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T�moins de nos m�urs

Léopard, H : 81,5 cm, Bénin. Ils étaient placés aux côtés de l'Qba pour l'apparat. Chaque animal est fait de cinq défenses. British Museum. Alimentation, culture(s)
et religion(s)
Tous droits r�serv�s � Lierre & Coudrier �d. Parution originale, Hommes & Faits, 2001
Awad Fouatih

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Chaque religion donne une interpr�tation de la symbolique et du statut de l�alimentaire, lecture dict�e par le Divin qui indique � l�Humain son comportement vis � vis de la nourriture terrestre. Les aliments font partie int�grante de notre histoire, de notre vie sinon de notre destin. La th�ologie, discours du religieux qui interpr�te ce que le divin dans sa langue indique et les Textes liturgiques sont, l�, l�expression du divin dans le langage de l�Humain. Chacun de nous a une fa�on singuli�re de se comporter vis � vis de l�aliment, disciple ou non de telle ou telle religion (syst�me de r�f�rence culturelle codifiant nos rapports aux forces de la Transcendance).

L�Homme, depuis son av�nement sur la Terre, a pratiquement s�lectionn� l�aliment qui lui a �t� utile pour sa survie. Il a mis �galement du temps � adapter certains aliments et � rendre domestique ce qui �tait naturel. Plus tard, en fonction de sa culture et /ou de sa tradition, il a l�gif�r� sur les cat�gories, sur l�aliment n�cessaire, agr�able, utile voire mauvais. En �tablissant des r�gles strictes de codification sur la fa�on de se nourrir, de manger, de cuire, il a oblig� des g�n�rations enti�res � int�rioriser un certain go�t et � avoir des habitudes alimentaires pr��tablies.

Ainsi, d�un continent � l�autre, alors qu�aujourd�hui il est possible de trouver les m�mes aliments partout, nous constatons qu�il y a des mani�res diff�rentes de manger, de cuire et de pr�parer ces m�mes aliments.

Dans l�inconscient collectif existe �� et l� un conditionnement et un apprentissage propres � nos cultures, � nos religions qui nous poussent � trier entre le d�sirable�: le connu et l�ind�sirable�: l�inconnu.

L�aliment reste le vecteur de notre culture (de notre religion) car il est porteur de sens. Si je m�interdis de manger tel ou tel aliment, c�est ma ��conscience�� int�rieure qui me dicte qu�il y a un tabou (m�me si parfois j�ignore le pourquoi de cet interdit et je vais essayer de construire un argumentaire logique (souvent le tabou est d�ordre religieux).

La notion de licite et d�illicite, de sacr� et de profane est une dualit� qui s�apparente � la notion universelle du bien et du mal. La diff�rence se fait alors entre l�aliment polluant le corps et l�aliment alli� du corps. Manger un aliment d�termin� est toujours un choix, une activit� de l�esprit qui classe, dicte, choisit en fonction des crit�res culturels, �conomiques et religieux. L�aliment peut �tre aussi, dans certaines traditions, un aliment sacr�, c�est-�-dire r�serv� aux Dieux, propre � la consommation par les Dieux, aliment offrande ou de c�r�monie.

Les f�tes sont des moments sanctuaires o� certaines cat�gories d�aliments sont consomm�s, en fonction de l�Histoire, de la M�moire, de la Tradition�; ainsi notre histoire peut-elle s�apparenter � l�Histoire de nos aliments f�tiches.

Les hommes se nourrissent comme la soci�t� leur a appris � se nourrir�; cette �vidence para�t pour certains comme non fond�e. On aime souvent les aliments que notre m�re nous a appris � consommer. Ainsi nos go�ts et nos d�go�ts, nos aversions alimentaires ne sont que le r�sultat de notre �ducation, de notre culture, de notre religion.

Le go�t et les aversions alimentaires se lovent en nous entre le faix de l�h�r�dit� et les contraintes de la socialisation. Tout syst�me alimentaire fonctionne comme un syst�me de contr�le, il est un langage de la diff�renciation et de la distanciation. Le r�gime alimentaire indique une appartenance, un id�al. Il ne faut pas oublier que dans l�Ancien testament (La Gen�se - Gen.l,29-30). Il est rappel� que le ��Paradis est v�g�tarien�� et ce n�est qu�apr�s le d�luge que Dieu permit � l�homme de manger diff�remment. Il est �crit ��Tout ce qui remue et vit te servira de nourriture��.

L�alimentation, facteur constitutif de l�identit� culturelle

��Je suis ce que je mange, ce que je mange me transforme�; le manger transmet certaines caract�ristiques aux mangeurs. En cons�quent, si je ne sais plus ce que je mange, je ne sais plus qui je suis��. Claude Fischeler.

