Machines A Sous Gratis

Science et Divination, quel clivage ?

�Jacques Halbronn

Auteur, en 1995, d'un DESS d'ethnom�thodologie, Paris VIII St Denis, sur le " Milieu astrologique, ses structures et ses membres ", sous la direction d'Yves Lecerf. Il est l'auteur de L'astrologue face � son client. Les ficelles du m�tier, Paris, Ed. La Grande Conjonction, 1995.

�

�tude ethnom�thodologique

�

Qu�est ce qui attire ceux qui fr�quentent les r�unions d�astrologues�? Le savent-ils eux-m�mes, consciemment�? Un certain go�t de la libert�. Mais le sentiment de libert� est-il compatible avec la discipline et avec la rigueur�? Parfois, dans cette qu�te de libert�, on en arrive � s�encanailler. Qu�on imagine un avocat honorable qui, pour se changer les id�es, participerait � un hold-up, � un kidnapping ou � quelque escroquerie commerciale, c�toyant ainsi des gens d�un autre monde. Au vrai, une certaine id�e de la libert� converge assez bien avec quelque forme de malhonn�tet�, de tricherie.

Autrement dit, on peut supposer que chaque milieu a sa face obscure, plus ou moins inavouable qui est pr�cis�ment celle qui peut apporter les plus grandes satisfactions, sur un registre plut�t pervers. Et pour �tre membre � part enti�re d�un milieu donn�, il importe de trouver une motivation suppl�mentaire dans une forme d�infraction � certains codes dont on se d�lecterait.. Il y a l� une transgression qui fait de la plupart d�entre nous des schizophr�nes fonctionnant diff�remment sur plusieurs plans.

Dans le cas du milieu astrologique, il semble bien qu�il faille chercher cette �d�rive� du c�t� du langage �tant entendu que ce n�est pas tant le milieu astrologique qui d�veloppe certaines habitudes que ces habitudes qui vont conduire t�t ou tard un individu donn� vers ce milieu ou vers un autre du m�me acabit.

Il appara�t notamment que dans une rencontre d�astrologues ou d�astrologisants, on affirme ceci ou cela dans un domaine qui, en soi, est, de notori�t� publique, contest�, ce qui est d�j� assez jouissif et rel�ve d�une forme de contre-culture. C�est comme de fr�quenter un personnage qui sent le soufre.

Celui qui croirait na�vement que certains �carts seront censur�s par ce milieu se fourvoie, car au contraire, plus il se jouera de certaines convenances, plus on applaudira, tout en clamant, hypocritement, que sa d�marche est impeccable. Chacun pensera : �bien jou锠!

Cela expliquerait pourquoi le milieu astrologique a tendance � fonctionner en circuit ferm� car le charme cesse d�s qu�on en sort. L�astuce consiste � attirer quelques personnes de l�ext�rieur qui joueront ainsi le r�le de l�autre mais qui n�en sont pas moins atteints par certains syndromes. A ces personnes, on proposera d�ailleurs un statut flatteur et on leur accordera un r�le de contr�le, de censeur� alors qu�en r�alit�, elles ont d�j� bascul� vers un certain �tat d�esprit qui, progressivement, les coupe de leur milieu d�origine.

Pour mieux nous faire comprendre, prenons une r�union de malfaiteurs, discutant d�un prochain coup. La discussion se d�roule tout � fait normalement et m�me si l�on parle de liquider quelqu�un ou de d�valiser une banque, on peut avoir l�impression d�op�rations tout � fait �normales�. Il y a seulement un �affreux d�tail�, c�est qu�il s�agit bel et bien de commettre des d�lits ou des crimes et que cela va, en quelque sorte, de soi, pour les participants � telle enseigne que cela ne vaut m�me pas la peine de le pr�ciser. Tout se passe comme si, une fois le postulat accept� que l�on peut commettre telle ou telle action, � partir de l� on allait raisonner comme tout un chacun. Et l�on dira que Un Tel �travaille� bien, est �efficace�, selon une indexicalit� qui permet de s�exprimer comme partout ailleurs.

Pour en revenir aux astrologues - et il n�est pas question d�appr�hender un groupe donn� avec une m�thodologie qui ne s�appliquerait point � d�autres - le �hic�, c�est, ici, la question de la nature des influences astrales. Non point, comme on pourrait le croire, le simple principe de la possibilit� de celles-ci mais l�affirmation que les dites influences sont parfaitement connues et r�pertori�es. Il y a l� un t�lescopage.

