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Les penseurs de l'Islam

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Tous droits réservés, BNF
Ibn Rusd dit Averro�s, Talhis kitab al-nafs � Commentaire moyen sur le Trait� de l��me d�Aristote. (Parchemin)
Copie reproduisant le texte arabe en caract�res h�breux, Saragosse, 1402. Paris, BnF.
Averro�s
Ab� W�lid Muhammad ibn Ahmad ibn Muhammad ibn Rushd



M�decin et juriste
520/1126 � 595/1198









Premi�re parution, 1974, compl�t� et corrig� d'apr�s l'article de L'Encyclop�die Universelle consacr� � Averro�s, publication originale par Hommes et faits, Lierre et Coudrier �diteur, juillet 2001
Illel Kieser 'l Baz

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En Islam, la philosophie inspir�e des Grecs ��la falsafa�� a eu une histoire complexe. Int�grant d�s le d�but des �l�ments vari�s � son aristot�lisme n�o-platonisant, elle culmine en Orient avec Avicenne � Ibn Sin� �, dont la pens�e devait conna�tre en Iran des d�veloppements nouveaux. Averro�s � Ibn Rushd � est en sym�trique, le principal philosophe musulman de l'Occident, mais son projet et son destin furent diff�rents.

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Pour Averro�s, la philosophie est uniquement celle d'Aristote, et c'est elle qu'il veut retrouver dans sa puret� en �liminant les interpr�tations qu'en ont donn�es ses pr�d�cesseurs musulmans ��les fal�sifa, ou philosophes�� et m�me les commentateurs grecs. Il se l'approprie avec assez de p�n�tration et de puissance pour construire un syst�me qui porte sa marque personnelle tout en se tenant au plus pr�s d'Aristote.

M�decin et Juriste

Ab� W�lid Muhammad ibn Ahmad ibn Muhammad ibn Rushd � dont le nom devint, pour l'Occident, Averro�s, quand ses �uvres furent traduites en latin � naquit � Cordoue en l'an 520 de l'H�gire, 1126 de l'�re chr�tienne[1].

Cordoue �tait le lieu d'une activit� intellectuelle brillante; la famille d'Averro�s comptait des juristes c�l�bres � notamment son grand-p�re �, et la philosophie chez les musulmans d'Espagne �tait encore vivace, bien que fort suspecte aux th�ologiens et � la foule des croyants. En 565/1169, Averro�s est q�d� � S�ville peu de temps apr�s avoir �t� pr�sent� � l'Emir Ab� ya q�b Y�suf par le philosophe Ibn Tufayl. Vers 567/1171, il est � Cordoue, probablement encore comme q�d�. En 578/1182, il devient � Marrakech, m�decin de Y�suf, en remplacement d'Ibn Tufayl; il remplira les m�mes fonctions aupr�s du successeur de Y�suf, Ab� Y�suf Ya'q�b al-Mans�r. Mais, attaqu� par les tenants d'une orthodoxie religieuse �troite, accus� d�h�r�sie, il tombe en disgr�ce vers 592/1195, et meurt en 595/1198.

Pour avoir quelque id�e de la stature intellectuelle d'Averro�s, il convient de consid�rer l'ensemble de ses �uvres, et notamment de ne pas oublier que ce philosophe fut aussi m�decin et juriste; c'est m�me � ce double titre que s'exer�a sa carri�re officielle, et il �crivit d'abord sur la m�decine et le droit. Vers la quarantaine, il composa en effet un grand trait� m�dical intitul� Kulliyy�t ��G�n�ralit�s, titre qui deviendra Colliget dans les traductions latines��; il y tenait assez pour le remanier sur la fin de sa vie. Parmi ses autres ouvrages de m�decine, on peut citer des commentaires sur divers �crits de Galien et sur un po�me m�dical d'Ibn Sin� ��lui aussi m�decin et philosophe��. De la m�me �poque que les Kulliyy�t date le Bidaya, ouvrage consacr� � des questions discut�es en mati�re de fiqh � droit, au sens musulman, selon lequel le religieux et le juridique ne se dissocient pas �, et qui lui a valu une certaine r�putation en ce domaine. Cela dit, et une fois signal� qu'il a aussi trait� d'astronomie et de grammaire, il est certain que le meilleur de la gloire et du g�nie d'Averro�s se fonde et se manifeste en ses �crits philosophiques.

