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Francisco Aliaga � Francisco Aliaga, de nationalit� p�ruvienne, fut tout d�abord un folkloriste, puis directeur du D�partement de Folklore de l�Institut National de Culture de Junin. Install� en France d�s 1973, il y obtint son doctorat d�ethnologie. Il fut sp�cialiste de la religion andine du P�rou. Nous consacrerons de nombreuses pages � son oeuvre dont bien des aspects demeurent in�dits. � �
� La cosmogonie Sur le croquis suivant se trouve repr�sent� le Cosmos des Incas selon Santa Cruz Pachacati. Tout d�abord, on voit dans la partie centrale sup�rieure une forme ovale, qui repr�sente selon le chroniqueur � le commencement et la fin de toute chose �, plus pr�cis�ment l�origine de notre syst�me solaire, lequel reviendra � son �tat origine � Big Bang � (a) apr�s �tre arriv� � sa fin. Cette forme ovale se d�compose en trois parties : La premi�re, Tonapa Wiracocha, repr�sente l��l�ment masculin, chaud, f�condateur. La deuxi�me, Pacha Yachachi Wiracocha, repr�sente l��l�ment f�minin, telle la terre, froide, et qui donne la vie. Enfin Ticci Wiracocha repr�sente l��nergie, �l�ment sans lequel la terre serait un d�sert sans vie. � Pour qu�il y ait une dynamique d��volution dans notre plan�te, l�existence de ces trois �l�ments compl�mentaires, m�le, femelle et �nergie, est indispensable. Des deux c�t�s de cette forme centrale, on voit le soleil (b), m�le, la forme ovale, �nergie, et la lune (c), femelle. Sans entrer dans les d�tails et suivant l�ordre des formes du c�t� du soleil, on peut dire qu�elles font partie de l��l�ment masculin, repr�sentant, en ce qui concerne les saisons, le printemps et l��t�, alors que les formes du c�t� de la lune sont les �l�ments f�minins, tout comme l�automne et l�hiver. La partie centrale de cette carte cosmique est la zone d��nergie o� s�unissent les �l�ments m�le et femelle qui engendrent la procr�ation et l�abondance. Nous pouvons voir la circulation de l��nergie sur le croquis suivant. Il est int�ressant de remarquer que cette �nergie �volue en circuit ferm�. La sph�re terrestre (d) du c�t� du soleil, appel�e Pacha Mama (M�re Plan�te), � l�int�rieur de laquelle on aper�oit trois montagnes repr�sentent �galement les trois �l�ments vitaux. Du c�t� gauche de la sph�re, ce qui para�t �tre une esp�ce de serpent est en r�alit� la foudre (e), qui tombe sous forme de pluie et cr�e une rivi�re qui fertilisera la terre et donnera la vie. Bans la partie basse, on voit un rectangle quadrill� (f) qui repr�sente des terres, lieu de reproduction des v�g�taux. A partir de notre analyse de cette carte cosmique, nous pouvons constater que le syst�me solaire et la terre ont le m�me principe, puisqu�ils ont leur origine dans l�union des �l�ments froid-chaud ou f�minin-masculin. Pour l�indig�ne, l�Univers est le reflet de son image et vice-versa. Selon cette conception, l�infiniment grand, comme les ph�nom�nes atmosph�riques et les accidents g�ographiques, est source d��nergie. En particulier, les montagnes sont peupl�es de ph�nom�nes qui �chappent � l�entendement, auxquels on donne un nom et que l�on identifie � une divinit�. Pour qu�il existe une harmonie avec l�homme, celui-ci assure, � travers les rites et les sacrifices, le bon fonctionnement de la r�ciprocit� entre le monde d�en haut et le monde d�ici. De m�me, il doit exister une compl�mentarit� au niveau de l�agriculture entre l�homme et ses anc�tres (monde d�en bas), auxquels on offre les meilleures graines de la r�colte pour assurer la germination des plantes. Avec ces rites et sacrifices, nous pouvons remarquer une fois de plus que l�homme des Andes attire l��nergie de l�espace et l�eau des pluies qui fertilisent la terre (mati�re). Par ce processus, il unit le monde d�en haut et le monde d�en bas dans le monde d�ici. En ce qui concerne les maladies, on peut dire qu�elles sont provoqu�es par la rupture de la r�ciprocit� entre le mat�riel et le spirituel. Les