�

La notion de �croyance� rel�ve d�ailleurs d�un tel processus: croire, c�est faire que quelque chose soit parce qu�on le veut et si on ne le veut pas ou plus cela n�existe plus. Edgar Morin parlait � propos de l�astrologie d�une croyance clignotante mais toute croyance l�est. Car la croyance nous laisse la libert� de rejeter ce que nous avons accept� puisque ce qui est ainsi accept� ne l�est que selon notre bon vouloir. C�est comme de fr�quenter quelqu�un qui n�est pas tout blanc, eh bien, le jour o� l�on en aura assez, on n�aura qu�� le lui rappeler. Et basta�!

Autrement dit, l�astrologie n�existerait que sous condition et cette sensation est assez enivrante: quelle revanche sur le savoir institu� et inattaquable. L�astrologie incarne en fait LE savoir mais un savoir qui ne s�impose pas � nous mais que nous acceptons de reconna�tre comme tel, mais d�s lors qu�il est � notre merci. Il ne semble pas qu�Elisabeth Teissier, dans sa th�se de sociologie, consacr�e � l�astrologie (parue aux Editions Plon, 2001) ait mis en avant une telle probl�matique.

L�astrologie, au demeurant, se pr�te ainsi merveilleusement � la dialectique transfert/contre-transfert, propre � l�entretien. Celui qui effectue un transfert instrumentalise son interlocuteur et pourra, � un moment ou � un autre, le rejeter en lui reprochant, d�ailleurs, d�avoir accept� de se parer faussement de toutes sortes de vertus. Or, la plupart des astrologues prenne un tel transfert pour argent comptant.

La pratique de la consultation d�veloppe une certaine mauvaise foi ou plut�t s�en nourrit. L�astrologue dit ceci, le patient comprend cela, peu importe du moment o� le patient a compris ce qui fait sens pour lui. Plus le propos est confus, mieux cela vaut. Imaginons un astrologue qui ma�triserait parfaitement son discours, qui s�en expliquerait avec la plus grande pr�cision possible � son client, de fa�on � ne laisser aucun doute sur ce dont il parle, cet astrologue multiplierait consid�rablement les risques d��erreur� flagrante. Au contraire, une pens�e floue, peu structur�e, inconsistante, fera beaucoup mieux l�affaire.

Car le langage offre une libert� extr�me quand on ne le met pas en �quations, quand on ne formalise pas les concepts. Avec les m�mes mots, on peut dire une chose et son contraire du fait m�me de l�indexicalisation.� Prenons un exemple: celui d�une s�paration. On peut partir pour rentrer dans son pays mais on peut aussi partir en vue de s�expatrier. Et ainsi tout est � l�avenant. Un m�me terme peut d�signer des situations oppos�es et de deux choses l�une, soit on en est conscient et � la limite on en joue, soit on s�efforce de pr�ciser.

La r�volution informatique en astrologie nous a enseign� deux choses: d�une part que l�apprentissage des calculs �tait secondaire et pouvait se d�l�guer, de l�autre que m�me dans les textes produits par les ordinateurs, chacun les comprenait comme il les entendait. Dans ce cas, o� se situe l�astrologue sinon dans une certaine mise en sc�ne, dans un certain accompagnement mais en pleine lucidit� quant � la valeur intrins�que de son savoir, qui doit d�sormais �tre avant tout un savoir faire.

Mais qu�on ne s�y trompe pas: l�astrologie ne saurait se r�duire � ce qui se passe dans la consultation astrologique. Au niveau politique, collectif, l�astrologie doit au contraire �tre une �cole de rigueur, de pr�cision dans le langage employ� car � quoi bon �tre pr�cis sur une date si on la d�finit par des expressions ambigu�s�?.

�Il est �galement important de comprendre les motivations de ceux qui viennent � l�astrologie et notamment une frustration au niveau de la reconnaissance. Celui qui n�est pas estim� par son entourage familial va rechercher cette appr�ciation en dehors, il attendra, avec une certaine na�vet�, de la soci�t� qu�elle vienne � lui, qu�elle se comporte comme ce p�re ou cette m�re qui n�ont pas su l�encourager et de fil en aiguille, il s�adressera � Dieu ou aux astres et � ses interm�diaires les pr�tres ou les astrologues. Ce manque est aussi quelque chose qui relie les astrologues entre eux. Mais de par le fait, cet exc�s d�attente peut retarder les initiatives de mise en valeur, tant on attend, tel un enfant, que l�autre nous devine.

