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L'Homme et ses images int�rieures

�La danse africaine

Germaine Acogny

Premi�re parution in Conscience de N� 10 � Cosmogonies 2 � septembre 1988, �d. Lierre & Coudrier

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D�s sa naissance, l'homme s'exprime avec son corps. Pour moi, la danse, est un prolongement naturel de la vie et des gestes quotidiens. La danse est le moyen d'expression de la pens�e et des sentiments. C'est ce qu'elle est encore aujourd'hui en Afrique Noire. C'est pourquoi, dans les danses populaires, les anciens dansent souvent, parfois m�me encore plus que les jeunes. Les anciens ont� beaucoup � nous apprendre, � nous communiquer, � nous l�guer afin que leur connaissance puisse survivre et enrichir les g�n�rations futures. La danse est un peu leur mani�re d'�crire, de marquer ainsi dans le temps et l'espace les mondes visibles et invisibles.

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Depuis que l'homme est apparu sur la terre, il a utilis� la danse pour honorer son cr�ateur ou de multiples divinit�s. C'est la raison pour laquelle, dans les premiers temps, toutes les danses avaient un caract�re rituel et sacr�. Tous les �v�nements importants de la vie de nos anc�tres ont �t� exprim�s par la danse. Loin d'�tre un divertissement, elle �tait une forme de pri�re : � Loin d'�tre la manifestation d'impulsions purement instinctives ou spontan�es, de ces bamboulas dont la litt�rature coloniale abreuvait ses lecteurs, les danses et les c�r�monies n'ont certainement pas pour finalit� l'on ne sait quel d�foulement collectif qu'on a bien voulu leur pr�ter; au contraire, elles ob�issent aux r�gles strictes des codes, qui pour �tre diff�rents de ceux auxquels sont soumises les chor�graphies occidentales, n'en sont pas moins pr�cis et sp�cifiques. De plus, elles sont institutionnalis�es, et n'ont lieu qu'� certaines occasions et � certaines �poques, selon des objectifs bien d�termin�s �. (J. Laude, in Michel Huet, Danses d'Afrique)

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Il y a ainsi les danses destin�es � faire tomber la pluie ou les danses des r�coltes, qui sont la manifestation de la joie collective, les danses du feu, de l'eau, les danses d'initiation... En Afrique plus qu'ailleurs, la danse est encore aujourd'hui l'expression de la vie.

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Les hommes ont toujours consid�r� Dieu comme �tant au dessus de tout, inaccessible � l'homme. Pour s'adresser � lui, ils ont utilis� les gestes, la danse et les chants. Chez les Yoruba, avant de commencer toute c�r�monie, il fallait d'abord calmer LEGBA, le Dieu du sexe et de la fr�n�sie, repr�sent� par un homme dot� d'une grosse verge de bois. On offre en sacrifice � cette divinit� protectrice de la maison, de la ville, du pays, un coq symbole de la puissance de l'homme charg� de la procr�ation. On invoque ensuite FA, la divinit� de la paix. Pour cette circonstance, deux sortes d'instruments de musique � percussion sont utilis�s : l'un grand, l'autre petit. Le son de l'un est aigu, celui de l'autre est grave. Ces instruments ou Assans, sont constitu�s de calebasses dans lesquelles on a ins�r� des graines que l'on agite. Les rythmes ainsi cr��s et les chants composent une symphonie. Tous les batteurs et les danseurs initi�s connaissent ces rythmes et ces chants. Chaque divinit�, en effet, a son rythme propre et c'est elle qui conduit la danse. C'est au cours de la p�riode d'initiation que les n�ophytes peuvent se familiariser avec les r�gles qui leur permettront d'acqu�rir la ma�trise du corps, le contr�le de soi, la force et le courage pour vaincre les difficult�s et se d�passer.

