Doit-il être reconnaissant à celui qui le publie au point de renoncer à ses droits d’auteur ? Dans certains cas, notre écrivain non seulement ne sera pas payé mais devra même payer pour paraître et dans beaucoup de cas, il ne paie rien et ne reçoit rien ou quasiment rien. Est-ce là un échange équitable ? Les deux exemples que nous avons fournis sont édifiants et caractérisent bien notre société : il est des activités qui ne sont pas considérées comme impliquant une contre-partie et où celui qui donne doit se considérer comme déjà bien content de trouver des récepteurs plus ou moins adéquats. Nous y voyons une certaine perversion. Pour en revenir au couple, signalons le cas de ces hommes qui paient une prostituée pour pouvoir faire l’amour, pour que quelqu’un veuille bien les “recevoir”. Le vrai scandale de la prostitution, c’est d’avoir à payer au lieu de recevoir en contrepartie de ce que l’on a donné.. On pourra donc qualifier de prostitué(e) toute personne qui se fait payer au lieu de payer pour ce qu’elle reçoit. Certes, on dira que la personne reçoit contre sa volonté et que cela change tout mais il est un peu facile d’user d’un tel argument de mauvais payeur. Comme si dans un restaurant, je refusais de payer mon écot sous prétexte que je fais déjà un grand honneur d’accepter de venir y manger. Tel voleur qui déclare, avec la plus parfaite mauvaise foi : de toute façon, ce n’était même pas bon ! Comme si l’échange était lié aux résultats et non aux moyens. Une telle attitude est contraire à une économie bien comprise et génère des dysfonctionnements sociaux graves puisqu’elle n’apporte pas de compensations à une certaine population qui donne et ne reçoit en échanges que de bonnes paroles, ce qui constitue ni plus ni moins qu’une forme d’exploitation voire d’esclavage. On connaît ces femmes ingrates qui pour se justifier dans leur manque de générosité dévalorisent ce qu’elles ont reçu ou insistent sur le fait qu’elle n’y ont consenti qu’à contre coeur et que, de toute façon, elles ne sont pas “amoureuses” et autre boniment du même acabit ! C’est pourquoi nous tendons à condamner des relations qui se présenteraient comme uniquement sexuelles et qui seraient séparées des autres secteurs de la vie par des cloisons étanches. Derrière ce faux romantisme des amoureux transis, des amants se retrouvant à la dérobée, des amours peu ou prou clandestines, il y a un scandale au regard de la synergie. Aucune activité, selon nous, ne saurait être ainsi isolée, elle doit communiquer avec d’autres aspects de la vie, sauf à produire de l’appauvrissement tant chez certains acteurs ainsi brimés qu’au niveau global. On est parfois étonné d’observer que des gens qui s’entendent sexuellement décident de vivre ensemble. Il semble au premier abord qu’il y ait disproportion comme si l’entente sexuelle ne devait pas avoir d’implication sociale, comme s’il fallait la mettre à part et ne pas lui conférer une certaine valeur pouvant comporter quelque contrepartie. Il n’y a là au contraire qu’une issue des plus raisonnables où chacun s’y retrouve, au nom d’un certain partage de ce que l’on donne et reçoit. En revanche, toute tentative pour cantonner le rapport sexuel à rien d’autre qu’à lui-même nous apparaît, on l’a dit, comme un acte parfaitement antisocial et au demeurant anti-masculin puisque c’est l’homme qui est, qu’on le veuille ou non, le donneur dans le rapport sexuel.. Or, dans le contexte de ces familles séparées, la femme qui a des enfants à charge est tentée d’avoir une affaire avec un homme, souvent seul par ailleurs, sans contrepartie. Cela l’arrange plutôt que de lui faire une place équitable dans sa vie. Ainsi, après l’amour, la femme satisfaite va retrouver son foyer tandis que son amant se retrouve seul et que sa situation ne s’est pas socialement enrichie du fait de ce qu’il a apporté de lui-même à la relation. En revanche, la femme se croit même avoir des droits à revendiquer quelque compensation au fait d’avoir accepté de faire l’amour, c’est à l’homme notamment de prendre en charge les frais divers, ce qui est une