L'image de la femme dans le cinéma de la nouvelle vague

 

Jacques Halbronn

 

Le cinéma est une machine à remonter dans le temps car par delà son caractère de fiction, il n’en conserve pas moins toujours une certaine dimension documentaire, plus ou moins involontairement (cf Marc Ferro, Cinéma et Histoire, Paris, Gallimard, 1993). C’est ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, que le port du chapeau par les hommes n’est certainement pas voulu par un quelconque scénario mais est bien le témoignage des coutumes vestimentaires d’une certaine époque. Avec le recul, tous ces personnages munis d’un couvre-chef, il y a encore quarante ans, nous semblent quelque peu insolite à l’image d’un Michel Picoli affublé, en permanence d’un feutre dans de Godard. le Mépris (1963). On peut observer ainsi d’année en année, l’abandon progressif du chapeau. Il y a là un matériau précieux pour le sociologue, par delà les enjeux artistiques dans la mesure même où c’est ce qui n’est pas maîtrisé qui l’intéresse.

I – Le cinéma et la culture de la contingence

Quand on écoute de la musique “classique”, on sait que le morceau peut être interprété, dirigé, par diverses personnes. Nous avons la capacité à retrouver l’oeuvre au travers de tels avatars. Il en est généralement de même pour le théâtre : un comédien en remplace fréquemment un autre, et comment en serait-il autrement à travers les siècles ? En revanche, la peinture ne permet pas une telle distanciation et si un autre peintre choisit le même motif qu’un prédécesseur, on n’en considère pas moins qu’il fait oeuvre nouvelle. C’est un remake. Paradoxalement, on pourrait dire que pour la musique ou pour le théâtre, les variations individuelles sont relativisées et que l’on ne s’approprie pas aisément un document en se contentant de le recopier car que fait un interprète sinon d’imiter ? En ce qui concerne le film, qui en fait se rapproche plus de la peinture par son caractère “figé”, l'interprète n’est pas interchangeable même si dans le passé certains cinéastes internationaux réalisèrent des films avec un casting différent selon la langue choisie. En ce sens, nous dirons que le cinéma appartient à une culture de la contingence.

Entendons par là qu’il ne nous permet pas de prendre de la distance par rapport à ce qui nous est montré, à ce qui “arrive” devant nous. On ne nous fournit pas une partition ou un texte de référence. Le produit est littéralement “fini”. La dualité entre le nécessaire et le contingent est effacée. Cela expliquerait pourquoi nos contemporains semblent avoir de plus en plus de mal à repérer des grilles derrière l’apparence des choses. Ce sont les enfants du cinéma.

Le fait que dans les génériques, les noms des comédiens apparaissent le plus souvent avant celui du cinéaste est également assez typique d’une certaine inversion quand on compare avec le théâtre – on dira une pièce de Shakespeare ou de Molière – à telle enseigne d’ailleurs que le public, dans de nombreux cas, ne se souvient pas du nom du cinéaste, de l’auteur, alors qu’il aura enregistré les images et notamment les visages des comédiens. Le créateur du film est comme évincé et cela n’est évidemment pas innocent ni dans ses causes ni dans ses effets.

La culture cinématographique est d’ailleurs ponctuelle : on ne voit un film qu’une fois comme on ne vit un événement qu’une fois. Le film fait partie de notre vie, et notre vie n’est pas censée se répéter du moins pas littéralement : revoir un film serait comme voyager dans le temps et retrouver le passé intact. Il en est certes de même du tableau mais celui-ci diffère trop du réel par son absence de mouvement pour que l’illusion soit possible et c’est pourquoi l’acte de revoir de multiple fois une toile fait moins problème que pour un film : l’expression “je l’ai déjà vu” est à l’intention de ce dernier une fin de non recevoir. Le film offre une sorte de résistance à toute tentative de distanciation : il est ce qu’il est tout comme un individu est ce qu’il est, qu’un événement est ce qu’il est. Le cinéma serait en ce sens porteur d’une certaine philosophie – en message plus ou moins subliminal – de la contingence qui s’apparenterait à de la phénoménologie.

