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ou la machine � broyer les clivages |
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� Jacques Halbronn � Alors que le deuxi�me volet de la trilogie Matrix � Matrix reloaded � des fr�res Wachowski sort en ce moment, on est conduit � se demander dans quelle mesure ce film de science fiction est porteur ou non d�une vision d�avenir cr�dible, qu�elle soit ou non rassurante ou si on ne fait qu�y v�hiculer les pr�jug�s de notre temps. Si l�id�e du risque d�une prise de pouvoir par les machines nous semble en effet tout fait pertinente � elle est d�j� esquiss�e dans 2001, Odyss�e de l�Espace, en revanche, la repr�sentation de la soci�t� humaine, telle qu�elle est fournie en ce qui concerne la cit� souterraine de Sion � nom qui bien entendu a une connotation biblique � nous semble peu �labor�e et assez significative du manque de consciencialit� actuelle des m�canismes sociaux qui permettent � l�Humanit� d��tre ce qu�elle est. Un autre probl�me qui est le corollaire, selon nous, d�une telle carence concerne la fa�on dont cette m�me soci�t� se situe par rapport � son propre futur, articul� notamment sur un processus proph�tique. Sur le premier point, le fonctionnement de Sion est typique de l�image que le cin�ma am�ricain veut donner de la soci�t� contemporaine, avec un m�lange syst�matique des signifiants raciaux et sexuels. Aucune diff�renciation de l�homme et de la femme, du blanc et du noir n�est envisag�e. Le seul clivage qui semble de rigueur dans cette soci�t� serait celui entre les jeunes et les vieux, le pouvoir semblant �tre le fait de personnes, hommes ou femmes, d�un �ge certain, ce qui pourrait s�assimiler � une forme de g�rontocratie. Comment s��tonner, au vrai, de l�importance ainsi accord�e � l��ge dans une soci�t� qui nie la l�gitimit� sociale de tout autre crit�re�: l��ge n�est-il pas une donn�e quantifiable, mesurable, outre le fait qu�elle offre une certaine lisibilit�/visibilit�? L��ge nous appara�t comme �le� clivage reconnaissable, admissible, incontournable, pour une soci�t� qui a perdu par ailleurs ses rep�res (cf. notre �tude sur la femme dans le Cin�ma de la Nouvelle Vague) et il semble qu�il y ait une tendance � repr�senter tous les clivages par ce biais chiffr�. Certes, l�opposition qui est mise en avant est-elle celle de l�humanit� face � la machine, cette derni�re, au demeurant, �tant parfaitement capable de r�pliquer l�humain, ce qui n�est pas sans �voquer Blade Runner de Ridley Scott, avec sa chasse aux r�pliquants. Il n�emp�che que, de notre point de vue, la soci�t� de Sion nous semble avant tout marqu�e par un certain individualisme faisant abstraction de ce que nous avons appel� les signifiants sociaux (cf. notre �tude sur le site http://ramkat.free.fr). Il y a certes une hi�rarchie militaire, � l��uvre mais elle n�est nullement li� � un quelconque signifiant social, c�est � dire � une appartenance h�r�ditaire, de longue date, c�est le grade qui donne l�autorit� et c�est une affaire apparemment purement au cas par cas. Les capitaines ou les conseillers y sont indiff�remment hommes ou femmes. On dira que Sion est la caricature de notre soci�t� actuelle, en ce qu�elle projette certains fantasmes �galitaires dans notre futur. On comprend d�ailleurs mieux, ainsi, pourquoi l�humanit� ainsi mise en sc�ne a perdu le pouvoir au profit des machines et des programmes�! En effet, cette fa�on de manipuler � volont� le signifiant, ce qui conduit � sa pr�carit�, est propre au monde technologique lequel, avec la r�volution industrielle, a d�j� fortement chang� les comportements alors que l�humanit� est organis�e sur un rapport signifiant/signifi� �lourd� et o� les signifiants ne sont pas interchangeables car ils correspondent � des fonctions enracin�es dans la psych� et l�Inconscient collectif, les signifi�s. Ce qui nous am�ne au second point, le poids des proph�ties dans la repr�sentation que Sion se fait de son avenir, le nom de Sion nous renvoyant en quelque sorte aux proph�tes des Ecritures. On nous parle du destin propre � chaque individu, de la n�cessit� pour chacun d�assumer un certain r�le, une certaine mission qui aurait �t� pr�vue on ne sait trop