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L'usage du préfixe « Re » en français

 

 

Jacques Halbronn, Docteur ès Lettres

 

 

 

 

L’auteur a traduit notamment deux traités astrologiques de l’astrologue juif espagnol Abraham Ibn Ezra (1089-1164) – travaux parus aux Ed. Retz, en 1977 – et a consacré depuis de nombreuses études aux problèmes de traduction et d’emprunt (parues notamment sur ce site). Par ailleurs, J. Halbronn a accès à une bonne dizaine de langues.

 

 

 

La langue française comporte un préfixe bien commode, le re. Quand on interroge des locuteurs sur son emploi, on nous parle de répétition, en songeant à refaire, à redire etc. mais est-ce que reconnaître signifie connaître à nouveau, encore ? Et pourquoi ne dit-on pas, en français “je reconnais que j’ai raison” alors que l’on dit “reconnaître ses torts” ?

C’est que ce préfixe est finalement mal décrit ou plutôt que son champ sémantique a été mal balisé. Décalage, au demeurant, entre l’usage et la conscience de l’usage.

En fait, dans ce re-, il y a une insistance, il y a un retour par rapport à un premier mouvement, une “second thought”, comme disent les anglais.

Imaginons que l’on me présente la photo d’un enfant et qu’il me semble qu’il s’agit d’un de mes amis que je connais depuis quelques années seulement mais qui a une cinquantaine d’années, je dirai  : “je crois que je reconnais X”, ce qui signifie : je n’en suis pas absolument certain, vu l’ancienneté de la photo mais, finalement, oui, c’est probablement X. Mais il reste un doute.

Ce préfixe -re n’exprime donc nullement l’évidence mais une insistance en dépit des obstacles, des doutes. Ce re implique une réflexion. Quand je dis : on va recommencer”; cela signifie en fait que l’on pourrait s’arrêter mais que – au bout du compte - on va réessayer. Autrement dit, on serait tenté de ne pas poursuivre mais on va quand même s’y remettre.

Le re- implique une forme de restriction mentale, de tendance à ne pas insister mais que l’on va vouloir dépasser. Je reconnais ceci ou cela mais cela me coûte. C’est pourquoi on ne dira pas : je reconnais avoir raison parce que cela ne coûte guère d’être satisfait de soi-même. On dira plutôt : j’estime avoir raison.

On est donc assez loin de la seule idée de répétition à moins d’admettre que toute répétition est coûteuse. On dit à quelqu’un : attention, je ne veux pas avoir à vous le redire ! Parce que, en effet, l’acte même de se répéter pose problème.

Est -ce que ce re dès lors n’est pas l’expression d’une conscience, dans tous les sens du terme ? En me répétant, est-ce que je ne deviens pas une machine ? Je me répète, quand même, mais en sachant que ce n’est pas forcément la meilleure chose à faire que de passer d’un propos spontané à un processus répétitif. Ce re est, quelque part, transgressif, on franchit un certain Rubicon !

Ainsi, une relance, c’est ne pas se résigner à l’épuisement d’une précédente tentative. Il faut rebondir. On ne devrait pas se répéter mais, tout de même, on y consent.

Est-ce que ce re- a le même sens que le “encore” ? Je le refais, je le fais encore. Ce serait plutôt un “encore que” et il est remarquable que encore suivi de que, ait un sens apparemment différent quand on ne se rend pas compte que le fait de dire “encore” implique un “encore que” tant toute répétition est en soi, éthiquement, problématique.

Ce re qui serait une abréviation du enco(re), a perdu son enjeu dans notre société, tant le fait de se répéter ne pose plus problème, comme si nous avions adopté les valeurs des machines qui ne demandent qu’à refaire les choses indéfiniment. L’effort du encore est étranger à la machine. Et d’ailleurs, quelle différence entre copier à la main un texte et le photocopier ! Ce re ne nous coûte plus cher.

Nous avons là un exemple de par cette perte de conscience de la signification du encore, de notre propre perte de conscience face à l’acte de reproduction, dans tous les sens du terme. Il y a comme une banalisation, une dédramatisation, de l’encore.

Si on prend le mot “recherche”, qu’est ce à dire par rapport à “chercher” ? Est-ce que cela signifie chercher encore ? D’ailleurs, on parle d’un chercheur mais de recherche. Il y a un acte plus intensif dans la recherche. Je cherche une poubelle. On ne dit pas  : je recherche une poubelle ou alors il faut préciser que ce n’est pas de n’importe quelle poubelle qu’il s’agit. Autrement dit, il y a là une quête plus pointue dans rechercher que dans chercher.

Prenons le verbe “rentrer” : je rentre chez moi. Je pourrai ne pas le faire, rester hors de chez moi indéfiniment mais je me résous, au prix d’un certain effort, à rejoindre mon domicile.

