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Illel Kieser |
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Première partie – Intégration, assimilation, dissimilation
Dans le lieu même de la souffrance et de l'idée fixe, on introduit une exaltation telle, une si magnifique violence, unies au martèlement des mots, que le mal progressivement dissous est remplacé par une boule aérienne et démoniaque – état merveilleux ! Henri Michaux, préface à « Exorcisme » PrésentationReprise d’une conférence donnée au premier congrès maghrébin de Psychologie, 14-15-16 mars 1989 – Hammamet, Tunisie.
Le thème du congrès, Adolescence et identité,
ne pouvait, selon moi, se poser sans que l’on aborde les questions d’identité
qui se présentent à nous psychologues, sur un plan individuel d’abord,
collectif ensuite. L’adolescence est en effet, une catégorie sociale inventée
de toutes pièces pour nommer cette étonnante phase durant laquelle un individu
dispose de tous les attributs de l’adulte sans, cependant en avoir le statut. À l’heure de la mondialisation, au moment où il est
beaucoup et partout question d’assimilation, d’acculturation, il me paraissait
légitime d’aborder également ces thèmes. Je montrerai alors que les meilleures
intentions du monde – celles qui prônent l’assimilation ou l’intégration
culturelle – peuvent avoir des effets dévastateurs, tant du point de vue
individuel que collectif. En symétrie, les thèses selon lesquelles, une
minorité ne pourrait s’intégrer à une plus vaste entité collective que si sa
représentation du monde et ses rites sont préservés, posent tout de même, à un
moment ou à un autre la question de la formation de ghettos, quelque louables
que soient ces propositions. Enfin, il n’est jamais question de
« dissimilation », ce processus par lequel deux groupes culturels se
fondent pour en créer un troisième, perdant alors l’un et l’autre l’essentiel
de leur représentation du monde. J’aimerais, par tendance utopiste peut-être,
avancer sur ce chemin et poser les termes d’une société métissée. Définitions
classiques, approches
Identité
: le mot est
peu prisé des encyclopédistes qui renvoie leur lecteur à Identification. Dès lors la mécanique psychanalytique se remet à
tourner. Le processus d'identification est un des concepts les plus opérants de
la psychanalyse et de la psychologie. Il est en rapport avec la projection. Il
est à l’œuvre dans la constitution du moi et, par suite de la mise en mouvement
des autres instances, il se trouve à l'origine de la constitution du Moi.[i] Dans la constitution d'un modèle de Moi idéal, les
Imagos parentales sont directement impliquées à cette période de la vie. C'est
la recherche d'une identité qui fera que l'adolescent se retrouve plus ou moins
en conflit avec ses parents. La réactivation des fantasmes de l'enfance se fait
selon des modalités spécifiques. La période de l'adolescence semble être celle d'un
retour sur soi, si l'on entend par là retour au Moi propre. L'expérience de la sexualité renforce l'anxiété liée
aux problèmes de l'identité. Et « la sexualité normale, expérience que les
conjoints partagent, et qui semble avoir chez eux la même orientation, renforce
le sentiment d'unité et d'identité. »[ii] Cette référence nous permet d'introduire la pensée de
Jung qui nous servira de trame tout au long de l'exposé. Jung situe les
problématiques de l'identité au plan de l'expérience enfantine tout comme Freud
mais également au plan de l'Histoire générale des peuples et des cultures,
c'est-à-dire dans la dimension du concept
généalogique de Hegel. Cela nous amène donc à la théorisation de Michel
Henri sur la culture et l'intégration des données de l'Histoire à celle-ci.[iii] Nous n'entendons pas être limité par un cadre ou un
autre car l'examen des phénomènes prime. Plus que jamais, la vérité du moment,
synthèse de la marche d'un être vers son destin, prime sur toute autre grille
d'investigation. Nous verrons combien la crise d'identité projetée sur
les contenus de la culture peut avoir des conséquences importantes pour la vie
d'un individu. Bien entendu les corrélats sont multiples puisque à
partir de la question de l'identité, toute une réflexion se met à rayonner.
