Mathématique et Langage
Pour l'Ethno-Méthodologie, les structures sociales sont
l'expression, l’œuvre du groupe, elles ne sont pas sous-jacentes. Une
linguistique en accord avec l'Ethno-Méthodologie considérera donc, il me
semble, la langue comme une construction sociale n'existant qu'à travers son
utilisation par ses concepteurs ou leurs successeurs. Pour moi, la langue comme
la divination, sous telle ou telle forme, sont des créations s'appuyant sur un
certain nombre de règles conventionnelles autour d'un double principe de
rapprochement et d'exclusion de certaines formes.
Ne pas restituer une certaine émotion esthétique, une
systématique, c'est manquer une dimension du consensus du groupe. Je veux dire
par là que les structures organisatrices relèvent d'une façon ou d'une autre
d'une forme de cohérence, d'harmonie qui semble garantir l'ordre du groupe[2]. Les lois ne sont pas acceptées parce
qu'elles donnent de bons résultats, elles ont un impact parce qu'elles
proposent un projet, une image de « cosmos », c'est à dire, en grec,
d'ordre. L'esthétique est le signe de l'ordre, un contrat « social »
implique un équilibre, une symétrie pour que l'on y adhère et que l'on passe à
une praxis.
Je voudrais insister ici sur le caractère artificiel et
arbitraire du langage.
En effet, il règne encore dans les discours sur le langage
une certaine ambiguïté. L'on voudrait notamment que les langues évoluent selon
des lois « naturelles », relevant de la phonétique, l'on passerait
ainsi, par un processus d'usure, de tel son à tel son, le locuteur étant dès
lors dominé par la langue et cette dernière vivant sa propre évolution.
Ethno-méthodologie et linguistique
L'approche ethnométhodologique du phénomène linguistique
ne saurait, selon moi, adopter sans discussion certaines représentations
proposées par les linguistes. C'est ainsi que le rôle de l'écrit me semble très
important alors qu'il tend à être marginalisé pour les besoins de certaines
théories linguistiques au risque de fausser certaines synthèses. Car affirmer
la préséance du signifié, c'est se condamner à ne pas comprendre comment
l'homme a tenté de décoder le monde pour en faire un « cosmos », un
ordre; c'est laisser entendre que l'homme avait la science infuse, qu'il a
compris le monde avant de le rencontrer. C'est un contresens anthropologique.
C'est, au demeurant, parler comme certains astrologues[3] qui voudraient que les astres soient déjà
des signifiés au moment où l'homme les découvre alors que c'est l'homme qui les
fera passer du stade de signifiant à celui de signifié.[4]
Prononciation et sens
Un signifiant sous une forme écrite peut prendre plusieurs
sens, non point tant en raison de variations sémantiques au sein d'une langue
donnée mais aussi parce que l'on ne sait pas nécessairement à quelle langue il
appartiendra. La prononciation du mot nous informera généralement quant à son
appartenance au français ou à l'anglais par exemple.
Corps et signifiant
Un des premiers signifiants me semble avoir été le corps
humain à la fois comme un tout et en ses parties externes puis internes. Le
tabou de tuer l'autre est essentiel (cf. les Dix Commandements) en ce que le
corps humain vivant est un signifiant auquel tout signifié peut être relié Ce
n'est pas parce que l'on rejette le signifié qui lui a été attribué que l'on
doit éliminer le signifiant, le support. La préservation des signifiants me
semble être une constante de l'Histoire de l'Humanité en dialectique avec leur
destruction qui est liée à la confusion signifiant/signifié. L'indexicalité
insiste précisément sur les infinis recyclages du signifiant, ce qui souligne
son caractère a priori universel.[5]
Chapitre I
Qu'est ce que la Morphologie ?
Je prendrai l'exemple de la notion essentielle en
linguistique de « morphologie ». Je définirai ce terme comme une
instance de régulation et d'organisation de la langue un peu à l'instar d'une
structure étatique, de police. Encore faudrait-il s'entendre sur l'ampleur de
son pouvoir...[6]
Pour la linguistique habituelle, la morphologie est la
dimension qui sous tend la « grammaire », qui régit par exemple les
conjugaisons et dans certaines langues les déclinaisons, avec toutes les
particularités propres aux unes et aux autres . Pour moi, la morphologie a
également pour objet, littéralement, de donner « forme » à la langue,
c'est à dire de faire entrer l'ensemble des mots d'une langue dans un même
moule, notamment au niveau phonologique, d'où le concept de morpho-phonologie. [7]
Chapitre II
Systématisations interne et externe
On étudiera successivement deux processus qui pèsent,
chacun à leur façon, sur l'indexicalité à savoir, les systématisations externe
et interne. J'entends par systématisation interne le processus visant à unifier
le groupe, à déterminer les traits dominants de celui ci par opposition à
systématisation « externe » laquelle consiste à analyser, avec plus
ou moins de bonheur, les processus existant dans d'autres groupes
Chapitre 3
Le traitement du substrat latin en français
Je voudrais faire part de mes recherches linguistiques
concernant le champ de la francophonie, approche qui sous tend un certain
diffusionnisme peu apprécié des ethno-méthodologistes, espérant ainsi amener
ces derniers à préciser leur pensée.
