| ||
Présentation et situation
| ||
| ||
Ce récit est un témoignage porté sur la vie des Indiens de la Vallée du Mantaro par un des leurs, qui souhaite vous décrire son pays le plus fidèlement possible. Je vais donc m'efforcer de rapporter, à grands traits, la vie familiale des Indiens et d'évoquer la société dans laquelle ils évoluent. Afin de ne
pas risquer une dispersion préjudiciable à la clarté de l'exposé, j'ai préféré
concentrer mes efforts sur l'évocation de l'Indien au sein du milieu qui reste
le plus authentiquement indien : la communauté andine. L'attention toute
particulière que j'ai portée à la vie de la famille indienne tient au fait
qu'elle constitue la cellule de base de la communauté et que c'est elle qui
joue le rôle principal en ce qui concerne la transmission et le maintien des
modes de vie et de pensée traditionnels. Dans le contexte relativement protégé
de la communauté, elle continue d'avoir une fonction éducative primordiale. Certes,
l’Indien ne se rencontre pas exclusivement au sein de la communauté. Il peut
être également péon ou mineur, on le trouve dans les agglomérations urbaines,
dans les haciendas. Bien que, dans son comportement, il réagisse souvent de la
même façon que celui qui vit dans une communauté, son intégration à un système
de production qui le place dans une étroite dépendance et la précarité de son
statut économique amoindrissent la vitalité des manifestations de la culture à
laquelle il appartient. Remarquons en outre que fréquemment l'Indien ouvrier ou
péon vit en déraciné, séparé de sa famille qu'il a quittée pour mieux l'aider
en lui envoyant la majeure partie de l'argent que lui procure un maigre
salaire. Rendu alors vulnérable par l'isolement et les pressions dont il est
l'objet, on s'explique qu'il cède parfois à la tentation d'abus de coca ou
d'alcool. Il s'en
faut de beaucoup que toutes les communautés vivent dans une aisance même
modeste et se sentent libérées des pressions exercées par le monde métis ou
créole. Néanmoins, la conscience plus ou moins intuitive d'appartenir à un
groupe social dont la culture perd toute sa valeur dans le contexte où elle est
née renforce ici le sens d'une dignité exaltée par la pratique traditionnelle
du respect de l'autre. Il est clair, cependant, qu'une certaine prospérité
économique engendrera souvent chez l'indigène une aisance dans les attitudes et
dans les paroles qui révèlent l'orgueil d'être ce qu'il est. Il suffit, pour
s'en convaincre, de voir avec quelle autorité les Huankas de la Vallée
du Mantaro revendiquent leur identité et vivent en toute plénitude leurs
coutumes et leur folklore. En suivant
les étapes de la vie de l'individu huanka de la gestation et de la naissance à
la mort en passant par l'adolescence et l'âge adulte, nous connaîtrons peu à
peu les coutumes, croyances et rites des indigènes. Sans doute ne
prétendons-nous pas affirmer que toutes les familles aient strictement le même
mode de vie dans toute la Vallée, et le lecteur comprendra que certaines
nuances, issues de la géographie ou du statut économique, introduisent à cet
égard quelques variantes. Néanmoins, je pense que certains traits
caractéristiques permettent d'identifier la personnalité de l'habitant de la
Vallée. La coexistence des familles au sein de la communauté, les liens qui les
unissent, la vie de quartier, supposent une intimité qui renforce cette
identité caractéristique. Les habitants de la Vallée ont pu assimiler les
changements qui ont affecté le monde qui les entoure grâce aux capacités d'organisation
des communautés indigènes. Elles ont fortement marqué le caractère huanka,
malgré certaines contradictions qui ont existé autrefois et qui existent
toujours. Tradition et acculturation extérieureL'habitant
de la Vallée a su conserver un sage équilibre entre le maintien des traditions
et une évolution nécessaire conditionnée par un processus d'acculturation
extérieure. C' est
précisément dans la mesure où les institutions communales tendent à évoluer que
la famille indigène paraît devoir assumer le rôle capital de la conservation
des traditions. Afin de mieux cerner ces traditions, on commencera par situer
les Indiens huankas tels qu'ils évoluent au sein de la famille, dans la
communauté, et le village. La Vallée
du Mantaro est située dans la Sierra Centrale du Pérou, dans le département de Junín, à 3 250 m au-dessus du niveau de
la mer et à 313 km de la capitale de la république, Lima. Elle est divisée en
trois provinces: Jauja, Concepción et Huancayo qui est la capitale du
département. Elle couvre environ 180 000 ha et est fortement peuplée (411 040
habitants d'après le cens de 1973).[1]
Elle est
entourée par les chaînes orientale et occidentale de la Cordillère des Andes.
