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Entretien avec Francine McKenzie |
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Francine McKenzie, fut présidente du Conseil du statut de la femme de la province de Québec. Le mandat de Francine C. McKenzie s'est terminé brutalement, la mort l'ayant emportée le 10 juin 1988. L’entretien fut réalisé par Robert-Guy Scully, publié dans le mensuel Châtelaine, n 9, vol. 29 de sept. 88 au Canada. Publié ensuite par « Conscience de » numéro spécial 14/15 – Femme féminin, décembre 1989, Paris, avec l’aimable autorisation de la revue Châtelaine.
Robert-Guy Scully : Francine
McKenzie, la première fois que nous vous avons contactée en vue de cet
entretien et que vous avez accepté notre invitation, vous étiez, comme disent
les spécialistes, en rémission ». Francine McKenzie : Pas exactement. On venait de diagnostiquer
un retour de la maladie. Donc, j’avais une rechute. Mais je me disais que
j’étais plutôt en route vers une deuxième rémission. Hélas ! un élément nouveau
est intervenu. Non seulement je ne vais pas vers la rémission mais – je viens
juste de I’apprendre – je suis atteinte d’un deuxième cancer qui est de nature
différente du premier. Les deux semblent se partager l’activité, ce qui
complique considérablement la thérapie à envisager. R.-G.S. :
Le premier était un cancer du sein ? F.M. :
Oui, avec des métastases dans les os. R.-G.S. :
Il avait donc déjà progressé ? F.M. : II a été diagnostiqué très tard, en effet.
Tellement que les médecins étaient étonnés que j’accepte les traitements. R.-G.S. :
Et comment avez-vous réagi ? F.M. :
Écoutez, je n’ai pas hésité du tout devant les traitements, même si je voyais
que les médecins eux-mêmes étaient très sceptiques. J’ai réagi, je dois dire,
de façon très instinctive. Je sentais le besoin de considérer la situation
sérieusement, c’est-à-dire jusque dans ses implications. Et la première
implication, je crois, avec cette maladie qui a encore la réputation d’être
funeste, c’est de se préparer à mourir. Pendant trois mois, je suis quand même
restée complètement déchirée entre, d’une part, ma volonté, presque ma décision
d’en sortir et, d’autre part, mon désir de ne pas vivre ma mort dans la
distraction. Je voulais approfondir cette chose qui finalement est très
naturelle et malgré tout très pénible, et je pense avoir accompli cette
démarche, avoir apprivoisé la mort, avec ce qu’elle entraîne. À telle enseigne
que je ne pourrais pas recommencer. Il me semble que c’est une démarche déjà
faite, déjà inscrite dans mon curriculum vitae, si vous voulez. R.-G.S. :
Mais, au tout départ, il y a eu chez vous une forte volonté de vaincre. Vous le
dites dans votre journal dont j’ai lu quelques extraits. F.M. :
Oui, mais ce qui me tenait par-dessus tout, je crois, ce n’était pas, pour moi,
le fait de vivre. Pourtant, je pense que j’étais alors en pleine possession de
mes moyens, ou que j’avais un peu perdu de ces inquiétudes que l’on a quand on
est plus jeune. Je retrouvais une certaine cohérence. J’étais aussi beaucoup
plus à la recherche du sens. Nous vivons dans une société largement insensée,
je trouve, et j’avais été très marquée par ça. Et, fort étrangement, le fait de
voir une fin, la fin de cela, personnellement me concernant, n’a pas été
dramatique. Ce qui l’a été beaucoup plus, c’était le fait d’avoir des enfants
et d’avoir un mari. Je suis très attachée à ces trois hommes dont l’un était un
petit bonhomme à l’époque, de dix ans seulement, et ça c’était la chose la plus
pénible pour moi. Je dois dire que cela a constitué ma raison de lutter. R.-G.S. :
Dans cette lutte, vous êtes-vous appuyée sur la science médicale ou au contraire
sur la conviction psychologique que vous alliez gagner ? F.M. : Pour ce qui est de la conviction..., j’avais
un doute. Je crois que j’essayais de me duper. Je n’avais pas la témérité
d’affirmer : « Je vais guérir ». En même temps, j’avais une grande volonté de
m’en sortir. Je n’ai pas refusé ce que l’instinct me dictait à ce moment-là. La
maladie nous met dans une situation d’écoute, même quand on a tendance à être
un petit peu intellectuelle, comme j’avais l’habitude de l’être, et de tout
rationaliser. On devient beaucoup plus poreux aux émotions et à ce que les
choses représentent globalement, à leur côté humain. Et j’ai beaucoup misé sur
la science médicale. Je suis devenue très avide de lecture, de tout ce que je
pouvais trouver sur le sujet, de tout ce qui aussi m’aiderait à comprendre ce
qui arrivait. En y réfléchissant, j’en suis venue à la
conclusion que, finalement, le cancer est probablement une maladie de l’Âme.
