Machines A Sous Gratis
L'Homme et ses images int�rieures

Recherche � Exploration

�

�

Parution originale in ��Conscience de�� N� 10, Cosmogonies 2, �d. Lierre & Coudrier, septembre 1988.

�

�

Marche sur le feu et origine de la danse

�

�

France Schott-Billmann

Quand une passion vous tient, si vous avez la sagesse de la nourrir, il arrive qu'elle� vous devienne un double. Il y a plusieurs ann�es de cela, de retour d'Afrique, France Schott-Billmann ramenait un film vid�o qui devait �tre � l'origine d'un itin�raire bien singulier. De ces images de f�tes africaines, France Schott-Billmann sut s'inspirer pour donner un souffle novateur de sa pratique psychanalytique. Elle parcourt la France depuis pour faire conna�tre cette danse primitive qui replonge l'occidental au c�ur de sa for�t sacr�e

�

�

L�Association des deux parties de ce titre peut sembler �trange, sugg�re peut-�tre que la danse aurait commenc� sur le feu, � partir d'une performance spectaculaire redevenue � la mode et dont les m�dias se font largement l'�cho depuis quelques mois.

Il ne s'agit pas de cela: la danse n'a pas commenc� sur le feu, mais elle lui est li�e depuis toujours dans la pens�e indo-europ�enne et c'est ce lien que nous interrogeons aujourd'hui.

Deux exemples, pour commencer, concernent les deux c�l�bres dieux danseurs, celui de l'Inde, Shiva, celui de la Gr�ce, Dionysos.

Shiva, le ma�tre supr�me de la danse, pour autant qu'il est la source cosmique du rythme et de l'harmonie, est constitu� de deux �l�ments: l'un m�le, l'autre femelle: ce caract�re bisexu� est repr�sent�, soit par son association avec une compagne symbolisant sa moiti� f�minine � Parvatti ‑, soit par un aspect androgyne, soit encore lorsqu'il danse1, par le tambour en forme de sablier, constitu� de deux cr�nes-triangles accol�s par la pointe; ce sont les deux principes compl�mentaires: le LINGA (phallus) et le YONI (sexe f�minin). De leur rencontre na�t le rythme sur lequel Shiva danse en cr�ant ainsi le monde par cette danse cosmique, origine de tout ce qui existe. Shiva est repr�sent� avec quatre bras, ce qui symbolise sa domination sur les quatre directions de l'espace et sa ma�trise des quatre �l�ments. Une de ses deux mains droites porte ce tambour bisexu� cependant qu'une de ses mains gauches tient le feu sacr�: celui-ci est double ce qui est traduit par deux danses: associ� au linga (ou lingham) il symbolise la cr�ation, la flamme na�t, grandit et danse; la danse de cr�ation se nomme � Nadanta �. Mais Shiva est ambivalent. Non content d'avoir deux sexes, il associe �galement cr�ation et destruction: c'est la danse � Tandara �, ex�cut�e sur les b�chers fun�raires. Il s'agit ici de la valeur destructrice-purificatrice du feu, soulign�e par un rituel v�dique, le � Homa � au cours duquel les fid�les font semblant de jeter dans les flammes leur vie sensorielle pour parvenir au d�tachement lib�rateur.

C'est parce qu'il a br�l� en lui sa semence que Shiva, dieu de l'abstinence appel� � le Seigneur du craquement du feu �, est capable de cette double �nergie: du pied droit il an�antit le mal figur� par le nain noir � Muyalaga �, cependant que sa jambe gauche est lev�e pour signifier qu'il danse. Il danse avec 1'eau, l'air, le feu, la terre et ainsi il met la nature en branle, en vibration par le rythme de sa danse.

Si on r�sume les �l�ments constituant la figure de Shiva, on trouve donc:

o������ Les oppositions m�le/femelle, cr�ation/destruction,

o������ La pr�sence du feu,

o������ La danse.