Averro�s et Aristote

C'est surtout comme commentateur d'Aristote qu'Averro�s fut connu des latins : il est pour eux �le Commentateur�, comme Aristote est �le Philosophe�.

Dante le pr�sente, dans les limbes, au milieu d'autres philosophes et savants�: ��Averro�s, qui fit le grand commentaire�� � Inferno IV, 144. C'est aussi de cette fa�on qu'il commen�a sa carri�re de philosophe : � l'occasion de sa pr�sentation � Abu Ya q�b Y�suf par Ibn Tufayl, Averro�s fut sollicit� par l'�mir de commenter les ouvrages d'Aristote. Il se mit aussit�t � l��uvre, et en une vingtaine d'ann�es �crivit sur presque tous les trait�s du corpus aristot�licien. Le nom g�n�rique de commentaire en couvre trois esp�ces distinctes :

� le petit commentaire, abr�g�, ou paraphrase, expose la mati�re de l'ouvrage de la fa�on que le commentateur juge la meilleure ;

� le commentaire moyen est une explication assez courte, paragraphe par paragraphe ;

� dans le grand commentaire, Averro�s suit aussi le texte, mais �nonce les probl�mes que suscitent certains passages, rapporte les solutions avanc�es par les commentateurs ant�rieurs, les examine, expose la sienne propre: cela donne lieu � des d�veloppements parfois tr�s longs.

Nous avons des commentaires des trois esp�ces sur quelques unes seulement des �uvres d'Aristote : Seconds Analytiques, Physique, Du Ciel; De l'�me, M�taphysique, on observera que ces cinq trait�s ont une importance toute particuli�re pour la connaissance du p�ripat�tisme. Des autres, on a seulement un commentaire petit ou moyen, ou les deux. Il faut noter d'autre part que beaucoup de ces ouvrages ne nous sont pas connus dans leur langue originelle, mais dans des traductions h�bra�ques ou latines : citons, pour nous en tenir � un exemple, le grand commentaire du Trait� de l'�me, accessible dans sa seule traduction latine � dont le vocabulaire et la syntaxe pleine d'arabismes prouvent l'extr�me litt�ralit�. Le respect d'Averro�s pour Aristote est connu ; c'est une attitude naturelle de la part d'un commentateur. Mais l'�loge qu'il en fait va parfois jusqu'� lui attribuer plus qu'une sup�riorit� contingente, et � conf�rer � son existence une signification proprement exemplaire. Ainsi�:

��Ce point est si difficile que, si Aristote n'en avait pas parl�, il e�t �t� tr�s difficile, impossible peut-�tre, de le d�couvrir � moins qu'il ne f�t trouv� un autre homme comme Aristote. Car je crois que cet homme a �t� une norme dans la nature, un mod�le que la nature a invent� pour faire voir jusqu'o� peut aller la perfection humaine en ces mati�res.�� � grand commentaire du trait� de l'�me, III, 14.

De fait, Averro�s est un aristot�licien fid�le, le plus fid�le sans doute de tous les grands m�di�vaux. Si sa propre pens�e, form�e en des temps et des lieux tr�s diff�rents de ceux du Philosophe, s'en d�tache en certains points, elle s'appuie toujours sur des principes authentiquement aristot�liciens. Et, � travers ces commentaires Averro�s poursuivra sa propre voie qui sera d�associer la philosophie et la religion, l�intellect et la foi. C�est ce qui lui vaudra d�ailleurs sa disgr�ce.

