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Le don en marketing

�tude anthropologique du cadeau dans la relation marchande

Jacqueline Winnepenninckx

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��En remerciement de votre fid�lit�, je vous offre un merveilleux cadeau��
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Tous les jours, les consommateurs, petits ou grands, re�oivent ces d�clarations enflamm�es et personnalis�es dans leur bo�te aux lettres ou sur leur �cran d�ordinateur. Et la lettre est ouverte, et l�e-mail est lu. Les taux de retour[1] et de transformation[2] attestent du succ�s de cette technique marketing. Le cadeau comme acc�l�rateur de commande ou comme moyen d�attirer l�attention du consommateur au milieu du concert publicitaire permet d�instaurer un lien affectif direct entre la marque et son client, actuel ou escompt�. Pourquoi autant de succ�s et � autant d�agacement�de la part du destinataire qui succombe (ou non...) � la tentation�?

Les marketers[3], dans ce domaine comme dans les autres techniques marketing, se fondent sur l�Homme, sa psychologie et son histoire culturelle et sociale.

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Le cadeau fait partie de la vie sociale et familiale depuis le commencement de l�humanit�, il est l���expression de la g�n�rosit� , du partage et de la charit頻[4] ,mais il peut �tre aussi le ��pr�liminaire d�un contrat tacite��[5].

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Cadeau ou don, ses multiples facettes ont fait l�objet de nombreuses analyses et recherches multidisciplinaires depuis un si�cle, de la part d�historiens, d�anthropologues, de philosophes, de sociologues, d��conomistes, sans que les limites disciplinaires soient clairement �tablies, montrant par l� la fertilit� et la transversalit� de ce th�me du don.

L�objet de cet article est de reprendre ces diff�rentes perspectives, particuli�rement � la lumi�re de l�ouvrage de Alain Milon La valeur de l'information : entre dette et don : critique de l'�conomie de l'information[6] et d�enrichir ainsi l��tude du cadeau en marketing. Cet article constitue un pr�alable � des recherches sur ��Le don et sa perception en B to C[7]��.

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1 � De la d�finition du don

Pr�sent, cadeau�; donation, offrande, sont autant de synonymes exprimant l�acte de donner. Nous �carterons les sens d�riv�s ou d�tourn�s comme donner quelqu�un pour trahir, donner des raisons, le don des langues, un don de la nature ou le don de soi.

Il n�en reste pas moins que le don proc�de d�une ambivalence entre l�expression d�une g�n�rosit� d�sint�ress�e et la cr�ation ou la r�paration de dette, proverbes et maximes populaires�illustrent bien cette ambivalence :

��������� Les pr�sents d'un homme lui �largissent la voie � Bible (Livre des Proverbes).

��������� De main vide, vaine parole (cit� par John of Salisbury, Polycratici Libri).

��������� Les cadeaux sont des hame�ons (Martial, Epigrammes).

��������� Les pr�sents brisent les rocs (Cervantes, Don Quichotte).

��������� Un brochet fait plus qu'une lettre de recommandation (Jean Le Bon, Adages Fran�ois).

��������� Il y a bien plus dans l'�change, que les choses �chang�es (Claude L�vi-Strauss).

��������� Les petits cadeaux entretiennent l'amiti� (proverbe fran�ais).

��������� Celui qui porte un pr�sent sur un �ne attend de recevoir un pr�sent sur un chameau (Proverbe arabe).

��������� Le petit cadeau va l� o� il esp�re en trouver un grand ! (proverbe russe) [8].

2 � Des diff�rentes approches du don

Donner est une fa�on de rendre�

��Dieu paie de sa personne en donnant son fils, le Christ, afin de racheter le p�ch� originel��, c�est qu�Alain Milon appelle la figure chr�tienne du don�: ��Je donne car je dois mais je me rach�te�; je donne pour effacer ma dette��[9].

Dans les relations de la marque avec les consommateurs, est-ce que cette ��figure�� ne p�se pas sur le cadeau�? Le cadeau comme r�paration de pr�judices subis par le consommateur existe d�j�, sous forme financi�re le plus souvent�:� rabais obtenu sur le prix d�une marchandise ou fourniture de services ou de produits gratuits, en cas de d�faut du produit ou de retard de livraison.

