L'Homme et ses images int�rieures
Au cours d'une séance de transe, Paris, 1994.
L'imaginaire et la transe
Tous droits r�serv�s � France Schott

La possession dans la danse-th�rapie


France Schott-Billmann
Parution originale : Conscience de � Paris 1992

Rencontre entre tradition africaine et psychiatrie occidentale

Le service de psychiatrie de l'h�pital de Fann � Dakar tenta, dans les ann�es 70, une fort int�ressante confrontation entre les th�rapies traditionnelles africaines et la psychiatrie occidentale contemporaine. Cette exp�rience cessa malheureusement avec la mort de son instigateur, le professeur Collomb, disparu trop t�t pour que des �valuations aient pu �tre s�rieusement �tablies.
Ceci nous laisse face � une double question : - Si on ne peut gu�re mettre en doute l'efficacit� des techniques th�rapeutiques traditionnelles en Afrique, la comparaison de leurs r�sultats avec ceux de notre propre psychiatrie reste � faire. Plus d'un film africain t�moigne de l'embarras �prouv� parfois par les familles dont un membre tombe malade : faut-il l'accompagner chez le f�ticheur (pr�tre-gu�risseur) ou l'adresser au praticien de la m�decine des blancs ? - Du c�t� de l'Occident la question est de savoir si les techniques th�rapeutiques africaines sont d�finitivement � ranger au rayon des objets d'�tudes exotiques, comme des pi�ces de mus�e destin�es � dispara�tre, ou si elles peuvent nous concerner, en enrichissant �ventuellement nos propres pratiques.
Nous tenterons donc ici d'analyser un m�canisme essentiel des th�rapies traditionnelles : la canalisation de la transe en possession par une entit� surnaturelle qui s'exprime � travers le corps du malade, dans une danse divine. Puis nous nous efforcerons de pr�ciser les conditions de l'�ventuelle transposition de ce m�canisme dans notre culture.
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L'�tat de possession

