Ressources documentaires – Bibliographie
 

David Le Breton

 

Anthropologie du corps et modernité

 

P.U.F., col. Sociologie d'aujourd'hui

1990, 264 p., 148 F

 

 

Constatant l'éclatement contemporain des savoirs sur le corps et le décalage croissant qui se manifeste entre l'expérience sociale des acteurs et leur capacité d'intégration symbolique, D. Le Breton fait le détour de l'ethnologie et de l'histoire pour mettre au jour les rapports du corps et de la modernité. C'est une problématique de la genèse de l'individualisme dans le monde occidental qui permet d'expliquer la promotion historique du corps : cessant d'être le membre insécable d'une communauté indivise, l'individu s'autonomise dans un corps. On peut ainsi penser ensemble l'émergence du portrait dans la peinture, la constitution du savoir anatomique et le processus d'individuation. Le XVIIe siècle est marqué par une coupure radicale : devenant un objet parmi d'autres, désacralisé par la généralisation de la métaphore mécanique, le corps perd sa dignité et fait l'objet d'une perception ambivalente. L'entreprise scientifique s'efforce de dupliquer le corps, de reproduire sa magnifique machinerie en même temps que, s'en défiant, elle ne cesse de chercher les moyens de s'en débarrasser, ou à tout le moins de le contenir ou de le contourner. D. Le Breton croit pouvoir déceler à ce propos un véritable fantasme de l'abolition du corps. Sur ce socle historique, il est possible de faire l'analyse du "corps présent-absent" comme caractéristique de la modernité. Évitement, effacement, refoulement permettent de définir les modes de socialisation des manifestations corporelles : le corps ne transparaît que dans les moments de crise. Le discours contemporain sur la libération des corps, de même que son exhibition parfois ostentatoire ne remettent pas vraiment en question la constitution historique de ce dispositif : le souci du corps n'est que le prolongement de l'oubli du corps. La biologie contemporaine mène à son terme la fragmentation du corps, devenu collection d'organes soumis à la loi de l'échange généralisé : mais la précarité, le vieillissement et la mort ne cessent de tracer les limites d'une problématique du corps machine dont l'homme bionique constitue l'horizon.

 

 

 

Denis Duclos

La Peur et le savoir. La société

face à la science, la technique

et leur dangers

 

La Découverte, col. Science et société

1989, 312p; 140 F

 

Sous la direction de Bernard Crousse

et Luc Rouban

 

Progrès scientifique et débat éthique

Plaidoyer pourl'analyse politique

 

Le Cerf/Cujas

1989, 232 p., 134 F

 

Ces deux livres ont une préoccupation commune, que dévoilent leurs titres : il est des limites sociales à imposer à la science et aux technologies. Plus politique et éthique dans ses questions, l'ouvrage collectif regroupe des textes de réflexion écrits par B. Crousse, J. Conrad et E. J. Woodhouse et quatre chapitres plus centrés sur les politiques de la science (rédigés par D. Bertrand, J. Delville et M. Mercier, L. Rouban et Y. de Hemptinne). L'ensemble est précédé d'un article d'A. J. Tudesq sur la manipulation de l'opinion publique.

Le livre de D. Duclos est plus sociologique dans sa démarche, plus systématique - plus percutant aussi. Son objet premier est de comprendre la séparation farouche que sécrète notre société entre "matérialité et civilité", science et culture, technique et humanité, de comprendre notre refus du mélange intime, en chacun de nos gestes, de nos espoirs et de nos craintes, des raisons et des émotions. Un autre objet du livre est de déduire de ce constat la nature complexe de la relation de nos sociétés aux risques technologiques. La thèse de D. Duclos est qu'il ne peut y avoir de vision unitaire du risque, qu'il faut substituer à la sacralisation de l'expert travaillant dans le secret de son savoir (spécialité que les Français ont poussée à sa limite) l'acceptation du caractère composite et nécessairement conflictuel de l'évaluation raisonnable des dangers technologiques.