Le cadeau donn� en remerciement de la ��fid�lit頻 du client, ne p�tirait-il pas de cet �tat d�esprit et ne ferait-il pas peser le soup�on sur la marque ��X me fait un cadeau, c�est qu�il veut me s�duire (se racheter par avance) autrement que par la qualit� de son produit ou de son service, qui serait insuffisante vis � vis de la concurrence���?

Le don est d�abord un acte, un �v�nement

Reprenant un po�me en prose de Baudelaire, intitul� La fausse monnaie , Alain Milon montre l�importance de la mise en sc�ne lors d�un don-charit�, qui supplante la valeur de la somme donn�e[10].

Au del� des �v�nements mis en sc�ne du T�l�thon et autres Courses pour le c�ur, on voit bien l�illustration de cette facette du don en marketing�: lorsqu�une cliente d�Yves Rocher re�oit un message lui souhaitant ��Bon anniversaire�� et qu�il l�invite � venir retirer son cadeau � la boutique, il joue sur l��v�nement et la sensibilit� de la cliente � cet �v�nement. L��motion[11] ressentie gr�ce � l�effet de surprise et � l��tonnement[12] aura un impact non n�gligeable sur l�attitude de la consommatrice.

Le don cr�e de la reconnaissance�

Selon Aristote cit� par l�auteur, le don n�est jamais gratuit, et cr�e une dette , le donateur-cr�ancier-bienfaiteur anticipe un retour qui vient plus ou moins vite de la part du d�biteur-oblig�. M�me si Nietzsche a situ� cette notion de dette dans une perspective de dette positive, et affirme la responsabilit� active du d�biteur, le principe de la r�ciprocit� dans le don est reconnue et a �t� reprise par la suite par Marcel Mauss[13] sous le vocable de ��don et contre-don��. Les travaux sur le don de Marcel Mauss, se fondant sur les recherches de Boas (1897) et Malinowski (1922), font r�f�rence et l�interpr�tation de ��la triple obligation de donner, de recevoir et de rendre�� sont l�objet de d�bats encore vifs (cf. les �changes � fleurets mouchet�s entre Christian Ansperger et Alain Caill� dans la revue du Mauss[14] ). En effet, la logique du don est-elle � red�couvrir dans les relations marchandes pour les humaniser ou devons-nous consid�rer les ��pens�es de derri�re��[15] comme pr��minentes dans l�acte de donner�? Ne sommes nous pas encore et toujours au c�ur du vieux d�bat sur la nature profonde de l�homme�: est-elle ��bonne�� ou ��mauvaise��...�?

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Dans le cadeau en marketing , cette dette cr��e par le don est tout � fait pr�sente � l�esprit des marketers qui d�cident de ce type d�action�: l�intention est bien de susciter dans l�esprit du consommateur une attitude de d�biteur dont il ne se sortira que par un acte lib�rateur : se rendre sur le lieu de vente pour recevoir le cadeau annonc� et acheter le rouge � l�vres qui se trouve � c�t� de la caisse, �crire ou t�l�phoner pour commander des marchandises qui amortiront les frais d�envoi du cadeau esp�r�, renouveler ses achats�.

Quant � savoir si le marketing est ��bon�� ou ��mauvais�� pour le consommateur et la soci�t�, le d�bat est l� aussi loin d��tre �teint, mais les intentions des marketers ont au moins le m�rite de la clart�: les actions marketing sont �labor�es et conduites par des entreprises dans le but de vendre plus et mieux que les entreprises concurrentes, ce qui n�exclut pas de suivre des principes �thiques respectant l�individu et les valeurs soci�tales, cet �tat d�esprit pouvant aussi �tre valoris� aux yeux du consommateur pour am�liorer l�image qu�il a de l�entreprise dont il ach�tera plus volontiers les produits[16]�

Le don comme pr�misse du contrat�: le hau, la mana[17], et la naissance du contrat�

� la lecture de Mauss et des auteurs qui ont analys� ses travaux comme Merleau Ponty[18] et Salhins[19], Alain Milon pose la question de savoir quels sont les liens de pouvoirs qui se cachent derri�re le don et donc quelle est la position de chacune des parties au ��contrat�� n� de l�acte de donner.