Dionysos est associ� � D�m�ter, d�esse de la Terre qui pr�side au rythme de la v�g�tation, mourant l'hiver en rentrant sous terre et ressuscitant au printemps.

Tr�s curieusement, la structure de Dionysos comporte les m�mes caract�res si on se r�f�re au Dionysos �sot�rique, c'est-�-dire � celui qu'on adorait non pas au grand jour, mais dans le secret, en particulier dans le cadre de ces cultes mystiques �sot�riques qu'on appelait les myst�res. Et j'insisterai ici sur les myst�res d'Eleusis dont il existe toujours encore, en Gr�ce du Nord, un t�moignage, un culte fossile, un mus�e vivant sur lequel je reviendrai tout � l'heure.

A Eleusis, on honore Dionysos associ� � D�m�ter la d�esse de la Terre qui pr�side au rythme de la v�g�tation mourant l'hiver en rentrant sous terre comme sa fille Pers�phone, et ressuscitant au printemps. Dionysos, circulant lui-m�me des enfers � la terre pour autant qu'� la diff�rence des dieux olympiens, il meurt et rena�t, est lui-m�me pris dans le cycle de destruction-cr�ation comme il est pris dans sa compl�mentarit� sexuelle avec D�m�ter au point qu'on peut parler d'une syzygie, c'est-�-dire une entit� bisexu�e, dont le versant masculin est repr�sent� par Dionysos, le versant f�minin par D�m�ter. Par son caract�re danseur et par cette dualit� il se rapproche donc de Shiva. Mais o� trouver le feu ? D�j� dans son origine: Dionysos est un rescap� du feu puisque, on se le rappelle, son p�re Zeus recueillit le f�tus de S�m�l� foudroy�e et acheva lui-m�me la gestation de Dionysos dans sa propre cuisse; Zeus est donc pris lui-m�me � cette occasion dans cette androgynie qui marque tous les th�mes dionysiaques.

On sait aussi qu'une des �preuves initiatiques des myst�res d'Eleusis consistait � passer � travers le feu. On sait enfin que l'initiation comportait une exp�rience corporelle accompagn�e de musique. On peut donc sans invraisemblance parler de danse mais il serait abusif de parler de danse sur le feu car le secret des myst�res a �t� bien gard�.

Pourquoi donc les dieux danseurs ont-ils la particularit� de se r�f�rer explicitement � la bisexualit� et au feu ? Ces trois �l�ments associ�s signifient-ils quelque chose en rapport avec l'essence, la nature de la danse ?

Pour tenter de r�pondre � cette question nous nous tournerons vers un rituel de danse sur le feu qui existe toujours, encore � l'�poque actuelle en Gr�ce du Nord; dans plusieurs villages. Il est adress� � deux saints orthodoxes Saint Constantin et Sainte H�l�ne, qui ne sont autres que le d�guisement chr�tien du couple Dionysos-D�m�ter h�ritier des Grands Dieux pr�hell�niques.

En effet, les myst�res d'Eleusis, interdits par l'empereur Th�odose en 391, se sont poursuivis secr�tement malgr� les pers�cutions, ont pris le maquis dans les Balkans et se sont syncr�tis�s, comme dans de nombreux cas de r�sistance au christianisme2, avec les contenus chr�tiens.

Le cadre de cet article ne permet pas de pr�ciser la filiation Dionysos-Constantin et D�m�ter-H�l�ne3 ni d'exposer les relais par lesquels l'Empire Romain en la personne de l'empereur Constantin et de sa m�re H�l�ne a pu assurer I'ancrage de l'h�ritage hell�nique dans une pratique orthodoxe alors qu'il a �t� refoul� partout ailleurs par le christianisme. Cet h�ritage a surv�cu en Thrace bulgare d'o� il est revenu en Gr�ce du Nord lors du partage des Balkans en 1912.