Aloopho ou l'h�ritage de ma grand-m�re

Le nom d'Aloopho lui fut donn� lors de son initiation. C'�tait une pr�tresse du Dahomey (aujourd'hui la R�publique populaire du B�nin), de la communaut� religieuse des YAO ORISA ce qui, en langue Yoruba au Nigeria et au Dahomey, signifie � �pouses de l'�tre tout-puissant et sacr� de la divinit� �. Les hommes et les femmes consacr�s aux divinit�s yoruba portent le nom de YAO ORISA. Aloopho avait �t� choisie par ses coreligionnaires et sacr�e IYA, c'est-�-dire m�re. On l'appelait IYA ORISA, la m�re du sacr�, du tout-puissant et on lui vouait un respect total et un amour sans ombre jusqu'� sa mort. Sa divinit� tut�laire �tait YEWA, d�esse de l'eau douce, symbolis�e par une colombe. Dans la tradition Yoruba, celui/celle qui est choisi(e) et consacr�(e) sera � tout jamais un adepte des dieux, les ORISA ou � VODUN � comme on dit en Fon au Dahomey. Ce choix peut �tre confirm� � la naissance ou au cours d'une c�r�monie o� l'on �tablit l'horoscope du futur adepte dans le but de pr�dire les vicissitudes qui jalonneront la vie de l 'enfant de sa naissance jusqu'� sa mort. Cette c�r�monie a lieu au sein m�me des familles Fon et Yoruba afin d' identifier l'�me ou l'esprit de l'anc�tre qui s'est r�incarn� dans le nouveau-n� (Les Fons et les Nagots du Dahomey ou du Nigeria croient en la m�tempsycose, et notamment � la r�incarnation des anc�tres d�funts dans le corps de leurs descendants.).Tout en �tant pr�tresse, Aloopho menait une vie simple et �tait une m�re de famille comme les autres. Elle n'avait qu'un seul fils, mais avait adopt� et �lev� les enfants de son mari qui �tait polygame.

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Les danses �taient organis�es sous l'Apatam : sorte d'abri au toit recouvert de branches de palmier. En tant que pr�tresse, chef de la c�r�monie, Aloopho ouvrait la danse, tenant dans sa main droite le couteau sacr�. Tandis qu'une onde parcourait tout son corps et secouait ses �paules, elle remontait ses bras en anse de panier et elle les remuait d'avant en arri�re avec une l�g�re g�nuflexion, puis tournoyait et imposait la main sur la t�te des spectateurs.

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La musique, la danse enivraient les danseurs initi�s qui tombaient en transes, poss�d�s par un dieu que l'on pouvait identifier gr�ce aux gestes et � certains signes sp�cifiques qui caract�risent chacun d'eux. Si le danseur �tait poss�d� par le dieu de la chasse, l'homme s'identifiait au chasseur et tapait le sol de ses pieds pour invoquer les esprits de la terre. Aloopho nous raconta comment un gar�on de huit ans, poss�d� par le dieu de la chasse quitta l'aire de la danse, entra dans la for�t et revint avec un �cureuil entre les dents. S'il s'agissait de LEGBA, le dieu du sexe qui s�me le d�sordre. le danseur ainsi poss�d� ex�cutait tous les mouvements de l'accouplement : rotation du bassin avec contraction pelviennes d'avant en arri�re. Ceux qui �taient ainsi poss�d�s �taient ensuite conduits au couvent pour y �tre trait�s, puis ils revenaient quelques temps apr�s dans l'aire de danse. En g�n�ral, la danse commen�ait dans l'apr�s-midi et se terminait tr�s tard dans la nuit � la lumi�re des torches ou des lampes � huiles.

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Pour les danseurs repr�sentant certaines divinit�s, le port du masque �tait obligatoire . Chez les GUELEDE � K�tu, le masque repr�sentait un visage yoruba aux scarifications rituelles. La position et la forme indiquaient l'appartenance � telle ou telle famille. Les jumeaux �taient repr�sent�s par deux statuettes. SHANGO, le dieu de la foudre, �tait repr�sent� par un homme portant sur la t�te une hache en forme de croissant.

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LISSA, la d�esse par excellence, �tait repr�sent�e par un collier blanc. La couleur blanche �tait celle de la d�esse. C'est pourquoi les premiers blancs qui sont arriv�s chez les Fon ont �t� si bien re�us, mais n'ont pas toujours bien compris le sens de cet accueil. Chez les Yoruba, les divinit�s �taient aussi symbolis�es par des pierres pr�cieuses, des m�taux comme l'or, l'argent, le cuivre. Chez les Fon, elles, �taient repr�sent�es par des mottes ; de terre et des troncs d'arbre sur lesquels on immolait moutons, b�ufs, poulets. Aloopho tournait parfois en d�rision la mani�re dont les divinit�s de son mari, d'ethnie Fon, �taient repr�sent�es.

