M�thodologie |
||
�
Tous droits r�serv�s, Lierre & Coudrier �diteur � |
||
Jacques Halbronn � Docteur �s Lettres |
||
�
Texte complet � t�l�charger � 270ko � Le terme proph�tique englobe certes la litt�rature
proph�tique d'origine biblique. C�est le cas notamment du Livre de Daniel et l'Apocalypse de (saint) Jean mais l'objet essentiel de notre travail renvoie � une autre �re proph�tique telle qu'elle se manifeste � la fin du Moyen Age et � la Renaissance, ce qu'on appelle souvent ��proph�ties modernes��. Cela dit, jusqu'� un certain point, les m�thodes d'approche de ces deux ensembles que seraient la Proph�tie antique et la Proph�tie moderne, ne semblent pas sensiblement diff�rentes et la ��critique biblique�� nous parait de mise pour d�cortiquer des textes plus r�cents qui malgr� leur proximit� relative dans le temps, n'en offrent pas moins des difficult�s encore non r�solues. La psychanalyse nous a appris que les contre sens sont l�gion au niveau herm�neutique m�me pour ce qui est proche et familier. Un paradoxe, pour l'Historien, tient au fait que la micro-chronologie ne pr�sente pas les m�mes difficult�s que la macrochronologie. Lorsque des textes appartiennent � des �poques relativement �loign�es les unes des autres, leur succession chronologique appara�t somme toute assez simple. En revanche, quand les textes ne se distinguent que par des �carts de quelques ann�es, au sein d'une m�me �poque, la t�che est souvent plus ardue. Pour ce qui nous concerne, nous nous trouverons g�n�ralement dans le second cas de figure ,puisque parfois il s'agira de dater des textes fort peu espac�s dans le temps : �ditions successives, faux faisant de peu suite � leurs mod�les Le temps est au c�ur de notre travail: non seulement parce que le sujet m�me du proph�tisme rencontre n�cessairement la question du temps mais d'abord parce que l'on s'y interroge sur la capacit� d'un texte � se perp�tuer et au prix � payer, en termes de transformation, de solution de continuit�, pour traverser les si�cles tout comme sur le processus de formation d'un texte, les �tapes de sa mise en place. Notre m�thodologie pourrait se r�sumer ainsi : reconstituer une progression logique du texte en s'appuyant sur les documents disponibles non pas pour r�duire notre champ mais pour nous aider � le circonscrire, au prix �ventuellement d'hypoth�ses rendant compte de certaines lacunes d�cel�es au sein de notre corpus, tant pour ce qui est de textes manquants que de textes ob�issant � une autre succession temporelle que celle qu'on leur attribue habituellement. � Le Proph�tisme pourrait s'ins�rer selon nous dans le champ de la communication. L'important est plus ici le medium, le canal, que le message. Un propos extr�mement simple que l'on pourrait r�sumer en quelques mots va devoir s'ins�rer au sein d'un ensemble extr�mement complexe ou passer par tout un d�cryptage. A l'historien du proph�tisme de parvenir � retrouver le message au sein d'un texte touffu, tel un recueil de pi�ces ,tel une s�rie de quatrains etc. Il y a souvent apparente disproportion entre le message conjoncturel et le travail de compilation de l'auteur du texte. Prenons l'exemple de la Proph�tie des Papes du pseudo-Saint Malachie. Bien que le texte en soit relativement bref, il n'en comporte pas moins une approche des armes d'un nombre important de pontifes se succ�dant sur plusieurs si�cles. Mais certains critiques soutiennent, probablement � juste titre, que le but r�el de ce texte �tait de faire �lire un cardinal au tr�ne de Saint Pierre, � la fin du XVIe si�cle. On aurait pu certes diffuser un pamphlet disant : ��Elisez le cardinal Un Tel�� mais cela n'aurait pas eu le m�me impact, jamais assur� au demeurant, qu'une telle m�canique de propagande se r�f�rant au XIIIe si�cle et � un Saint. A quoi sert le message s'il n'est pas entendu�? L'on pourrait soutenir que le texte proph�tique accouche souvent d'une souris. Cela dit, au del� des circonstances imm�diates et du