La f�te Saint Constantin/Sainte H�l�ne dure trois jours, les 21, 22 et 23 Mai. Il est impossible, faute de temps, de la d�crire en d�tail, d�butant par la salutation de l'ic�ne, elle se poursuit par de la danse devant elle, puis avec elle (les fid�les font danser l'ic�ne en la tenant dans leurs bras), elle comporte ensuite le sacrifice d'un taureau, cuit et mang� par les membres du groupe, elle culmine enfin par la danse pieds nus sur les braises, performance tr�s attendue et pour laquelle des milliers de visiteurs se d�placent de toute la Gr�ce voire m�me de l'�tranger car les pieds ne sont pas br�l�s.

Nous nous arr�terons � trois �tapes de ce rituel, car il nous est apparu que l'ordre de son d�roulement n'est pas arbitraire et correspond en tous points � ce que la psychanalyse a rep�r� comme processus de formation du sujet dans les �tapes du d�veloppement de l'enfant. Le rituel r�active ces trois �tapes.

Saint Constantin/H�l�ne, entit� double et bisexu�e

1�re �tape

Les fid�les se recueillent de�vant les ic�nes. Elles repr�sentent les deux saints, Constantin et H�l�ne unis et s�par�s en m�me temps par une haute croix centrale. Les deux saints, f�t�s le m�me jour, sont toujours repr�sent�s ensemble et les membres du groupe les appellent le saint. Il s'agit donc du saint Constantin/H�l�ne, entit� double et bisexu�e. C'est cette figure androgyne que salue et contemple le fid�le au d�but de la c�r�monie. Image qui interpelle chacun � un niveau tr�s profond pour autant qu'elle r�active l'�tat exp�riment� par l'enfant lorsque sa m�re et lui se compl�tent, formant un �tre double, une dyade fusionnelle (fils-m�re). Cette �tape est dite narcissique en r�f�rence au mythe de Narcisse qui, capt� par son double renvoy� par le miroir, s'ab�me dans la fusion mortelle avec cet Autre lui-m�me.

On sait que, sous peine de psychose, l'enfant doit se d�coller psychiquement de sa m�re pour acc�der � l'autonomie, � l'�tat de sujet que Lacan rep�re comme li� � la possibilit� de parler, l'enfant �tant �tymologiquement l'infans, celui qui ne parle pas.

Pourquoi ce lien ? Quel rapport entre la s�paration d'avec la m�re et la parole ? Freud en son temps y avait d�j� r�pondu en d�crivant et interpr�tant le jeu qu'avait invent� son petit-fils �g� de 2 ans, se consolant de l'absence de sa m�re, jeu que Freud baptisa du nom de � fort-da � (� loin-pr�s �). L'enfant, en l'absence de sa m�re s'amusait � lancer une bobine tenue par un fil en criant � � �, ce que Freud interpr�ta comme signifiant � fort � (loin en allemand) puis � la ramener vers lui en criant � � �, qui, selon son grand-p�re voulait dire � Da �, � pr�s �. La bobine symbolisait donc la m�re allant et venant et l'enfant, devenu ainsi capable d'anticiper son retour par l'identification de la bobine avec la m�re, ne se d�sesp�rait plus de son absence4.

Pour simple qu'il paraisse, ce jeu que sous des formes vari�es tout enfant invente et qui fonde toute son �laboration symbolique ult�rieure suppose des acquisitions complexes qu'en m�me temps elle rend possibles et consolide.

1 � L'enfant doit avoir op�r� une premi�re mise en ordre du chaos dans lequel il est initialement plong� en y reconnaissant des oppositions: les premi�res qu'il appr�hende sont l'opposition entre int�rieur et ext�rieur de son corps, gr�ce aux sensations et aux exp�riences centr�es sur son orifice buccal et sur son orifice anal, et l'opposition entre bonne et mauvaise m�re, la m�me m�re �tant per�ue comme deux personnes, l'une bonne parce qu'elle comble l'enfant par sa pr�sence, ses soins, sa nourriture, l'autre mauvaise parce qu'elle le quitte par moments. Cette distinction est donc li�e � la pr�sence/absence, or l'absence est pour lui un d�sespoir immense comparable, du fait qu'il n'a pas les mots, � ce qu'est pour nous la s�paration par la mort.