La possession est un ph�nom�ne universel consistant en un changement de la personnalit� qui anime le corps. Celui-ci est tout � coup gouvern� par un autre propri�taire que le moi quotidien. En voici quelques exemples :
- En Asie, � Java, Merry Ottin et Alban Bensa
1 racontent une c�r�monie chamanique observ�e en l968. Les dukuns (sorciers, chamanes), sous couvert de spectacles populaires, pratiquent toujours la religion ancestrale qui cohabite dans toute l'Asie avec l'lslam. Lors d'un tel spectacle, les deux Europ�ens virent "le dukun m�tamorphoser un participant d'abord en tigre d�chirant l'air de ses doigts �cart�s, pr�t � griffer, � d�chirer, puis en singe qui pousse des cris aigus, se gratte la t�te et le derri�re, attaque � coups de dents une noix de coco qu'il fracasse ensuite sur son cr�ne pour en boire l'eau. Bient�t il s'�chappe de l'enceinte sacr�e � quatre pattes et � une vitesse �tonnante : d'un bond il est en haut de l'arbre feuillu, derri�re l'une des maisons. Il pousse des cris per�ants et saute de branche en branche ; le voici maintenant au fa�te de l'arbre. Il se balance sur la derni�re ramure " .
On pourrait prendre d'autres exemples : en Chine, les cultes de possession tao�stes se perp�tuent. En France, dans le village d'accueil indochinois de Sainte-Livrade (Lot-et-Garonne), le culte ancestral se maintient encore aujourd'hui et j'ai pu assister, dans le temple bouddhico-animiste, aux �tonnantes transformations d'une tr�s vieille femme, poss�d�e durant des heures par toutes sortes de divinit�s : th��tre sacr� au cours duquel, dans son corps soudain redevenu souple et fort, s'incarn�rent successivement un mandarin plein d'autorit� et de componction, une princesse des eaux jeune et a�rienne, un guerrier redoutable, un petit prince espi�gle et agile et enfin un tigre rugissant. L'�tonnante transformation de la vieille dame, plus qu'une imitation, semblait une v�ritable m�tamorphose. Elle �tait litt�ralement m�connaissable : effacement des rides, disparition apparente de l'arthrose, lib�ration des r�flexes, son corps avait acquis les qualit�s des personnages qu'elle avait jou�s. Mon guide me pr�cisa que ces effets �taient durables et que c'�tait la pratique r�guli�re de ce culte qui expliquait l'�tonnante long�vit� des fid�les .
- En Afrique, les cultes ancestraux polyth�istes o� se pratiquent la transe et la possession, bien loin de dispara�tre, ont pris, depuis les ind�pendances, un regain de vigueur. Longtemps r�prim�s par les missionnaires chr�tiens, ils jouissent � nouveau d'une reconnaissance officielle : les cultes Vaudou au Togo et au B�nin, le Dlo en C�te d'Ivoire, le Zebola au Congo, le Bwete au Gabon, le Bori au Niger, le Tromba � Madagascar (pour n'en citer que quelques uns) sont pratiqu�s par toutes les couches de la population, en m�me temps que les grandes religions monoth�istes (Islam et christianisme). Il n'existe en effet nulle incompatibilit� entre la foi monoth�iste et polyth�iste : on peut servir un dieu souverain en m�me temps que de multiples dieux secondaires, plus proches des humains, si proches m�me qu'ils s'incarnent dans leurs corps : c'est la possession. En Afrique, ce registre ne s'est pas laiss� refouler comme ce fut le cas pour nos anc�tres celtes, contraints de se convertir au christianisme et d'adorer un dieu unique. En 1975, j'eus l'occasion d'assister dans la banlieue de Lom�, capitale du Togo � un culte de possession tel qu'il s'en d�roule plusieurs chaque dimanche dans ce quartier.
Dans la cour du temple, les participants commen�aient � arriver. Apr�s quelques paroles �chang�es, ils s'asseyaient tranquillement en cercle. Au centre se tenaient les musiciens qui, comme partout dans le monde, soutiennent les invocations aux dieux prononc�es par les pr�tres et reprises par les initi�s, reconnaissables � leurs v�tements blancs, puis par l'assistance. A chaque dieu correspond une invocation pr�cise, chant�e sur un rythme donn�.
Les invocations se suivent selon un ordre rituel. La premi�re fut celle de Mammy Watta, la d�esse des eaux marines. Tout � coup, sans que j'aie pu distinguer le moindre signe pr�curseur, une femme qui se trouvait assise non loin de moi se redressa avec un cri per�ant et sauta au milieu de l'espace central, saisie d'une agitation violente, d�sordonn�e, ponctu�e de cris stridents : la transe sauvage, non encore canalis�e. 2
Imm�diatement des initi�s s'empress�rent autour d'elle, l'aidant � orienter ses grands pas saccad�s et arythmiques vers la porte d'une des chambres entourant l'espace central. Elle en ressortit quelques minutes plus tard, transform�e. Habill�e d'une gracieuse robe blanche, la t�te couverte d'un coquet fichu blanc, elle avan�ait d'une d�marche ondulante, le visage souriant. Elle �tait devenue Mammy Watta, la d�esse de la mer.
Entre temps, une deuxi�me transe s'�tait d�clench�e, toujours sur l'invocation � Mammy Watta. Mis � part le fait que cette fois ce fut un homme qui tomba en transe, on pouvait remarquer les m�mes caract�ristiques : le corps, � la motricit� d'abord en d�sordre avec un visage aux yeux r�vuls�s, se laissa apprivoiser pour entrer dans la chambre-vestiaire d'o� il ressortit rev�tu de la robe et investi de tout le comportement hyperf�minin de Mammy Watta.
En suite, on invoqua Ouango, le dieu-ca�man, dieu des rivi�res et de la fertilit�. Lorsqu'apr�s sa transe pr�liminaire, la femme qu'il chevauchait ressortit du vestiaire, elle dansait d'une fa�on litt�ralement reptilienne. Ses doigts �cart�s s'ouvraient et se refermaient lentement, tout en elle �tait devenu pesant, tra�nant, flegmatique avec quelque chose d'amphibie qui transportait le spectateur entre deux eaux. - En Am�rique, les Indiens pratiquent toujours des cultes de possession, mais c'est surtout en Am�rique du Sud, et particuli�rement au Br�sil que ces cultes (Candombl� et Macumba) sont num�riquement importants. On retrouve bien, sous la plume de R. Bastide 3 � propos du Candombl�, les caract�ristiques universelles de la possession comme m�tamorphose en Autre : "..alors les gestes ont une autre beaut�, les pas de danse atteignent une �trange po�sie. Ce ne sont plus de petites couturi�res � la journ�e, des cuisini�res ou des laveuses qui tournent au son des tambours dans les nuits de Bahia, c'est Xango (dieu de la foudre) rouge et blanc, c'est Yemanja (d�esse de la mer) peignant ses cheveux de varech. Les visages sont devenus masques, se sont matamorphos�s, ils ont perdu les traces du travail quotidien, les stigmates de la vie de tous les jours avec ses soucis et ses mis�res " .
Poursuivons ce rapide tour du monde de la possession par une incursion aux Antilles, en Waiti o� le Vaudou, apport� d'Afrique par les esclaves durant les trois si�cles de traite des Noirs, est extr�mement pratiqu� (� Cuba, il se nomme Santeria). A. Metraux 4 r�sume une �tonnante s�rie d'incarnations : Ils peuvent �tre Ogou-Balindjo, dieu glapisseur qui s'arrose la t�te avec de l'eau, puis subitement devenir Gu�d�-Fatras et ex�cuter une danse acrobatique se terminant par l'apparition de Petit-Pierre, esprit glouton et querelleur qui, pour la plus grande joie de la galerie, cherche noise aux assistants. En une autre occasion, ce fut une femme, laquelle en proie � la d�esse V�l�k�t�, se contorsionnait, les membres crisp�s, la langue pendante et le cou tordu. Elle avait r�ussi � disloquer son corps de la fa�on la plus affreuse quand soudain elle cessa d'incarner la hideuse V�l�k�t� pour se transformer en une divinit� fol�tre ".
- En Europe subsiste un ancien culte dionysiaque, pratiqu� en Italie, dans la r�gion de Tarente. Une araign�e mythique, la tarentule cens�e piquer certaines femmes, d�clenche chez elles une maladie de langueur. On soigne ces tarentul�es par les danses dites tarentelles ex�cut�es au son du violon. En dehors de ce vestige pa�en, c'est le plus souvent le diable qui s'empare du corps. Aussi le terme possession �voque-t-il aussit�t en Occident un �tat tragique et redoutable. Pour l'Eglise catholique, la r�alit� de la possession diabolique est si s�rieusement prise en compte qu'elle continue � maintenir un exorciste par dioc�se... et nombreux sont ceux qui viennent � leurs consultations.
De nombreux t�moignages de la fameuse �pid�mie de possession diabolique qui frappa, au 17�me si�cle, tout un couvent d'Ursulines � Loudun ont �t� recueillis par M. de Certeau 5 et relatent comment les poss�d�es se m�tamorphosent en b�tes dont elles reproduisent la marche � quatre pattes, la reptation, les aboiements, les sifflements, la mani�re de mordre, de griffer etc. Bien plus, elles sont incollables en th�ologie, alors que leur instruction est sommaire, et elles parlent en langues (l'une d'elles aurait m�me r�pondu dans la langue d'une tribu d'Indiens d'Am�rique qu'elle n'avait jamais entendue).
Les performances de ces religieuses sont qualifi�es d'horribles parce qu'attribu�es � Satan. Ces m�mes manifestations corporelles, lorsqu'elle sont cens�es venir de l'�sprit-Saint sont consid�r�es comme miraculeuses : les convulsionnaires de Saint-M�dard au 18�me si�cle, de nombreux poss�d�s du Saint-Esprit tels les sauteurs sacr�s d'une secte am�ricaine, pr�tent momentan�ment leur enveloppe corporelle � une entit� autre : Dieu, le Diable, un saint, un esprit, un mort ou m�me, para�t-il, des extra-terrestres ! Quoi qu'il en soit, l'Occident a jet� aux orties les �tats de transe et de possession, se privant ainsi d'un proc�d� th�rapeutique qui, partout ailleurs a fait ses preuves.
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La cure par la danse de possession