En ce sens, l'ouvrage de Duclos est un livre militant qui plaide pour la transparence et la démocratie sociale, contre l'autoritarisme et les certitudes du complexe technique. Passant en revue les logiques profondes des divers groupes experts (scientifiques, ingénieurs, politiques...), l'auteur conclut que la pleine négociation autour des choix technologiques est la seule solution pour déjouer la "politique de la peur" et prévenir véritablement les catastrophes majeures.

 

 

 

 

Lucien Regnault

 

La vie quotidienne des Pères du désert

en Egypte au IVe siècle

 

Hachette, col. La Vie quotidienne

1990, 328 p., 118 F

 

Apophtegmes des Pères traduits

et commentés

 

Editions de Solesmes

1990, 160p., 48 F

 

En collectant et en traduisant ces fameux apophtegmes des Pères du désert - quelque trois mille paroles incisives qui sans rhétorique aucune vous pétrifient ou vous libèrent -,L Regnault est devenu l'un des rares interprètes d'une expérience mystique extrême, située aux confins de toute nationalité, de toute normalité, mais au cœur d'une passion dévorante pour l'Evangile.

Au sens strict, il s'agit des ermites qui, tout au long des IVe et Ve siècles, ont choisi de vivre au milieu du désert d'Egypte, loin des villes et des honneurs, nus sous le soleil, rongés par les insectes, combattant seuls et sans relâche le démon des tentations. Il faut pourtant, grâce à ce livre passionnant, découvrir sous une peau desséchée et totalement durcie l'exercice (ou l'ascèse) d'une sensibilité et d'une humanité qui défient le désert comme une source cachée, celle de la foi pure.

La vie quotidienne des Pères du désert est connue essentiellement par la Vie de saint Antoine, écrite par saint Athanase en 357 ; les témoignages de saint Jérôme, de Rufin d'Aquilée et de Cassien complètent des informations au demeurant difficiles à vérifier, tant à chaque instant il s'agit de démêler la légende de la réalité historique. Le monde des ermites est habité par l'imaginaire ; à leur manière, ils anticipent la querelle des images et s'efforcent précisément de les épurer pour n'admettre que la seule image parfaite de la ressemblance avec Dieu. Véritables champion de la lutte contre l'ariantisme, qui faillit dénaturer le jeune christianisme des premiers siècles, les anachorètes du désert nient la chair pour la purifier, l'exalter et l'offrir dans une sublime oblation à son créateur. Il faut tout le talent de L. Regnault pour nous faire comprendre un genre de vie complètement étranger à tous les conformismes, qui n'exerce de véritable fascination que chez des cœurs d'artistes assoiffés de beauté d'absolu. Ces hommes ivres de Dieu (J. Lacarrière) surgissent alors plus vivants que jamais.

 

 

Jean Delumeau

 

L'Aveu et le pardon. Les difficultés

de la confession. XIIIe - XVIIIe siècle

 

Fayard

1990, 208p., 89 F

 

Aucune religion ne s'est tant souciée de l'aveu répété des péchés que l'Église catholique. Le précédent ouvrage de  J. Delumeau, Rassurer et protéger. Le sentiment de sécurité dans l'Occident d'autrefois, s'était déjà penché sur ce dossier essentiel. Celui-ci en rassemble avec éclat l'argumentation, depuis l'acte déterminant que fut la décision du concile de Latran IV, en 1215, de rendre obligatoire la confession annuelle, jusqu'à ses répercussions à l'époque moderne, avec un regard insistant sur le moment où la question du pardon a tant passionné Pascal, Boileau et Bossuet. Parti d'une documentation à tendance normative - manuels des confesseurs, traités de casuistiques, sermons, qui indiquent en détail la manière de confesser et de se confesser - , il propose une réflexion nouvelle sur le comportement vécu des prêtres et des croyants face à la question de la faute.