Du donataire ou du donateur, lequel a le plus de pouvoir�?

Pour Alain Milon, ��le don serait plut�t le lieu d�une r�ciprocit� reposant sur un contrat tacite pr�voyant l��quilibre quantitatif des choses donn�es�� , les aspects qualitatifs sont plus d�licats � analyser et conduit l�auteur � dire que ��toute la finesse des relations sociales consiste justement � faire croire que le don est gratuit et donc non oblig� et non int�ress頻[20]

Dans le cadeau en marketing, le ��contrat�� n� de la chose donn�e pose toute la question des situations d�licates de certaines relations d�affaires (nous n�irons pas jusqu�� la notion de ��contrat�� des films de gangsters o� le tueur � gages a un ��contrat�� sur un individu, autre gangster de pr�f�rence..).

L�objet de l�article actuel est plus centr� sur le marketing du consommateur et nous pensons � des d�veloppements ult�rieurs sur cet aspect du marketing des affaires[21] tr�s sensible � l��thique des affaires.

L�angle du ��contrat�� issu du cadeau fait au consommateur, peut �tre �galement consid�r� puisque l�achat esp�r� en retour (r�ciprocit� du don) fait effectivement l�objet d�un contrat classique de vente mais les enjeux, � l��chelle de l�individu, sont nettement moins importants que dans les relations d�affaires.

Par contre, dans les relations d�affaires comme dans les relations avec le consommateur individuel, l�efficacit� du retour d�pend effectivement de la situation du don�: la fa�on dont la chose est donn�e importe plus que la chose donn�e[22]�: il est important de faire ��croire que le don est gratuit et donc non oblig� et non int�ress頻, qu�il est la preuve d�un lien affectif plus que de la pr�occupation du donneur � �tre pay� en retour.

Le don cr�e du lien social : la kula[23]

Pour Alain Milon, ��la figure de la kula est int�ressante�� car elle montre que ��les r�seaux de sociabilit� mis en place avec le cercle de la kula�,( ...), sont tant�t r�gis par des r�gulations marchandes tant�t par des r�gulations amicales et communautaires��

On retrouve en marketing ce double objectif de la marque�: � court terme esp�rer plus de ventes, � moyen et long terme cr�er un univers de sympathie avec les consommateurs, garantie de la p�rennit� de l�entreprise.

Faire croire � l�authenticit� des ��sentiments�� de la marque envers ses acheteurs est difficile. Mais en quoi les liens cr��s par une marque seraient-ils par nature moins ��bons�� ou moins ��authentiques�� que ceux qui sont cr��s entre deux tribus ou entre les membres d�une m�me soci�t�? . Le souci de p�rennit� d�une marque a davantage d�enjeux que le seul profit des actionnaires. La permanence d�un certain environnement commercial est peut-�tre aussi important pour le consommateur avec la confiance[24] qui s�attache � la marque, que la preuve d�une ��authenticit頻 des sentiments qui �maneraient de cette marque....

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Ainsi avec ce dernier point nous touchons aux sources m�mes de l�activit� humaine au sein de la soci�t�, au d�bat sur la place de l��conomique dans le social, dans lequel l�anthropologie �conomique[25] a ouvert des perspectives aux �conomistes et aux sociologues[26], o� l�on voit bien que les recherches sur les interactions entre �changes marchands et liens sociaux sont plus f�condes que les tentatives de cloisonnement.

En guise de conclusion

Le cadeau en marketing serait repr�sentatif de l�incertitude et de la richesse des relations humaines : don sans contrepartie pr�cise � attendre a priori parce que les r�actions du consommateur, individu de chair, de sang et d�esprit ne sont pas strictement param�trables mais symbole de la relation humaine, b�tie sur la reconnaissance de l�autre ��je te donne pour te remercier d��tre l� pour me permettre d�exister�� mais ��je te donne parce que mon int�r�t est que tu me donnes quelque chose en retour, qui soit plus important pour moi que ce que je te donne �. Je donne un stylo � mon client pour qu�il me dise merci, me signifiant ainsi qu�il reconna�t que j�existe, qu�un lien s�est cr�� et pour qu�il pense � moi plut�t qu�� mon concurrent quand il aura un achat � faire.

