L'Homme et ses images intérieures
Rencontre avec l'imaginaire
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Martine Burger — Imaginaire et écriture
Parution originale : Hommes & Faits — Paris 1998

Le rêveur et le poète

Ce que nous entendons par "image", n'est pas semblable à la copie d'un objet pris dans le monde extérieur. Elle est plutôt le fruit d'une activité imaginaire inconsciente qui affleure à la conscience. Elle est repérable par les affects qui l'accompagnent, sorte de remugle intérieur qui bouleverse le corps d'une manière ou d'une autre. Notre culture nous a sensibilisé à attendre essentiellement de l'image une expression surtout visuelle, cependant les autres sens sont également sollicités à chaque production imaginaire mais nous n'en tenons pas toujours compte. Chacun peut se souvenir de telles expériences : ce jour, cette luminosité particulière, marchant sur un trottoir, une odeur vient flatter mes narines et soudain m'emmène ailleurs, dans un souvenir , ou dans un paysage parfaitement étranger... Mais cet ailleurs dans lequel nous plongeons par le biais d'un sens prend soudain corps associé à d'autres sensations, à des sentiments voire à des pensées qui appartiennent maintenant à cet ailleurs. La "réalité physique objective" dans laquelle nous étions tout à l'heure laisse place à une autre dimension, celle de la "réalité psychique".
" ...C'est un produit qui a en soi une unité, avec son sens particulier. L'image est une expression concentrée de la situation psychique globale, ...
Cette constellation répond, d'une part, à la créativité propre de l'inconscient et, d'autre part, à l'influence de l'état momentané de la conscience..."
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C'est "un contenu chargé de sens, qui se superpose à la réalité, lui donnant une cohérence et un ordre et qui est toujours accompagné d'affects." 2
Il est des images irruptives, arrivant à la conscience sans crier gare, reconnues comme telles sans que cette conscience ne sache leur attribuer un sens ou en capter la cohérence. D'autres, la plupart même, pourront passer inaperçues, teintant ou filtrant les choses comme un voile nuance le regard que l'on porte sur une chose, insuffisamment puissantes, peut-être, pour que nous y prêtions attention. Cette forme d'activité de l'imagination est le plus souvent passive, subissant les images qui influencent à bas bruit notre vie quotidienne, elle traduit immanquablement une dissociation entre la conscience et les forces de l'inconscient qui poussent et cherchent ainsi à être entendues.
La qualité d'une imagination qui devient active est toute différente. C'est un véritable dialogue qui s'instaure entre l'inconscient et la conscience, où la conscience met ses outils au service de l'Autre pour qu'il s'exprime.
"... la mise en forme esthétique requiert la compréhension du sens, et la compréhension a besoin de la mise en forme esthétique." 3
Où est le poète ? Les images ne nourrissent-elles pas l'œuvre poétique ? Le poète n'est-il pas celui qui, à l'écoute des moindres élans et manifestations, l'amplifie, la magnifie, réinvente le langage dans une alliance toujours renouvelée des mots, de leur sonorité ?
"(...) Car l'être est avant tout un éveil et il s'éveille dans la conscience d'une impression extraordinaire. Un individu n'est pas la somme de ses impressions générales, il est la somme de ses impressions singulières. Ainsi se créent en nous les mystères familiers qui se désignent en de rares symboles. C'est prés de l'eau et de ses fleurs que j'ai le mieux compris que la rêverie est un univers en émanation, un souffle odorant qui sort des choses par l'intermédiaire du rêveur...". 4 Bachelard exprime, au travers de ces quelques phrases poétiques, le lien qui unit le rêveur au poète. " ...l'humanité imaginante est un au-delà de la nature naturante. C'est la greffe qui peut donner vraiment à l'imagination matérielle l'exubérance des formes. C'est la greffe qui peut transmettre à l'imagination formelle la richesse et la densité de la matière. Elle oblige le sauvageon à fleurir et donne de la matière à la fleur... Il faut l'union d'une activité rêveuse et d'une activité idéative pour produire une oeuvre poétique. L'art est de la nature greffée.". 5
Un travail, souvent très long, suit l'activité du rêveur pour qu'il devienne poète. La rêverie est le matériau du poète. Mais auparavant, déjà, la tâche est importante qui consiste à ouvrir les portes qui la tienne captive, à asseoir la confiance de l'être face à la découverte d'un minerai brut et précieux.
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L'Imagothérapie

