name="Author" content="Jacques Halbronn">

Machines A Sous Gratis
Votez pour nous
La dimension surmo�que
de l'�crit

�

�

Jacques Halbronn, Docteur �s Lettres

�

�

�

�

L�auteur a traduit notamment deux trait�s astrologiques de l�astrologue juif espagnol Abraham Ibn Ezra (1089-1164) � travaux parus aux Ed. Retz, en 1977 � et a consacr� depuis de nombreuses �tudes aux probl�mes de traduction et d�emprunt (parues notamment sur ce site). Par ailleurs, J. Halbronn a acc�s � une bonne dizaine de langues.

�

�

�

De nos jours, on se rend compte, avec l�Internet, que l��crit a une vie qui lui est propre: on re�oit des messages dont on ignore comment celui qui les envoie les prononce, autrement dit, l�oralit� devient un probl�me relativement secondaire. Cela nous conduit � repenser le rapport de l��crit � l�oral.

La langue fran�aise a au demeurant beaucoup � gagner � ce retour � l��crit: il est beaucoup plus facile pour quelqu�un qui ne conna�t que l�anglais ou que l� espagnol, les deux grandes langues dominantes, de comprendre un texte �crit en fran�ais que d��couter un locuteur s�exprimant dans cette langue et vice versa de la part de quelqu�un qui ne conna�trait que le fran�ais. Les langues tendent � mieux communiquer entre elles par le biais de l��crit que par celui de l�oral et en ce sens l�on dira que l��crit est surmo�que.

Surmo�que, en effet, en ce qu�il impose une norme d�barrass�e des fantaisies de l�oral, qui varient au hasard des personnes et des r�gions voire de l�Histoire. Des mots consid�r�s comme �trangers, parce que relevant d�une langue autre, �qui, � l�oral, sont m�connaissables, se r�v�lent tout proches au niveau de l��crit. L��crit rapproche les langues � partir du moment bien entendu o� l�obstacle des alphabets est r�solu, mais il est ais� de mettre en place des logiciels de translit�ration (entre alphabets latins et cyrilliques voire arabes)

Si l��crit est d�essence surmo�que, l�oral en revanche retrouve toute sa dimension mo�que, incarn�e par un autre vecteur de notre temps qu�est le t�l�phone cellulaire (mobile, portable) et qui lui, joue une fonction parfaitement compl�mentaire. Internet et surmoi, Portable et moi. Plus on s��loigne de l��crit pour aller vers l�oral, et plus l�on entre dans des variations qui offrent un champ illimit�. L�oralit� a un fort potentiel diff�renciateur, et produit ais�ment des clivages, qui parfois font oublier que la r�f�rence �crite reste la m�me. L��quilibre se trouve dans un lien �crit/oral qui reste perceptible, l��crit devenant alors le signifi� et l�oral, le signifiant. En �coutant l�autre me parler, je renvoie � un �crit commun, � condition que je sache d�coder les distorsions que l�autre introduit dans son rapport � cet �crit que nous partageons lui et moi. C�est dire que la communication orale exige une certaine gymnastique mentale que l�on tend � sous estimer tant elle devient automatique.

Le fran�ais est une langue qui joue �norm�ment de ce rapport �crit/oral, qui facilite les jeux de mots, les ambigu�t�s phoniques qui cr�ent d�lib�r�ment la confusion l� o� l��crit distingue. Autrement dit, parler le fran�ais, c�est jouer avec son surmoi, c�est prendre des libert�s avec la norme, savoir jusqu�o� on peut aller trop loin. Pr�cisons d�ailleurs que l�oral, ce n�est pas uniquement la parole mais la gestuelle, le mouvement des l�vres, ce que ne permet pas le t�l�phone, portable ou non et en ce sens, la communication t�l�phonique est plus orale encore que la communication non t�l�phonique ou le cin�ma.

En effet, il y a ce que l�on pourrait appeler des expressions muettes de l��crit: on ne prononce pas la lettre mais on la dessine visuellement, c�est d�ailleurs pour cela que les sourds muets apprennent � lire sur les l�vres. Cette dimension visuelle du visage sinon des gestes en g�n�ral est une sorte d�interface entre l��crit et l�oral.

D�s lors que je passe de l��crit � l�oral, j�impose une certaine lecture, une certaine prononciation mais ne serait-il pas souhaitable qu�il y ait un rendu neutre de l��crit, qui ne pr�juge pas de son application et de son usage?

Par exemple, si j�ai le mot �table�, et que je veux le d�signer autrement qu�en pointant mon doigt vers le mot, comment vais-je le prononcer? A la fran�aise ou � l�anglaise? En effet dans ces deux langues, le mot �table� signifie grosso modo la m�me chose mais la prononciation en diff�re sensiblement.