Dans l’idée d’encore, il y a aussi la crainte d’une certaine inutilité, de quelque vanité : je vais revoir ce film mais est-ce que cela en vaut vraiment la peine puisque j’en avais gardé un certain souvenir, une certaine trace. Or, dans le Livre de l’Ecclésiaste, dont le thème principal est justement la vanité, il est question de ce qui se répète : rien de nouveau sous le soleil. L’Ecclésiaste serait donc l’expression d’un certain scepticisme qui refuse le encore tant cet encore nous apparaît comme un pari. Une éthique qui se refuse à recommencer puisque cela ne sera pas -forcément- mieux, la prochaine fois ou avec quelqu’un d’autre. C’est l’idée de la rencontre, qui suppose d’aller vers un autre et cette altérité est aussi une forme d’encore. Mais à quoi va nous servir de rencontrer quelqu’un de nouveau ? Il faut pour accepter ce renouvellement, avoir matière à espérance, avoir des raisons d’attendre quelque heureuse surprise.. .Il y a dans cet encore l’idée d’une possible résurrection, d’un retour..

Prenons le verbe : représenter. C’est précisément dans l’absence et non dans la présence que l’on représente, autrement dit, on essaie de rendre présent ce qui ne l’est pas, en dépit, au mépris de l’absence. Je me représente est d’ailleurs synonyme de je m’imagine, je suppose.

Il y a d’ailleurs dans cet encore quelque chose d’hypothétique : quand je dis “au revoir”, il faudrait souvent dire “sait-on jamais ?”, “pourquoi pas ?”. Rien d’évident de revoir quelqu’un que précisément on quitte, qu’on ne verra peut-être plus de sitôt. C’est le retour de l’enfant prodigue, celui dont on n’avait plus de nouvelles et qui, soudain, réapparaît, donne signe de vie.

Le Club Méditerranée a d’ailleurs récemment utilisé ce préfixe dans ses publicités, rendant heureux par “re” comme si la répétition était source de bonheur alors qu’elle a un caractère involutif, régressif mais peut être est-ce cela précisément que le bonheur surtout quand ce re a quelque chose de virtuel ?

Ce “re” implique de repartir à zéro comme si de rien n’était, en faisant quasiment abstraction du passé. Ce re a quelque chose d’amnésique.

Plus et encore

A l’opposé d’encore, nous avons plus. Pas dans le sens de j’en veux plus mis dans celui de je n’en veux plus, donc avec une négation (voit notre article sur la négation sur ce site).

Curieusement, ce plus revêt deux sens opposés selon le contexte et on sait qu’en français, on ne prononce pas plus de la même façon dans les deux cas, ce qui est bien utile, étant donné que l’on a tendance à ne pas user de la négation dans la communication orale : T’en veux plus (on n’entend pas le s final) ou t’en veux pluss ou plus encore. Mais nous intéresse à présent, le plus qui s’oppose à encore et non celui qui est en redondance avec lui.

On sait, en effet, qu’ un terme ne peut se définir que par rapport à son opposé : encore se définit par plus, pas plus ou si l’on préfère, encore ne fait sens que parce qu’il y a la perspective du pas plus. Bien que l’on puisse être amené à en rester là (pas plus), on n’en continue pas moins (néanmoins) : re-. Dans cette forme néanmoins, il y a moins – minus – qui dit bien tout ce qui justifierait que l’on n’aille pas plus loin. On s’aperçoit donc que les deux plus ne font qu’un : plus et pas plus. Mais dans la forme, je n’en veux plus, on ne pense pas à plus (+) tout comme dans néanmoins, on ne pense pas à minus (-)

Nous aurions là affaire à une sorte d’arithmétique, où l’on additionne ou soustrait, où l’on accroît ou décroît, où l’on augmente et où l’on diminue. Et de fait, une grande question existentielle est de savoir, à un moment donné, face à une situation donnée, s’il faut continuer ou bien tourner la page. Il est normal que le langage porte les marques d’une telle problématique.

Une tonalité restrictive

Plus ou moins, that is the question ! Notre re- est du côté du plus (encore) mais il n’oublie nullement le (pas) plus (moins), il en tient compte. Il n’y a pas de plus en soi, il n’y a de plus que par rapport au moins. D’où ce -re qui nous dit : tout en sachant qu’il y a des raisons pour le moins (ce qui impliquerait : stopper, faire halte, s’accorder en tout cas une pause), je vais essayer d’en faire plus (aller de l’avant, se reprendre). Dans ce re- positif, il y a un dépassement dialectique du négatif, c’est la synthèse qui est dépassement de l’antithèse (-)

Reconnaître son enfant, au sens juridique, cela signifie que l’on pourrait ne pas le faire, s’en dispenser mais que l’on acceptera, cependant, de s’en dire le père. Il y a là une concession, presque un sursis. On va réessayer mais si cette fois ça ne marche pas, eh bien on n’insistera pas/plus.

Il serait évidemment souhaitable de réexaminer tous les verbes français construits avec -re, dont le préfixe re- est partie intégrante, pour en dégager cette dynamique plus ou moins enfouie. A cela s’ajoute le fait que désormais ce -re est plus ou moins devenu passe-partout et qu’on peut le placer, à l’occasion, dans n’importe quelle phrase. Par exemple : tu en reveux, revouloir n’étant pas dans le dictionnaire.

On voit que la recherche linguistique ne peut faire abstraction de certains enjeux éthiques et qu’elle peut nous révéler l’état d’une société selon les nuances devenues inconscientes. On serait ainsi passé d’un langage prenant en compte une dialectique complexe à une simple idée d’un re- pour dire, à nouveau comme si la nouveauté n’était pas un combat contre une certaine cristallisation, une certaine sclérose qui nous menacerait en permanence et dont le re- nous défendrait, nous protégerait.

Jacques Halbronn

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