Nous accorderons une large part à la question posée par la rencontre de deux
cultures. Positionnement
en psychologie et en anthropologie
La psychanalyse fait de l’analyse du transfert et du
contre transfert le nœud de la cure. C’est en effet dans l’espace sacré de
celle-ci que se place un jeu de représentations qui récapitule les vies de
chacun des protagonistes. Nous savons donc qu’il y a, dans une relation entre
deux êtres, des projections qui faussent le jeu de la parfaite objectivité,
celle qui postulerait qu’il existât un observateur neutre et un objet agissant
selon son gré. Les « sciences dures » elles-mêmes, nous enseignent
qu’il existe entre l’observateur et son objet d’étude une sorte d’interférence
qui fausse le recueil parfaitement objectif des données. J’ai donc pris pour habitude, concernant mes exposés,
de ne jamais poser les choses en terme d’observateur/observé, avançant pour
preuves de mes arguments ce qui viendrait de « cas cliniques ».
D’abord je préfère parler de témoignage et les témoins ne sont pas muets, il
leur est demandé chaque fois leur collaboration, la finalité de nos échanges
étant connue. De plus, afin que chaque lecteur, chacun de mes pairs puisse
soupçonner à quel endroit mon histoire et ma dimension personnelles interfèrent
avec ce dont je témoigne, j’ai pris pour habitude de signaler où le problème
que j’aborde m’implique… Enfin, l’utilisation de la première personne du
singulier signale une prise de position personnelle ; de la première
personne du pluriel quand il s’agit d’exprimer ma participation à une
collectivité quelconque. Concernant ma position épistémologique, que
mes pairs sachent que je suis conscient et de l'inconfort de ma position et du
risque d'interprétation de mes propositions. Comme homme de science, je ne puis
cependant ni faire de concessions aux dogmes institués ni non plus me laisser
happé par des pseudo-savoirs qui fleurissent présentement dans divers courants de
psychologie fondamentaliste. Introduction
Ma question portera sur les notions d'identité et sur les contenus que nous donnons à celle-ci. J'insisterai sur le fait qu’en psychologie, il est autant question de mimétisme que d'identité. L'identité se repère selon une modélisation et non selon un caractère endogène dont l'action se traduirait par des actes libres. En fait l’identité, on le devine, nie la notion de liberté et d’affranchissement des contraintes de l’histoire personnelle, du contexte, etc. Ma réflexion portera sur l'élaboration de la personnalité, je tenterai du moins d'interroger la psychologie sur la notion de structure de la personnalité. Enfin je donnerai des éléments de compréhension de la façon dont il est permis d'envisager la genèse de la personnalité selon Jung. A partir de ces exemples, par un début de théorisation[iv] je montrerai qu'il convient désormais d'être prudent quant aux contenus donnés à ces notions devenues trop imprécises. En effet le « désormais » porte sur l'élargissement des notions de Nation et de Culture Nationale. A l’heure de l’intégration européenne – encore une intégration-assimilation-digestion, il importe de créer des outils assez souples et fiables pour nous permettre d’analyser ce qui se passera du côté des « minorités » provinciales et de prévoir un futur propice au développement des générations futures. M'appuyant sur les travaux de nombreux sociologues, je dirai que nous vivons à l'ère d'une culture multi-raciale, multi-ethnique, à type mondialiste plutôt que nationaliste. Cela bouleverse par conséquent l'entendement classique de l'élaboration de l'identité. Le psychologue, me semble-t-il, doit en tenir compte. Mais plus loin que cette notion de culture je montrerai que les concepts sur lesquels nous travaillons en psychologie sont très largement dépassés et ne tiennent pas compte de nombreuses nécessité d’une société – mondiale – qui est en perpétuelle transformation. Si nous nous faisons une obligation d'écouter d'autres cultures, sans dévoyer le sens qu’elles donnent aux mots et à