Philosophie et Religion

Ici appara�t aussit�t un probl�me : comment Averro�s peut-il �tre � la fois musulman et aristot�licien, juriste traitant d'obligations fond�es sur un texte r�v�l� et philosophe pour qui le monde est �ternel ? Averro�s devra souvent s'expliquer sur ce point, notamment dans son Fasl Al-maq�l � trait� d�cisif. Il n'y a pas contradiction entre la philosophie et la loi divine : celle-ci, au contraire, appelle � �tudier rationnellement les choses; d'autre � le vrai ne peut contredire le vrai �. On peut donc se proposer l�gitimement d'� unir le rationnel � manq�l �� et le traditionnel � manq�l � �. Ce programme est possible, parce que la Loi divine a un sens ext�rieur ��batin�� : les hommes capables de science doivent p�n�trer jusqu'� celui-ci et le garder pour eux, les autres se contentant du premier, qui pr�cis�ment leur est destin�. Si les pr�ceptes pratiques s'imposent � tous indistinctement, les comportements doivent n�cessairement diff�rer en mati�re th�orique. La seule attitude qui ne soit pas justifi�e est celle des mutakallim�n ��th�ologiens�� qui, communiquant aux gens du commun des interpr�tations mal fond�es, jettent le trouble dans les esprits; faute de conna�tre les v�ritables m�thodes rationnelles, ils s'en tiennent � des argumentations simplement probables, sur quoi rien de certain ne peut se fonder. Sur ces bases distinctions corr�latives des sens du Coran, des capacit�s intellectuelles et des modes de d�monstration � Averro�s a compos� un ouvrage intitul� D�couverte des m�thodes d�monstratives concernant les Dogmes religieux ��585/1189��. Il y traite de plusieurs points fondamentaux de la foi islamique ��l'existence de Dieu, son unicit�, ses attributs, ses actions...�� en substituant aux formulations et aux arguments des �coles th�ologiques, qu'il critique en d�tail, un expos�, qui fond� sur le seul texte coranique, doit convenir � la fois aux simples et aux savants ��aux aristot�liciens��.

Un exemple fera comprendre cette m�thode. Soit le probl�me de la corpor�it� de Dieu : bien qu'il n'affirme rien de positif sur ce point. Le Coran semble sugg�rer que le Cr�ateur a un corps. Certains mutakallim�n ont pr�tendu prouver qu'il en �tait rien; mais leurs d�monstrations ne sont pas solides; d'autre part, � dire aux gens du commun que Dieu est sans corps, on risque fort de leur faire conclure qu'il n'existe pas. La meilleure attitude consiste � ne pas aller plus loin que la Loi, c'est-�-dire � attribuer � Dieu ni la corpor�it� ni l'incorpor�it�. Et si l'on de mande ce qu'il est, il faut, se r�f�rant au texte r�v�l� et � la tradition du Proph�te, dire que Dieu est lumi�re. Ainsi on ne s'�carte pas de la Loi; on signifie aux gens du commun une existence r�elle et particuli�rement noble; on rappelle aux savants que leur intelligence est aussi incapable de saisir Dieu que les yeux des chauves-souris le sont de voir le soleil ��allusion � Aristote : M�taphysique, II, 1, 993 B, 9-11��.

Dans l'ensemble de ce trait�, Averro�s appara�t au point de convergence de trois perspectives doctrinales : la th�ologie musulmane, qu'il refuse mais qu'il conna�t assez � fond pour la critiquer de l'int�rieur; la r�v�lation coranique et la philosophie d'Aristote, qu'il accepte int�gralement l'une et l'autre comme deux expressions diff�rentes de vrai. On aura relev� au passage la comparaison de la chauve-souris : Averro�s ne croit pas que la raison soit capable de saisir tout le contenu de la r�v�lation. Comme il le pr�cise dans un autre ouvrage, l'incapacit� de l'intelligence est double : l'une est relative, propre � une certaine classe d'esprits, et provient soit de la constitution individuelle, soit de l'absence d'instruction individuelle, soit de l'absence d'instruction : l'autre est absolue, et tient � la nature m�me de l'intelligence. On notera que, dans le texte r�sum� ci-dessus. C'est une image tir�e du Philosophe lui-m�me qui illustre cette limitation radicale.

L�ouvrage auquel on vient de faire allusion est une r�plique au grand penseur musulman �L Gaz�l� ��mort en 501/1111��, qui avait �crit un livre destin� � ruiner les doctrines de divers philosophes : le Tah�fut al-fal�sifa ��l'Ecroulement des philosophes��. Averro�s y r�pond en composant, � une date ind�termin�e, son Tah�fut al-tah�fut ��L'�croulement de l'�croulement��. Il cite de longs passages de �L Gaz�li et les r�fute m�thodiquement. Or son but n'est pas de r�habiliter les philosophes critiqu�s ��F�r�bi, Ibn Sin⠖, mais de revenir, au-del� de ces syst�mes que lui-m�me n'admet pas, � l'authentique philosophie aristot�licienne.