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Jacqueline Winnepenninckx, Toulouse le 14 avril 2002


[1] � Rapport entre le nombre de demandes d�information et le nombre de messages envoy�s.

[2] � Rapport entre le nombre de commandes effectives et le nombre de messages envoy�s.

[3] � Professionnels du marketing, consultants et praticiens.

[4] � Milon (Alain), La valeur de l'information : entre dette et don : critique de l'�conomie de l'information ; Presses universitaires de France, 1999, p 147.

[5] � ibid.

[6] � Presses universitaires de France, 1999.

[7] � B to C�: business to consumer, ou marketing du consommateur.

[8] � Des cadeaux qui entretiennent les affaires, in http://www.omyague.com/info/center_info.htm, chap. 8-Quelques citations.

[9] � Milon (Alain) op.cit. p.147 et p.156.

[10] � Milon (Alain) op.cit. p.149.

[11] � Sur le r�le des �motions dans le comportement du consommateur�:

Graillot (Laurence), Emotions et comportement du consommateur, Recherche et applications en marketing, vol.13, n�1/98

[12] � Sainz (Catherine), La dynamique de la fid�lisation client, Conf�rences de l'Observatoire de la fonction commerciale, Mimeo, juin 1999, p.22.

[13] � Mauss�(Marcel), Essai sur le don. Forme et raison de l'�change dans les soci�t�s archa�ques, L'Ann�e sociologique, 1923-1924, t. I, p. 30-186 ; R��d.in�Idem,�Sociologie et Anthropologie, Paris : Presses Universitaires de France, 1950 ; 6e �d., Paris : Presses Universitaires.

[14] � ��Ethique et �conomie. L�impossible (re)mariage�?�� La revue du Mauss semestrielle n�15, 1er semestre 2000.

[15] � Pascal, cit� par Alain Milon.

[16] � Voir au sujet de l��thique des affaires et du marketing �thique de nombreux articles et ouvrages comme�:

Hiesse Dominique Le commerce une relation ambivalente Revue Projet N�224 1990/1991

Filser (Marc), Le comportement du consommateur, Dalloz Paris1993, p. 3.

[17] � Le hau (butin et propri�t� en maori) serait l�esprit de la chose donn�e, le mana exprime l�id�e d��change �conomique.

[18] � Merleau-Ponty (Maurice), Eloge de la philosophie, de Mauss � Claude L�vy Strauss, Paris Gallimard, coll ��Id�es��, 1975, p 149.

[19] � Sahlins�(Marshall) �ge de pierre, �ge d'abondance, l��conomie des soci�t�s primitives, Paris, Gallimard, 1972.

[20] � Milon (Alain) op.cit. p. 190.

[21] � A ce sujet, lire :

Godbout (Jacques T.), Quand les gens d�affaires se font des cadeaux, Revue du Mauss semestrielle n�15 La D�couverte Paris 2000.

[22] � Dubois (Pierre-Louis), Jolibert (Alain), Le marketing�: fondements et pratique, Economica 1992 p 808-809.

[23] � La kula�:forme d��change intertribal , bas� sur les dons successifs et circulaires entre tribus, Malinovski, Les argonautes du Pacifique occidental, Gallimard, Paris,1963, p.141

[24] � Sur la confiance, beaucoup de r�f�rences �galement , consulter en particulier�:

Orl�an (Andr�) ��Sur le r�le de la confiance et de l�int�r�t dans la constitution de l�ordre marchand�� Revue du MAUSS du 2�me sem 1994 . Repris par Probl�mes �conomiques n� 2422 du 3/05/1995 sous le titre�: ��La confiance , un concept �conomique���?

Guibert (Nathalie), La confiance en marketing, Recherche et applications en marketing, vol. 14, n�1/99.

[25] Bonte-Izard, Dictionnaire de l�ethnologie et de l�anthropologie, Presses Universitaires de France p.214 � 220 �

[26] � Sur le th�me de l�imbrication de l��conomique dans le social�:

Granovetter (Marc), Economic action and social structure�: the problem of embeddedness, American Journal of sociology, 1991.

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