Aux confesseurs, les consignes recommandent d'être des pères indulgents. Ainsi que la notion antique de pater familias qui exerce son autorité se transforme en profondeur pour conduire à celle de la figure évangélique et moderne de la tendresse affectueuse. Pourtant, l'image lénifiante du pardon généreusement accordé ne voile pas l'histoire contradictoire de la peur  et de la culpabilité : l'Église pardonne, mais elle inquiète, elle permet le progrès de la connaissance de soi, mais elle traumatise le pécheur par le répertoire et l'analyse des fautes. La fresque de ce drame humain évoque l'évolution des tactiques psychologiques des confesseurs, celle de la tension entre le probabilisme, où toute évaluation se fait dans un scrupule parfois soupçonné de laxisme, et le rigorisme d'une morale claire, du sentiment qu'on a des péchés et de leur degré de gravité, notion aussi essentielle et aussi actuelle que la circonstance atténuante.

J. Delumeau nous a habitués à ce va-et-vient tout en finesse de l'anthropologue qui observe sans prendre parti, qui ne s'inquiète pas de situer sa réflexion historique à la frontière de la psychanalyse. Pourtant, ce court ouvrage sait encore surprendre par la clarté du langage, par la rigueur dans l'investigation savante, par la perspicacité lumineuse des synthèses.

On prolongera avec intérêt cette enquête historique par une enquête littéraire telle que la conduit Bertrand de Margerie à travers les écrits de Chateaubriand, Lamartine, Alfred de Vigny, Verlaine, Huysmans, Claudel, François de Sales, Bossuet (Du confessionnal en littérature, Éditions Saint-Paul, 1989, 248p., 145 F)

 

 

 

Majid Fakhry

 

Histoire de la philosophie islamique

 

Le Cerf

1989, 418p., 250 F

 

Dans un ouvrage hautement idiosyncratique mais fort stimulant qui, sous le même titre que celui-ci, fut publié il y a  vingt -cinq ans, H. Corbin soulignait que "le concept de philosophie islamique ne peut être limité au concept longtemps traditionnel dans nos manuels". "il est radicalement faux", écrivait-il, que la méditation philosophique en Islam" ait été close avec la mort d'Averroès". De là procédait son souci de faire largement place au soufisme, d'une part, à des penseurs iraniens peu connus ou inconnus en Occident, d'autre part. Sans doute, comme le note l'auteur du présent livre, Corbin soulignait-il à l'excès "l'élément shiite", pour lequel il éprouvait une fascination notoire. Du moins ouvrait-il, avec des effets fort salubres, des fenêtres trop longtemps closes. Bien qu'il fasse des concessions, dont personne ne peut plus aujourd'hui se dispenser, à cette perspective élargie (vingt pages sur les "développements postavicienniens" : Suhrawardî, Mullâ Sadrâ ; vingt-deux pages sur le soufisme...), il est manifeste que M. Fakhry demeure attaché à une conception qui identifie grosso modo la philosophie islamique à la falsafa, c'est-à-dire aux seuls auteurs musulmans qui se présentent comme héritiers de la pensée grecque.

Les raccourcis qu'impose le projet d'une synthèse embrassant - sous la plume d'un auteur unique dont l'information est inévitablement inégale treize siècles d'une riche tradition spéculative excusent, certes, le caractère sommaire de telle ou telle formulation. Mais on a souvent l'impression que, sur les sujets qui l'intéressent le moins, M. Fakhry se contente de répéter sans examen des clichés anciens que des recherches plus récentes ont mis à mal. Expédier en dix lignes Ibn Masarra en s'appuyant sur les extrapolations hasardeuses d'Asin Palacios n'est guère sérieux : on s'étonne de voir ignorés l'article de S. M. Stern, qui a dénoncé la fragilité de la thèse du grand orientaliste espagnol et les textes d'Ibn Masarra édités en Libye par le Dr Muhammad Kamâl Ibrâhîm Jaafar.

Le chapitres sur les "Frères de la Pureté", s'il est plus solide, aurait dû faire référence aux travaux d'Y. Marquet et d'I. R. Netton (qui ne sont pas d'accord entre eux, et sur l'un et l'autre desquels nous avons des réserves, mais qui méritent discussion). Zaehner n'a pas "démontré l'influence hindoue" sur Bistâmî de façon indiscutable" : ses arguments, comme ceux de n'importe quel chercheur, sont contestables et contestés. Très contestable et très contestée aussi est l'attribution à divers soufis de tendances "panthéistes" : cette interprétation grossièrement simplificatrice, qui ne surprendrait pas chez un vulgarisateur, devrait céder la place, dans le travail d'un spécialiste, à des schémas plus nuancés. L'exposé sur Ibn Arabî semble, pour l'essentiel, basé sur la thèse, bien dépassée aujourd'hui, d'Afifi et, s'il fait un renvoi à Corbin, ne mentionne même pas Izutsu.