Pour une nouvelle description du
français
Les ouvrages consacrés à la langue française ne manquent
pas: grammaires et descriptions. Mais il me semble que l'on pourrait proposer
d'autres procédures, liées à l'exigence pour le groupe d'unifier et d'organiser
le champ des signifiants auxquels il a recours.
Pour une indexicalité globale
Quels sont les principes qui semblent avoir été appliqués
à l'ensemble d'un proto-français plus proche du latin ? On dira donc qu'un
mot est français – ou plutôt rendu « à la
française » – lorsque son « s » final ne se prononce
pas mais il va de soi que cette non-prononciation est le fait du locuteur et
non du mot lui même. En ce sens, le français laisse un certain champ à
l'indexicalité puisque ses mots peuvent être prononcés de tant de façons
différentes. Se pose la question du franglais. Il est remarquable que les plus
anglomanes parmi les francophones prononcent rarement le « s »
pluriel des mots d'origine anglaise.[8]
Chapitre 4
La dialectique écrit/oral
Pour renforcer ma thèse sur la francophonie, il me semble
utile de montrer que les locuteurs français sont les premiers à traiter les
signifiants français avec une certaine fantaisie et à y introduire de nouvelles
combinatoires. Plus l'on montrera que le français n'est pas une langue rigide
et ne permettant qu'une seule « lecture », plus l'ensemble
francophone pourra s'étendre à des manifestations que l'on avait jugé un peu
vite étrangères, au nom d'un formalisme irréel qui voudrait qu'il y ait unicité
de sens, de son, d'usage pour qu'il y ait même appartenance . Or l'indexicalité
admet une infinité de variantes aux causes diverses. La plus significative est
celle qui relève du passage de l'écrit à l'oral car l'écrit ne comporte que
rarement son mode d'emploi: comment savoir au vu d'un mot comment le
prononcer ?[9]
Chapitre V
La Réforme de l'Orthographe
L'idée d'une réforme de l'orthographe est récurrente. Ce
phénomène montre clairement la volonté d'un groupe ou de quelques membres du
dit groupe de ne pas laisser les choses en l'état.
La primauté de l'oral sur l'écrit
En fait, derrière ce débat sur l'orthographe du français,
se profile l'idée selon laquelle l'oral prime nécessairement sur l'écrit, thèse
que je conteste et dont je reprendrai ici certains éléments, prolongeant ce que
j'ai déjà noté en première partie de ce volet.
Il me semble nécessaire de rappeler que le français écrit
a été adopté dans de nombreuses langues et dialectes avec des variantes qui
n'ont pas toujours affecté sa forme orthographique d'origine.[10]
Que la non prononciation de certaines consonnes est ponctuelle et qu'il suffit
de connaître les autres formes du mot pour retrouver les lettres qui ne sont
pas prononcées. Ex : grand. Le « d » qui ne s'entend pas dans la
forme masculine se retrouve, à l'oral, au féminin ou lors d'une liaison lorsque
le mot suivant commence par une voyelle. Faudrait il écrire un mot différemment
selon qu'il y a ou non liaison ? Il semble que l'orthographe du français,
dont le traitement est à géométrie variable, préserve au contraire l'unité de
la langue et reste pertinente au niveau étymologique. D'autres langues, à
l'écriture plus « phonique » offrent un émiettement des signifiants
et moins de transparence.[11]
L'hégémonie du français
L'on connaît le discours de Rivarol sur la supériorité de
la langue française (à la fin du XVIIIe siècle). Il me semble que
cet impact du français est dû en partie à son organisation, à son originalité,
à son caractère, dû à une cohérence globale de ses structures, de ses codes,
bref à un certain purisme, à une unité de la langue, à un creuset.
Des problématiques communes
Dans quelle mesure les mancies ont elles su gérer et
organiser les données dont elles se servaient ?[12] Comment ont
elles affronté la modernité ? Il me semble assez clair que des points
communs existent entre langage et divination, non point tant parce que la
divination serait un langage (cf. Section III de la Seconde Partie) mais parce
que l'une et l'autre sont les produits d'un ordre social.
Dans la mesure, en effet, où je suis parvenu à mettre en
évidence le caractère « géométrique » de l'élaboration des langues,
le parallèle entre langage et divination semblera pertinent. Ceux qui
s'opposeront à notre discours seront, cette fois, les partisans du caractère
transcendant – ou sur un autre plan, empirique – de la
divination. Les premiers seront gênés par cette origine sociale, « humaine »
de la divination et des savoirs qui la sous tendent, les autres préféreront
affirmer que ces savoirs sont le fruit de l'expérience « humaine »,
qu'ils se sont en quelque sorte « peu à peu » mis en place par une
sorte d'osmose entre l'Homme et son environnement.