2 � Cette dualit� est l'amorce de toutes les s�ries d'oppositions que l'enfant reconna�t peu � peu: grand/petit, gentil/m�chant, chaud/ froid, lumi�re/t�n�bres, ouvert/ferm�, v�tu/nu, riche/pauvre, fini/infini, etc. I1 d�couvre que dans chacun de ces couples d'oppos�s un des termes n'a de sens que par rapport � l'autre dans un jeu d'absence-pr�sence: � grand � est l'absence (ou la n�gation qui revient au m�me) de � petit �, et la pr�sence de � grand �, � gentil � est l'absence de �m�chant �, etc.

Le jeu du � fort-da � est donc un jeu de l'absence-pr�sence de la m�re qui fait tenir ensemble la pr�sence et l'absence (qui les unit : � symbole � = � qui unit �), de la m�re ce qui permet � l'enfant de comprendre que les deux caract�res ‑ bon et mauvais ‑ sont en r�alit� port�s par une m�me m�re tant�t pr�sente tant�t absente.

3 � De deux m�res il passe � l'id�e d'une � m�re � deux temps �, ce qui lie le � fort-da � et le rythme binaire.

4 � Cette m�re pouvant revenir continue donc � exister dans l'absence, � condition d'�tre nomm�e, �voque, donc rendue symboliquement pr�sente dans son absence.

Avec le jeu du � fort-da �, comme avec tous les jeux de cache-cache ou de �coucou le voil� � qui sont de m�me nature, l'enfant d�couvre la symbolisation, donc la possibilit� du langage, invent� au d�part pour consoler de l'absence.

On voit donc que la symbolisation implique la notion du temps, la d�couverte du rythme binaire puisqu'il faut l'alternance de deux moments, un moment de pr�sence un moment d'absence pour pouvoir symboliser la chose.

Remarquons au passage que la symbolisation n'est pas verbale et que dans le jeu d�crit par Freud elle utilise�:

‑ des phon�mes �, �, avec opposition d'un son ferm� et d'un son ouvert

‑ un objet, bobine

‑ un geste, bras tendu, bras repli�.

La question � r�soudre est �videmment celle de l'�quipement qui va rendre possible chez l'enfant, la mise en oeuvre de cet outil auquel l'animal ne peut acc�der, la symbolisation. Qu'est-ce qui lui permet de penser le temps ?

Une r�ponse pourrait bien nous en �tre fournie par la lecture du rituel grec. En effet, nous n'avons pas encore observ� le troisi�me �l�ment de l'ic�ne, la croix, situ�e en son centre, unissant/s�parant les deux moiti�s du saint double. La croix dont il s'agit est ant�rieure � celle de J�sus-christ. Il s'agit d'un symbole tr�s ancien, rep�r� d�s l'aube des temps historiques, la figuration sch�matique la plus ancienne du corps humain debout, les bras tendus � l'horizontale. Lacroix est aussi comparable aux quatre bras de Shiva symbolisant sa domination sur les quatre �l�ments ; elle op�re une classification dans la repr�sentation du monde.

Contemplant l'ic�ne, le fid�le contemple non seulement la dyade qu'il forme avec sa m�re, mais aussi, comme dans un miroir, le reflet de sa propre image, de son propre corps symbolis� par la croix et constitu� de deux parties sym�triques, l'une �masculine �, Constantin, l'autre � f�minine �, H�l�ne, ce qui nous renvoie � la bisexualit� constitutive de l'�tre humain rep�r�e comme bisexualit� psychique par Freud et nomm�e animus/anima par Jung.