maladiesPour le gu�risseur, les maladies se divisent en trois cat�gories : les maladies envoy�es par Dieu, celles dont l�homme est responsable et les affections surnaturelles appel�es � atteintes �. Les maladies envoy�es par le Dieu chr�tien sont organiques ; celles caus�es par l�homme, appel�es � maux �, sont dues aux jalousies, haines, sorcelleries. Enfin, il y a les affections spirituelles, appel�es � atteintes �, comme la � maladie de la terre �. On attrape ce mal en passant ou en dormant dans un lieu � malsain �, au bord d�une lagune, de ruines arch�ologiques (anc�tres) ou de cimeti�res, charg�s d��nergies n�gatives. Les sympt�mes seront diff�rents selon les lieux et seul le gu�risseur (pongo) pourra soigner les maux provoqu�s par les entit�s tut�laires. Pour les m�decins de la ville, ces sympt�mes sont des maladies psychosomatiques � surmenage, d�pression nerveuse, m�lancolie, d�lires, etc. � m�me si le patient est un paysan andin qui ne subit en rien les pressions de la soci�t� industrialis�e : horaires � respecter, besoins particuliers de la vie citadine, etc. Le paysan prend son temps hormis lors des r�coltes pendant lesquelles son travail s�intensifie, mais en contrepartie il en profite pour bien manger et danser, en f�tant l��v�nement en communaut�. Cela d�montre bien que la vie � la campagne est beaucoup plus tranquille. � ce sujet, la m�decine officielle (occidentale) est divis�e. Certains m�connaissent totalement l�efficacit� de la m�decine traditionnelle et la combattent, alors que d�autres essayent d�en tenir compte en faisant une analyse critique d�un point de vue psycho-historique et anthropologique, cherchant des r�f�rences dans la mythologie andine. Le gu�risseurLe pr�tre de l�ancienne religion andine subsiste toujours gr�ce � la tradition orale, et l�actuel gu�risseur des Andes est le d�positaire des racines culturelles. Les pratiques du � pongo � trouvent leur origine dans la religion et les mythes qui font partie de l�histoire de cette soci�t�, � laquelle il manquait une �criture compr�hensible pour les Espagnols. Comme ses pr�d�cesseurs, le gu�risseur de l��poque actuelle continue de pratiquer les rituels agricoles, religieux et sociaux. Le � pongo � sert d�interm�diaire entre les habitants de la r�gion et la divinit� du monde d�en haut (Wamani) ainsi que ceux du monde d�en bas (les anc�tres). En analysant la technique du gu�risseur d�un point de vue objectif, nous pouvons dire qu�elle se compose de trois aspects : religieux, magique et magn�tique. G�n�ralement, il effectue les gu�risons au pied d�une colline ou d�une montagne, lieu habit� par la divinit� tut�laire de la r�gion. Le gu�risseur, au niveau religieux, offre � la divinit� de la montagne (Wamani) les offrandes acquises par le patient, avec lesquelles il pr�pare un autel (table) ainsi nomm� car on croit que la divinit� se nourrit du parfum r�pandu par la nourriture et les boissons. C�est aussi un moyen de mettre en pratique la r�ciprocit� entre le malade et la divinit� que le � pongo � interroge pour conna�tre la th�rapie � appliquer. Il re�oit la r�ponse � travers l��cho. En ce qui concerne l�aspect magique de la gu�rison, on peut constater, d�une fa�on symbolique, que le patient est persuad� que ses offrandes � la divinit� sont partie int�grante de sa personne et de la nature, et que les �l�ments sont sacrifi�s sur le lieu m�me. On peut dire que symboliquement il existe une communication �troite entre la divinit� et le malade. Pour ce qui est du magn�tisme, on peut prendre pour exemple les manipulations du gu�risseur, l�imposition des mains au moment o� l�on fait passer un oeuf et un cochon d�Inde sur le corps du patient. Le sorcier ou � pongo �, lorsqu�il dresse la table (rituel au cours duquel il dispose les offrandes consacr�es au Wamani), prend quelques petits verres d�alcool de canne � sucre et m�che une poign�e de coca. Pendant la dur�e de la c�r�monie (de 15 � 30 minutes), le gu�risseur se concentre et