par qui, autrement dit, on en reste � une vision individuelle, chaque �tre humain n��tant pr�cis�ment d�fini que par la t�che qui lui est impartie, en dehors de toute r�f�rence � un quelconque signifiant social dont il pourrait d�pendre. Il y a l� une conception du futur que nous qualifierions volontiers de d�cadente, d�une humanit� dont le destin se d�cide ailleurs. Double ali�nation donc�: face � la machine envahissante et dominatrice et face � un Mektoub, instance transcendantale, qui s�occuperait de chacun en particulier. Or, c�est pr�cis�ment, en raison m�me de cet individualisme que chaque �tre humain en particulier se trouve d�boussol�, d�o� l�importance accord�e, par Matrix, � la femme-Oracle, sorte de diseuse de bonne aventure que l�Elu, N�o, the one, va p�riodiquement consulter. Au demeurant, il semblerait que l�informatique vienne renforcer la conception selon laquelle chaque individu aurait un destin propre dont seul celui qui aurait acc�s au bon programme pourrait prendre connaissance. N�ayant pas vu le troisi�me volet de Matrix, qui, bien que d�j� tourn�, ne sortira qu�en novembre 2003, nous serions curieux de savoir quelle nouvelle soci�t� nous sera, � la fin, propos�e et annonc�e. Nous ne nous faisons pas beaucoup d�illusion � ce sujet. Dans le deuxi�me volet, on accorde une extr�me importance au couple, � la force de l�amour entre N�o et sa compagne, comme si l�on voulait nous faire croire que ce serait l� la v�ritable force de l�Humanit� face � la machine. On pense au Cinqui�me El�ment de Luc Besson, autre film de science fiction, qui met aussi l�accent, au final, sur la puissance de l�amour dont le personnage jou� par Mila Jovovic a un si grand besoin. C�est un peu la tarte � la cr�me qui tient lieu de toute philosophie, de toute anthropologie sociale�! En fait, Matrix nous servirait plut�t de repoussoir, d�exemple � ne pas suivre en mati�re de science fiction, ce qui montre bien d�ailleurs que faire de la science fiction sans s�inspirer d�une anthropologie de pointe, comme c�est le cas, en revanche, au niveau technologique, c�est se condamner au ridicule et � une sorte d�anachronisme � l�envers, par projection d�un certain ethno-savoir forc�ment d�suet (cf. notre �tude�: Ethno-savoir et divination sur ce site.). L�id�e �galement ressass�e dans le film par Morpheus, jou� par l�acteur noir am�ricain Lawrence Fishburne, qu�il n�y a pas de hasard, que chaque d�tail compte et correspond � une n�cessit� fait partie d�un tel arsenal vou� � la caducit�. Nous pensons, en effet, que l�humanit� de demain ne pourra faire l��conomie des signifiants sociaux et saura distinguer le hasard et la n�cessit� car la sur�valuation du hasard est le corollaire de l'exc�s d�importance accord� � l�individu. Le concept de signifiant social qui nous para�t devoir inspirer de futurs sc�narios de films de science fiction implique une certaine relativisation de l�individu au profit de son groupe d�appartenance, on pourrait dire de sa caste avec la notion h�r�ditaire qui s�attache � ce terme. D�s lors, l�individu devient pr�visible dans la mesure m�me o� il �mane d�un groupe dont la fonction est bien d�finie. On n� a plus besoin d�aller d�crypter son destin dans quelque pi�ce secr�te, quelque source, pour reprendre la terminologie de Matrix, le mot d�ailleurs, soulignons-le, �tant emprunt� au fran�ais, puisque c�est le m�me dans les deux langues. On comprend ainsi comment la notion de futur individuel est intimement li�e � celle de structuration sociale. Si nous devions r��crire le sc�nario de Matrix, nous sugg�rerions pr�cis�ment une telle prise de conscience de la part de l�humanit� et ce ne serait qu�� ce prix que la dite humanit� parviendrait � se relever et � prendre l�avantage. Soci�t� fort peu consciencialis�e que celle de Sion, qui ignore son propre mode de fonctionnement ancestral pour ne plus se conformer finalement qu�au diktat des ordinateurs et des machines. C�est pr�cis�ment en se ressour�ant dans un ancien ordre mill�naire des choses que l�Humanit� trouverait son salut. Avec Matrix, le retour � la Source s�arr�te � la rencontre avec l�Architecte qui a tout programm�, une sorte de dieu au petit pied, alors que l�humanit� devrait