 

Au début de ce siècle, T. J. de Boer pouvait encore se risquer à écrire une Geschichte der Philoosphie im Islam. Bien que  M. Fakhry, dans son introduction, écarte cette objection, la multiplication des recherches et des éditions critiques ou traductions de textes intéressant l'histoire de la philosophie islamique, stricto sensu ou lato sensus, condamne désormais, si regrettable que cela soit, toute tentative individuelle visant à en donner un panorama rigoureux et équilibré. Utile aux débutants pour qu'ils balisent tant bien que mal cette terra incognita qu'est à leurs yeux la pensée de l'islam, et qui apprécieront la présence d'un index dont les éditeurs français nous privent trop souvent, cet ouvrage, comme le Baedeker ou le Guide Michelin, est de ceux qu'après lecture on doit laisser chez soi pour entrer, les mains nues, dans le paysage.

 

 

 

 

Robert Legros

 

L'Idée d'humanité

Introduction à la phénoménologie

 

Grasset, col. Le collège de la philosophie

1990, 280p., 120 F

 

Il n'est pas courant de présenter la phénoménologie par une introduction tocquevillienne. C'est pourtant le pari tenté, et tenu, par R. Legros dans cet essai, qui cherche à montrer que la phénoménologie fournit les outils théoriques qui permettent de dépasser l'opposition moderne entre le romantisme et les Lumières.

De la pensée des Lumières, nous héritons l'idée d'une unité de l'humanité, obtenue par l'arrachement de l'homme à toutes les traditions particulières qui l'aliènent Cette humanité est celle du sujet individuel, raisonnable, cartésien, Contre elle, le romantisme a fait valoir qu'il ne saurait y avoir d'humanité que nourrie de la particularité d'une tradition, et que l'homme des Lumières n'est qu'une abstraction. C'est ici qu'intervient Tocqueville, puisqu'il montre que la démocratie moderne correspond à l'avènement de l'homme des Lumières, à l'incarnation empirique du sujet cartésien. Mais la démocratie se paie aussi de l'aliénation de l'individu par l'isolement et l'agrégation en masse, qui croissent tous deux de pair. La force de Tocqueville est d'avoir démontré que Lumières et romantisme sont tous deux vrais.

Comment dès lors penser l'homme pour tenir ensemble la force de l'arrachement qui le constitue en sujet libre et l'appartenance dont il provient ? Aux yeux de R. Legros, la phénoménologie permet d'élaborer une telle anthropologie. Il s'appuie successivement sur Husserl, qui représente pour ainsi dire une version phénoménologique de la pensée des Lumières, et sur Heidegger, qui en constituerait le pôle romantique. Mais c'est chez Hannah Arendt qu'il pense pouvoir découvrir la possibilité de penser à la fois la liberté et l'appartenance, le sujet et sont être-au-monde. En ce sens, cette introduction à la phénoménologie est aussi une lumineuse introduction à la pensée politique.

 

 

1789 Cahiers de doléance des femmes et autres textes.

Introduction de Paule-Marie Duhet,

préface de Madeleine Rebérioux, des femmes, 219 p., 95 F

 

Cet ouvrage fait le point sur les revendications des femmes durant la période de la révolution française de 1789. Tout d'abord on n'y rencontre pas que des héroïnes comme dans tant d'autres études, ensuite il est très vite permis de saisir combien les femmes ont dû défendre pied à pied la liberté et l'égalité, la leur. Il leur faudra protester longuement avant de voir leurs droits reconnus par la Constitution.