Averro�s nous offre ici le bateau d'un monde sans commencement ni fin temporels, o� les sph�res tournent �ternellement parce qu'elles d�pendent de l'activit� �ternelle du Premier Agent.

Ce Dieu d'Aristote agit selon un mode qui n'est ni volontaire ni naturel, mais que la Loi r�v�l�e appelle volont�. Cr�ateur, sa science des �tres existants n'est ni universelle est abstractive et potentielle�� ni particuli�re ��car le particulier, mat�riel et multiple, est sans rapport avec l'unit� de l'intellect divin�� : la science divine est toute diff�rente de la n�tre, par ce que - Averro�s le dit encore dans son grand commentaire sur la M�taphysique, et dans un petit trait� consacr� � la �science �ternelle� elle est la cause de l'existence de l'�tre, et non pas son effet. Dieu conna�t, Dieu cr�e, c'est un tout : son essence cr�atrice est coextensive � la science qu'il a de ses cr�atures. L'identification en Dieu de l'�tre et du �conna�tre� est conforme � la th�ologie aristot�licienne, de m�me que l'�ternit� du monde; en liant ces th�mes � celui de la cr�ation, Averro�s les �claire d'un jour d'un jour qui n'est plus grec, mais coranique, on a vu qu'il se r�f�rait explicitement � la r�v�lation, et qu'il affirmait l'incapacit� de l'intelligence humaine � en saisir le contenu entier. Ainsi la pens�e d'Averro�s appara�t comme un ensemble complexe o� s'enlacent et s'�quilibrent des �l�ments venus d'Aristote et d'autres venus du Coran, d'une fa�on tr�s diff�rente toute fois de ce que sera la scolastique chr�tienne. Averro�s ne plie pas le philosophique au r�v�l� pour b�tir une th�ologie, il fait droit absolument � l'un et � l'autre en les maintenant chacun dans sa sph�re, et cet �cart est la condition de leur accord.

Sa notion de la �Cr�ation� est plus compl�te que celle d'Avicenne. Dieu est le principe de tout le mouvement; mais il n'a cr�� ni la mati�re, �ternelle, ni les formes; rien ne peut passer du n�ant � l'�tre. Tout n'est qu'une immense �volution �ternelle. Averro�s compl�te ces vues aristot�liciennes par le principe n�oplatonicien que l'Un ne peut produire que l'Un. Dieu produit la premi�re Intelligence, d'o� �manent ensuite les Intelligences de toutes les sph�res c�lestes, la plus humble de celles-ci �tant l'Intellect humain, l'humanit� pensante; c'est ce principe qui permet � l'homme de penser, c'est ce principe qui, � la mort de l'homme, subsiste en tant que tel. Par sa th�orie de la connaissance, Averro�s pose ainsi la survie individuelle de l'�me.

Th�orie de la connaissance et b�atitude de l'intellectualiste

Les commentaires du trait� de l��me exposent une th�orie de la connaissance qui exploite les passages, peu clairs, o� Aristote parle des intellects: celui qui re�oit l'intelligible comme le sens re�oit la sensible, et celui qui est la cause de la connaissance. Averro�s explique que, si nous connaissons intellectuellement, c'est parce que les formes recueillies dans l'imagination, et potentiellement intelligibles, le deviennent actuellement sous l'action de l'intellect ��mat�riel�� ainsi nomm� parce qu'il joue ici un r�le analogue � celui de la mati�re; l'expression remonte � Alexandre d'Aprhodise, commentateur grec des iie� iiie si�cles ap. J.-C. Ces deux intellects sont l'un et l'autre �ternels, et uniques pour tous les hommes.[2]

C'est en eux que s'op�re r�ellement la pens�e. �ternelle comme le monde, l'esp�ce humaine fournit sans d�faillance � leur incessante actualit�; bien que les individus meurent, toujours d'autres les remplacent, et si la science vient � manquer en un point de la Terre, on peut �tre assur� qu'elle est en quelque autre : l'Homme, en tant qu'�tre sp�cifique, est toujours n�cessairement ��joint�� aux intellects.[3]