 Le spectateur est certes conscient que le film s’élabore à partir d’un scénario mais le dit scénario occupe une place quelque peu subalterne si on le compare avec la pièce de théâtre, terme qui désigne le texte et pas seulement une certaine interprétation de celui-ci. Ce scénario, au fond, s’inscrira dans un contexte précis et pourra difficilement en changer par la suite. On saisit tout ce qu’il peut y avoir de portée à passer du théâtre vers le cinéma, d’une société de l’interchangeable, un comédien pouvant en remplacer un autre, à une société qui privilégie le global, en une sorte d’intemporalité, même si à l’évidence le regard du spectateur change face à du celluloïd immuable.

Au cinéma, sauf exception, on ne devine pas les coulisses, les machinistes qui se doivent rester invisibles alors qu’au théâtre, on voit bien que tout n’est que décor.. C’est la même différence entre aller au concert et écouter un disque, dans lequel celui qui n’est pas initié aurait bien du mal à imaginer comment les choses se passent “en vrai” sur le plateau d’enregistrement.

La musique contemporaine tend à se modeler sur le cinéma en tant que musique improvisée (on pense au jazz) et pouvant être enregistrée mais non réinterprétée tout comme le cinéma ne peut pas être réinterprété, pas plus d’ailleurs que la peinture non figurative qui n’a pas de modèle pouvant servir de repère à d’autres lectures centrées sur le même objet. Seulement, lorsque le cinéma s’appuie sur un récit historique (comme celui de Jeanne d’Arc) peut-il disposer d’un référentiel ouvert à plusieurs lectures. Le cinéma incarne un art contemporain où l’œuvre n’a plus son objet – sa partition –  à l’extérieur d’elle-même mais à l’intérieur. Un art clos sur lui-même. Quant au théâtre, à partir du moment où il est filmé, il tend, lui aussi, à suivre cette pente, se figeant sur une interprétation unique ou qui éclipse les autres par sa permanence. A la différence du dramaturge, le cinéaste prétend tout contrôler une fois pour toutes et imposer sa lecture toute contingente qu’elle soit.

Le théâtre était une école de la récurrence et du recommencement périodique, la pièce renaissant avec de nouveaux comédiens, une nouvelle mise en scène, de nouveaux décors tout en restant quelque part elle-même. C’était au demeurant une clef pour comprendre l’Histoire et le modèle ne différait guère de celui de la science. Avec le cinéma, il y a divorce de l’art d’avec la science, en ce que le cinéma bascule vers la contingence.

Est-ce que la dualité est pour autant évacuée du cinéma ? Le rapport entre le cinéaste et son équipe n’en est pas moins fortement marqué. D’un côté un maître d’œuvre qui a la main sur tout et de l’autre des gens qui ont chacun une tâche spécifique sans véritable vue de l’ensemble lequel d’ailleurs ne prend forme souvent qu’en dernière instance. Certes, mais il n’en reste pas moins que l’œuvre théâtrale transcendait ses différents interprètes tandis que l’œuvre cinématographique tend à devenir unitaire : une seule version, un seul visage pour chaque rôle. Le comédien fait pendant à l’auteur au lieu de n’être, comme au théâtre, qu’un personnage interchangeable face à un auteur à la présence permanente.

Ce cinéma né à l’aube du XXe siècle nous semble, à merveille, personnifier toutes les dérives totalitaires et égalitaires de ce siècle, il incarne un siècle qui ignore la partition qui se joue et se contente de rester en surface, au nom d’une phénoménologie directement héritée de cette (con)fusion entre le nécessaire et le contingent.

Le divorce entre le public et l’art contemporain tient à cette perte de l’histoire sous-jacente : plus de sujet identifiable chez le peintre voire chez le sculpteur, plus de partition chez le compositeur, que l’on puisse s’approprier. Le cinéma est par excellence le refus de la part de l’auteur de laisser l’autre s’approprier l’œuvre et en quelque sorte d’y entrer.