leurs mœurs, il convient de revoir les concepts fondamentaux de la psychologie générale. Je prendrai l'exemple de la Conscience et de son acquisition. A l'aide de quelques repères précis, je montrerai que la Conscience se définit clairement selon des paramètres exclusivement nord-occidentaux. A bien y regarder cette notion est finalement réservée à l'élaboration de l'outil, de la transformation du monde extérieur. C’est la conscience que nous avons attribué à l’Homo faber. Mais, s'il n'est plus question de transformer le monde extérieur[v] – les robots le font très bien – mais de se transformer soi-même alors cette notion de Conscience est dépassée. Il nous manque cependant des moyens de concevoir une Conscience qui engloberait la première sans l’invalider et qui serait aussi apte à englober la différence autrement que dans une lutte armée. Et c'est pourquoi l'Occident en arrive à
introduire des techniques comme le yoga, la méditation. Il manque à la culture
utilitariste ces outils-là. Il lui manque par dessus tout la possibilité
d'échapper à l'extrême absurdité du monde des concepts auquel il tente
maladroitement d'échapper par une route bien plus absurde encore. Les concepts
exotiques ne sont-ils pas poétiques ? On ne peut prétendre « élargir son
champ de conscience » en pillant le patrimoine des autres cultures –
orientales de préférence. On commet la même erreur que celle qui fut à
l’origine des guerres de colonisation. On veut bien assimiler une culture ou
certains de ses outils mais en les isolant de leur histoire et de leur
contexte. Ces notions, si anciennes que sont
l’identification et la culture, sont-elles encore opérantes ? Sont-elles
aptes à constituer des modèles à partir desquels nous pourrions observer des
règles, des constantes concernant la dynamique des flux migratoire de
population, ceux-là mêmes qui posent des problèmes d’identité ? ConclusionJe me suis placé ici du point de vue de la théorie jungienne des archétypes pour approcher et tente de comprendre pourquoi depuis des millénaires le problème de l’étrange se pose encore en des termes violents qui font de l’Étranger et de l’Étrangeté des victimes plutôt que des sources d’enrichissement et de mutation. Pourtant les faits sont là, l’histoire contemporaine l’a assez montré. L’intégration des grandes masses de population déplacées durant et après les guerres du xxe siècles ont considérablement enrichi les pays d’accueil tant d’un point de vue économique que culturel. Et malgré ces épisodes sanglants, l’Homme Blanc, en dépit de son formidable savoir, est contraint d’accepter une évidence : depuis cinq mille ans, date approximative du sacrifice raté d’Abraham, cette tranche de civilisation que nous habitons demeure un vernis derrière lequel gît un abîme de sang et d’horreurs. Pire, chacun doit méditer sur les conséquences qu’auront sur les générations futures les massacres perpétrés durant ce siècle qui demeura dans l’Histoire comme le plus cruel. La civilisation a réussi ce tour de force fantastique d’ériger le crime en œuvre rationnelle. La psychologie ne peut alors que nous faire prendre la mesure de l’ignorance que nous avons de nous-même.[vi] Il y a pire encore, un grave attentat a suffi pour qu’encore une fois, l’Homme blanc perde sa dignité en se lançant dans une véritable croisade – car c’est ainsi qu’il faut appeler cette chasse aux terroristes. C’est dire que les sciences humaines n’ont apporté au monde aucun modèle – un ensemble de représentations – suffisamment cohérent pour que les philosophes et les moralistes s’en emparent et en fasse un modèle de société que les politiques auraient pu reprendre. Par conséquent, il nous faut reconnaître que certains concepts devront être abandonnés car ils sont inopérants et retardent les connaissances. Les concepts de culture, d’identité et leurs corollaires – assimilation, intégration, acculturation, etc. – sont désormais désuets. Vouloir les reprendre au sein d’un corpus serait faire œuvre dogmatique. Il y a des évidences : la notion