forme de prostitution déguisée. Comme nous l’avons exposé, notamment dans notre “Psychanalyse de la femme” (à paraître sur ce site), la femme est amenée à réagir à une relation sexuelle satisfaisante en développant à l’égard de son partenaire un discours qu’elle attend que celui-ci reçoive de la même façon qu’elle a “reçu” la semence de l’homme. Cette réception de la parole féminine équilibre la réception du “geste” masculin (cf supra). En d’autres termes, tout comme la femme a accepté de se laisser manipuler au sens propre par l’homme, elle va demander, en retour que lui prenne plaisir à se laisser manipuler (au sens figuré). La grande question est de savoir si l’art de la conversation a atteint chez la femme les mêmes sommets que l’art de faire l’amour chez l’homme et que l’on a su ainsi joindre l’utile à l’agréable. Il semble bien qu’il y ait urgence à produire un kama soutra d’ordre psychologique et à enseigner la pratique des caresses et des préliminaires au niveau verbal. Tout comme la femme reproche parfois à l’homme sa brutalité dans ses rapports sexuels, bien des hommes seraient en position de reprocher aux femmes leur brusquerie de ne pas savoir contrôler leurs pulsions verbales voire de commettre des viols verbaux. .Le fait de mettre en parallèle activité sexuelle et activité verbale aurait donc une valeur heuristique et autoriserait certaines analogies pleines d’enseignement. Le double accord sexuel et oral – avec ce qu’il implique de docilité de part et d’autre – apparaît dès lors clairement comme la condition même de la viabilité du couple. Le couple fonctionnerait sur une réception mutuelle de l’autre, de son désir tant sexuel, chez l’homme que moral chez la femme. Tout se passerait ainsi, comme si dans l’inconscient collectif, l’acte sexuel était un déclencheur de la faculté/fonction organisationnelle de la femme. La domination masculine lors du coït aurait pour contrepartie le besoin instinctif chez la femme de régenter les activités de son partenaire, en fait elle serait programmée pour cela, incarnant une certaine fonction surmoïque (cf supra) On voit que le prix que l’homme doit payer pour soumettre sexuellement une femme est assez élevé et qu’il suppose une forme d’obéissance aux desiderata de celle-ci. La formule “qui aime bien châtie bien” prend ainsi un relief particulier. Faire l’amour, pour une femme, serait pénétrer en quelque sorte l’esprit de l’homme. En reconnaissance de la satisfaction éprouvée par la femme à être touchée physiquement par l’homme, la femme va s’efforcer de le toucher psychiquement. Quand la femme y parvient, elle se sent rassurée. Elle a le sentiment de contrôler l’homme et peut donc à terme envisager de vivre au quotidien avec lui, de l’accepter dans son monde, dans sa famille. En revanche, la frustration sexuelle chez la femme du fait de la carence masculine la conduit à ne plus vouloir guider les pas de l’homme et à le pousser à la faute dans la vie du couple. Face à un homme qui ne donne plus sa semence, la femme se refusera à lui envoyer les signaux nécessaires pour qu’il ne fasse pas fausse route. Et l’on débouche ainsi vers un cercle vicieux conduisant à l’éclatement à terme du couple. Insistons sur l’importance de la cyclicité dans la relation de couple ou plutôt de la répétition. Le couple ne fonctionne pas sans une certaine routine (mot qui vient de roue). Il faut constamment revenir à la charge, refaire les mêmes gestes sans se lasser – et sans lasser- quoi qu’il arrive. A l’homme de retrouver chaque fois la fraîcheur de l’acte sexuel, à la femme de dire les mêmes paroles d’attention indéfiniment, tout en préservant une certaine spontanéité, pour entretenir un sentiment de continuité. Il va de soi que toute femme ne convient pas à tout homme : on choisirait son partenaire en se demandant si l’on est disposé à recevoir ce qu’il a à nous offrir, et cela s’apprécie dans ses gestes, dans ses expressions. Est-ce que notre partenaire saura nous prendre, aura l’énergie nécessaire – avec le dosage souhaité de délicatesse et d’assurance – pour se faire entendre, pour