Nous mêmes, en tant que compositeur de musique pour piano, à nos heures, nous refusons toute partition donc toute imitation. Notre improvisation est enregistrée et doit exister en tant que telle, elle n’a pas à être rejouée par quiconque pas même par son auteur qui est condamné, en une fuite en avant, à produire toujours d’autres oeuvres tout aussi hermétiquement closes. Mais, apparemment, ce qui choque dans la musique et dans la peinture contemporaines est accepté au niveau du cinéma, théâtre sans texte disponible qui permettrait d’être rejoué autrement.

Il est vrai que le cinéma reste fondamentalement figuratif, il représente des personnes, des lieux : s’il ne s’appuie pas sur une histoire connue, il s’inscrit bel et bien dans une sociologie identifiable.

C’est en fait notre société qui est la partition du film et chaque film ne fait que rejouer la même comédie humaine. Le cinéma ne serait fait que d’un seul et unique film aux infinies variations et chaque cinéaste n’en serait que l’un des multiples interprètes.

La “partition” de ce film unique n’est jamais que celle qui met face à face l’homme et la femme et quelques autres clivages comme ceux de l’étranger, de la machine (2001, Odyssée de l’espace). En ce sens, le réel dont le film est le reflet appartient aux sciences de l’Homme et nous ne sommes guère loin dès lors de ces natures mortes ou de ces portraits légués par les peintres figuratifs.

En définitive, le cinéma nous apparaît bien au contraire comme le refuge de cette dualité en art. Chaque spectateur peut allègrement se projeter dans le film. Oublions l’histoire plus ou moins pittoresque qui est racontée pour nous intéresser à cette humanité engagée dans une structure spatio-temporelle largement immuable mais se prêtant à tant de lectures.

Face au compositeur enfermé dans sa tour d’ivoire et confisquant toute interprétation à son seul bénéfice ou à celui de ses sbires, face au peintre qui ne fournit plus les clefs de son inspiration et brouille les pistes, le cinéaste, lui, se contente de gloser sur un monde qui nous est familier et qui est nous-même. On pourrait dès lors penser que le texte de la pièce de théâtre ne faisait que faire obstacle, écran, entre nous et le monde. Le dramaturge d’autrefois pesait d’un poids beaucoup plus lourd que le cinéaste : c’était son texte qui était interprété et non le monde. C’était un démiurge.

Le cinéma a évacué ce sacro-saint texte auquel nous n’avons plus accès – le texte, la partition, le modèle sont morts  : il ne reste plus qu’un miroir tendu à chaque spectateur. Il y aurait donc eu involution : d’un côté des oeuvres musicales, picturales, qui parviennent à un sommet d’abstraction, à un paroxysme d’évolution et de l’autre – clivage socioculturel majeur – une régression qui renvoie l’homme à une réalité brute indéfiniment reproduite de film en film.

Au cinéma, l’on n’a plus à apprendre à reconnaître l’œuvre à travers tous ses avatars et ses manifestations et interprétations, au cours des années et des siècles, mais l’on peut suivre tel comédien/ acteur sous tous ses rôles et déguisements, d’où la nécessité de ce fil d’Ariane du star system (cf. aussi la série télévisée) qui reste le fondement de la culture cinéma/téléfilm comme si on suivait ses aventures d’un film à l’autre....

II – L’image de la femme dans le cinéma de la Nouvelle Vague.

La fin des années Cinquante et le début des années Soixante voit apparaître ce qu’on appellera à l’époque, la Nouvelle Vague, avec des cinéastes comme Resnais, Vadim, Chabrol, Godard, Truffaut, Roehmer, Melville et quelques autres souvent liés à la revue des Cahiers du Cinéma. Plusieurs des films de ces auteurs remportèrent alors des prix, lors de festivals, notamment à Cannes et à Venise.

Quelles étaient donc les particularités de ce cinéma, par delà un renouvellement du jeu d’acteurs, des prises à l’extérieur ?. Nous pensons que l’élément le plus fort et qui ne nous semble pas avoir été jusqu’ici désigné comme tel – on est dans le non-dit – concerne l’image de la femme et disons-le une certaine fascination ainsi exprimée à son égard, ce qui ne ressort évidemment que par comparaison avec la production qui précéda et qui suivit la Nouvelle Vague.