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Chez les Yoruba et les Fon, on danse en balan�ant le tronc et les fesses au rythme de la musique. Lorsque celle-ci est inspir�e par des �v�nements heureux, la danse est rapide et enjou�e. S'il s'agit d'un deuil, par exemple chez les Mahi, le son m�lancolique est obtenu en renversant une calebasse au-dessus d'un bassin rempli d'eau que l'on frappe avec la base de la paume de la main : c'est le SIHOUN ou tamtam d'eau.

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Comme grande pr�tresse, Aloopho �tait charg�e de l'intronisation des nouveaux adeptes. Elle avait le pouvoir de faire le bien comme le mal mais se devait d'�tre honn�te et totalement disponible. La religion animiste est bas�e sur une loi d'�quilibre (le bien est r�compens�, le mal est puni). La religion chr�tienne ne nous a donc rien apport� de nouveau sur le plan du rituel. Chez les Yoruba, le bapt�me avait lieu le huiti�me jour apr�s la naissance. La m�re et l'enfant devaient quitter la case et passer sous l'eau que l'on versait sur le toit de la case. Ensuite, on faisait go�ter � l'enfant qui devait �tre baptis� du sel et du poisson fum�. Aloopho refusa de se convertir � la religion catholique, consid�rant que le bapt�me animiste �tait aussi valable que le bapt�me chr�tien.

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Elle �tait l'�pouse d'un homme � qui elle devait le respect. Chaque matin, elle se levait, balayait la cour et allait chercher l'eau � la rivi�re. Elle �tait tr�s habile pour la teinture � l'indigo consid�r�e comme un m�tier sacr�. Elle allait r�guli�rement au march� vendre du tabac et des allumettes, ainsi que des beignets de ma�s de haricot qu'elle pr�parait. Son �poux s'occupait des travaux des champs, mais c'est Aloopho qui g�rait la maison. R�guli�rement, � des dates tr�s pr�cises, elle se retirait pendant trois mois au couvent afin de pr�parer les futures initiations. Elle disait souvent que la bouche qui prie pour faire venir le bien ne peut pas prier pour le mal. Mais quand, dans la communaut�, quelqu'un risquait de compromettre l'�quilibre, c'est Aloopho qui �tait charg�e de punir le coupable. Elle faisait appel � � h�elou � pour que le mal descende sur celui qui avait profan�. En cas de besoin, les gens du village venaient la chercher. C'est ainsi qu'une nuit les parents d'un enfant malade demand�rent son aide, et aussit�t qu'elle eut asperg� l'enfant avec de l'eau b�nite, il se releva, gu�ri.

La femme, gardienne de la tradition

Aloopho nous raconta qu'un jour un chasseur trouva une biche � rayures sur le sommet d'un tertre. Chez nous, les termiti�res sont sacr�es. Il est donc interdit de tuer un animal qui s'y trouverait. Se moquant de l 'interdiction, et confiant en ses gris-gris, le chasseur tua la biche et envoya son chien la chercher; mais voil� que la biche et le chien disparurent � l'int�rieur du tertre. Avec l'aide de ses compagnons, et malgr� leurs haches et leur force physique, notre chasseur ne parvint pas � sortir le produit de la chasse. Penaud, il raconta sa m�saventure � son �pouse qui le traita de l�che et d'incapable. Cette derni�re alla chercher ses compagnes et avec leurs ustensiles de cuisine (calebasses, canaris, chaudrons) elles se dirig�rent vers le tertre sacr� tout en chantant et en dansant. Lorsqu'elles atteignirent le tertre, elles jet�rent tous leurs ustensiles dessus ; c'est alors qu'il s'ouvrit et laissa sortir la biche.