La visée de l'Imagothérapie n'est pas curative, (le terme thérapie est ici utilisé au sens de médiation) mais il peut cependant lui arriver de l'être :
"L'image, c'est ce qui surprend notre raison, douée en elle-même d'un pouvoir réparateur. Son exploration vise à ce que chacun découvre sa propre relation à la réalité, perçoive sa manière propre de faire face à de multiples situations, expérimente sa capacité intime à réagir opportunément à n'importe quel facteur perturbateur. Il est certain qu'aucune règle, aucune morale, aucune théorie ne peut s'opposer à cette spontanéité profonde de l'être. C'est à la conscience d'assumer ou non ce que cela pourrait impliquer dans la vie de devoir ainsi se livrer à des forces irrationnelles. C'est tout au moins ce que nous serions tentés de dire à priori, tant les choses de l'imaginaire nous paraissent primitives, sauvages, violentes. C'est oublier le formidable pouvoir d'adaptation de l'Imaginal à la vie réelle."
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L'imagination qui devient active est dynamique, elle engendre le mouvement, cela signifie non seulement que l'image une fois perçue peut s'amplifier, rebondir, disparaître et se transformer. La fluidité qui s'installe réside dans l'attention et la vigilance que lui porte la conscience permettant qu'elle adhère à la vie et au destin de l'être en l'accompagnant aussi dans son aspect le plus concret.
"C'est la poussée du psychisme qui a la continuité de la durée. La vie se contente d'osciller. Elle oscille entre le besoin et la satisfaction du besoin. Et s'il faut maintenant montrer comment le psychisme dure, il suffira de le confier à l'intuition imaginante." 7
L'imagothérapie, créée par Alain Kieser L'Baz et Véronique Rousseau, plus qu'une technique, s'apparente d'avantage à un art de vivre ou à une forme de méditation active.
L'élaboration de cette technique particulière trouve son origine dans l'exploration par Alain Kieser 'l Baz de diverses traditions et pratiques, telles la médecine traditionnelle chinoise, la tradition du soufisme, la psychologie des profondeurs, certaines techniques de visualisation, l'ostéopathie, le rêve éveillé dirigé de R. Desoille, dont elle diffère sensiblement dans le sens où l'imagothérapie n'induit pas une conduite de l'image mais accompagne, le plus souvent, ce qui advient.
Le souci de Alain Kieser 'l Baz fut de créer une technique adaptée au monde moderne, qui ait un caractère de souplesse et d'efficacité que la plupart de nos contemporains attendent d'une technique quelconque.

Par la vigilance portées aux cinq sens, (d'abord les sensations extérieures puis on s'attarde sur les perceptions internes), l'attention à l'ambiance qui se crée, aux affects ou aux sentiments qui peuvent nous traverser, on laisse l'image prendre corps; on observe alors méthodiquement, comme une sorte d'état de ce lieu intérieur : est-il immobile, plein ou vide, sombre, lumineux, coloré ?... est-il habité ? Se met-il en mouvement ? On suit alors le mouvement, on affronte ce qui arrive, même si ce mouvement engendre la terreur, même si les découvertes sont insolites, dérangeantes. Il n'est nullement besoin d'interpréter la situation, il n'est que de suivre et de favoriser ce mouvement, sans chercher à le lier à une logique.
L'activité imaginaire est dynamique( lorsqu'on parle d'imagination passive, cela signifie que la conscience est passive, qu'elle subit les fruits de l'imaginaire.) et régie par des lois de polarité : le manque a tendance à attirer ce dont il a besoin, répondant à l'adage "la nature a horreur du vide". Elle vient compenser un manque ou bien opérer une complémentarité. Cette notion de polarité se repère aisément dans tout ce qui vit , c'est la tension qui crée le mouvement : le désir de l'homme vers la femme et bien sûr l'inverse, la faim qui fait sortir le loup du bois, le jour qui appelle la nuit, etc. Un mode de vie par trop unilatéral se verra à un moment dérangé par l'appel de sa polarité inverse, à moins bien sûr que le carcan imposé ne soit si fort qu'il empêche l'attraction de s'exercer, mais dans un cas comme celui-là, la personne se trouve en danger car il existe un véritable risque d'explosion de la situation ou de l'être. La quête de l'harmonie est une recherche permanente qui passe par des moments de tensions extrême, de conflits, souvent jugés inutiles car trop désagréables pour notre culture hédoniste.
"La vie est un champ de bataille. Elle l'a toujours été, elle le restera toujours. S'il n'en était pas ainsi la vie s'interromprait." 8
Le repos, l'arrêt de l'activité ou la recherche d'équilibre peut, au contraire, être synonyme de stase, voire de mort. En effet, l'expérience montre que l'être est toujours en recherche de relation, de tension et de déséquilibre.
"L'harmonisation des manifestations de l'entité humaine n'a pas pour but la suppression plus ou moins momentanée de manifestations pseudo morbides ou pathologique mais de faciliter la libre circulation des fluides vitaux qui sont à la base de ces manifestations, leur assurant puissance et efficacité. C'est pourquoi cette harmonisation peut s'accompagner de manifestations gênantes et susceptibles de conduire le Moi à prendre des mesures de sauvegarde comme s'il entendait qu'il s'agit d'une pathologie supplémentaire." 9