Il y aurait donc bel et bien un non-dit qui constitue un fil rouge du lien entre astrologues, ce qui passe par une certaine complaisance un peu pu�rile: on a parfois l�impression en entendant des astrologues parler entre eux d�enfants discutant entre eux � la fa�on d�adultes, et ce de fa�on caricaturale et fictive. On peut en effet percevoir un certain mim�tisme chez les astrologues par rapport � la soci�t� �officielle�, qui est sing�e et les colloques ont cet effet pervers que les intervenants s�imaginent ainsi sur le m�me pied que tous ceux qui interviennent dans un colloque, du fait d�un certain c�r�monial: le programme, la tribune etc. Les colloques ont �t� un vecteur d�honorabilit� depuis pr�s de trente ans pour la communaut� astrologique de France mais en m�me temps il serait bon de ne pas en faire une coquille vide, o� les �changes seraient tr�s secondaires. Attention aux faux semblants�!

Il en est �videmment de m�me pour l�enseignement qui est aussi, bien souvent, un simulacre tant pour l�enseignant que pour les �l�ves, chacun se faisant plaisir dans un certain jeu de r�les. Un enseignement dont l�efficience est tr�s relative et tr�s contestable mais qui est gratifiant, psychologiquement, pour les protagonistes. On notera d�ailleurs qu�� partir du moment o� l�on veut casser ce formalisme, la motivation cesse.

Il faudrait aussi parler de ces astrologues demi-savants, qui jouent au pseudo historien, au pseudo mythologue, au pseudo astronome, au pseudo-journaliste, au pseudo-m�decin voire au pseudo-voyant et ce � peu de frais comme des enfants jouent � imiter x ou y. Il est �trange que lorsque l�on veut former des hommes de terrain, on insiste sur l�acquisition d�un vernis sans grand rapport avec le travail demand� qui est avant tout la prise en charge de certains fantasmes. L�astrologue est avide d�une certaine apparence de culture qu�il �tale d�autant plus qu�elle est des plus r�duites. Il se veut homme orchestre. Il d�pend terriblement de son client qu�il doit supposer disposer d�une parfaite connaissance de lui-m�me afin que sa sanction fasse sens. Paradoxalement, l�astrologue doit id�aliser son client, capable de valider son savoir tout comme son client doit id�aliser l�astrologue qui aurait les clefs de son psychisme radical. Jeu de dupes.

En fait, chacun veut jouer et on observe qu�il n�est nullement question de faire appel aux plus comp�tents, puisque chacun, sur un plan virtuel, veut se faire passer pour ce qu�il n�est pas si bien que l�astrologie est victime de ses propres penchants � l�usurpation et � l�imposture. Pas davantage n�assiste-t-on � une sp�cialisation des taches: chacun doit tout savoir. Un milieu professionnel syncr�tique o� chacun entrem�le toutes les fonctions dans la mesure m�me o� aucune n�est v�ritablement pleinement assum�e. Ce qui peut sembler paradoxal quand on sait � quel point le savoir astrologique a tendance au contraire � tout compartimenter. Mais on sait � quel point les cordonniers sont les plus mal chauss�s.

Il y a des astrologues qui veulent �tre reconnus pour leur �s�rieux�. Ils veulent montrer � quel point leur art est complexe et subtil, le nombre d�ann�es d��tudes que cela exige - sans trop pr�ciser d�ailleurs le nombre d�heures hebdomadaires. Mais ce sont ceux l� m�me qui se prennent trop au s�rieux qui d�consid�rent la profession, tant ils manquent de lucidit� sur les tenants et les aboutissants de leur pratique. Et parfois, ceux que l�on traite de charlatans sont les plus capables et les plus dou�s, plus en phase avec la demande de leur client�le.

Nous pensons que l�astrologue le plus fiable est celui qui sait �jouer� avec l�astrologie, en tant que jeu th�rapeutique, jeu projectif. Il est � craindre qu�il faille former une nouvelle g�n�ration d�astrologues, ayant un autre �tat d�esprit car ceux qui ont �t� form�s jusqu�� pr�sent l�ont �t� �� l�ancienne� et tendent � perp�tuer leur propre bagage, n�acceptant pas de le remettre en question. Le r�cent ouvrage �anti-astrologique� de G�rard Miller montre bien qu�un non astrologue peut fabriquer une �tude des 12 signes du zodiaque qui en vaille d�autres.

Contrairement � l�id�e re�ue, pour jouer avec les fantasmes de quelqu�un, je ne suis pas oblig� de les partager. Ce n�est pas non parce que le patient a besoin de croire que l�astrologie est capable de ceci ou de cela qu�il faut n�cessairement qu�elle le devienne. On ne vend pas de l�astrologie comme on vend des chaussures, il n�y a pas fraude sur la marchandise du seul fait qu�un astrologue consid�re que ce qu�on lui demande est d�lirant et qu�il n�a donc pas � s�y conformer.