L'Assemblée constituante de décembre 1789 décide que personne ne peut être refusé à des fonctions publiques civiles ou militaires. L'égalité de droit est accordé aux protestants et à tous les non-catholiques, hors les juifs. Les comédiens et les bourreaux se voient réintégrés de plein droit dans la Nation, mais ni les femme ni les juifs, ni les esclaves des colonies, ni les femmes.

 

 

 

Christophe Dejours,

Recherches psychanalytiques sur le corps : répression et subversion en psychosomatique.

Payot, Sciences de l'homme, 1989, 182 p., 110 F

 

Cet ouvrage se réfère abondamment aux travaux de l'École psychosomatique de Paris et approfondit la notion freudienne de subversion libidinale. Ce qui représente la tension de l'individu pour s'affranchir du biologique, quand une répression de pulsion se traduit par une somatisation. Dejours va s'appliquer à dresser une sorte de cartographie de la répression pulsionnelle et mettre les maladies en relation avec elle. Ainsi s'esquisse une ontogenèse d'un genre particulier. Celle d'une construction d'un corps érotique à partir du corps physiologique. La question de la parole du corps est alors introduite mais l'auteur la signale comme particulièrement insaisissable. L'auteur reste frileusement dans la ligne de la pensée freudienne conçue ici comme la pointe de l'art. Sont ignorés tous les travaux antérieurs sur le corps et qui certaines écoles - dans le courant gelstatiste ou bioénergétiste, dans la doctrine chamanique, dans l'acupuncture... - ont enrichi notre connaissance de notions importantes comme celle de différenciation des corps. Ce qui revient à dire que le corps n'existe pas en tant que ce que nous en connaissons mais comme une multiplicité qui reste à explorer avec les instruments de la science. Ignorant même le Yoga, l'auteur nous fait une démonstration éclatante de l'hégémonisme de la pensée freudienne qui s'affirme chaque jour un peu plus comme une sorte d'idéologie dominante, sûre d'elle-même et inconsciente qu'elle tisse elle-même la trame de sa décadence.

 

 

 

Fernand Meyer

 

Gso-ba riq-pa

Le système médical tibétain

Presses du C. N. R. S. , col plus

1988, 236 p., 85 F

 

 

Lecture très enrichissante que celle de ce livre documenté où l'auteur nous entraîne d'abord dans une réflexion épistémologique à propos de l'approche des médecines traditionnelles et de la tibétaine en particulier. Il décrit ensuite quel a été son cheminement propre de médecin interniste occidental, invité à suivre l'enseignement d'un médecin au Népal, apprenant le tibétain et étudiant ainsi la littérature spécialisée. Aussi n'est-on pas étonné que son analyse de la médecine tibétaine se fasse "de l'intérieur" et soit fondée sur de nombreuses traductions originales de textes tibétains toujours accompagnées de commentaires. Embryologie, anatomie, physiologie, physiopathologie, sémiologie, nosologie, diagnostic et méthodes thérapeutiques sont successivement présentés en référence aux traditions indiennes et chinoises. L'originalité et la complexité du syncrétisme que la médecine tibétaine a opéré par rapport aux connaissances venues de ses deux voisins sont habilement révélées.

Un esprit critique lié à une attitude généreuse, une approche à la fois d'érudit et d'homme de terrain ont conduit à la rédaction d'un livre qui fait déjà référence.

 

 

 

Jean-Pierre Vernant

 

L'individu, la mort, l'amour.

soi-même et l'autre en Grèce ancienne

Gallimard, col. Bibl. des histoires

1989, 252p., 92F

 

 

J-P. Vernant est de ces universitaires qui fascinent tant les médias à l'heure actuelle. Il est le représentant type du chercheur qui semble ouvrir à son public des horizons fantastiques. Son dernier ouvrage groupe neuf articles parus de 1979 à 1989 et une étude inédite. Les sept premiers essais parlent de la mort en Grèce. C'est ce thème qui assure l'homogénéité de l'ouvrage en dépit de l'apparente disparité.

La mort grecque est au cœur du livre, avec ses deux visages. La « belle mort », choisie et assumée par le héros homérique, lui confère, par la vertu du chant, une gloire immortelle, et l'inscrit « dans la trame permanente d'une tradition que chaque génération doit apprendre et faire sienne pour accéder pleinement, par la culture, à l'existence sociale ». C'est la mort transformante, transfigurante, celle que chacun espère pour soi.