C’est sans doute une hérésie que de dire cela et certains oncologues doivent rigoler
en m’écoutant, mais c’est ce que je pense. Et plus j’accumule de contacts avec
des personnes qui en ont été frappées, plus j’en suis convaincue. Le cancer est
tellement répandu actuellement, dans les pays occidentaux notamment, que je me
demande s’il n’est pas comme une espèce de maladie de transition pour l’être
humain qui essaie de s’adapter à un environnement en mutation. Exposé à toutes
ces pollutions, ces produits et ces stimuli nouveaux, l’humain doit réagir. Et
je me dis : est-ce que le cancer n’est pas en va-et-vient, est- ce qu’il ne
nous visite pas ? Mais, pour s’arrêter, il lui faut un bon terreau, une terre
favorable. L’hypothèse que je ferais facilement, c’est qu’il s’installe chez
les personnes qui ont une vulnérabilité de l’âme causée par exemple par un choc
psychologique. Je dois dire que c’était mon cas : avant que l’on diagnostique
la maladie, j’avais eu une dure épreuve. Dans ces moments-là, je crois que le
cancer a de l’emprise et qu’il se manifeste ensuite physiquement, en allant se
loger là où l’on est fragile. Mai, j’avais eu un grave accident d’auto étant
jeune, qui avait abîmé mon squelette, si je puis dire, et il est intéressant de constater que c’est dans les os que les métastases se sont
précipitées. R.-G.S. :
Donc vous pensez que finalement le cancer nous habite tous. Tout dépend des
circonstances de notre vie et de la force de l’âme pour déterminer si oui ou
non il va prendre racine. F.M. : Je crois qu’on le fréquente, je crois qu’on
flirte avec, jusqu’à un certain point. Maintenant, je laisse aux scientifiques
le soin de me réfuter là-dessus, mais ce serait mon interprétation. R.-G.S. :
D’ailleurs les scientifiques eux-mêmes, souvent, sans pouvoir le démontrer ou
le quantifier, vous disent que l’ingrédient fonda mental dans les rémissions
c’est la confiance et la volonté des patients de s’en sortir. Mais,
globalement, quelle impression avez-vous eue des oncologues, vous gui en avez
fréquenté plusieurs à la faveur des traitements ? F.M. : Je dois dire que j’ai trouvé très pénible,
dans la première étape de ma maladie, d’être soignée par une équipe de
médecins. De sorte qu’en onze traitements de chimiothérapie, j’ai vu neuf
médecins différents, toujours pour des entrevues très très courtes. Le contact
humain, je l’avais surtout avec les techniciennes qui administraient la
« chimio », étant donné que le traitement par intraveineuse est long
à recevoir. J’estimais assez dangereux sur le plan scientifique, et sur le plan
humain également, cette technique de l’équipe, parce que chacun me disait que
le cancer du sein est une maladie fort variable et qu’il y en a presque autant
qu’il y a de malades. Et je me disais à ce moment-là : est-ce que ça ne
vaudrait pas la peine de s’arrêter un peu à celle qui en est atteinte pour voir
comment elle vit, quelles sont les thérapies qu’elle se trouve, quelles sont
ses conditions de vie, ses chocs, ses épreuves, ce qu’elle traverse, dans
quelle atmosphère elle traverse cela... Bien que, par ailleurs, je les
comprenne de faire la rotation des patientes, car ce n’est pas très drôle de
devoir suivre toujours le même cortège qui s’en va la plupart du temps au
cimetière. Tandis qu’avec la rotation, les médecins ont des chances, sur le
lot, d’assister à des cas de rémission ou de guérison, d’avoir des gratifications. R.-G.S. : Donc vous auriez préféré en
tout cas qu’un seul
médecin fasse le lien... F.M. : C’est ce que je connais actuellement et je
trouve que c’est infiniment préférable. Même si ce pauvre médecin je le plains.
Je vois bien que, dans mon cas, la médecine a mal à la science, si vous voulez.