l�on peut remarquer que sa voix change de ton. Lorsque commence le rituel o� il consulte la divinit� de la montagne, le � pongo � entre dans une sorte de transe et l�on peut dire qu�� partir de ce moment-l� il perd contact avec le monde qui l�entoure : son regard se perd dans le vague, ses mouvements deviennent automatiques. Lorsqu�il est n�cessaire d�entamer un dialogue avec le patient, il revient � l��tat de veille, et lorsqu�il poursuit le rituel, il retombe dans une sorte d��tat second. Le � pongo � passe d�un �tat � l�autre sans aucune difficult�. G�n�ralement, il est accompagn� par une personne charg�e de r�p�ter les r�ponses faites en � quechua � et traduites par elle en espagnol car de nombreux � clients � qui viennent de la capitale ne comprennent pas la langue indienne. Il a pu �tre v�rifi� que dans son �tat le gu�risseur n�est pas en mesure de se souvenir de ce qui se passe pendant la s�ance ni m�me des r�ponses qui sont donn�es � son patient. Ni le gu�risseur ni les patients ne prennent de drogue, sauf de l�alcool de canne � sucre et des feuilles de coca (dont la consommation, lorsque les paysans travaillent dans les champs, est sup�rieure � celle du rituel). Ceci nous am�ne � penser que l�altitude joue dans ce cas un r�le tr�s important. Le glacier o� se d�roule le rituel se situe � environ 4 200 m�tres et le manque d�oxyg�ne peut �tre une des causes qui favorisent l�entr�e en transe. Certains patients perdent �galement connaissance, d�autres se mettent � parler de fa�on d�sordonn�e. Ce qui est une fa�on de dialoguer avec la divinit� de la montagne. La th�rapieNous allons �tudier maintenant le cas d�une habitante de Lima qui a eu une forte d�pression en apprenant par hasard que son mari avait une ma�tresse avec laquelle il avait eu un enfant. En rentrant chez elle, elle fit une crise de nerfs et quand elle arrivait en apparence � se calmer, elle se mettait � pleurer dans un coin. Elle d�cida de se s�parer de son mari mais quand elle voulut en venir au fait, elle s�aper�ut qu�elle n�avait pas les moyens de subvenir � ses besoins, pas d�endroit o� aller et, comme si cela ne suffisait pas, c�est alors qu�elle prit conscience qu�elle avait d�j� cinquante ans. De plus, elle ne voulait pas que sa famille soit au courant de son infortune. Petit � petit, elle se renferma sur elle-m�me, refusant de parler � ses enfants, pleurant continuellement ou soupirant sans cesse. Un an plus tard, son �tat de sant� ne s�am�liorait pas. Malgr� les traitement m�dicaux, son cas empirait, provoquant des acc�s de violence. Elle fut donc intern�e � deux reprises dans un h�pital psychiatrique, et quand elle rentrait chez elle, elle tombait en �tat de l�thargie m�lancolique. L�ann�e suivante, il n�y avait toujours aucune am�lioration. De plus elle souffrait de tremblements dus aux �lectrochocs et aux tranquillisants. Un jour un ami de la famille arriva de la montagne. Il lui conseilla de consulter un gu�risseur qu�il connaissait pour ses gu�risons de maladies d�licates. Mais les membres de cette famille se trouv�rent confront�s aux inhibitions et tabous de la religion catholique parce que, pour eux, le gu�risseur �tait un sorcier qui pratiquait des rites d�moniaques. Ayant vaincu leurs probl�mes de conscience, ils d�cid�rent de se rendre � la montagne pour rencontrer le gu�risseur. L�homme leur demanda d�apporter une tenue de lingerie neuve, six oeillets rouges et six blancs, du vin doux et du vin blanc, une bouteille d�anisette, trois pommes rouges, de la jora, pr�paration � base de ma�s pour faire la chicha (bi�re), du sucre blanc, un �uf frais, un cochon d�Inde noir, des sucreries, des biscuits en forme de petits animaux, de l�alcool de canne, des feuilles de coca et des cigarettes. Au jour d�cid� par le � pongo �, il les emmena au pied d�un r�cif montagneux qui se trouvait � environ 4 500 m�tres. Cette montagne �tait le mont tut�laire de la r�gion dans laquelle r�sidait la divinit� Wamani. Avec