Dans les soci�t�s traditionnelles, la maladie est consid�r�e comme un signe surnaturel. Un dieu, un esprit, un anc�tre cherche � dire quelque chose et choisit le canal d'un individu pour le faire. Il s'agit donc d'un message � d�coder.
Pour conna�tre l'identit� du responsable du mal, la musique est partout un puissant outil de diagnostic. Par exemple, en Italie du Sud, des musiciens sp�cialistes de la tradition, souvent aveugles comme ceux qui d�tiennent un savoir surnaturel, connaissent non seulement les diff�rentes tarentelles, mais aussi les araign�es respectives auxquelles celles-ci sont attribu�es : mutine, enfantine, �rotique etc. Lorsque la malade entend la m�lodie de son araign�e, tout se passe comme si elle reconnaissait celle qui l'habite � son insu puisqu'elle bondit alors sur ses pieds et danse, parfois trois jours et trois nuits cons�cutivement, sans rel�che, jusqu'� la gu�rison.
En Afrique, le principe est le m�me, bien que l'exorcisme soit plus long � obtenir. Ce sont des tambourinaires et non des violonistes qui jouent au malade les rythmes des diff�rents dieux. Le fait que l'un de ces rythmes entre, l� aussi, en r�sonance avec le corps, ne suffit pas � la gu�rison. Il y faudra encore un long processus : l'initiation.
Celle-ci consiste
6 � r�orienter l'agent responsable en une figure positive et b�n�fique (� condition de continuer � l'honorer r�guli�rement). Cette cure comporte, comme dans toute th�rapie, une phase de r�gression, une op�ration de sacrifice, puis une re-symbolisation qui permet aux �nergies psychiques du malade de s'articuler � de nouvelles repr�sentations (par exemple le dieu de la guerre ou la d�esse de l'amour).
La danse de possession publique qui marque la fin de la r�clusion initiatique est une d�monstration de cet ancrage, dans le corps du sujet, de la nouvelle repr�sentation qui, dor�navant, le gouverne. Il peut y exprimer ouvertement ce qui l'habitait � son insu et que la figure du dieu endosse. Il se r�concilie alors avec ces forces qui le traversaient sans trouver d'autre expression que la maladie et � quoi il peut maintenant donner un langage reconnu, autoris�, valorisant avec, en plus, l'avantage de la jouissance de la transe.
Jung disait que nos maladies sont des dieux que nous avons n�glig�s. Freud voyait dans la cure psychanalytique le moyen de reconna�tre et �noncer son d�sir inconscient. N'y a-t-il pas un grand rapport entre le dieu et le d�sir, ces forces qui nous assujettissent � notre insu et qu'il faut bien prendre en compte en les laissant parler si nous ne voulons pas en �tre malades ? Nous sommes bien dans le m�me registre que celui des cultes de possession, l'exorcisme, c'est-�-dire la possibilit� donn�e au patient de proposer une issue symbolique � ces forces psychiques qui lui paraissent �maner d'ailleurs tant qu'il ne les a pas int�gr�es et accept�es en leur donnant langue.
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L'exorcisme du corps dansant