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Dans la soci�t� africaine traditionnelle, les femmes ont une force, une certaine primaut� notamment chez les Fon et les Yoruba. Il semblerait donc que gr�ce aux chants et � la danse, elles soient entr�es en contact avec les divinit�s de la terre, de l'air et du feu. En harmonie avec le cosmos, elles sont alors parvenues � un niveau de puissance spirituelle qu'il est impossible d'expliquer en termes rationnels. Lorsque nous dansons, il s'�tablit petit � petit une concordance entre la respiration, les battements du c�ur et le mouvement des bras et des jambes qui fait qu'� un certain moment il se produit un d�doublement de notre personnalit�, nous atteignons un �tat second. Des recherches pouss�es pourraient peut-�tre permettre de trouver une explication scientifique � ce ph�nom�ne. D'o� la n�cessit� d'une �troite coop�ration entre les g�n�rations anciennes, impr�gn�es de traditions, et les nouvelles form�es � l'esprit rationalistes des �coles occidentales. On pourrait envisager un programme de recherches � l'intention de ceux qui s'int�ressent de pr�s au lien entre la tradition et le modernisme en Afrique Noire, notamment dans le� domaine des chants et de la danse.

Mon histoire

Lorsque je naquis, le jour de la Pentec�te 1944, une colombe vint se poser sur la fen�tre de ma chambre � selon le r�cit de mon p�re �, et y revint chaque jour jusqu'� ce que j'eusse un an, puis elle disparut. On me surnomma IYA TOUNDE, ce qui, en langue yoruba, signifie : � la m�re est revenue �. Ma grand m�re Aloopho �tait morte depuis quatre ans et la colombe symbolisait sa divinit� tut�laire. J'�tais donc sa r�incarnation, et on s'attendait � ce que je r�v�le, du moins en partie, certains de ses traits de caract�re.

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A l'�ge de dix ans, je fus plac�e chez les religieuses, les s�urs de Saint Joseph de Cluny � M�dina, Dakar, mes camarades m'avaient surnomm�e DOFF BI (la folle) parce que je faisais sans cesse le clown et dansais tout le temps. Plus tard, au coll�ge des jeunes filles, je me d�sint�ressais de tous les cours, au grand d�sespoir de mes parents. Ma directrice d'�cole avait cependant remarqu� mes aptitudes pour l'�ducation physique et en avait inform� mon p�re, en mars 1961, en m�me temps qu'elle m'excluait en tant que demi-pensionnaire : � Toutefois, je dois vous faire part de quelque chose qui va peut-�tre vous faire plaisir. Le professeur d'�ducation physique m'a signal� que Germaine �tait exceptionnellement dou�e dans cette mati�re. En outre, elle se montre docile et disciplin�e � ce cours-l�. Mais Germaine devrait bien consid�rer qu'un dipl�me d'�ducation physique comporte par ailleurs une grande part d'enseignement g�n�ral (Baccalaur�at ou son �quivalent) et si elle veut le pr�parer, elle pourrait envisager le professorat d'�ducation physique dans les lyc�es et coll�ges. �

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En 1962, � l'�cole Simon Si�gel � Paris, je d�couvris la danse rythmique, tout en pr�parant mon professorat d'�ducation physique. Trois ann�es d'�tudes sous la direction de Mademoiselle Marguerite Lamotte, qui m'enseigna la discipline, l'amour du travail bien fait et la p�dagogie. Lors du recrutement, elle me fit remarquer que j'avais les pieds plats. Seule Africaine, je regardais la cambrure des pieds de mes compagnes, il fallait donc travailler cette partie du corps et tenter d'�tre comme les autres. Je m'aper�us tr�s vite que j'�tais incapable de les imiter. Je fus contrainte d'inventer des mouvements correspondant � ma nature.

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En 1965,de retour au S�n�gal, nantie de mon dipl�me de gymnastique harmonique, je pensais soulever des montagnes ! C'est alors que je rencontrai Katherine Dunham, une grande danseuse am�ricaine qui essayait de monter une �cole au S�n�gal. Il y avait plusieurs cours de danse amateurs � Dakar, dirig�s par des Europ�ennes, avec une pr�dominance pour la danse classique. D�s notre arriv�e, mon mari fut affect� en Casamance o� je le suivis. C'est l� que je d�couvris la danse africaine, j'assistais � toutes les f�tes du village, dansant avec les villageois; ce fut une v�ritable r�v�lation.