nous plier à sa volonté ? C’est dire que l’acte sexuel n’est pas sans conséquence ni sans contre partie et qu’il est en quelque sorte le fondement même de tout un processus d’intégration sociale. Inversement, une femme qui souhaiterait exercer une autorité sur un homme sans accepter le rapport sexuel et le rôle qu’il confère à l’homme fausserait le jeu d’une certaine réciprocité et, somme toute, d’un échange de bons procédés. Nous voulons ainsi lutter contre une société éclatée, cloisonnée. D’où la notion de relais que nous avons esquissée, dans un précédent essai de notre “Economie”. Par relais, nous entendons l’idée de pièce rapportée. Dans le cas d’un divorce, le père peut-il, doit-il être remplacé par le nouveau compagnon de la mère ? Ou bien celle-ci doit-elle accorder à son compagnon un statut d’apartheid, plus ou moins obscur ? Il y aurait là un double gâchis : d’une part, la mère ne remplace pas l’homme dont elle a besoin auprès d’elle et d’autre part, l’homme qu’elle fréquente ne bénéficie pas d’un nouveau foyer. On imagine ce qu’une telle situation aurait d’aberrant au niveau technologique si l’on refusait de pouvoir remplacer une pièce par une autre voire un employé/préposé par un autre. C’est dire que le cadre familial risque de rester le plus souvent archaïque et décalé par rapport au fonctionnement général de l’économie. Or, avec l’aggravation du divorce, on ne pourra plus à terme, continuer à fonctionner dans le cloisonnement du couple et de la famille. Ces lieux de vie devront tôt ou tard se plier à une logique plus générale ? Il n’y aura plus d’exception car celle-ci a des effets éminemment pervers et favorise toutes sortes de misères. Avec cette idée de contrepartie, nous sommes, on le conçoit, aux antipodes de tout égalitarisme entre hommes et femmes ou si l’on préfère nous prônons ainsi une nouvelle égalité dans la mesure où nous mettons sur le même plan, avec le même coefficient, ce que chacun apporte à l’autre, tant en tant que récepteur qu’émetteur. Reconnaître sa dette envers l’autre apparaît paradoxalement comme un pouvoir que l’on aurait le droit d’exercer sur lui tant parfois il est plus difficile de recevoir que de donner. C’est dire que l’on ne saurait isoler le rapport sexuel d’enjeux plus généraux. En le cantonnant à une opération blanche, l’homme comme la femme se refusent à en assumer les implications. Il convient d’insister sur le fait que la question de la procréation comme découlant de l’acte sexuel n’est qu’une manifestation de telles implications sensiblement plus larges quant à leurs effets. Car hormis même l’éventualité de faire des enfants ensemble, la question ne s’en pose pas moins, à tout âge et en toute situation. Le partage du tempsLe temps nous semble être l’élément central de la vie du couple. Mais le temps masculin n’est pas le temps féminin. Le temps de la fécondation de la femme est infiniment plus bref que celui de la grossesse (9 mois). Le temps de mettre de l’essence dans le réservoir d’une voiture est bien plus court que le temps durant lequel cette voiture pourra rouler. Le temps que l’homme passe à faire l’amour avec une femme impliquera de la part de la femme qu’elle consacre à l’homme un temps beaucoup plus long que celui des étreintes. La réciprocité temporelle est qualitative et non quantitative. Une femme qui refuse d’accorder du temps, de la présence, à son partenaire sexuel ne respecte pas le contrat implicite. C’est dire que le temps de la réception ne saurait être la contrepartie de celui de l’émission. On comprend dès lors l’importance extrême qu’une femme confère à l’infidélité masculine, alors que le temps incriminé peut être fort restreint. C’est que ce temps, si bref soit-il, est infiniment précieux pour l’ équilibre de la femme et que la contrepartie de temps apportée par la femme est lourde et pourrait apparaître comme disproportionnée. On est ici au centre de l’économie du couple et ce qui pèse le même poids n’a pas pour autant nécessairement la même valeur. JH – 21/11/02 | ||||||||||
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