Le fait que la psychanalyse soit connue de beaucoup et que l�on en connaisse les modalit�s de transfert n'emp�che pas la plupart de se faire psychanalyser.

Signalons un petit livret paru en anglais et intitul� Bluff your way in Astrology & Fortune Telling par Alexander C. Rae (Ravette Books, 1993), ce que l�on pourrait traduire par ��faites vous passer pour astrologue�!��. Il semble que les astrologues ne comprennent pas � quel point les gens sont capables de jouer � croire � quelque chose quand �a les arrange et ils attendent de l�astrologue de jouer avec eux mais aussi, quand il le faut, d�oublier son astrologie. Or l�astrologue est trop coll� � son astrologie, � la fa�on d�un com�dien prisonnier de son r�le, hors de la sc�ne. Moli�re s�est moqu� des m�decins � Le Malade Imaginaire, le m�decin malgr� lui �, cela semble avoir �t� � terme salutaire pour la m�decine voire pour la psychanalyse. On ne s�est peut �tre pas assez moqu� des astrologues...

Insistons sur ce point: l�astrologue consultant n�est pas l� pour prouver l�astrologie mais pour la mettre au service d�une certaine population. Il n�a pas � se pr�tendre chercheur. Il ne faut pas tout m�langer: l�entretien astrologique est le dernier endroit pour mener une investigation sainement. Et il conviendrait que ces chercheurs puissent mener leurs investigations dans de bonnes conditions sans �tre confondus avec des astrologues consultants. Autant ces chercheurs peuvent avoir � conna�tre de l�Histoire de l�astrologie pour y trouver quelque piste, autant un tel apprentissage est inutile aux praticiens, ceux-ci devant se distancier plus que les chercheurs quant � la valeur intrins�que de l�astrologie.

En effet, le chercheur doit se mettre en qu�te de quelques p�pites, tenter d�asseoir l�astrologie sur des bases solides alors que le praticien, lui, doit ne consid�rer l�astrologie que comme un support de communication et non d�information, il n�est nullement n�cessaire que le praticien soit convaincu de la v�racit� de l�astrologie pour exercer son activit�. Autant dire que leurs objectifs s�opposent radicalement. Mais l� encore, les astrologues ont du mal � penser la dualit�, en d�pit de tout ce qui est de cet ordre dans leur tradition. On voudrait un astrologue unidimensionnel qui serait une totalit� en soi. Il faut donc dissocier ces diverses activit�s et ce n�est pas parce que la seule fa�on de nos jours de gagner sa vie par l�astrologie est la pratique qu�il faut y renoncer. Il est encore pr�f�rable pour un chercheur en astrologie s�il ne peut gagner sa vie par son activit�, qu�il exerce une autre profession que celle de praticien astrologue.

De m�me que les astronomes ont fini par s�autonomiser par rapport aux astrologues en �tant pris en charge par l��tat, plut�t que de pratiquer une activit� alimentaire, de m�me les chercheurs en astrologie devraient suivre le m�me sort et cela clarifierait heureusement la situation, r�duisant d�sormais la pratique de l�astrologie � une activit� relevant de la psychologie ou de la psychiatrie et devant �tre conduite sous le contr�le d�un sp�cialiste � la fa�on dont les kin�sith�rapeutes travaillent avec des m�decins. Il existe certes des passerelles entre astrologues et psychologues, mais il semble qu�elle ne soient pas organis�es sur de bonnes bases. Les astrologues, quand ils parlent de psychologie croient que le th�me les �clairera sur le patient alors que le probl�me ne se pose pas ainsi : si le patient a besoin de passer par l�exp�rience du th�me, cela r�v�le d�j� en soi, certains probl�mes et en allant chez l�astrologue il n�est pas question qu�il s�enferre dans ses fantasmes mais au contraire qu�il s�en lib�re et l�astrologue doit �tre suffisamment libre, lui-m�me, par rapport � un tel savoir, pour qu�il puisse conduire � bien ce d�passement. L� encore, acceptons la dualit�, mais cette fois dans le temps : il est un temps pour croire et il est un temps pour ne plus croire. � l�astrologue de pouvoir passer d�un registre � l�autre...

Jacques Halbronn, Paris 20/12/2001

Retour vers l'ent�te de rubrique � Plan du site � Vers le haut de page � En savoir plus sur l'auteur
Envoyez vos commentaires et vos questions au r�gisseur du site. Copyright � � 1997 Lierre & Coudrier �diteur