de culture s’est forgée en dialectique à celle de nature[vii]. Or le siècle a vu la nature, telle qu’on la concevait encore au XIXe siècle, fondre comme les glaciers européens. Ce terme n’a plus de sens dès qu’il s’agit désormais de décrire un champ social à l’intérieur duquel opèrent certains modèles collectifs. L’état du monde se présenterait actuellement comme un gigantesque emboîtement à la périphérie duquel régnerait l’ordre impressionnant de la « mondialisation » et au sein duquel survivraient de manières très diversifiés des particularismes qu’il convient d’analyser d’abord avant d’en définir les contours. En effet, si on connaît relativement bien les règles qui fondent la cohérence et la puissance de « l’ordre universel », on ignore tout ou presque des micro-sociétés qui survivent ça et là et qui n’ont plus aucun des caractères archaïques des éléments qui les composent. Il n’existe plus de société « originelle », la plupart son métissées. Et nous savons très peu de chose du métissage, puisque nous persistons à fonctionner par rapport à lui selon des réflexes multi-millénaires, le rejet d’abord. Voilà pourtant une nouvelle force de la civilisation qui serait en route depuis quelques siècles et qu’aucune science n’a encore domestiquée. Enfin, parallèlement à cela, si les notions d’identité et d’identification demeurent opérantes au sein d’un groupe stable d’individus, elle ne le sont plus dès lors qu’il s’agit de comprendre les mécanismes qui sont en jeu dans le brassage des individus. Depuis plus d’un siècle, il n’existe plus un seul groupe social stable. Nous savons au moins que la projection, comme moteur de la dynamique psychique individuelle demeure une constante. Mais nous savons aussi que cette projection peut devenir si fusionnelle qu’elle crée alors un mécanisme bien connu, celui des croisades, des pogroms ou des chasses au sorcières. Comment, dès lors, proposer aux éducateurs des modèles fiables qui leur serviraient de repères pour forger des outils adaptés aux exigences de ce monde en mutation ? Tels seraient les termes d’une première conclusion. Les choses ne s’arrêtent pas là pour autant. En effet, quand Levi-Strauss proposait la psychanalyse comme science maîtresse[viii], parce que, selon lui, elle était capable de proposer des modèles de connaissance, nous voyons que ca proposition est intenable. Le seul modèle que la psychanalyse peut actuellement fournir est celui de sa propre destruction, de son autodafé. Un des concepts clés de l’édifice psychanalytique, l’identification, qui est au centre de la constitution du moi, s’avère incapable d’expliquer les poussées de violence, le retour des rumeurs et des chasses à l’homme. Emboîtant le pas à J.B. Pontalis, il me paraît évident que la psychanalyse, en se vouant à l’empirisme des cas spécifiques s’est heurtée à des limites qui sont apparues infranchissables à mesure que les psychanalystes se perdaient en vaines trouvailles et en l’affirmation impérative de dogmes inopérants. Illel Kieser, Toulouse le 24/11/2001 [i] – Cf. Anna Freud, Le moi et les mécanismes de défense. Voir également Spitz, Embryogenèse du moi. [ii] – C.G. Jung. [iii] – Michel Henri, La Barbarie. [iv] – J’entends par théorisation le processus qui consiste d’abord à prendre une distance par rapport au fait, puis à en rendre compte. La conception d’un appareil conceptuel est une étape ultime qui ne saurait durer par elle-même dès lors que les faits lui donnent tort. Sinon, ce n’est plus de théorie dont il s’agit mais de dogme, donc de religion ! [v] – Le raccourci peut paraître saisissant, cependant je résume ici le prolongement que j'ai fait de la pensée de Jung sur le plan historique et politique. J'en donne un premier aperçu dans Houria, ouvrage inédit. [vi] – J.B. Pontalis, article : la psychanalyse, in Encyclopédia universalis, vol. 13. 1987. [vii] – Cf. Histoire de l’idée de nature, Robert Lenoble. [viii] – Anthropologie structurale, Plon, 1958, pp.311, sq. |
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