Le fleuve principal, le Mantaro, la traverse du nord au sud et la divise en deux
zones, rive gauche et rive droite. Il reçoit trois affluents importants: le
Concepción, le Cunas et le Canipaco. Le climat
est sec et tempéré. La moyenne des températures est de 11°, dans la journée, le
maximum se situant autour de 23° et le minimum autour de 7°. La nuit, la
température est fraîche et même froide, en hiver. Les pluies commencent en
novembre et cessent en avril. A quelques heures d'automobile en direction de la
forêt, on trouvera un climat chaud et tropical. Les habitants de la Vallée sont
très dynamiques du point de vue commercial : les ressources essentielles
proviennent de l'agriculture et de l'artisanat. Cependant,
la petite industrie a de plus en plus d'importance. Mais, malgré l'évolution
due aux influences extérieures, l'organisation ancestrale survit. Ainsi, au
niveau politique, les divisions administratives officielles sont, pour l'État,
la province, le district et le quartier. Mais pour les indigènes, les
institutions d'origine précolombienne (Ayllu et Marka =
communauté) ont plus d'efficacité et de présence dans la vie quotidienne ; du
point de vue économique, les travaux communaux ont un caractère obligatoire, et
cette forme de travail est appelée minga ou minka. Toute la
communauté est concernée par la minga et toute la communauté en
bénéficie. Dans le cadre de la minga sont effectués des travaux
d'intérêt général, tels que la construction des routes, des canaux
d'irrigation, de l'école, le nettoyage des canaux, etc. Il existe également un
système de réciprocité de services entre familles et amis qui n'a qu'un
caractère d'obligation morale, I'ayni — et qui fonctionne lors des
semailles, des récoltes, des mariages, pour la construction d'une maison. Minga et ayni restent très
vivaces. Un des exemples les plus admirables de l'efficacité de la minga
est la création de l'Université du Centre en 1959. La population de la Vallée,
lasse du centralisme exercé à tous égards par la capitale et en particulier de
l'émigration des enfants à Lima pour y poursuivre leurs études, décida d'y remédier.
Les communautés de la Vallée réunirent de l'argent pour ouvrir et faire
fonctionner l'Université du Centre. Ultérieurement elle fut nationalisée et
reçut le nom d'« Université Nationale du Centre ». Cet exemple fut
suivi par d'autres départements du pays, tels que Huacho, Cerro de Pasco,
Huánuco. La décentralisation privée de l'enseignement universitaire s'est même
étendue au département de Lima. Malgré la
proximité de Lima et les échanges intenses pratiqués avec d'autres
départements, grâce aux voies de communication qui relient Huancayo au reste du
pays, le département de Junin est celui qui, après celui de Cuzco, compte le
plus de communautés reconnues officiellement avec 320 communautés. L'adaptation
nécessaire à un rythme conditionné par la société de consommation a pu
s'amorcer sans trop de problèmes grâce à la personnalité du cholo huanka
qui a fait de la Vallée du Mantaro une des zones les plus prospères du Pérou.
Cependant, les techniques de travail restent encore rudimentaires du fait du morcellement
de la propriété foncière privée et de l'important investissement qu'exige la
mécanisation. En ce qui concerne l'artisanat, les habitants de la Vallée sont
groupés par spécialités. Bien que, dans chaque village, des travaux d'artisanat
variés soient exécutés pour consommation personnelle (il en est ainsi pour les
dentelles de toutes sortes, pour les jupons, les llicllas, les
différents types de chapeaux,...) cette fabrication familiale a aujourd'hui
tendance à disparaître. Dans certains domaines, notamment pour la petite industrie et l'équipement, les communautés ont formé des coopératives de production. Certaines ont acheté leur groupe électrogène pour fournir en énergie électrique leur communauté et les communautés voisines. Ainsi, la communauté de Muquiyauyo pourvoit en électricité la capitale de la province, Jauja. Les communautés ont commencé à installer l'eau et les égouts; elles ont organisé la majeure partie des transports entre districts et départements. Dans son
milieu social, le paysan huanka est joyeux, franc, fier, sans complexe. Il
offre son amitié sans réserve et le démontre lorsqu'il reçoit des amis. Il est
volontiers cérémonieux et il est très respectueux d'autrui. Avec les étrangers,
il essaie de se comporter en accord avec le milieu où il se trouve, en gardant
une attitude réservée et digne. Un tel comportement est caractéristique de la
personnalité chola. Le monde
indigène a donc grandement évolué et ce jusque dans son milieu le plus
authentique, la communauté, dont les institutions sont à présent fort éloignées
de ce qu'elles étaient du temps de l'empire incaïque. En effet, la possession
et l'usufruit collectifs des terres laissent de plus en plus leur place à
présent à la propriété privée, mais toujours persiste la conscience
d'appartenir à une même collectivité affrontant des problèmes communs dans un
grand souci d'aide mutuelle. Pour résoudre ces problèmes, chaque communauté vit
selon un régime qui lui est propre, et avec des coutumes et des institutions
souvent très variables. Amenés
tout d'abord à envisager quelques aspects du monde indien et de la vie
communautaire dont les règles ont une influence décisive sur celle de
l'indigène et de la famille indienne, nous verrons ultérieurement, en étudiant
l'exemple particulier de la Vallée du Mantaro, comment peuvent évoluer les
coutumes indiennes sans disparaître dans un contexte économique plus ouvert et
plus dynamique. [1] – Documento de estadísticas de la Región del Centro Huancayo, Perú, 1973, Ordecentro INP, p. 50. | ||
Envoyez vos commentaires et vos questions au régisseur du site. Copyright © — 1997 Lierre & Coudrier éditeur |