Il saute aux yeux que, s'il existe des homologies entre la cure occidentale de la psychanalyse et la cure traditionnelle par la danse de possession, il existe aussi de grandes diff�rences. Les plus �videntes sont la pr�sence du groupe, le recours � des mythes collectifs et l'importance de la danse pour les exorciser dans une motricit� codifi�e. Le corps est une m�moire dans la mesure o� il porte la trace de notre h�ritage g�n�tique et de nos exp�riences, m�me les plus archa�ques. Ces empreintes forment en chacun de nous une trame du pass�, m�lant des structures, des sensations, des �motions, des sch�mes de comportements ou des figures arch�typiques, tout ceci recueilli de fa�on sp�cifique par chacun, en fonction des circonstances et de son v�cu individuel. A cet h�ritage silencieux, la musique et la danse vont donner une voix en cr�ant un lien privil�gi� entre le monde interne du sujet et le monde externe. Elles �veillent et font r�sonner en �cho cet univers qui palpite en nous sans trouver de langage. Et voil� que cette m�lodie interne immobile et silencieuse se reconna�t dans la musique (violon, tambour ou autre instrument) qui donne forme � l'informe et entra�ne la motricit� correspondante. L'ensemble de traces jusqu'alors inorganis�, devenu musique corporelle perceptible, se traduit en mouvements rythmiques. D'abord simple pr�-danse, faite de balancements du corps, oscillations r�p�titives de la t�te ou du tronc, frappements de mains, etc. le mouvement s'accentue, s'organise et devient une vraie danse. Est-il possible de lire ce que le corps poss�d� donne � voir ?