Selon nous, quelque chose de l’ordre du refoulé pouvait enfin se manifester chez ces cinéastes-hommes, disant enfin tout haut ce que leurs congénères pensaient tout bas et c’était à propos de la femme. D’où un titre significatif : Et Dieu créa la femme de Roger Vadim (1956) avec Brigitte Bardot, dans le rôle de Juliette. “Vadim impose avec Brigitte Bardot, un nouveau type de femme moderne libre des mouvements de son corps et de l’élan de ses désirs, à cent lieues des stéréotypes antérieurs du cinéma français” (Dictionnaire des films, Dir. B. Rapp & J. Cl. Lamy, Paris, Larousse, 1999, p, 435). Mais le phénomène ne se réduit nullement à B. B. et encore moins à Vadim, son époux.

Selon nous, la femme est présentée, de façon quelque peu caricaturale, à la limite de la misogynie d’un Hervé Bazin (notamment son roman, Vipère au point, 1948, avec le personnage de Folcoche, qui sera interprété par la suite par Alice Sapritch),  comme une force de la nature qui vient piétiner et perturber le monde des hommes et on est là aux antipodes d’une idéologie qui plus tard tendra à l’emporter et qui en gommera les aspérités et la banalisera. Probablement, c’est le en costumes de François Truffaut, Jules et Jim (1962), avec Jeanne Moreau qui est le plus frappant quant à cette image ainsi projetée, c’est le cas de le dire, d’une femme qui apparaît en quelque sorte comme l’instrument du destin. Le film, à la fameuse ritournelle “J’ai la mémoire qui flanche, j’me souviens plus très bien etc.”, se conclut sur une Catherine désinvolte prenant dans sa voiture Jim et l'entraînant ainsi délibérément vers la mort. La femme est en effet souvent, dans ces films, celle par qui le scandale arrive et objet de discorde entre les hommes. Dans les Cousins (1959), Chabrol place une jeune femme, jouée par Juliette Mayniel, désirée par les deux cousins, joués par Brialy et Gérard Blain et qui aboutit à la mort – accidentelle – du second. Dans son premier film, les Mistons (1958), Truffaut avait montré la fascination exercée par le personnage joué par Bernadette Lafont, sur une bande de jeune garçons, littéralement hypnotisés..

Ainsi, dans A bout de souffle de Jean-Luc Godard (1960), Michel Poiccard, interprété par Jean-Paul Belmondo est-il trahi par Patricia Franchini, jouée par l’américaine Jean Seberg. Elle lui explique à la fin qu’en le trahissant, elle s’était ainsi prouvé qu’elle ne l’aimait pas, ce qui plonge son partenaire dans un abîme de perplexité, une sorte de saturation – il est littéralement à bout de souffle – qui le conduit à se faire tuer par un policier. D’une façon plus légère, un autre film de Godard, Une femme est une femme (1960), au titre ô combien révélateur, s'achève sur ce dialogue : “tu es infâme” dit l’homme, joué par Jeant-Claude Brialy ; “non, je suis une femme” réplique la femme, prête à tout pour qu’on lui fasse un enfant, jouée par Anna Karina. Dans le Mépris (1963) de Godard, on voit le personnage joué par Michel Piccoli torturé moralement par ce mépris exprimé par sa femme, Camille (Brigitte Bardot), cette dernière mourant dans un accident en compagnie d’un autre homme. Dans Tirez sur le pianiste (1960) de Truffaut, les femmes marquent profondément le destin du personnage joué par Charles Aznavour. On retrouve encore le personnage fatal de la femme (jouée par Bernadette Lafont) dans le film de Claude Chabrol, le Beau Serge (1959) avec les mêmes acteurs masculins qui joueront dans les Cousins ainsi que dans Lola (1961), de Jacques Demy, dont le rôle titre est interprété par Anouk Aimée.