message premier, la fortune du texte peut se poursuivre soit parce qu'on y introduira ,par interpolation, d'autres messages ,soit parce qu'on saura utiliser tel passage a priori insignifiant du texte � qui n'�tait initialement plac� que dans un r�le de figurant ou de remplissage, pour, au prix d'une certaine grille d'interpr�tation, lui conf�rer un message ad hoc. Dans le cas des Centuries de Nostradamus, l'on peut ainsi se demander s'il y avait un premier message ins�r� dans un ensemble aussi dense et si les commentateurs des si�cles suivants n'ont pas, profitant du prestige d'un tel texte, voulu y faire passer d'autres messages. Quitte, d'ailleurs, � produire de nouvelles centuries cens�es �tre du m�me auteur et comportant le message souhait� pour un lecteur averti ou du moins sensible � certaines allusions li�es � une actualit� politique donn�e. En l'occurrence, celui qui lit un tel texte ne peut y d�celer que ce qu'il conna�t : le texte est un miroir et l'homme du XXIe si�cle y verra des �v�nements qui le concernent, le texte proph�tique conf�rant une objectivit� suppl�mentaire � ses convictions ou � ses craintes. L'allusion d'un texte proph�tique � des personnages inconnus du lecteur, �trangers � sa culture g�n�rale, sera a priori moins pr�gnante que celle qui renvoie � des situations qui lui sont famili�res, d'o� un anachronisme oblig�. Nous avons parfois du mal � admettre qu'un message li� r�trospectivement � un �v�nement apparemment tout � fait mineur, au regard de l'Histoire, puisse avoir �t� le fondement de l'�laboration d'un ensemble proph�tique imposant et nous voulons croire qu'un tel effort ne peut avoir de sens que si le texte renvoie � un �v�nement ��r�ellement�� important � nos yeux, soit parce que ratifi� par l'Histoire dans la longue dur�e, soit parce que li� � nos pr�occupations imm�diates, que nous avons toujours tendance � amplifier. Une approche syst�matiqueO� en sont les �tudes sur le proph�tisme moderne ? Il semble bien que l'on en soit encore largement au stade de travaux ponctuels et les synth�ses d'une Matrjorie Reeves n'apportent gu�re d'�l�ments m�thodologiques. L'important pour nous n'est pas d'aborder tel ou tel auteur � ce qui nous aurait fait d'ailleurs courir le risque de constituer des corpus incomplets du fait de crit�res de s�lection trop �troits � ou telle �poque, que nous ne pourrions situer en connaissance de cause dans la longue dur�e. L'enjeu est bien au niveau des m�thodes. Il va de soi que si tel type d'argumentation est apparemment acceptable dans un cas donn�, en revanche est il pour autant g�n�ralisable sans atteindre l'absurde ? Nous nous sommes refus� � user de proc�d�s que nous ne pourrions appliquer � des �uvres tr�s diverses et en contre partie, nous nous sommes autoris� � mettre en pratique une approche qui trouve sa justification � plusieurs moments de l'Histoire du proph�tisme. Il convenait en effet d'�laborer une �pist�mologie des recherches sur le proph�tisme, d'en cerner la sp�cificit�, les �cueils, condition en fait pr�alable � toute �tude particuli�re d'un texte donn�. Nous avons donc voulu pr�ciser une certaine m�thodologie que nous avons appel�e ��analyse chronologique��. Notre approche se distingue de l'habituelle approche bibliographique par la place que nous accordons � la logique interne des moutures en pr�sence. Si notre travail se situe dans la sph�re de l'Astrologie et de la Proph�tie, notre propos ne s'en inscrit pas moins dans une probl�matique plus vaste que nous souhaiterions pr�ciser avant toute chose. Nous nous situerons � la fois comme Historien des textes et comme Historien du Proph�tique, le proph�tique apparaissant en quelque sorte comme le champ d'application d'une m�thodologie d'approche des textes. � L'Histoire des textes � cadre dans lequel nous nous situerions donc volontiers � rencontre un certain nombre d'enjeux. Il s'agit d'�tudier comment un texte se forme et se transforme, s'amplifie, subit des additions, se