L'incarnation de l'humanitude

Au-del� des diff�rences propres � chaque chor�graphie et � chaque danseur, il est ais� de reconna�tre des traits communs vraisemblablement universels : toutes les danses de possession que j'ai pu observer en Afrique, aux Antilles et dans de nombreux documents ethnologiques film�s montrent la constance de certains caract�res dits primitifs par les chor�graphes. Ce sont pr�cis�ment la participation du groupe, le rythme pulsatif, le d�doublement des gestes en couples de deux �l�ments simples (par exemple jeter les bras � droite puis � gauche) dont chacun engendre l'autre de fa�on automatique et r�p�titive.
Que repr�sentent donc ces caract�res primitifs universels, v�ritables structures anthropologiques qui poss�dent le danseur au m�me titre que la figure divine qu'il incarne ?
Ils renvoient � des structures archa�ques tr�s profondes qu'ils r�veillent, r�activent et mettent en forme ; on peut donc dire qu'ils les exorcisent au sens d�fini plus haut : donner � des �l�ments qui font probl�me une issue symbolique dans une expression autoris�e (ici le langage de la danse) qui permet au sujet de les vivre de fa�on harmonieuse en se r�conciliant avec eux.
- Le groupe permet une articulation individu/collectif o� se rejoue la diff�renciation de l'enfant et de sa m�re. - Le rythme renvoie au battement du c�ur, premier bruit entendu par le f�tus dans les entrailles maternelles. Il r�veille en outre le balancement fondamental de l'�tre humain, traduit dans la pulsation des pieds marquant le sol d'un rythme r�gulier.
- Les mouvements d�doubl�s soulignent cette oscillation d'un c�t� � l'autre.

Par cons�quent, aussi bien par la pulsation des pieds que par les mouvements d�doubl�s � droite et � gauche, le danseur se trouve reli�, de fa�on symbolique, � toutes les oppositions binaires qui constituent l'�tre humain tout en le divisant :
dedans/dehors ; amour/haine ; vie/mort ; soi/autre ; masculin/f�minin etc.
Selon Nietzsche, l'exp�rience de la marche, c'est celle de l'ivresse des contraires car l'alternance des deux p�les se prolonge dans une sorte de mouvement perp�tuel, chacun des pieds entra�nant l'autre. Les danses primitives, construites sur cette m�me insistance r�p�titive, non seulement des pieds mais des mouvements d�doubl�s, procurent cette m�me ivresse : elles sont hypnotiques et d�clenchent un �tat modifi� de conscience, l'enthousiasme qui signifie �tymologiquement avoir le dieu en soi car il s'agit bien d'une possession.
Celle-ci, nous l'avons dit, appara�t lors de la mise en r�sonance d'une forme externe avec une structure interne : les caract�res des danses primitives conduisent � �tre poss�d� par ses racines, ses sources profondes : le groupe, la m�re, la bipolarit� constitutive de l'�tre humain...
Le danseur incarne d'abord l'humanisation, soit ses fondements partag�s avec tout le groupe, structures anthropologiques qui expliquent que ces caract�res produisent partout les m�mes effets de transe. � ce soubassement commun appartiennent encore les arch�types divins : dieu de la guerre, d�esse de l'amour etc.
 