l�ensemble des �l�ments apport�s par la patiente, il dressa un autel ou une table d�offrandes et il expliqua � la malade qu�il effectuerait un rite pour modifier son sort. Le gu�risseur invita les patients et les accompagnateurs � s�asseoir en demi-cercle face � lui et ils commenc�rent le rite. La dame dont on s�occupa en premier, distribua une poign�e de coca � chaque personne, et un quart d�heure plus tard ils burent un verre d��alcool de canne. Tous les malades parlaient de leurs maux respectifs. C��tait une esp�ce de communion, renforc�e par l�effet de la coca, des cigarettes et de l�alcool. Une demi-heure plus tard, le � pongo � prit la femme par la main et la fit s�agenouiller � c�t� du petit autel. Ensuite il demanda la permission au Wamani, l�interrogeant pour savoir s�il ne voyait aucun inconv�nient � ce qu�il soigne la malade. Apr�s un moment de questions et r�ponses, le � pongo � entreprit la gu�rison. D�abord il lui appliqua l��uf sur le corps entier, particuli�rement sur la t�te, en finissant par les pieds. Ensuite il fit une pause, cracha le coca qu�il avait dans la bouche, en reprit une autre poign�e et un quart d�heure plus tard environ, le rite recommen�a. Cette fois-ci il passa le cochon d�Inde sur tout le corps et � la fin de cette manipulation, il y eut une autre pause. Plus tard commen�a le paiement appel� �galement � anguso �,. qui consiste � r�pandre les vins et le sucre vers d�autres montagnes, d�autres r�gions, en l�occurrence celle de Lima appel�e San Cristobal. Puis le gu�risseur fit quelques pas sur la lingerie qu�il avait plac�e d�un c�t� de l�autel, r�cita quelques pri�res, pla�a deux �illets blancs sur le linge, le fouetta avec une botte de rue et ordonna � 1a femme de changer de lingerie. � quelques d�tails pr�s, c�est ainsi que se conclut la c�r�monie. Le lendemain, la malade avait chang� du tout au tout. Elle se sentait en pleine forme, �tait de bonne humeur, et un second rite suffit � sa gu�rison totale. L��quilibre des trois mondesA partir de la gravure de Santa Cruz Pachacuti, nous pouvons voir que l�apparition du cosmos a �t� due � l�union de deux �l�ments, le chaud et le froid, qui ont engendr� l��nergie, troisi�me �l�ment qui fonde notre syst�me solaire. Si nous consid�rons la gravure repr�sentant notre plan�te, le soleil et la lune cr�ent l��nergie sur la terre. Ils s�identifient aux �l�ments masculin/f�minin, chaud/froid, jour/nuit. En ce qui concerne les saisons, le printemps et l��t� se situent du c�t� du soleil et l�automne et l�hiver, du c�t� de la lune. L�union de l��t� et de l�automne (chaud/froid) ainsi que celle de l�hiver et du printemps (froid/chaud), temp�ratures oppos�es et compl�mentaires, font na�tre l��nergie qui rend possible la fertilisation de la terre. Quant aux maladies, elles peuvent �tre dues aux changements de temp�rature, d�o� le soin extr�me apport� aux herbes qui sont appliqu�es lors des traitements. D�abord est d�termin� le genre de maladie en fonction de sa cause : si c�est le froid qui a provoqu� le mal, le patient se verra ordonner des herbes � chaudes �, et dans le cas contraire, des herbes � froides �. On diff�rencie aussi les herbes masculines et f�minines. Tous ces traitements sont valables lorsque l�on a affaire � des maladies organiques mais lorsqu�il s�agit de maladies � engendr�es par la sorcellerie �, la gu�rison se fait au pied du glacier. Le gu�risseur a pour r�le de cr�er l�harmonie entre le � monde d�en haut � et le � monde d�en bas � pour les relier au � monde d�ici � (� la surface de la terre). Par le biais de ce rituel l�Indien suit le fil conducteur qui unit l�homme � un monde magico-religieux et lui permet des �changes entre le monde naturel et le monde surnaturel, la conscience et l�inconscient, domaines compl�mentaires indissolubles. Par cons�quent, la th�rapie indig�ne conserve l��quilibre des trois mondes et des �l�ments qui les constituent. | ||||
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