modifie pour mieux s'adapter et survivre alors que, par ailleurs, le texte donne superficiellement une impression d'unit� et d'intangibilit�. Il s'agit au fond d'une sorte de gen�se, de "biographie" de ce personnage qu'est le texte . Les questions de m�thode que nous abordons ici recoupent donc bel et bien celles de la critique biblique. laquelle souligne la disparit� derri�re l'unit� de fa�ade du canon. C'est en fait ce concept d'unit� affich�e du texte qui nous a int�ress� au plus haut point. De quelle mani�re, au demeurant, proc�de-t-on pour dissimuler la disparit� des sources et des composantes; l'int�gration d'�l�ments nouveaux, �trangers�? Probl�me qui au demeurant vaut aussi pour une th�se de doctorat constitu�e de strates successives, d'orientations de recherche diverses et qui, in fine, ne doit pas a priori, laisser subsister d'incoh�rences li�es aux m�andres des investigations. Il existe �videmment des proc�d�s rudimentaires qui suffisent g�n�ralement � conf�rer aux yeux du public, une telle apparence d'unit�. Tout comme l'on peut imprimer sur une langue un r�seau de facteurs morphologiques (d�clinaison, conjugaison) qui font oublier l'h�t�rog�n�it� du corpus, la part des emprunts. Certes, le seul fait qu'une s�rie de documents soit rassembl�e sous un seul et m�me titre peut suffire � conf�rer superficiellement un pr�jug� d'unit� voire de compl�mentarit� et non de simple juxtaposition, c'est la fonction du recueil. Il peut aussi s'av�rer efficace d'imposer un certaine forme, telle celle de quatrains � dans le canon nostradamique �, � tous les textes consid�r�s pour renforcer l'id�e d'un moule unique et �vacuer ainsi l'id�e d'�volution, de strates. C'est alors la porte ouverte � toutes les imitations lorsqu'il suffit de se plier � quelques r�gles formelles pour faire illusion D'autres probl�matiques viennent se greffer : l'on peut chercher � dissimuler le fait qu'on a remplac� un texte par un autre en ne modifiant pas le titre ou la pr�sentation mais l'on peut aussi vouloir, � l'inverse � c'est notamment le cas des traductions � utiliser, sans grand changement, un texte sans rappeler que ce texte est d�j� ancien ou emprunt� � un autre auteur, dans ce cas, l'on est amen� au contraire � modifier le titre, le style pour brouiller les pistes. C'est la d�marche inverse qui consiste � rendre distinct ce qui est semblable. Il peut arriver ainsi qu'au sein d'un m�me recueil figurent des textes presque identiques mais sous des pr�sentations diff�rentes l'on se demande jusqu'� quel point les lecteurs avaient le sentiment d'une redondance et non pas simplement d'une convergence[1]. A l'historien des textes de r�tablir les filiations, de distinguer les apports, de d�monter les proc�d�s tout en reconnaissant le bien fond� d'une mise en �uvre d'un processus d'�conomie : recyclage et refonte des textes plut�t qu'�laboration de nouveaux textes, stricto sensu, n�cessit� d'organiser les textes autour de p�les de fa�on � �viter la dispersion. et la multiplication. Mais pour faire appara�tre cet effort d'harmonisation, encore faut il prendre conscience qu'il n'y avait pas harmonie au d�part. A l'historien des textes de ne pas se laisser leurrer par les supercheries, les plagiats les ajustements tardifs, les documents antidat�s, les solutions de continuit�. C'est pourquoi nous avons introduit la forme ��nostradamique�� par opposition � ��nostradamien�� pour d�signer des textes se pr�sentant comme �tant de Michel de Nostredame mais dont le caract�re d'authenticit� reste pour le moins suspect.