On mange pour vivre ou l�on vit pour manger, telle est la question que l�on se pose souvent, face � ce dilemme, la r�ponse est � la fois simple et complexe. Pour vivre il faut se nourrir, nous ne pouvons nous passer de la nourriture. Notre r�gime alimentaire et la fa�on de nous nourrir ont �volu� au m�me rythme que nous. Notre histoire, c�est l�histoire de notre alimentation. Notre rapport � l�alimentation est compliqu� et chacun le r�gle � sa fa�on, tel l�anachor�te � qui il suffit de peu de nourriture pour survivre, l�essentiel, le fondamental, � sa survie�; par contre si l�on abuse trop de la nourriture comme le boulimique, elle devient dangereuse et peut nous entra�ner vers la mort. Il nous faut donc respecter une certaine mesure, sachant que l�aliment est � la fois poison et m�dicament.

L�alimentation se trouve au centre de notre univers mental et social, elle nous accompagne de notre naissance � notre mort � pour certaines civilisations au-del� de la mort par les offrandes effectu�es quotidiennement sur l�autel �rig� � la m�moire des anc�tres -.

L�apprentissage de nos go�ts et sensations se fait tr�s t�t, d�s notre premi�re t�t�e�; Les aliments aim�s sont ceux qui ont le go�t et la saveur du lait maternel ��aromatis頻. De ce fait notre cerveau capte et fabrique d�s ce premier moment de notre vie des cat�gories, en s�adaptant ou en rejetant par s�lection certains go�ts. Ainsi pouvons-nous dire que le choix de notre alimentation ne se fait jamais de fa�on hasardeuse. Ce choix correspond toujours � des cat�gories pr�cises qui ont � voir avec notre enfance, notre adolescence, notre milieu social et culturel, en fin de compte avec notre histoire.

Le hasard a peu de place dans nos choix alimentaires. Dire que l�on aime plus ceci que cela ne d�note pas d�un simple d�sir individuel, ce d�sir est conditionn� par ce que l�on a d�j� mang� ou aim�, m�me si on a oubli� ��quand et o��?��.

L�alimentation, un fait culturel donc social, induit positivement ou n�gativement dans notre esprit, et conditionne nos comportements alimentaires. Notre singularit� est aussi d�ordre alimentaire.

A cela, il faut ajouter les repr�sentations symboliques et mythologiques qui viennent illustrer notre perception imaginaire de l�alimentation�; l�exemple du lait peut tr�s bien s�illustrer par le lait de la louve nourrici�re de Remus et Romulus, comme aliment (avec d�autres) de pr�dilection au Paradis. Le lait cr�e des liens de parent� indissociables et fait de ceux qui ont �t� nourris d�un m�me sein des ��fr�res et s�urs de lait���: c�est-�-dire qu�une tierce personne qui donne le sein � d�autres enfants que les siens fait d�eux des parents, fr�res et s�urs de lait de ses propres enfants. Ce qui les emp�chera plus tard de se marier entre eux.

Nous voyons que manger engage l�individu. Manger est un rite social et culturel qui assure une certaine continuit� et une diversit� dans les contacts familiaux et sociaux. Manger ensemble correspond � des moments de partage et de plaisir entre famille et amis et participe � l�unification et � la coh�sion des groupes, c�est-�-dire � la sociabilit� et au maintien du lien social.

Chaque soci�t� a son mode de partage de la nourriture. Celle-ci est faite pour �tre partag�e, ne pas le faire est d�truire son essence pour soi et pour les autres. Dans l�Hindouisme, on met en garde ��celui qui mange sans savoir, tue la nourriture, et mang�e, elle le tue��. Il faut �tre conscient de ce que l�on mange, manger n�est pas un acte anodin mais un acte social qui fonde le groupe et le d�termine dans le v�cu de sa communaut� de partage. Brillat Savarin (Philosophie du go�t) nous donne la cl� de cette �nigme en nous disant�: ��Dis ce que tu manges, je te dirai qui tu es��.

L�homme moderne mange finalement tout mais ne dig�re rien, car le plaisir culinaire suppose la connaissance de sa propre cuisine ou du moins de ses rudiments. Ce qui distingue l�homme du ruminant par exemple, c�est la conscience qu�il a de ce qu�il mange et le plaisir qu�il en tire. Chaque civilisation reconstruit un paysage coh�rent sur des bases alimentaires, le vin est magnifi� car proche parent de l�Eucharistie et il r�jouit le c�ur de l�homme. Il garde l�image de la consolation pour les afflig�s et de havre de paix pour les personnes chagrin�es. Il est donc li� � la marginalisation sociale. Il est plus individuel que social s�il ne fait pas partie de l�ensemble du repas qu�il doit accompagner ou illustrer. Le vin est consomm� par sentiment ��national�� � le vin et le fromage, image typiquement fran�aise � on fait son �loge si on est Fran�ais, comme on fera celui de la bi�re si l�on est Allemand ou Belge, le whisky est consomm� par mim�tisme ou par snobisme.