Il y a donc une correspondance entre la bisexualit� du saint, celle de l'�tre humain, et la morphologie de son corps, constitu�e de deux moiti�s accol�es. La croix symbolise non seulement le corps du sujet mais cette division radicale entre deux parties h�t�rog�nes qu'on rep�re comme conscient/inconscient en psychanalyse, corps et �me en religion, mati�re/esprit en philosophie, etc.

On sait que l'enfant est fascin� par ses extr�mit�s, jouant � l'infini avec ses deux mains, ses deux pieds, donc ces deux demi-corps dont il est fait. Le jeu des marionnettes montre, par la jubilation qu'il lui procure, que les mains5 repr�sentent pour lui des entit�s. Il est logique de penser que ces couples de membres serviront de supports symboliques corporels aux couples d'oppositions �voqu�s plus haut. Etant donn� la motricit� tr�s imparfaite de l'enfant, ce n'est qu'au cours de sa deuxi�me ann�e qu'il acquerra la marche.

Le lien de la danse avec le rythme constitutif de la symbolisation s�pare le domaine humain du registre animal

2�me �tape

Or la deuxi�me �tape du rituel voit le d�marrage devant les ic�nes qui tr�nent sur une �tag�re, d'une pulsation des pieds frappant vigoureusement et rythmiquement le sol: les deux moiti�s du corps, repr�sent�es ici par les pieds, se mettent � battre l'une apr�s l'autre. Si, comme on peut le penser, chacun des deux pieds repr�sente un des deux termes d'un couple d'oppos�s, la marche rythm�e entra�ne psychiquement la mise en branle des oppositions binaires, donc le processus de symbolisation. Par la pulsation r�p�t�e et rythm�e des pieds, peuvent d�filer toutes les s�ries d'oppositions, dans�es sur une cadence basique, � deux temps, dans une sorte de marche sacr�e qu'accompagnent bient�t le tambour et les lyres dont les sonorit�s, elles-m�mes oppos�es et compl�mentaires, cr�ent une musique qu'on pourrait dire, elle aussi, bisexu�e. On retrouve le contexte de Dionysos et de Shiva: la danse et les oppositions binaires qui sont � son origine. Ce lien de la danse avec le rythme constitutif de la symbolisation s�pare le domaine humain du registre animal o� la motricit� du corps ne devient pas support de repr�sentations.

On assiste ainsi � la naissance simultan�e d'une activit� rythm�e des pieds, associant temps et mouvement, donc une danse, en m�me temps que d'une activit� psychique (inconsciente ?) par laquelle se joue, par le corps, une alternance d'absence pr�sence o� s'originent � la fois le langage et la danse.

Comme le feu de Shiva, le feu

3�me �tape

Mais si on comprend le lien entre danse et oppositions binaires, symbolis�es ici par le masculin-f�minin, quelle signification peut bien avoir la pr�sence du feu dans ce contexte ? Rappelons nous que dans le contexte indien le feu est lui-m�me ambivalent et abordons la troisi�me �tape du rituel.

Elle consiste, nous l'avons dit, en une danse sur le feu. Voyons si elle peut nous �clairer (!) sur le r�le de cet �l�ment en ce qui concerne la danse.

Il s'agit d'un feu qui ne br�le plus, un feu vaincu, un feu rendu inoffensif. Les fid�les sont incombustibles, comme si la part impure d'eux-m�mes avait d�j� br�l� et qu'il ne restait que la part pure, celle que le feu ne peut br�ler.

C'est pr�cis�ment cette part br�l�e, sacrifi�e, qu'il faut interroger, en commen�ant par questionner les fid�les eux-m�mes, sur la signification du feu.