On peut �peler le mot, encore que les fran�ais et les anglais n�appellent pas les lettres exactement de la m�me fa�on. Quoi qu�il en soit, il semble en effet que la seule fa�on de �lire� de l��crit sans basculer dans le labyrinthe de l�oral, demande que l�on �pelle, ce qui pr�serve intactes toutes les potentialit�s du mot �crit.

On pourrait cependant envisager, lors des conf�rences internationales, une fa�on de lire les textes qui soit standardis�e, c�est � dire qu�un italien quand il lirait de l�italien ne le lirait pas...� l�italienne et idem pour tout locuteur dans sa langue. Une sorte d'esp�ranto de l��crit.

Chacun apprendrait � parler dans cet �crit oralis� sans pour autant � avoir � faire l�effort de s�exprimer dans une langue �trang�re. Bien entendu, la compr�hension ne serait pas parfaite du seul fait que l�on passerait par ce mode d�expression mais elle serait en gros �quivalente � celle de la lecture de l��crit, ce qui serait d�j� un grand progr�s.

Imaginons, ainsi , un francophone et un anglophone face � face ou au t�l�phone et s�exprimant dans cet esp�ranto de l��crit, ils s�apercevraient rapidement que pour ce qui est de la moiti� des mots, ce serait la m�me chose � la lumi�re de cet esp�ranto de l��crit. Leur capacit� respective de reconnaissance des mots de l�autre serait sensiblement accrue. Pour cela, il suffirait que chacun �pelle les mots qu�il utilise. Il suffirait de conna�tre la fa�on dont chacun �pelle dans sa propre langue ou de savoir utiliser le mode d���pelage� de son interlocuteur concernant une trentaine de signes.

Il va de soi qu�il existe des machines capables de r�aliser de telles op�rations: si je parle dans cet esp�ranto de l��crit, la machine pourra ais�ment passer � l��crit, l�oral �tant ainsi neutralis�.

Ce qu�un mot veut dire

Pour en revenir au statut surmo�que de la langue, on notera que chez certaines personnes, il leur est tr�s difficile d�accepter qu�un mot ait un sens autre que celui qu�elles ont appris, qu�on leur a enseign�.

Ce d�calage entre le sens appris et le sens que telle personne peut proposer est quelque part �quivalent avec le rapport �crit/oral.

Le d�calage s�mantique fait �galement probl�me: le mot �crit existe au del� de la fa�on dont tel ou tel le prononce mais existe-t-il aussi au del� du sens qu�on veut bien lui conf�rer �tant entendu que ce sens est susceptible de moult variations dans le temps et dans l�espace, d�une langue � une autre? C�est ce que l�on appelle la question des �faux amis� et qui parfois justifie le refuser d�admettre que l�on puisse passer en douceur, voire insensiblement, d�une langue vers une autre.

En tout �tat de cause, il y a de l�ordre du surmo�que � refuser que l�autre puisse user d�un mot autrement que nous, tant phoniquement que s�mantiquement. Une soci�t� a besoin que chacun puisse jouer avec la langue et �tre compris par l�autre, quand bien m�me serait-ce au prix d�un certain effort.

Car, les distorsions s�mantiques ne sont pas plus aberrantes que les distorsions phoniques, elles peuvent �tre assez bien d�crypt�es, m�me si l�on se dit que soi-m�me on n�aurait pas dit les choses ainsi, qu�on a pas appris � le faire. L� encore, question de gymnastique mentale.

Mais peut-on envisager un esp�ranto de l��crit au niveau s�mantique et non plus au niveau phonique? Si j�emploie un mot, puis-je l�appr�hender de fa�on �neutre� ? Les langues s�mitiques ont, � ce sujet, un certain avantage, en ce qu�elles accordent la plus grande importance aux racines, au prix toutefois d�une �vacuation, � l��crit, des voyelles. On comprend mieux ainsi la d�marche des langues s�mitiques qui vise � emp�cher le cloisonnement. Le seul effort de lecture d�un texte non vocalis� exige un �norme effort de s�mantisation en ce qu�il exige que toutes les significations possibles d�un mot �crit donn� soient pass�es en revue dans le contexte consid�r�.

�Cela permet aux locuteurs d�avoir conscience du champ s�mantique, ce qui est moins ais� pour les langues indo-europ�ennes o� le suivi des racines est plus al�atoire, m�me si quelqu'un de cultiv� est capable de rapprocher des sens diff�rents mais relevant d�un m�me radical. Il y a l� probablement un entra�nement s�mantique qui serait � d�velopper dans l�apprentissage de sa propre langue et qui ouvrirait ipso facto vers les autres langues.