Dans Hiroshima mon amour (1959) d’Alain Resnais, Emmanuelle Riva est le personnage principal, pris entre une aventure avec un soldat allemand, sous l’Occupation et un japonais évoquant la bombe d’Hiroshima. On retrouve Emmanuelle Riva dans un personnage de tentatrice, dans le film de Jean-Pierre Melville, Léon Morin prêtre (1961), en personnage de tentatrice, voulant le faire quitter le droit chemin, celui de sa vocation, face à un jeune abbé. Bref, gare à l’homme qui rencontre une femme sur son chemin. Par sa personnalité, la femme, dans le Cinéma de la Nouvelle Vague, est un défi à tout, elle offre un aspect diabolique, sa rencontre est fatale, constitue une épreuve. Dans le Doulos (1962) de Melville, on apprend tout à la fin du film que, malgré les apparences, ce n’est pas l’homme, joué par Belmondo, qui est le traître mais la femme (jouée par Fabienne Dali).

Il faudrait encore citer Rocco et ses Frères (1960) de Luchino Visconti, film franco-italien de Visconti, pour le personnage de Nadia joué par Annie Girardot qui est la cause de l’affrontement, comme dans Et Dieu créa la femme, entre deux frères, Rocco étant interprété par Alain Delon.

Avec le recul, quarante ans après, on regarde ses films comme marqués par un certain exotisme et d’ailleurs, il semble bien que le cinéma français n’offre plus de rôles féminins de la même envergure qu’à la fin des années Cinquante, climat que l’on retrouve encore dans les films d’Eric Roehmer, comme la Collectionneuse (1967), au titre édifiant, avec Haydée Politoff. Peut-être aussi dans le Belle de jour (1967) de Luis Bunuel, avec un personnage ô combien tourmenté, interprété par une Catherine Deneuve qui jouera en 1969 dans le film de Truffaut, La Sirène du Mississipi, aux côtés de Belmondo, un personnage envoûtant. Il en était de même de cette femme, véritable Parque, de La Mariée était en noir, du même Truffaut. (1967) avec Julie – Jeanne Moreau.  En 1969, Chabrol avait signé un film intitulé La femme infidèle, avec Stéphane Audran, épouse du cinéaste, dans le personnage féminin volage mais une happy end permettait au couple de se ressouder.

Ainsi, le phénomène Nouvelle Vague s’articule-t-il, selon nous, autour de l’idée d’une sorte d'Hélène de Troie, source de catastrophes et en tout cas de drames, un personnage somme toute assez monstrueux, c’est à dire littéralement que l’on montre, que l’on met en scène. C’est probablement ce qui a séduit le public auquel on offrait ainsi une sorte de catharsis en mettant au pilori un être ainsi à la fois mythifié par le cinéma et désormais, par ce passage à l’acte,  démystifié, exorcisé  : une Ève hystérique entraînant les hommes à leur perte. Il y a là comme un règlement de compte, comme une invite à un défoulement collectif, par le truchement du cinéma, générant du drame devenu psychodrame. C’est de cela – de cette dénonciation – que le public aura été reconnaissant envers cette Nouvelle Vague, comme si on avait soulevé une chape de plomb, mettant fin à une certaine langue de bois..

L’évolution des rôles d’un Jean-Paul Belmondo nous semble bien souligner la fin de cette période où la femme constitue la clef de voûte des films. D’ailleurs, une Brigitte Bardot ne mettra-t-elle pas fin prématurément à sa carrière ? Quant à Belmondo – acteur et personnage – il ne se confrontera plus tant à des femmes qu’à des hommes, la femme n’est plus un adversaire, un enjeu significatifs comme elle l’est d’ailleurs dans les films de James Bond. Dans un film de Melville, comme le Cercle Rouge ( dès 1970), les femmes ne sont nullement au centre de l’action, c’est un film d’hommes où les femmes ne sont que de pâles comparses joués par des comédiennes de second plan. On est loin de Léon Morin prêtre ! Une Simone Signoret, déjà vieillie et marquée, dans l’Armée des Ombres (1969) du même Melville, symbolise l’évolution du personnage féminin, dix ans après.