[2] L'Histoire des textes rel�ve en fait de celle d'une certaine manipulation visant � concilier tradition et modernit�. Au vrai, ces interventions trouvent leur justification dans une volont� de produire un ouvrage qui soit mieux re�u par le public d'une certaine �poque, qui gomme des facteurs qui pourraient cr�er un doute chez le lecteur et ainsi brouiller le message, lequel voudrait parfois se situer dans le champ du politique et de la raison d'�tat. Mais � l'Historien de d�jouer de telles astuces en ne laissant pas notre temps bern� par les pratiques de nos a�eux, une fois leur l�gitimit� �ventuelle devenue caduque. Il est bien rare que de telles reconstructions ne comportent quelque maladresse qu'il nous importe de rep�rer en tant que comptables, en quelque sorte, du patrimoine culturel, de fa�on � �viter une repr�sentation fauss�e des ach�vements d'autrefois, aboutissant � leur id�alisation. L'Histoire des textes proph�tiques, il va de soi, posera d'autant plus de probl�mes de ce genre. �tant donn� la vocation du texte proph�tique � pr�tendre cerner l'impr�visible. Il est vrai que le domaine du proph�tique est singuli�rement riche pour ce qui nous concerne: car, dans aucun autre champ, la n�cessit� de maintenir une apparence d'int�grit� et d'anciennet� n'est autant de rigueur. Il ne s'agit plus tant l� d'un principe d'�conomie que d'anticipation: il faut que l'Homme d�montre sa capacit� � annoncer les �v�nements et c'est pourquoi, malgr� les �checs, il maintient de telles ambitions. Au demeurant, les deux principes d'�conomie et d'anticipation se combinent fort bien ici: il suffit parfois de changer une date, quelques chiffres, un nom... pour actualiser un texte et en m�me temps pr�server son anciennet�, c'est � dire son recul face � l'�v�nement. Le probl�me des rapports entre Proph�tie et Astrologie est au c�ur de notre r�flexion d'autant que nous sommes d'abord, chronologiquement, un historien de l'astrologie et avons travaill� depuis longtemps sur un catalogue des textes astrologiques fran�ais qui aura servi de socle pour le pr�sent ouvrage[3]. Il appara�t en effet que le calendrier constitue un support naturel du discours proph�tique. C'est ainsi que les almanachs de Nostradamus nous semblent avoir constitu� le fondement de sa r�putation. Ce sont les formules lapidaires plac�es pour chaque jour qui en firent la r�putation. En ce sens, le calendrier nous appara�t comme porteur virtuel du proph�tique. Mais ce qui distingue astrologie et proph�tique ne tient pas tant aux techniques utilis�es mais � l'esprit dans lequel elles le sont. L'astrologue fait preuve d'une candeur qui n'est pas caract�ristique de celui qui travaille sur la mati�re proph�tique. L'astrologue cherche, semble-t-il, avant tout � faire rentrer certains �v�nements dans sa grille astronomique tandis que le proph�te ou son interpr�te s'efforceraient plut�t de mettre l'astrologie au service d'un enjeu politique, renouant d'ailleurs peut �tre ainsi avec la fonction premi�re de l'astrologie dans la Cit�.[4] A ce propos, pr�cisons que si l'astrologue est l'interpr�te d'un savoir qui appara�t comme d'essence physique, il en est diff�remment pour la proph�tie, et singuli�rement la moderne, plus ��humaine��, voire plus humaniste en ce qu'elle se veut �maner de la parole � m�me si elle est r�v�l�e � de l'Homme. [1] � Cf. J. Halbronn, Le texte proph�tique en France. Formation et fortune, Th�se d��tat, Paris X, 1999 et ��Ex�g�se proph�tique de la R�volution Fran�aise�� in Actes du Colloque Proph�tisme et Politique, Lausanne, Ed. l'Age d'Homme, 1994. [2] � Nous avons choisi, en tant qu'�diteur, le titre de l'ouvrage de R. Benazra R�pertoire Chronologique Nostradamique, Ed de la Grande Conjonction - G. Tr�daniel,. Paris, 1990. Nous avons �galement utilis� une formule du m�me ordre � ptol�ma�que � pour l��uvre suppos�e de Ptol�m�e : ��Etudes sur les Editions ptol�ma�ques de Nicolas Bourdin��, Postface du ��Centilogue de Ptol�m�e��, Paris, Ed G. Tr�daniel, 1993. En fait la formule en "ique" englobe l'ensemble des textes tant authentiques que douteux. Cf. notre compte rendu de ��Nostradamus, astrophile�� de P. Brind'amour in Politica Hermetica, Lausanne, L'Age d'Homme, 1993. [3] � Catalogue Alphab�tique des Textes Astrologiques Fran�ais (CATAF). [4] � Cf. J. Halbronn Article �Astrologie� in Encyclopaedia Universalis, Vol. 3, Paris, 1993. |
||
|