Quant au caf�, il fera son entr�e dans l�univers fran�ais au XVIIe si�cle, appel� ��le lait des philosophes��. Il est consid�r� comme un breuvage noble qui donne de l�esprit et distingue de l�ivrognerie aristocratique. Sa consommation permettra aux Dames de p�n�trer les cercles intellectuels. Nous voyons l� que l�usage du caf� a fait �voluer la soci�t� en permettant un certain progr�s social et une certaine lib�ralisation des m�urs.

Dans la soci�t� asiatique, manger a pour but d��quilibrer les �nergies du corps, donc d�assurer une bonne sant�, manger est aussi un acte culturel qui a un sens et une valeur m�taphorique. Lors d�un banquet d�anniversaire, la consommation de nouilles signifie que l�on souhaite longue vie � la personne, l�aliment appara�t l� comme vecteur et message de bon augure. Mettre sur la table des boulettes de riz farcies � d�guster indique une certaine coh�sion sociale et familiale. Une table asiatique doit respecter les r�gles des trois sens�: la vue, l�odorat et le go�t�; � cela il faut joindre les cinq saveurs de base�: l�acide, le piquant, l�amer, le sucr� et le sal� et pour bien faire le repas doit alterner le croquant, le fondant, le gluant et le sec.

Le repas asiatique doit �tre pr�sent� ensemble, sans succession dans le temps. Il est appr�hend� d�un seul coup d��il avec ses vari�t�s de couleurs et ses nuances de saveurs. Ainsi le convive peut choisir ce qui lui pla�t, quand il lui pla�t afin de savourer � sa convenance. Tout est l�, tout est ordonn� dans l�espace et non dans le temps. Le repas sert � renforcer les relations sociales, le moment o� l�on �change, o� l�on se parle car il est mals�ant de manger en silence.

Les Chinois utilisaient autrefois des couteaux. Ils furent bannis de la table en faveur des baguettes, suite � un changement de pouvoir. Pour marquer cette rupture, les lettr�s interdirent l�usage du couteau. On voit l� l��volution d�un usage de table�: on passe des couteaux aux baguettes, ce qui n�est pas le fait du hasard mais correspond � l��volution sociale et politique de la soci�t� chinoise.

Manger dans un plat central avec les doigts mais en respectant un code strict, manger ce qui se pr�sente devant soi en utilisant trois doigts pour tremper le pain dans la sauce, ne jamais se l�cher les doigts, en ob�issant � un rythme dans le temps et en se concentrant sur la nourriture, sont l� d�autres fa�ons de se comporter vis-�-vis de la nourriture�: ce qui correspond � une certaine pratique culturelle m�diterran�enne (plus particuli�rement au Maghreb). Ici on mange en silence car la nourriture est sacr�e. Il faut lui consacrer de l�attention et du temps.

Aujourd�hui l�aliment que l�on nous impose a pour crit�re la r�gularit�, la dur�e de conservation, l�apport calorique, laissant de c�t� les anciennes qualit�s tels la saveur, le go�t, la tradition, le plaisir�

L�homme s�est �vertu� durant des si�cles � diversifier son alimentation�; il fait aujourd�hui marche arri�re en r�alisant une alimentation toujours plus homog�ne De ce fait, l�aliment se trouve d�connect� du corps social et culturel qui faisait sa diversit�, sa pluralit�, sa frugalit�. Ce n�est pas l�aliment qui fait l�homme, mais l�homme qui cr�e son alimentation.

Il nous faut donc, parfois, r�apprendre � manger, � passer � table pour donner sens � notre alimentation. Sans cela, nous risquons de faire, sans nous en rendre compte, de ��l�autisme alimentaire�� Nous aurons droit � l�aliment id�al virtuel sans risque, sans saveur, un aliment passe-partout Alors la multifonctionnalit� du repas nous appara�tra artificiellement, comme des collages d�actes simultan�s mais incoh�rents, c�est-�-dire des fonctionnalit�s d�risoires sans aucun contenu.

L�alimentation est donc contingent�e, ce qui lui enl�ve toute fonction de m�diation qui en faisait un �l�ment indispensable dans le rapprochement entre individus. On ne fera jamais dispara�tre la charge affective, �motionnelle et curative que nous pr�tons aux aliments. Nos �motions, nos souvenirs, notre histoire personnelle sont li�s � l�alimentation.

D�j� en 1542, Landi Guillo chantait des hymnes � la gloire du fromage en des termes �loquents�:

��Fromage, c�est le premier aliment humain

M�pris� par les seuls gens aveugles et grossiers,

Qui disent que c�est un repas de vilains,

Parce que sa force endurcit les os

Moi, je ne vois pas que l�homme sans en manger,

Puisse �tre d�une vigueur achev�!��

Notre alimentation est le v�hicule de nos symboles, elle conditionne nos vies et occupe nos esprits, elle nous procure des sensations�; elle est donc essentielle � notre vie et � notre progr�s. Sans alimentation, l�homme serait nu�: comme il choisit son v�tement, il choisit son alimentation, c�est ce qui le distingue et le singularise et lui est n�cessaire pour vivre et pour exister.


Awad Fouatih, le 15/05/01
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