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Parmi les danses qui m'ont s�duite d�s mon arriv�e en Casamance et que je me mis � �tudier tout particuli�rement, figure le KOSONDE. Pour commencer, les danseurs marchent en cadence en suivant le rythme du chant, puis ils acc�l�rent le mouvement et finissent par cr�er d'autres rythmes avec leurs pieds tout en faisant des figures g�om�triques avec torsions du tronc � droite et � gauche.

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Pour la deuxi�me position, les danseurs se plient sur eux-m�mes en gardant les bras le long du corps, ceux-ci suivent les mouvements du tronc. Parfois le danseur saute d'un pied sur l'autre avec un temps de ressort sur chaque pied. Tout ceci peut �tre accompagn� de mouvements acrobatiques au sol.

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Je vous livre ici la description de cette danse ainsi que d'autres qui seront cit�es plus loin, relev�es dans les Archives Culturelles : � Le KOSONDE est une danse ex�cut�e chez les Balante, un des nombreux groupes ethniques de Casamance. Tr�s peu connu au S�n�gal, ce groupe ethnique poss�de un vaste r�pertoire de danses dont le Kosonde, particuli�rement riche en rythmes et en gestes. C'est une danse de pr�-initiation qui a lieu apr�s les r�coltes dans le but de permettre aux jeunes qui seront initi�s d'exercer leurs talents de danseurs avant d'entrer dans le bois sacr�. Elle est organis�e par les a�n�s � l'intention des jeunes, les jeunes filles vierges ont la possibilit� d'y participer, alors que les adultes des deux sexes en assurent l'animation torses nus, ceints d'une sorte de mini jupe en fibres v�g�tales, les pieds nus orn�s de sonnailles, les danseurs �voluent dans un mouvement circulaire uniforme, rythm� par le bruit sourd et lourd des chants accompagn�s du battement des tamtam et du son des trompes en cornes. �

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De retour � Dakar, je fus nomm�e professeur d'�ducation physique au lyc�e Kennedy. Dans le m�me temps, je poursuivais mes recherches sur la danse africaine, � Dakar m�me, o� les danses ouolof sont les plus populaires : ainsi le CEEBU JEEN et le JAXAAY MA LAAN. Le CEEBU JEEN (ou � riz au poisson � � le plat national) : commence par un �chauffement. Il s'agit d'une petite course effectu�e en sautillant d'un pied sur l'autre, le tronc pench� en avant, pendant qu'un bras ex�cute des moulinets alors que l�autre est pos� sur le nombril ou tient le pagne. Puis la danseuse l�ve une jambe comme si elle p�dalait et ex�cute un mouvement de moulinet � partir de la hanche en m�me temps que le pied pend ts d'une mani�re souple � hauteur de la r cheville de l'autre pied. Pendant ce temps, l'une des mains repose sur la hanche et l'autre s'�l�ve jusqu�� la nuque. Selon certaines sources, le CEEBU JEEN �tait d�j� � la mode vers 1928, elle �tait ex�cut�e par les femmes et �manerait des centres urbains. Cette danse �tait organis�e pour les c�r�monies de bapt�me ou de mariage. Les enfants, les jeunes filles et les hommes entre vingt et trente ans y assistent en tant que spectateurs. Les enfants s'assoient sur le sol pr�s des griots et des batteurs, g�n�ralement devant les femmes qui sont assises ou debout. Les jeunes filles se tiennent derri�re les femmes et les hommes derri�re les jeunes filles. Les femmes d'�ge m�r � m�nag�res, femmes de paysans et d'ouvriers, femmes de caste inf�rieure � forment le noyau du public. La s�ance commence vers dix-sept heures et se termine au cr�puscule. Il faut noter que cette danse n'est pas ex�cut�e � un moment sp�cifique de l'ann�e, bien que la saison s�che soit plus propice. le CEEBU JEEN peut aussi se danser lors de c�r�monies rituelles telles que le LAABAAN (c�r�monie de danses et de chants au lendemain de la nuit de noces) ou celle du tatouage des l�vres qui se fait toujours le matin de bonne heure. Le rythme de cette danse est cr�� par un ensemble de membraphones (de trois � cinq) accompagn�s de battements de mains. C'est une danse qui reste tr�s populaire.

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En 1968, divorc�e avec deux enfants, j'ouvris une �cole de danse africaine dans le fond de la cour de ma villa, au 58 Rue Raffenel � Dakar : �Danses africaines avec tam‑tam, kora et balafon �.