Cette si « belle mort » est porteuse d'un système de valeurs - beauté, jeunesse, courage - que la mémoire sociale, par le chant et la stèle,  « tente d'implanter dans l'absolu pour...(se) mettre à l'abri du temps et de la mort ». La mort noire, elle, est du côté de l'indicible, pure béance, oubli, anéantissement, confusion et chaos. C'est la mort cruelle, qui prend souvent figure féminine (Gorgô, Kère, Sirènes, Harpyes, Sphynges). De ce point de vue J-P. V. contribue à une mise au net des aspects du féminin. Celui qui sait combien nous sommes ici face aux productions d'un imaginaire masculin, sait aussi distinguer les figures aux féminins - donc des projections - des visages de femmes protéiformes. Peut-être, J-P. V. reste-il trop souvent elliptique en cette matière ?

Un autre trait important pourra retenir notre attention, c'est l'étrange alliance de l'épopée et de la poésie lyrique, les accointances de la guerre avec la séduction et le combat amoureux. Ici encore la mort paraît bel et bien la compagne invisible, mystérieuse et fascinante d'Eros. Mariage étrange qui ne se teinte que de nos meurtrissures humaines.

C'est encore de mort qu'indirectement il s'agit lorsque J-P. Vernant, s'interrogeant sur cette étrangeté: le corps des dieux, ce corps immortel, repère le jeu de similitudes et de contrastes entre le sous-corps des hommes, apparent et obscur, voué à l'impermanence et à la mort, et sur le corps des dieux, invisible et éclatant, nécessaire support d'un système polythéiste qui a refusé le chaos pour placer la perfection du côté d'un cosmos différencié. Les trois derniers essais analysent l'identité grecque à travers le culte du Héros, ses jeux de multiplications et de divisions; à travers l'éducation spartiate qui, par une expérience de la honte, amène le jeune Lacédémonien à choisir l'honneur; le dernier article montre comment la notion grecque d'individu s'est formée non pas, comme en Inde, en dehors du monde et contre lui, mais bien dans le monde et à l'intérieur de la cité.On continue de s'interroger sur la possibilité et les modalités d'une anthropologie des sociétés mortes, en particuliers de celles qu'on atteint principalement par des textes littéraires.  Est-ce une des raisons pour lesquelles la Grèce que l'auteur nous donne à voir est si « bien ajustée » jusque dans ses dysharmonies et ses stridences, et comme préstructurée?

Cl. Lévi-Strauss l'avait suggéré. A la lecture de cette immense panorama, on se laisse prendre au vertige des synthèses superbes. La Grèce de J-P. Vernant ne peut laisser personne indifférent.

 

 

 

Michel Paty

 

La matière dérobée.

L'appropriation critique de l'objet

de la physique contemporaine

 

 

On ne peut que saluer avec beaucoup d'intérêt un livre qui constitue, étant donné l'"état décourageant de l'édition française" dans le domaine de l'histoire et de l'épistémologie de la physique contemporaine, l'unes des rares tentatives pour apprécier de manière réellement informée la signification philosophique des théories physiques actuelles. De ce poit de vue,M. Paty s'engage dans le chemin ouvert par B. d'Espagnat, même si son orientation y est tout à fait différente. C'est un chemin qui aboutit au contraire de la désinvolture, à laquelle il faut bien dire  que l'extrême difficulté de la question traitée conduit souvent aussi bien les physiciens que les épistémologues.

Aucune trace de précipitation ici: il s'agit plutôt d'"envisager les problèmes importants de la physique contemporaine de l'intérieur", c'est à dire de montrer leur genèse et leurs implications, afin de "découvrir en quoi les problèmes de la science contemporaine sont des problèmes philosophiques". Le résultat est un livre considérable, à la fois par son information et par l'effort constant qui est fait pour expliciter la nature des arguments et des raisonnements. Il peut donc susciter le désaccord mais seulement sur le fondement d'une discussion attentive. Par exemple: l'analyse du concept d'atome et de la notion d'élémentarité apparaît dans une tension entre deux affirmations contraires, d'un côté celle de la permanence de l'intuition "matérialiste" de l'atome, de l'autre celle de la distorsion historique du contenu du concept. Confronté au même étonnement, Cassirer concluait, dans son livre de 1936, au caractère purement fonctionnel de l'hypothèse atomique, comme d'ailleurs déjà Boltzmann.