On dit que l'énergie est finalisée : elle poursuit un but que nous ne connaissons pas, le plus souvent, mais que nous tentons d'appréhender et de favoriser. Cette énergie provient d'un centre qui lui donne ses qualités, ses caractéristiques propres, que l'on peut retrouver aux différents niveaux où elle se manifeste : dans les images, dans une multitude de détails très concrets, qui dans la vie peuvent facilement passer inaperçus.
Cette énergie finalisée, oscille selon le mouvement de la vie, c'est l'observation de ces oscillations qui permet de repérer des cycles, des crêtes et des creux de l'activité, une sorte de respiration de l'être. Autrement dit, la libido nous met en contsante relation au monde et par suite en tension. Cependant C. G. Jung donnait à la libido une définition bien plus large que celle que Freud lui assignait.

L'imagotérapie, pratiquée au quotidien comme une ascèse, nous sensibilise à ces lieux différents; nous invite au voyage, aller et retour incessants entre ces mondes et le connu nommé "réalité". Dans ce voyage s'amorce un dialogue intérieur ou avec les autres, il s'agit alors de trouver les mots pour traduire ce que l'on en perçoit, et il n'est pas très facile de dire avec notre langage habituel des choses codées différemment. Pas simple non plus de vivre avec cette multiplicité intérieure, souvent contradictoire, qui engendre le doute, amène à de douloureuses décisions concernant la manière d'agir. Cependant une cohérence se dessine dont on est soudain surpris, au détour d'un chemin tortueux, cohérence qui nous engage dans un mouvement vivant, et nous impose de définir des limites, celles de notre humaine condition.
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Atelier d'écriture

Au sein de l'atelier d'écriture, je me sers encore de l'idée du jeu des personnages inspirée du Cycle des 9 Princes d'Ambre. Ce que touche Zelazny au travers de ses épopées, ou bien ce que touche les mythes, appartient à l'humanité. Je ne prétends évidemment pas qu'en jouant de nos personnages, nous parvenions forcément à une vision aussi vaste, il s'agit seulement du même état d'esprit : nous pouvons aussi bien contacter des images qui concernent surtout notre individualité. C'était pour moi, la découverte d'une vision animiste de l'univers qui a .transformé peu à peu ma vision du monde. Ce travail de mise en scène des différentes instances qui nous composent, est une véritable exploration de nos images intérieures. Il'L Baz dit à ce propos :
" Exploration des images intérieures... Elles sont fondées, pour la plupart, sur l'écoute attentive des élans et des sensations intérieures qui s'organisent pour donner naissance à des "mondes" — ce sont les images — lesquels cherchent une échappée vers la lumière de la Conscience, le plus souvent grâce à un médiateur sans lequel leur mise en scène serait difficile. C'est pourquoi la notion de représentation est ici à prendre au sens large, comme métaphore mais aussi comme mise en spectacle. Nous pouvons aller jusqu'au bout en créant de véritables représentations théâtrales de nos univers intimes. Nous pourrions au moins les écrire sous forme de scénario. Ce serait une forme de cérémonie, un retour moderne aux cérémonies animistes. La découverte que l'expérience animiste n'est pas si primaire que certains anthropologues s'accordent à le dire.
Nos images ont besoin de se représenter. C'est pour l'être humain une nécessité impérieuse. Il n'est pas moyen de le dire autrement."
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"... Enchaînés aux espaces étroits de la matière et de la ville gigantesque, il nous reste des terres immenses à conquérir, des planètes, des univers entiers à conquérir, ce sont les eldorados de l'âme, terres à jamais vierges pour cette tranche d'humanité. Champs d'énergie qui attendent les sangs futurs." 11
Martine Burger, Toulouse le 15/12/97

1 - Les Types psychologiques, C.G. Jung. Georg editeur S.A., Genève 1986, p. 433.
2 - Images et système de représentation. Méthodologie de la recherche, fascicule no1, FaLAP, II 'l Baz.
3 - L'âme et le soi. C.G.Jung. Albin Michel, Paris 90. p. 171.
4 - L'eau et les rêves. Essai sur l'imagination de la matière. Gaston Bachelard. poche biblio essai. p. 14.
5 - Ibid., p.18.
6 - L'anthropothérapie, Il'L Baz. Lierre et Coudrier éd., 1995.
7 - L'air et les songes. Essai sur l'imagination du mouvement, G. Bachelard, Poche biblio essais.
8 - Essais d'exploration de l'inconscient, C.G. Jung.
9 - Harmonisation et stratégie d'harmonisation, Il'L Baz, FALAP, Paris, 1991.
10 - Manifeste de la mélancolie, Il'L Baz, inédit p. 43.
11 - Les tambours de la liberté. Hurt of Africa, Il'L Baz. Lierre & Coudrier éd., Paris 1994.
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