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Ma premi�re chor�graphie eut pour th�me � Femme Noire � sur un po�me de L�opold S�dar-Senghor. Les vers r�cit�s et accompagn�s � la kora (djimbassin) �taient mim�s par la danseuse dont le mouvement des mains et des doigts accentuait la m�lodie du chant et de la kara. Une danse joala, le BUGEREB assurait la transition entre les vers. Cette danse s'ex�cute en frappant alternativement les pieds sur le sol; au troisi�me temps, les deux pieds ensemble (6�me position classique) repoussent le sol en trois temps. Les bras montent � l'oblique en avant ou en arri�re en suivant le mouvement des pieds. Cette premi�re chor�graphie fut un succ�s si l'on en juge par les r�actions du public lors de sa repr�sentation au Th��tre National Daniel Sorano en juin 1972.

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La m�me ann�e, je fus nomm�e Chef de la section de danse � l'Institut National des Arts. Cette nouvelle situation me permit d'aller plus loin dans mes recherches sur la danse africaine.

Quelques danses importantes

Le BUGEREB ou JIBOMAJ JATI FONI est la danse la plus populaire chez les Joola. Comme son nom l'indique, elle est originaire du Foni, mais au fil des �ges elle s'est perp�tu�e dans tous les sous-groupes joala.

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Il serait tr�s difficile de dater la premi�re apparition de cette danse, mais on peut dire avec certitude que c'est la danse la plus connue du sous-groupe Foni. La musique provient d'un ensemble de plusieurs membraphones (jusqu'� six) de forme cylindrique d'environ 50 � 60 cm de haut appel�s UGER, frapp�s par les mains d'un batteur dont les poignets sont munis de sonnailles. Au rythme de base, s'ajoutent les chants et les battements des mains, ces derniers �tant de plus en plus souvent remplac�s par le frottement l'un sur l'autre de deux morceaux secs de p�tioles de r�nier. Tous ceux qui sont en mesure de fournir la force physique, l'habilet� et la gr�ce que requi�rent l'ex�cution de cette danse y participent. Le BUGEREB se danse � l'occasion de f�tes de toutes sortes, mais aussi � l'occasion de grandes manifestations � caract�re religieux.

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C'est � la fois une danse de divertissement et une danse rituelle. Elle peut �tre ex�cut�e lors du d�c�s d'une personne �g�e et les chants qui l'accompagnent alors �voquent la vie et les qualit�s du d�funt. En r�gle g�n�rale, cette danse a lieu pendant la saison s�che mais il arrive qu'elle soit organis�e � d'autres p�riodes de l'ann�e s'il y a d�c�s d'une personne �g�e. Les participants forment un cercle � partir de l'endroit o� se trouve le joueur de UGER. Les hommes et les femmes se placent respectivement � sa droite et � sa gauche et, parmi eux, les jeunes en cours d'apprentissage. Les couplets et le refrain des chants sont alternativement repris par les hommes et les femmes. C'est une occasion pour tous de prouver leurs talents de danseurs �minents.

Le BARA, ou danse des boubous est une danse malink�. Je l'ai choisie parmi d'autres car elle me semble contenir toutes les caract�ristiques et les mouvements de base des danses malink�s : mouvements brusques ou lents de la t�te d'avant en arri�re, ou d'un c�t� � l'autre, mouvements vifs ou ondulatoires de la colonne vert�brale faisant penser � un chat qui fait le gros dos ou s'�tire en le creusant. Les pieds sont en 6�me position en dedans � plat, puis demi-pointe avec torsion du tronc � droite ou � gauche, mouvements des poignets et des mains en moulinet, pose de pied demi-pointe, puis � plat. Cette danse s'ex�cute lentement avec beaucoup de gr�ce et de finesse.

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Le PITAM est une danse s�r�re similaire au BUGEREB : le pied, la jambe et le bras du m�me c�t� �voluent � l'unisson et alternativement sur le temps et le contretemps. Le tronc peut rester droit ou l�g�rement pench� en avant.