L'individuation

Mais ensuite la possession se diff�rencie : les divinit�s se parent de traits sp�cifiques, d�termin�s par la culture du groupe, voire celle de la famille ou m�me celle de l'individu lui-m�me puisque A. M�traux cite le cas d'une ha�tienne qui, apr�s le d�part de amant, un matelot am�ricain, s'�tait forg� son propre dieu-amiral.
La danse permet ainsi d'articuler l'individu au groupe. Le danseur incarne une Loi g�n�rale (la condition humaine pourrait on dire), repr�sent�e par la structure du rythme et du mouvement. Et, au sein de ce consensus, r�alit� admise par tout le groupe, le sujet peut s'exprimer de fa�on individuelle par l'interm�diaire d'un dieu adapt�, qui le repr�sente aux yeux de tous, v�ritable pr�t-�-porter qui va endosser son d�sir propre et l'�noncer � sa place.
Le danseur se trouve ainsi incarner et exorciser son d�sir individuel de fa�on non seulement autoris�e mais valoris�e par le prestige du dieu qui insuffle � la danse sa beaut� divine.
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La danse-th�rapie par l'�xpression Primitive

Peut-on reprendre � notre compte ces th�rapies traditionnelles dans lesquelles le corps exorcise (c'est-�-dire, encore une fois, n'expulse nullement, mais au contraire reconna�t, autorise et exprime) ce qui habituellement nous fait souffrir.
Jung disait que nos maladies sont des dieux que nous avons n�glig�s. Que n�gligeons nous, nous occidentaux et dont nous p�tissons ? Peut-on le reconna�tre et le r�orienter positivement par la danse ? Faut-il pour cela passer par un syst�me religieux qui, bien �videmment n'a plus gu�re de signification pour nous ? C'est � ces questions que l'�xpression Primitive s'efforce de r�pondre.
L'�tude anthropologique de la danse-th�rapie rituelle des soci�t�s traditionnelles, en r�habilitant la dimension de la directivit� et de l'implicite, renouvelle la conception et les pr�suppos�s de certaines formes modernes de th�rapie bas�es sur l'improvisation, l'interpr�tation (ou lecture du corps) et la verbalisation.
L'expression Primitive est une technique de danse-th�rapie qui s'efforce de renouer avec des pratiques traditionnelles dont l'efficacit� n'est plus � prouver, tout en cherchant ses fondements th�oriques dans les plus r�centes avanc�es de l'anthropologie et de la psychanalyse.
Elle se pr�sente comme une f�te, un rituel collectif, chaleureux et ludique : les participants dansent au son du tam-tam en s'accompagnant de la voix.
Ses outils sont ceux des rituels dans�s traditionnels :
- le rythme met en �veil des fondements inscrits en chacun et c�l�br�s ici collectivement. - la r�p�tition des gestes fait entrer le danseur en r�sonance avec eux.

En effet, le mouvement r�p�titif, induisant rapidement s�curit� et plaisir de l'anticipation, permet de l�cher prise : le mouvement part tout seul, entra�nant le sujet dans un enthousiasme croissant, une l�g�re transe. Il se trouve alors poss�d� par (c'est-�-dire articul� profond�ment �) des �l�ments humains fondamentaux :
- le balancement, structure universelle, � la fois psychique et physique, qu'activent :
- la succession des deux pieds (pulsation de la marche, pas de base de toutes les danses rituelles)
- les mouvements, toujours appari�s ;
- les arch�types, repr�sentants de sentiments et situations universellement exp�riment�s.