Étant donné l’existence de deux cancers différents, on est... on est vraiment
presque acculés au pied du mur en ce qui concerne la thérapie. R.-G.S. :
Et vous pensez que si les médecins se regroupent en équipe, ce n’est pas par exigence
scientifique, mais bien parce que, comme vous dites, humainement, pour eux, la
tâche de traiter, et peut-être de trop près, un seul patient serait écrasante,
parce qu’ils s’y attacheraient ? F.M. : Ça, c’est la partie inconsciente. Consciemment,
ils le font pour des raisons scientifiques et sans doute parce qu’ils peuvent
mieux mesurer les effets de la pharmacopée et des traitements qu’ils utilisent
en échangeant et en comparant. Il y a sans doute là une valeur scientifique.
Mais je reste persuadée qu’une saisie globale du patient par un thérapeute qui
s’y adonne et qui a le temps de le faire serait aussi très profitable. R.-G.S. :
Vous avez parlé de « maladie de l’Âme ». Certaines techniques comme l’imagerie
mentale – visualiser la maladie dans son corps, se dire qu’on va la vaincre –
sont prônées par les médecins et par d’autres professionnels de la santé. Ces techniques-là vous
paraissent-elles d’un certain secours ? F.M. :
Elles le sont probablement. Moi je les ai pratiquées d’instinct et je n’avais
pas lu que ça pouvait être intéressant. Ce qui m’avait beaucoup frappée dans
les lectures que j’avais faites (dans un entrefilet du New York
Times, je crois, à l’occasion d’un
congrès de neurologues), c’est qu’on avait identifié une hormone du cerveau qui
est sécrétée lorsqu’il y a une grande détermination chez le sujet. À partir de
là, j ai été embêtée ; je me demandais ce que je pourrais bien faire pour
stimuler la sécrétion de cette hormone-là. On lui prêtait, entre autres, la
propriété de renforcer le système immunitaire et donc d’agir sur les globules
blancs, ce qui est très important puisque le cancer est une maladie du système
immunitaire. R.-G.S. :
Et quand votre rémission
approchait, aviez-vous l’impression d’être sur une pente montante, grâce à cela
? F.M. : Oui. Et je crois que la visualisation de
moi-même... C’est-à-dire que je me suis d’abord écroulée. J’étais souffrante
depuis deux ou trois mois, j’avais de gros maux de dos. Quand je me suis
écroulée, on a dû me transporter en ambulance à l’hôpital et je croyais à ce
moment-là avant qu’on découvre ce que j’avais que j’avais une fracture de la
colonne, que j’avais souffert trop longtemps et que j’aurais dû agir, être
moins négligente. J’ai d’abord été grabataire et je pense que le fait de se
voir dans le lit, incapable de bouger, puis ensuite de se voir passer au
fauteuil roulant, passer A la marchette, passer à la canne, c’est très
gratifiant. C’est de nature à donner confiance à quelqu’un et c’est un peu
comme les marches de l’escalier qui conduisent à la rémission. R.-G.S. :
Et c’est à ce moment-là que vous
avez décidé de ne pas abandonner vos fonctions, gui sont très exigeantes ? F.M. : Je ne les ai jamais abandonnées. Je crois
même avoir travaillé le matin où on m’a opérée (rire), étant donné que je
n’avais eu qu’une narcose et que je n’avais pas voulu être endormie. Je crois
avoir continué chaque jour. Et grâce à l’équipe exceptionnelle que j’ai au
Conseil du statut de la femme, je pouvais être en pleine confiance
professionnellement. On m’apportait le courrier quotidiennement, je
téléphonais, je jouais le tour aux médias de donner des entrevues depuis mon
lit sans qu’on le soupçonne... À mon avis, c’est très important de ne pas
cesser ses activités et de garder ses centres d’intérêt, les choses qui nous
tiennent à cœur aussi. R.-G.S. :
Parfois, on ne veut pas cesser ses activités pour que l’entourage ne sache pas,
mais ce n’est pas votre cas puisque vous en parlez ici... F.M. : Je l’ai gardé secret très longtemps et
finalement c’est devenu un secret de Polichinelle, les médias en ont parlé.