Certes, on n’a pas attendu la Nouvelle Vague pour que les hommes se disputent les femmes. Mais celles-ci n’étaient souvent que des objets passifs de convoitise, elles ne mettaient pas de l’huile sur le feu. Dans la période qui nous intéresse, la femme entraîne les hommes dans son propre destin, dans sa folie, comme le montre de façon emblématique et symbolique le film Jules et Jim de Truffaut.

Un homme aux prises avec la femme, vamp, personnage diabolisé, qui le conduit à sa perte, qui lui fait perdre la tête, dont Marléne Dietrich pourrait être l’archétype, dans La Femme et le Pantin (1935) de Josef von Sternberg.(en anglais, The Devil is a woman), à la suite de l’Ange Bleu (1930), qui exposait la déchéance par l’amour subie par l’homme au contact de la femme. Mais la Marylin Monroe des Misfits (1961) de John Huston, évoluant entre plusieurs hommes, dans une sorte de fuite en avant, n’est-elle pas exactement contemporaine de la Nouvelle Vague ?

Le cinéma, depuis belle lurette, se garde bien de montrer la femme comme un être excentrique et inclassable, cela nuirait à l’idéologie régnante de la femme responsable et interchangeable avec l’homme. Il serait peut être sain – même si cela ne serait pas politiquement correct – de refaire des films qui démasquent la femme qui, fondamentalement n’a pas changé, un film comme The Hours semble aller dans ce sens. Cela contribuerait au demeurant à libérer la femme d’un certain carcan et lui permettrait de renouer avec une certaine mythologie.

Il nous semble, en effet, que cette image de la femme un peu fofolle ou tentatrice ne soit plus de mise dans le cinéma français tout simplement parce que la société renvoie une autre image de la femme, plus responsable. L’ère de la femme enfant est révolue. La femme plus en phase avec la société tend à perdre de son magnétisme.. La femme des trente dernières années du XXe siècle est plus raisonnable, plus sage – du fait du divorce de plus en plus probable au cours de son existence, ce qui la rend plus autonome – elle n’est plus encline à commettre des actes gratuits, moins irresponsable, elle se met moins en faute, parfois victime, et donc c’est une autre race de comédiennes qui est recrutée. Auparavant, la femme n’avait d’autre arme pour conquérir l’homme dont elle avait besoin, psychiquement sinon matériellement, que son charme ; aujourd’hui, sevrée, elle n’a plus besoin de l’homme, elle perd donc de sa fascination qu’elle n’exerce plus comme avant, elle pèse moins sur sa vie et le cinéma, miroir de la société, s’en ressent.

Cependant, le cinéma, ces dernières années, semble avoir trouvé une voie détournée pour changer l’image de la femme : il propose des couples où la femme est beaucoup plus jeune que l’homme, ce qui permet à celle-ci, de facto, de jouer, littéralement, ce rôle de la femme-enfant. Il est remarquable que ce soient des cinéastes femmes françaises qui souvent campent des rencontres entre un homme d’un certain âge et une jeune femme encore que le cinéma américain nous ait aussi récemment proposé ce cas de figure. À l’époque de la Nouvelle Vague, l’homme et la femme avaient le même âge. De nos jours, en raison d’un certain Surmoi qui exige une égalité comportementale, la seule façon de poser la différence entre l’Homme et la Femme, c’est de la transposer en une différence d’âge, l’âge restant un des rares clivages qui soit encore respecté.. Quand la femme est nettement plus jeune que l’Homme, elle se sent en droit de laisser cours à une certaine fantaisie, de son âge sinon de son sexe. Un film français récent, Le Cœur des Hommes, de Marc Esposito, montre un homme, joué par Gérard Darmon, quittant l’épouse de son âge pour vivre avec une femme beaucoup plus jeune. Voilà qui dénote bien un malaise quant à l’identité féminine qui ne parvient plus à être pensée que par un tel biais.

JH – le 16.05 03

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