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� Nous avons remarqu� l'influence des danses mandingues sur les danses s�r�res. En mandingue, les S�r�res s'appellent � Cacin c� �, c'est-�-dire � les habitants de Cacine �. Selon la l�gende, un groupe de Mandingue aurait quitt� le village de Cacine en Guin�e Bissau pour s'�tablir dans la r�gion du Sine au S�n�gal o� ils seraient devenus les S�r�res que nous connaissons aujourd'hui. �

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Le WANNGO se danse jambe tendue avec le pied en flexion. Le pied, la jambe et le bras d'un m�me c�t� se d�placent � I'unisson, puis intervient l'autre c�t� pendant que l'on tape dans des mains et que les pieds frappent le sol. Le WANNGO est une danse r�cente. Selon certaines sources, cette danse populaire aurait �t� invent�e par un Maure nomm� Sidi Koyel, de la communaut� des Haal Pulaar. Il vivait � Boghe en R�publique islamique de Mauritanie et on dit qu'il �tait fou. Le WANNGO est une danse de divertissement qui r�unit toute la communaut� villageoise sur la place du village ou dans un quartier urbain, le soir apr�s d�ner, m�me en saison des pluies.

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Jeunes gens et jeunes filles entrent dans le cercle, un par un ou en couple, et dansent au son du TAMA (tambour d'aisselle) encourag�s parles chants et les battements de mains. Certaines jeunes filles d�dient ces danses � leur � petit ami � dont elles souhaitent ainsi faire l'�loge. Les adultes ‑ hommes ou femmes ‑ ne dansent pas le WANNGO, qui est principalement une danse pour les jeunes.

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En 1974, rencontre avec un autre pays du Sahel, la Haute Volta o� je fus invit�e par le Centre Culturel Fran�ais. La nouvelle danse africaine commen�ait � prendre forme, puisque les Volta�ques l'avaient appr�ci�e en tant que telle. En 1975, New York enfin, et pour la premi�re fois, le contact avec le jazz et la danse moderne. Apr�s avoir vu le travail d'Alvin Ailey, qui s'inspire des danses n�gro-africaines, j'�tais plus que jamais convaincue d'�tre sur la bonne voie.

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�tant moi-m�me Yoruba et Fon, je connais particuli�rement bien les danses des r�gions foresti�res. Ayant v�cu dans un pays du Sahel ( le Cap Vert ) et dans une r�gion bois�e (la Casamance), j'ai profond�ment per�u que la synth�se entre les danses du Sahel, ax�es sur les jambes et celles des r�gions foresti�res, ax�es sur les �paules et le bassin, me permettrait de concevoir un nouveau langage de la danse africaine. Bien que chaque r�gion de l'Afrique privil�gie la sp�cificit� de ses danses et de ses coutumes, nous devons plut�t chercher ce qui les relie, en ce sens que chaque danse est l'expression d'un �v�nement particulier de la vie.

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Dans ce livre1, toutes les descriptions de danses donnent les mouvements de base qui caract�risent chacune d'elle, donnant naissance � des variantes et des encha�nements. Les danseurs sont libres d'improviser � partir de ces mouvements de base, selon leur talent et leur agilit�. Toutes les danses d�marrent par une introduction, un mouvement lent suivi d'un mouvement rapide et un blocage qui permet de reprendre la figure.

L'�volution est un ph�nom�ne naturel

� Lorsque nous soumettons � l'examen de la pens�e la nature ou l'histoire de l'Humanit�, ou m�me notre propre activit� mentale, nous sommes imm�diatement confront�s � un enchev�trement infini de relations, actions et r�actions, o� rien ne demeure ce qu'il �tait, o� chaque chose se transforme, devient autre et passe.�

(Friedrich Engels, Anti-D�hring, Introduction).

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La danse africaine, elle aussi, �volue. Au moment o� certains parlent de retour aux sources, ils crieront au scandale et me reprocheront de vouloir introduire des �l�ments �trangers dans la danse africaine. L'enqu�te sociologique de Christian Volbert : � L'avenir des danses traditionnelles en C�te d'Ivoire � (Arts d'Afrique Noire n� 29) me para�t importante, car elle est significative de l'effritement de la culture traditionnelle, au profit de la culture occidentale, ph�nom�ne qui affecte particuli�rement les soci�t�s africaines. L'influence est l�; les �l�ments �trangers s'ins�rent que nous le voulions ou non. Un nombre de mesures doivent �tre prises pour contrecarrer cette tendance. Au lieu de laisser l'�volution se faire au hasard, nous, Africains pourrions la diriger et cr�er une danse africaine moderne. Ceci nous am�nerait � reconsid�rer la danse africaine traditionnelle dans un contexte urbain.