Les d�sirs les plus fondamentaux trouvent la possibilit� de se mobiliser , se canaliser et se repr�senter de fa�on symbolique, jou�s dans des mod�les que les participants captent en se les appropriant progressivement par la r�p�tition. L'�xpression Primitive donne en effet la chance de r�aliser symboliquement (mais corporellement) des comportements g�n�ralement inhib�s, voire r�prim�s car interdits ; inscrits en chaque �tre humain, ils exigent pourtant, sous peine de troubles d'�tre exorcis�s (Par exemple pouvoir sortir sa voix aussi fort qu'on veut, d�ployer son corps avec ampleur, jouer au guerrier, � la princesse, � la sorci�re, avoir droit � l'espi�glerie comme les enfants, s'autoriser � rendre � ses mouvements la l�g�ret� ou la puissance de l'animal etc.).
La reconnaissance et l'expression des affects fondamentaux par le biais des arch�types est th�rapeutique dans la mesure o� il devient possible de les �veiller, puis de les ext�rioriser en comportements admis, g�n�raux...et plaisants. Ceci permet de les d�dramatiser et les d�culpabiliser, de les jouer en les explorant dans le cadre d'une transgression autoris�e , donc non dangereuse, de les faire passer dans une symbolisation reconnue, partag�e, par cons�quent lib�ratrice et structurante.
Danse-th�rapie anthropologique, l'expression Primitive ne s'inscrit pas seulement dans une nouvelle approche de l'Art, mais de la th�rapie qui se dessine aujourd'hui : la dimension rituelle, le caract�re ludique et l'aspiration � la beaut� du geste pour exprimer ses d�sirs sur un mode non-verbal, rel�vent d'une nouvelle fa�on de soigner.
Elle offre un bon exemple de cette approche contemporaine, en proposant des mod�les artistiques, des susceptibles de r�-articuler les pulsions, de les r�organiser en les r�alisant de fa�on symbolique, positive et valorisante. L'action th�rapeutique na�t (par surcro�t) de l'efficacit� symbolique, se d�ployant alors en dehors de toute verbalisation rationalisante, violence interpr�tative ou intellectualisation.
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Bibliographie

  • BASTIDE R. Les religions africaines au Br�sil, PUF, 1960.
  • COMMENGE B. La danse de Nietzsche, L'infini, Gallimard, 1988.
  • DE CERTEAU M. La possession de Loudun, Julliard, 1970.
  • DE MARTINO E. La terre du remords, Gallimard, 1966.
  • Ladakh, de la transe � l'extase, Peuples du Monde, 1988.
  • LEVY-BRUHL L. La mentalit� primitive, Alcan, 1925.
  • METRAUX A. Le vaudou haitien, Gallimard, 1957.
  • OTTIN M. et BENSA A. Le sacr� � Java et Bali, R.Laffont, 1 969 .
  • SCHOTT-BILLMANN F. Possession, danse et th�rapie, Sand, 1985.
    Danse, mystique et psychanalyse, Chiron, 1987.
    Le primitivisme en danse, Chiron, 1989.
France Schott-Bilmann, Paris 1992


Notes :
1 - OTTIN M. et BENSA A. Le sacr� � Java et Bali, R. Laffont, 1969, p. 47 � 65.
2 - SCHOTT-BILLMANN F. Possession, danse et th�rapie, Sand, 1985, p. 53 � 59.
3 - BASTIDE R. Les religions africaines au Br�sil, PUF, 1960.
4 - METRAUX A. Le vaudou ha�tien, Gallimard, 1957.
5 - DE CERTEAU M. La possession de Loudun, Julliard, 1970.
6 - SCHOTT-BILLMANN F. Possession, danse et th�rapie, Sand, 1985, p. 81-82.
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