Nous ne serons pas �tonn�s de d�couvrir que, comme le feu de Shiva, le feu grec est double :

‑ il est le diable � vaincre, de la m�me fa�on que Shiva terrasse le nain noir qui symbolise le mal. Pour cette raison, les fid�les grecs pi�tinent le feu jusqu'� son extinction ;

‑ mais il est aussi synonyme de jouissance � connotation sexuelle. L'un des membres du groupe r�pond un jour � une ethnologue grecque, Yvonne de Sikk�, qui l'interrogeait sur son bien-�tre �vident apr�s la performance: � jamais une femme n'a �t� aussi douce que le feu ce soir �...

Feu-femme-diable, il s'agit �videmment de la repr�sentation du fantasme de la femme dangereuse, diabolique, mortif�re, pour autant qu'elle aspire � engloutir et an�antir l'enfant dans la fusion.

C'est ce danger qui est ma�tris� triomphalement par la marche sur le feu que les danseurs, prot�g�s par les ic�nes ou de simples foulards qui les ont touch�es, affrontent impun�ment. Est-ce � dire qu'ils ont renonc� au commerce amoureux et pratiquent, comme Shiva, I'abstinence ?

Non bien s�r, mais il s'agit bien l� aussi de renoncement; en effet, la femme dangereuse, la m�re mortif�re n'est ma�tris�e que pour autant que le danseur s'est purifi�, c'est � dire extrait de la fusion qui fait jouir l'enfant mais le prive de parole jusqu'� ce qu'il soit capable, en jouant rythmiquement avec les oppositions, de ma�triser l'absence de sa m�re, donc de s'en s�parer en devenant sujet autonome et parlant.

Il acc�de alors � une autre jouissance, celle du symbolique, faite du renoncement au corps de la m�re, pour � ne jouir que de la nommer � selon la formule du po�te Aragon. Rappelons ici que les signifiants utilis�s pour symboliser la m�re ne sont pas que verbaux, mais aussi corporels et que la danse est � ce titre une langue � part enti�re. Elle est m�me vraisemblablement la, premi�re de toutes, pour autant que l'�tre humain passe � la langue par le corps : le lieu de la jouissance (le corps � corps fusionnel avec la m�re) devient l'instrument de la s�paration par la mise en jeu, gr�ce � l'alternance binaire, des oppos�s sym�triques symbolis�s par les deux moiti�s du corps, et particuli�rement les pieds en train de marcher.

Voil� une ex�g�se possible des messages que nous lancent � travers les si�cles, Shiva et Dionysos, et leur audience toujours actuelle tient probablement � ce que ce message parle directement � notre inconscient, comme les images po�tiques qui, d'un coup d'ailes, survolent ce que le champ psychanalytique d�cortique laborieusement. Le miracle de l'art tient dans ce court-circuitage d� � la condensation sur un symbole de multiples d�terminations et discours.

En outre, une chose intellectuellement comprise n'est pas n�cessairement psychiquement acquise, et c'est le grand int�r�t, on pourrait dire prophylactique, des rituels ‑ ce qui est une dimension parfois n�glig�e de la th�rapie, son r�le pr�ventif ‑ que de redonner � ceux qui les pratiquent l'occasion de revivre p�riodiquement, les points de passage oblig�s mais jamais d�finitivement ma�tris�s par lesquels le sujet se d�-fusionne, se d�-psychotise, pour acc�der � la culture humaine, c'est-�-dire au partage de la langue avec ses fr�res humains.


1 � Statues du temple de Chidambaram, d�di� � Shiva, dans le Sud-Est de I'lnde.

2 � Corps et Possession, F. Schott-Billmann, Gauthier Villars, 1977.

3 � Danse, mystique et psychanalyse, marche sur le feu en Gr�ce moderne, F.Schott-Billmann, la recherche en danse, �d. Chiron, Paris 1987.

4 � Cet enfant cr�e d�j� de l'art pour autant que ses productions repr�sentent ce qui comble le manque.

5 � Voire les doigts avec le jeu � le premier l'a vu, le second l'a attrap�, le troisi�me I'a fait cuire, le quatri�me l'a mang� et le tout petit (I'enfant) n'a rien eu �.

Votez pour nous