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La tendance actuelle des ballets, qui ne sont en fait qu'une simple transplantation de � la brousse � sur sc�ne, doit �tre abandonn�e parce que la danse traditionnelle n'a de sens r�el que dans son contexte socio‑culturel.

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On dit souvent que les Africains sont spontan�ment et naturellement dou�s pour la danse, qu'il leur suffit de donner libre cours � leurs instincts. Et pourtant, depuis les temps les plus recul�s, les jeunes gens se rendaient dans la for�t sacr�e au cours de l'initiation pr�cis�ment pour y apprendre les danses traditionnelles. Il est donc n�cessaire de cultiver les tendances naturelles par un processus d'�tude et un travail acharn�.

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De la synth�se des danses africaines (danse sah�lienne � danse de la for�t) d�pend l'int�gration des diff�rentes danses dans le monde : la danse afro-am�ricaine, la danse europ�enne, dite classique, la danse hindoue. Cette synth�se trouve sa place dans une �cole de danse � vocation internationale que je dirige depuis sa cr�ation en 1977, c'est Mudra Afrique la For�t sacr�e des temps modernes.

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La danse classique europ�enne pr�sente un aspect double�: d'abord un entra�nement physique complet qui permet ensuite d'aborder des styles diff�rents. De plus, � la danse classique comprend une quarantaine de pas, mais aussi, ce qui est plus important, une technique, c'est-�-dire un ensemble d'exercices dont le but est de rendre le danseur ma�tre de son corps, comme le pianiste ou l'organiste, l'est de ses doigts et de ses pieds.�� (L�opold S�dar-Senghor, brochure Mudra Afrique).

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Une autre source d'inspiration est venue de la danse hindoue que les Africains ont appr�hend�e � travers le cin�ma indien, de ses films d'amour et d'aventures toujours ponctu�s de sc�nes de danses traditionnelles. Les jeunes spectateurs s�n�galais ont ainsi not� les pas, retenu les m�lodies et les paroles, achet� les disques et les cassettes. Dans la seule r�gion du Cap Vert, trois clubs sont sp�cialis�s dans cette danse et l'on y voit des S�n�galaises, portant le sari, adapter des postures de star indienne.

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Ce qui fascine les Africains, ce sont les gestes ondul�s, qu'ils soient lents ou rapides, la mise en valeur de la beaut� des mains et des pieds, les mouvements gracieux de la t�te et du cou. Ils aiment cette musique o� dominent fl�tes et violons, ces airs m�lodieux et rythm�s, � la fois langoureux et vigoureux, �rotiques et superficiels.

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Mais les jeunes danseurs de Dakar et de Pikine n'ont pas �tudi� ce style uniquement pour imiter les Hindous, ils y ont trouv� une mani�re de danser � la fois exotique et famili�re, proche du style local. Si les gestes, la musique, le costume sont diff�rents, il n'en demeure pas moins que l'�lan, la vigueur, le plaisir sensuel sont africains.

Danse africaine et tradition

Le mouvement artistique dans lequel j'inscris mon propre travail, m�me s'il est profond�ment inspir� des traditions populaires, n'est pas un retour aux sources. Au contraire, le chemin que nous poursuivons est bien diff�rent et volontairement tourn� vers la vie citadine afin de tenir compte du contexte dans lequel nombre d'Africains vivent et se d�placent aujourd'hui : l'Afrique des buildings, l'Afrique des alliances internationales, des grandes contradictions� Nous ne voulons pas voir la danse noire assujettie, nous voulons qu'elle prosp�re librement comme un ferment vivant de la civilisation moderne. Nous voulons seulement qu'elle prenne la place qu'elle m�rite. Ainsi, elle pourra jouer son v�ritable r�le de stimulation et de contradiction.


1 � Cet article est extrait de Danse africaine, Les nouvelles �ditions africaines; S�n�gal, 1984, et reproduit avec l'aimable autorisation de l�auteur.

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