On pourrait par conséquent objecter à M. Paty qu'il hypostasie "trop" lorsqu'il parle d'un passage de l'hypothèse à l'existence, ou de la "réalité démontrée" des atomes. Mais de telles critiques ne prennent sens que lorsque la connaissance historique du développement de la physique contemporaine fait l'objet de discussions précises dans une communauté intellectuelle donnée. Sur chaque moment de l'évolution de la théorie quantique, il existe actuellement des interprétations divergentes, difficiles à apprécier si l'on ne dispose pas des textes originaux. De ce point de vue, l'ambition du livre de Paty-qui est de voir discutées ses thèses philosophiques fondamentales-est en avance sur l'état présent de la situation, et l'on souhaite encore plus, en le lisant, assister au changement de cette dernière.

 

 

 

RETOUR VERS LA DÉESSE

Une initiation pour les femmes du IIIe Millénaire

 

Par Sylvia Brinton Perera

Traduit de l'américain par Franc,oise Robert

Préface de Pierre Solié

Editions: SEVEYRAT,

Format: 14,5 x 24 - broché - 176 p.-130 F

 

Retour vers le futur... Retour vers la déesse... un clin d'œil au septième art pour le titre de ce livre qui nous entraîne, lui aussi dans un voyage à travers le temps retrouvé.

Mais là s'arrête la comparaison, car ce livre va bien au-delà du simple divertissement...

 

En effet, mettant en correspondance les textes anciens et les expériences vécues, et les rêves de ses patientes, Sylvia Brinton Perera a exploré, du point de vue de la psychologie jungienne, le mythe de la grande déesse sumérienne Inanna/lshtar, déesse du Ciel et de la Terre, et son voyage dans le monde souterrain, à la rencontre de la déesse Ereshkigal, sa sœur obscure.

 

Cette descente aux enfers sur les traces de la déesse, ce voyage initiatique, Sylvia Brinton Perera l'a fait, pour elle même d'abord, accompagnant ses patientes ensuite. Et elle en a chaque fois constaté les bienfaits.

Car les femmes d'aujourd'hui, devenues des "filles du père", se sont tellement conformées, pour réussir, ou simplement pour survivre, aux valeurs "masculines", qu'elles se sont souvent cruellement amputées de leur propre énergie féminine, que symbolise Inanna. Et c'est au cœur des profondeurs chtonniennes réprimées, qu'elles pourront retrouver la plénitude de cette force féminine, active et vulnérable, terrible et fertile, enracinée et réceptive, qui n'est pas concernée par le bien et le mal, ou par l'établissement de catégories abstraites, mais par la vie.

 

Ce livre n'est pas seulement un manifeste pour un "féminisme plus féminin", c'est une contribution à la conscience qui nous réconcilie avec la soi disant "passivité" féminine tant décriée, qui est en réalité réceptivité: vécue positivement, elle possède un immense pouvoir de transformation et de créativité.

Ce livre s'adresse donc également aux hommes, non seulement pour comprendre et apprécier leurs compagnes, mais pour y retrouver, eux aussi, leur féminin, qu'ils ont bien souvent banni, ou défiguré, piégés par la rigidité de leur propre système.

 

Notre IlIe Millénaire verra‑t‑il enfin, face à la nécessité vitale de changer à laquelle il se trouve confronté, I'aboutissement des efforts des femmes pour faire reconnaître leur identité et leurs valeurs profondes, en exil depuis 5000 ans?

 

Sylvia Brinton Perera est Analyste jungien et enseigne au C. G. Jung Training Center de New‑York. Elle a publié en 1986 "The Scapegoat Compex: Toward a MytholoRy of Shadow and Guilt".

 

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