En tout �tat de cause, la formation intellectuelle, pouss�e � un certain niveau, d�bouche sur une plus grande aisance dans le maniement des mots, initie � une certaine pratique des n�ologismes, et de leur sens, comme d�ailleurs, souvent, s�accompagne, d�une certaine aptitude � lire des textes �crits en divers langues et donc tend � lib�rer la personne d�un certain carcan surmo�que qui lui dicterait comment on prononce et comment on emploie chaque mot.

Le passage � l�abstraction implique, de toute fa�on, de cerner un signifi� de plus en plus virtuel. Si je parle d�une table, je peux placer une image de table. Si je parle de l�amour, qu�est-ce que je vais mettre? Il ne s�agit pas simplement de recourir � quelque all�gorie, � un symbole. Il s�agit aussi de situer l�amour au sein d�une probl�matique � telle enseigne que le mot amour n�importe plus et qu�il ne fait plus que d�signer, arbitrairement, un �l�ment au sein d�un mod�le.

Ainsi, celui qui est capable de th�oriser parvient ipso facto � se lib�rer, en amont, de la dictature du mot. Car l�acte de penser ne consiste pas � brasser un champ s�mantique mais � se situer au niveau conceptuel, autour d�axes, de dialectiques.

Derri�re l��crit, il y a a priori un champ consensuel encore plus important, qui est celui de ce dont on parle, le signifi�. Il est clair que si je d�signe une table, je n�ai pas besoin de dire son nom, en telle ou telle langue. Mais si je veux traiter d�un probl�me philosophique, anthropologique ou autre, il me faut d�crire ce dont je parle en passant par une certaine mise en �quation.

Mais comment puis-je d�signer les facteurs ainsi articul�s les uns par rapport aux autres sinon en leur assignant tel ou tel mot mais dans ce cas, les mots ainsi utilis�s doivent rester neutres, c�est � dire qu�ils ne sauraient �tre l�objet d�un d�bat sur leur signification en soi, ce vers quoi d�rivent souvent les caf�s-philo � la mode.

�Certaines langues sont probablement plus formatrices que d�autres, plus leurs locuteurs sont convi�s � un exercice de rep�rage plus ou moins sophistiqu� et plus ils seront favoris�s mentalement. En ce qui nous concerne, personnellement, l�apprentissage de l�anglais et de l�h�breu nous aura �t� fort b�n�fique: l�anglais, parce qu�il prend d�extraordinaires libert�s phoniques avec la chose �crite, qu�il faut souvent deviner, anticiper sur ce qui va �tre dit et l�h�breu, parce que la lecture du texte �crit est un extraordinaire casse t�te au niveau s�mantique. Le fran�ais et l�arabe offrent les m�mes avantages mais il s�agit l� du rapport aux langues �trang�res, tant dans sa propre langue, ces processus sont souvent inconscients.

Il faudrait peut �tre en arriver � une langue qui aurait les avantages de ces deux langues, � savoir d�une part une suppression des voyelles, renvoyant � une meilleure lisibilit� des racines et de l�autre une certaine fantaisie dans la prononciation des consonnes, tant il est vrai que tant le fran�ais que l�anglais se permettent de ne pas rendre certaines consonnes � l�oral. L�apprentissage du latin a d�ailleurs favoris� chez les Fran�ais la conscientisation �tymologique.

Nous avons ainsi trac� � grands traits les lignes d�un enseignement des langues qui permettrait une meilleure intercompr�hension et donnerait le sentiment qu�en d�pit des apparences, les diff�rences ne sont souvent que des apparences. Le XXIe si�cle se devrait de veiller � en renforcer la conscience. Il est clair, en revanche, que celui qui a une repr�sentation cloisonn�e de tout ce qui touche au langage, qui g�re mal son rapport au Surmoi des mots, des concepts, des sons et des sens, ne saurait pr�tendre � �tre un citoyen � part enti�re de la soci�t�-monde.

Surmoi donc de l��crit qui nous fait penser � la c�t� tandis que l�oral serait le bateau qui s�en �loigne plus ou moins hardiment. Bien des bateaux se croisent qui croient venir de lieux divers alors que leur port d�attache est le m�me....

J. Halbronn le 12/10/01
Plan du site � Vers le haut de page � En savoir plus sur L'auteur
Envoyez vos commentaires et vos questions au r�gisseur du site. Copyright � � 1997 Lierre & Coudrier �diteur