Mais quand même, je ne l’ai pas révélé. R.-G.S. :
Mais s’il y avait eu moyen, l’auriez-vous conservé ce secret ? F.M. : Je crois, oui. R.-G.S. :
Croyez-vous que la curiosité malsaine l’emporte sur la solidarité quand on
parle de ça, que la dignité du malade est menacée? F.M. :
Oui, j’ai toujours un peu de mal à I’exhibitionnisme, je suis plutôt du côté du
mystère ou du secret. Cependant, à partir du moment où cela s’est ébruité, j’ai
estimé aussi, forte de la rémission, qu’il était important que je le dise parce
que j’avais un message d’espoir à apporter aux autres femmes qui en sont
atteintes. R.-G.S. :
Et quand le second cancer a été
diagnostiqué, avez-vous commencé à changer de point de vue ? F.M. : Oui, c’est très récent et je dois vous dire
que... je suis perdue, actuellement. Je n’ai pas de vision claire de la chose,
je suis... désemparée. Et j’estime que c’est une extravagance dont j’aurais pu
faire l’économie. Ça complique la tâche considérablement et on ne m’a pas
encore fait miroiter de solution. R.-G.S. :
Et votre famille ? Elle vous a suivie tout au long et vous disiez que,
essentiellement, votre première raison
de lutter c’était votre jeune fils... F.M. : Et ça le demeure. Il y a des choses qui me
tiennent à cœur et le fait de traverser cela fait émerger l’essentiel. Les
détails s’estompent et on arrive à un ordonnancement de ce qui compte le plus
dans la vie très rapidement. On se découvre un talent pour ça. R.-G.S. :
Socialement, on sait que le cancer, pendant un temps, a fait très peur, un peu
comme le sida aujourd’hui. Le président Nixon, il y a déjà presque une génération, avait dit : « Je
déclare la guerre au cancer aux États-Unis, j’injecte des fonds ». Mais
cette guerre n’a pas été gagnée. Croyez-vous que si on utilisait ces fonds-là, on vaincrait ? F.M. :
Si on les utilisait surtout dans le dépistage, oui, sur des techniques et des
façons de dépister très rapidement la présence même de cellules avant que des
tumeurs se forment (au moyen de prises de sang, ou de choses simples), il me
semble qu’on arriverait à des solutions intéressantes. A ce moment-là, an
pourrait songer aussi à des méthodes de thérapie un peu moins sauvages et
beaucoup plus sélectives, beaucoup plus fines que celle de la chimiothérapie. R.-G.S. :
Votre conseil aux femmes serait
donc d’être encore plus vigilantes quelles ne le sont maintenant ? F.M. :
Oui. Et je donnerai aussi mon conseil à l’État (c’est d’ailleurs la fonction
même du Conseil du statut de la femme que de conseiller le gouvernement), ce
serait de ne pas lésiner sur les fonds devant être assignés à la recherche sur
le dépistage. Cela me semble être un très bon calcul, et beaucoup plus
économique que tout l’arsenal oncologique qui est mis en place aujourd’hui et
qui coûte une fortune. R.-G.S. :
N’’y aurait-il pas, également, des recommandations à faire sur la façon intérieure de mener sa vie ?
Selon vous, les gens ne se préparent-ils pas des maladies simplement en
négligeant trop leur équilibre intime ? F.M. : Refouler beaucoup d’émotions, ne pas écouter
son corps ni sa fatigue, ne jamais apprendre à gérer son stress : voilà autant
d’attitudes qui peuvent nous conduire au cancer. Je dois dire, à mon sujet,
qu’autrefois j’avais l’habitude de faire des blagues quand je rencontrais des
gens préoccupés par de nouvelles recettes psychologiques, de nouvelles
techniques. Dieu sait s’il y a eu abus, aussi, du côté des psys ! Donc, j’étais
très méfiante et je disais chaque fois en riant : « Je n’écoute pas votre
recette parce que, de toute façon, je n’aurai pas le temps de l’appliquer. Se
changer, ça demande beaucoup de temps. » Reste qu’il y a sûrement un moyen
terme à trouver, sans développer une espèce de nombrilisme ou sans tomber dans
un culte du corps, comme on l’a vu dans Le déclin de l’empire
américain, au point où cela frise
le loufoque. Il y a quand même un équilibre à conserver. On a probablement tort
de ne jamais s’écouter, finalement, et de toujours marcher sur son âme. R.-G.S. :
Et quand vous dites que vous avez fait une réflexion sur la mort et que cela
vous a conduite à une certaine sérénité,
qu’est-ce que vous voulez dire ? F.M. : Eh bien... je crois à une certaine sérénité.
Avec un regret aussi. Avec le regret de peut-être ne pas avoir eu le temps de
progresser, je dirais de progresser... dans le sens du sens des choses (même si
ça a l’air redondant, c’est ce que je veux dire finalement). Je commençais
seulement à voir un petit peu de lumière. | |||||||||||
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