retrouver le plan d�organisation sociale spatio-temporelle qu�elle s�est donn�e � elle-m�me et qui lui permettrait de se r�g�n�rer et de ne pas se placer sous le joug de cette machine qui est suppos�e �tre � son service. Mais la question qui reste pos�e est la suivante �:o� commence l��tat de machine et son corollaire o� commence l��tat de mort�?. Est-ce que la sexuation n�est pas d�j� le d�part d�une certaine technologie, et de l� quelle est la place de la femme�? On ne sera donc pas surpris que nous regrettions que le film n�offre aucune esquisse de r�flexion sur la fonction f�minine, � part la force de l�amour, terriblement romantique, ni d�ailleurs sur la fonction juive, en d�pit du recours au nom de Sion et au proph�tisme. (cf notre �tude science, conscience, inconscience, sur le site Faculte-anthropologie.fr). En fait, il s�agit bien l� d�un tabou de notre soci�t� actuelle qu�elle projette sur sa repr�sentation du futur. Dans Matrix, une part importante est conf�r�e aux pouvoirs sp�ciaux des mutants, comme dans la s�rie X men, dont le volet n�2 est sorti il y a peu, ce qui fait ipso facto appel aux effets sp�ciaux. Qu�est-ce au final que N�o, sinon Superman, comme cela est flagrant dans Matrix reloaded�? L�avenir serait donc aux mutants- sorte de fuite en avant - encore que ceux-ci soient tenus en suspicion, th�me pr�cis�ment de X men 2. Nous croyons, au contraire, que l�avenir passe par la mise en �vidence de la structure profonde de notre soci�t� humaine et il est navrant de constater le faible apport des sciences de l�Homme dans nos repr�sentations populaires. Nous pensons qu�il y a une synth�se � entreprendre entre Marx et Freud, id�e qui n�est pas nouvelle, il est vrai mais qui ne semble pas encore avoir �t� men�e � bien. Il s�agirait de montrer que les instances d�finies par Freud impliquent un certain ordre social, soit une soci�t� cliv�e et non d�un seul bloc, qui en conditionne le bon fonctionnement. Il est remarquable qu�il y ait un tel blocage � donner sens � des distinctions certes archa�ques mais constitutives de la civilisation humaine pour ne plus s�int�resser qu�� des fonctions individuelles improvis�es. C�est en se r�conciliant avec son pass� que l�humanit� pourra trouver son �quilibre et assurer son avenir. On est loin en tout cas avec Matrix de la Plan�te des Singes, autre film culte de science fiction, dont deux versions existent, � partir d�un roman du fran�ais Pierre Boulle. Dans ce cas, l�humanit� est �galement tomb�e en esclavage mais ce sont les singes qui ont pris le pouvoir et non les machines. En r�alit�, les singes, selon nous, correspondent ici aux noirs, au Black Power. Ce qui nourrit en fait l�angoisse, c�est la similitude de l�autre. Dans 2001 Odyss�e de l�Espace, la menace venait d�un ordinateur sans autre apparence humaine que la voix. Avec Matrix, la machine se pr�sente � l�image de l�Homme, elle n�en est que plus redoutable et plus inqui�tante au point d�ailleurs qu�on ne sache plus vraiment � la fin qui est qui. Cauchemar du mim�tisme qui brouille la perception des signifiants sociaux. Mais n�est-ce pas l� un probl�me vieux comme le monde que le fait de se faire passer pour l�autre, quitte � finir par le remplacer�? Certains y voient d�ailleurs la marque du progr�s. Le film d�ailleurs accorde une large place, spectaculaire, aux clones, comme dans l��pisode II de la Guerre des Etoiles. Le m�me personnage, dans Matrix reloaded, Smith, peut se d�multiplier � l�identique. On est dans l�auto-imitation. Ce qui sauve, en fin de compte, l�humanit�, c�est sa capacit� cr�atrice � se renouveler�: les machines ont imit� les hommes � un certain stade de leur �volution mais l�humanit� a poursuivi sur sa lanc�e et, dans Matrix, face aux mutants dou�s de super-pouvoirs les machines sont surclass�es, elles qui contr�lent plus la quantit� que la qualit�. Un autre sc�nario est �videmment celui de l�invasion d�extra-terrestres mais avec Matrix, le danger vient de l�humanit� elle-m�me d�pass�e par sa propre cr�ation qui lui �chappe. En ce sens, l�Homme se retrouve Cr�ateur face � sa Cr�ation � l�image du Dieu de la Gen�se. � JH � Le 16.05.03 |
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