Face aux fatma libérées, une nouvelle race d'hommes est née en Occident.
Échaudé
par la triste défaite de ses pères, le mâle moderne n'est pas macho, ce serait trop grossier : non, il est purement, radicalement misogyne. D'apparence pourtant, il sait en faire autant que la femme : cuisine, puériculture, ménage, les domaines jusqu'alors réservés aux femmes n'ont plus de secrets pour lui. Mais ce n'est ni par goût, ni par altruisme qu'il s'est formé aux arts féminins. Non ! il prépare ses arrières, il s'entraîne à l'autonomie totale afin de ne plus dépendre de ces femelles à l'âme courbe, comme ont pu se faire avoir ses ancêtres du
« sexe fort ». Le mâle moderne n'adore plus La Femme – il laisse ces croyances au musée de l'histoire
– il s'en méfie comme d'une peste, et envie en secret ses compères homos qui, eux, ont réussi à totalement s'affranchir de leur ancienne dépendance. Car hélas, être misogyne n'implique pas forcément aimer les garçons.
Donc, le mâle moderne sait tout faire, mais il continue à vivre comme ses pères, laissant à sa compagne le soin d'assurer la triste banalité du quotidien. Et si d'aventure elle exprime une quelconque protestation, il lui brandit ses propres capacités à lui en lui démontrant que si elle ne peut fournir sur tous les fronts c'est, soit qu'elle est nulle, soit qu'elle a un gros cul (psychique bien entendu, car la femme moderne n'a pas intérêt à se laisser aller, il y a tant de femmes seules pour savonner à sa place le dos de son compagnon si d'aventure elle faiblissait un peu dans son rôle de geisha).
Pour lui, s'occuper de ses gosses revient à donner son avis sur tout, et à prendre la mouche si celui-ci n'a pas été suivi : si sa compagne n'exauce pas ses desiderata, c'est qu'elle refuse la collaboration, qu'elle a exploité le mâle, lui a extorqué hypocritement le spermato nécessaire et elle n'ira pas se plaindre plus tard de sa défection : légitime défense ! C'est aussi un moyen de transmettre dès le berceau à ses fils le message fondamental : "Méfie-toi des femmes ! Et en particulier de ta mère qui veut te croquer tout cru, tu verras j'ai raison c'est écrit dans plein de livres".
Il est normal que la femme moderne reprenne son activité domestico-professionnelle dix jours après avoir accouché. Certes, c'est elle qui allaite, qui se réveille une ou deux fois par nuit pour nourrir l'enfant, qui le change, le garde. Mais qu'elle ne s'avise pas à se dire fatiguée et à baisser son niveau d'efficacité : comment donc ont fait ses mères, qui assumaient seules de nombreuses maternités sans tout le confort moderne ? Elle demande un peu d'aide à son compagnon ? Voilà l'esclavage millénaire qui recommence !
Fort de ses talents multiples, le mâle moderne se met aux fourneaux quand ça lui chante, ou quand ses copains viennent manger (du coup, ça lui fait une réputation d'enfer), ou quand il en a marre de ne pas avoir un cordon bleu à ses côtés. Le reste du temps, il se met les pieds sous la table, et appelle "rien foutu" le temps quotidien passé par sa compagne (outre son boulot) à gérer l'intendance, jongler avec les fins de mois difficiles, garder la maison à peu près propre, trier le linge à laver, penser à amener une veste au pressing, à convoquer le plombier, à répondre au téléphone
(« Désolée, il est absent mais je peux laisser un message. Vous avez déjà appelé trois fois ? Je comprends, je comprends... Vous savez, il est très occupé... Je comprends, oui... Je lui transmets votre appel... Oui, c'est
promis »), établir une liste de courses, les faire (ou les faire faire), préparer une salade, choisir un fromage, faire en sorte qu'il y ait toujours dans le frigo de quoi faire un casse-croûte en cas de petite fringale masculine... Avec son regard acéré rompu aux techniques féminines, le mâle d'aujourd'hui va d'emblée passer son doigt sur le téléviseur resté poussiéreux, faire remarquer aigrement l'absence de Sopalin, brandir la-quittance-EDF-qui-n'est-pas-encore-réglée-alors-qu'il-l'avait-demandé, et se plaindre que la vie de couple est plus une charge qu'un plaisir.
Ces manquements féminins sont intolérables aux yeux du mâle moderne. Mais il n'y aurait pourtant aucun mérite féminin à être efficace, car le must pour le mâle moderne, ce n'est pas de vivre avec une parfaite femme au foyer (ça fait macho et vieux jeu), mais avec une CREATRICE : femme peintre, écrivain ou réalisatrice. Si d'aventure la
femelle moderne s'avise d'être un peu coincée de ce côté-là, elle sera l'objet de
l'opprobre muette du mâle et n'ira pas se plaindre s'il cherche ailleurs une nourriture artistique. En effet, la femme d'aujourd'hui doit tout savoir faire : assurer les tâches domestiques et l'éducation des enfants avec le même brio que ses ancêtres (tout en sachant discrètement s'effacer lorsque rapplique le papa) ; être une maîtresse hors pair, attentionnée, sensuelle, fougueuse, disponible ; avoir une profession épanouissante et ramener à la maison autant d'argent que son homme (le temps de la concurrence est révolu, ils étaient bien
« cons » ceux qui asseyaient leur pouvoir sur cet argument-là).
La femme a voulu se libérer ? Elle s'est révoltée contre la mise à l'écart systématique du monde des hommes depuis plusieurs millénaires ? Elle qui croquait les hommes dans le secret des alcôves a voulu les attaquer dans leur propre domaine? Le mâle se venge de cette déclaration de guerre, et utilise pour cela les armes de la femme, mille fois plus redoutables que celles de ses ancêtres masculins qui pour conquérir le monde s'étaient lentement coupés... de leur propre intériorité. Le mâle moderne a des sentiments et sait lire dans l'âme de ses compagnes. Cela le rend merveilleusement séduisant pendant la phase 1 des relations : l'on se sent enfin comprise ! Mais ce pouvoir jusque-là réservé aux femmes devient terrible quand la virilité du mâle l'utilise pour son propre compte. Potentiellement autonome, le mâle moderne n'est plus tenu par grand chose d'autre que son propre désir auprès de sa compagne. Les couples se font et se défont sans grand problèmes, et les femmes-disponibles-qui-n'attendent-que-ça se ramassent, comme ailleurs les feuilles mortes, à la pelle. Avoir une maîtresse n'est plus hygiénique, comme jadis, ou de la goujaterie, comme on pourrait le croire. Non, ce n'est que justice face aux manquements de la femme moderne qui, sollicitée au-dehors comme au dedans, ne réussit pas toujours à être parfaite partout, baille un peu trop souvent au lit et laisse son compagnon errer dans une morne solitude.
Anne Rose, le 04/04/98