Bien entendu il en va autrement pour les hommes particuliers : la pens�e de chacun est li�e � ses propres images. C'est pourquoi, malgr� l'unicit� des intellects, les pens�es de chaque homme son diff�rentes de celles des autres; cela explique aussi que ma pens�e soit, en un sens, mienne, puisqu'il d�pend de moi de me joindre � l'intellect agent, c'est-�-dire de faire que l'intelligible soit abstrait de mes images. Mais, Aristote l'enseigne, l'imagination est li�e au corps, et meurt avec lui : c'est pourquoi la pens�e individuelle est p�rissable, et apr�s la mort, ��nous ne nous souvenons plus��. Ainsi para�t supprim�e toute croyance en une immortalit� personnelle; toutefois, dans le Tah�fut al-tah�fut, Averro�s rappelle que, selon Aristote, l'alt�ration d'un organe, de l��il par exemple, n'implique pas n�cessairement celle de la facult� correspondante � ici, de la vue���: ce qui laisse supposer que l'intellect n'est pas seul � survivre � la mort du corps. Mais sur la question de l'esprit, l'homme ��n'a re�u que peu de science��, comme le dit un passage du Coran que cite ici Averro�s, et le probl�me reste ouvert. En revanche, la doctrine d'Averro�s est parfaitement nette en ce qui concerne une question d�battue depuis longtemps par les philosophes musulmans : celle de � conjonction � ��ittis�l, continuatio dans les traductions latines�� avec l'intellect agent[4]. Notre auteur s'en explique en plusieurs endroits : dans ses commentaires au trait� de l'�me, et dans trois ��lettres�� consacr�es � cette question. Pour comprendre la fa�on dont nous nous ��acheminions vers la conjonction��, il faut ajouter � ce qu'on a dit plus haut qu'en passant � l'acte, l'intellect mat�riel devient intellect en habitus, c'est-�-dire possession stable de connaissance de concepts, dont le nombre s'accro�t � volont�. Quand sont actualis�s pour nous tous les intelligibles que l'intellect mat�riel �tait potentiellement, ��aussit�t l'intellect agent se joint � nous nous acheminions vers la jonction�� c'est le terme du mouvement vers la conjonction. De quoi s'agit-il au juste ?

La connaissance par abstraction est d�pass�e�: si l'intellect mat�riel requiert de la perfection en pensant des formes engag�es dans la mati�re, il le peut � plus forte raison en pensant des formes immat�rielles, intelligibles par soi ��cela vient encore d'Alexandre d'Aphrodise��. D'autre part, le grand commentaire sur la M�taphysique explique que les substances s�par�es � et l'intellect agent en est une � peuvent �tre connues intellectuellement par nous, bien que ce soit difficile. La � jonction � nous unit donc � l'intelligible pur : c'est alors � la b�atitude �, le grand but, l'immense bonheur; l'homme en cette situation fait le lien entre l'actualit� et l'intelligible et le sensible, puisque c'est en pensant ce dernier qu'il est � de perfection en perfection, de forme en forme �. Averro�s va jusqu'� dire que, selon Th�mistius ��IVe S.��, il est alors � assimil� � Dieu en ce qu'il est et conna�t tous les �tres: car les �tres, et leurs causes, ne sont que la science de Dieu �. Non que pour Averro�s l'intellect agent soit Dieu, comme on l'a cru � tort au Moyen �ge. Mais la jonction � cet intellect �l�ve l'homme au� niveau des substances s�par�es et de l'intelligible pur. Si l'on peut parler ici de mystique, c'est en un sens bien particulier, en rappelant qu'Averro�s critique les soufis pour avoir n�glig� la voie sp�culative, et qu'inversement il place la b�atitude dans la perfection du savoir : on est alors tent� d'�voquer Spinoza. Mais surtout, dans sa D�couverte de la M�thode, Averro�s, rencontrant le probl�me de la vision en Dieu, le r�sout comme il r�sout toutes les questions de ce genre : le Coran et le Proph�te nous ont appris que Dieu est lumi�re; les esprits simples comprennent qu'ils verront Dieu comme on voit le Soleil, et les savants que la b�atitude est accroissement du savoir � cela compl�te et nuance ses premiers expos�s sur ce th�me. Ainsi ce dernier exemple montre � nouveau que, pour Averro�s, la f�licit� supr�me se formule aussi bien en termes emprunt�s � la r�v�lation que dans ceux de la philosophie d'Aristote, selon deux modes distincts et qui doivent le rester.

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Dans le contexte du d�clin de l'empire Arabe, Averro�s combattra les ayatollahs de son �poque mais, suspect� d�h�r�sie, il sera oubli� de l�Islam et sa descendance sera plut�t le fait des philosophes juifs, avec cette volont� de s�parer la philosophie et la croyance � surtout chr�tienne. Cette filiation passera par les Juifs de Catalogne et d�Occitanie. Le Moyen �ge sera ��averro�ste�� et d�couvrira, par son interm�diaire, Aristote. Ernest Renan lui rendra hommage, sans toutefois le comprendre totalement.

La survie de l��uvre de ce penseur est marqu�e par une mauvaise compr�hension de sa pens�e, comme Renan l'a not�. Les sp�cialistes retrouvent progressivement le v�ritable Averro�s, pr�cisant notamment ce que fut sa position religieuse ce qu'il y a sans doute chez lui de plus complexe. Il appara�t comme un philosophe de valeur.

Bibliographie et r�f�rences

Sur Averro�s

� In Le Monde diplomatique, Ao�t 98, ��Un anniversaire oubli�, Averro�s ��1126-1198�� philosophe arabe d'avant-garde��, de Nicolas B�ni�s.

http://www.monde-diplomatique.fr/1998/08/BENIES/10898.html

� Le Monde, 16 octobre 1997, un article de Salman Rushdie.

� Dominique Urvoy, Averro�s, les ambitions d'un intellectuel musulman, Flammarion, coll. ��Les Grandes Biographies��, Paris, 1998, 253 pages, 140 F.

� Roger Arnaldez, Averro�s, un rationaliste en Islam, Balland, coll ��Le Nadir��, Paris, 1998 (2e �dition), 237 pages, 120�F.

� L'intelligence et la Pens�e, sur le De anima d'Averro�s, dans la collection de poche Flammarion, Paris, 1998, 413 pages, 40F. Nouvelle traduction d'Alain de Libera, avec un ensemble de notes permettant de comprendre la logique de l'auteur et un index.

� Le cin�aste �gyptien Youssef Chahine a r�alis� une libre adaptation de la vie d'Averro�s : le Destin, prix sp�cial du festival de Cannes 1997.

Sur la civilisation arabo-islamique

� Andr� Miquel, L�Islam et sa civilisation, Colin, 1990�.

� D. et J. Sourdel, La civilisation de l�Islam classique, Les Grandes Civilisations, Arthaud, 1983.

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[1] � Pour rendre le propos intelligible au plan de l�histoire de l�Islam, nous proc�derons � une double datation, en premier les dates selon le calendrier de l�H�gire.

[2] � C�est ici que la pens�e d�Averro�s nous interpelle. En effet, il s�agit pour nous de rep�rer la mani�re dont chaque philosophe, de quelque civilisation que ce soit, a pu int�grer l�Imaginaire comme fonction agente dans son syst�me. N�oublions pas, l�Islam a, d�s le VIIe s. ap. J.-C. � soit � peine moins d�un si�cle apr�s la mort du Proph�te �, produit un �sot�risme qui aboutira en partie au Soufisme. Or, le Soufisme comme mystique et comme voie de connaissance introduit des rituels qui induisent des transes. Nous devons donc rep�rer la coh�rence qui peut exister dans l�Islam entre l�exot�risme et l��sot�risme.

[3] � Curieux d�tour pour repr�senter l�alliance qui pourrait exister entre l�humanit� � prise ici comme une entit� immuable � et la Nature� Idem en ce qui concerne le concept d�ent�l�chie, donc, d��quilibre que l�on retrouve �galement dans la philosophie tao�ste.

[4] � Nous reviendrons souvent sur cette notion importante tout au long de nos �crits sur l�Imaginaire et l�image.

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