Le silence des agneaux Mod�le d'analyse des mythes et des images v�hicul�s par le cin�ma |
� Le silence des agneaux �, Film policier am�ricain de Jonathan Demme, 1990. Avec Jodie Foster (Clarice), Anthony Hopkins (Hannibal Lecter), Scott Glenn. Hannibal Lecter a parcouru le chemin qui s�pare la psychiatrie de la folie. Une s�rie de crimes horribles a fait passer ce brillant m�decin de son cabinet de consultation � la cellule la mieux gard�e du p�nitencier o� il officiait. Jack Crawford, un agent du F.B.I. est persuad� que seul Lecter peut l'aider � d�masquer Buffalo Bill, un psychopathe qui assassine � tour de bras dans le Middle West. Clarice Starling, une jeune stagiaire, est d�pec�e dans la cellule du savant fou. Elle a pour mission de le faire parler. � son insu, elle servira en fait d'agent au service d'Hannibal qui continue de tirer le ficelles... � Le silence des agneaux � a �t� pr�c�d� dans les ann�es 80 par un film dont il est presque la copie. (J'en ai malheureusement oubli� les r�f�rences) Cela n'a pas emp�ch� � Le silence des agneaux � de devenir l'arch�type des thrillers, et depuis tous les films du genre se sont inspir�s de ce sc�nario. Le pr�sent article a �t� �crit en 1994, les �v�nements auxquels il est fait r�f�rence sont donc � situer dans le contexte de cette �poque. |
Pr�sence du mythe : vers le monde moderneLes nouveaux monstresAu seuil du second mill�naire, l'humanit�, riche d'une exp�rience scientifique et technique, devrait, dans l'id�al, s'appr�ter � franchir un seuil, affranchie des vieilles superstitions, de celles que rapportent nos fr�res de l'An Mille, du moins est-ce le discours que tiennent les membres de nos �lites ? Sans doute, forts de notre savoir, fiers de nos plus r�centes d�couvertes, devrions-nous offrir � nos enfants nos outils neufs fourbis, avec le mode d'emploi. Qu'en est-il en v�rit�, et qu'avons-nous � transmettre ? La peur, seulement. Mais plus grave, projet�e sur l'outil lui-m�me ! Malgr� cela, il semblerait que l'initiation des enfants au monde de demain, leur adaptation � la technique, se fasse en d�pit de tout, comme si les monstres int�rieurs, tels des bulldozers que rien ne peut arr�ter, et s�rement pas nos peurs, tra�aient leur route droit vers leur but, fid�les � remplir leur mission, � un rythme et dans un mouvement, imprim�s depuis l'origine. Envers et contre tous les d�tracteurs du progr�s, nostalgiques de l'�ge d'or, l'humanit� est condamn�e � s'adapter, selon le processus d�crit plus haut, dont l'Histoire nous enseigne, d'une mani�re concr�te, qu'il s'est reproduit avec constance. Mais s'�l�ve alors le c�ur des partisans : � Et la libert� dans tout �a ? � Comme d'autres invoqueraient Dieu (dans tout �a). Imaginez � nouveau : vous �tes au volant d'un bolide lanc� � une vitesse folle, freins cass�s. Par chance, pour le moment, la route est droite, mais � l'horizon se profile la montagne. Sur votre droite, un mur de rocailles, sur votre gauche, un pr�cipice, � vos trousses les sir�nes de l'enfer... policier. Quelle solution ? De part et d'autre, le fracas, l'explosion et la mort assur�e. Droit devant, le danger d'un obstacle impromptu, mais au bout, peut-�tre, la vie. Premi�re �tape, surmonter la frayeur, la transformer, �tre efficace, concentr� sur la conduite, abandonn� au mouvement. Le corps �pouse les contours du bolide. Quand vous abordez les virages, vous �tes le bolide. Virage � droite, toute. Votre corps a�rodynamique ne fait plus qu'un avec la route. Vous �tes devenu la route... Contr�le sur soi et abandon de soiLe respect de la dynamique de vie est un curieux cocktail n� du m�lange de ces deux composants, habilement dos�s. D'un point de vue s�mantique seulement, le contr�le sur soi implique une action dynamique ; d'un autre c�t�, l'abandon de soi renvoie � une sorte de stase, une passivit�. En grammaire, dans une phrase � la voix passive, le sujet subit l'action. R�duction de la r�alit� psychique, la relation amoureuse, nous apprend qu'est passif celui qui laisse faire l'action. Dans une relation h�t�rosexuelle, le r�le passif est g�n�ralement d�volu � la femme, anatomie oblige ?! Dans un couple homosexuel masculin, celui qui joue le r�le passif est r�put� tenir celui de la femme; p�n�tration oblige ! Dans l'homosexualit� f�minine, les r�les sont aussi distribu�s entre termes d'actif et de passif, mais selon quels crit�res ? Dans les deux premiers cas, la passivit� qualifie celui qui se laisse p�n�trer(1). Mais comme toutes les autres activit�s humaines, les us et coutumes g�nitales doivent-ils �tre consid�r�s comme r�duction d'une r�alit� globale, incluant des processus agissant dans la r�alit� psychique. Elles manifestent dans la r�alit� concr�te des ph�nom�nes actifs dans la psych�, que le mythe, confront� � la r�alit� physique objective permettra d'�clairer. Le mythe est, quant � lui m�taphore de la r�alit� psychique, de sa dynamique. Transposition au plan psychique : il est dit de M�d�e ��qu'elle a subi la loi de Jason��. Mais la glorieuse h�ro�ne, nous dit l'histoire, finit bien mal sa carri�re, mu�e en m�re meurtri�re. A y regarder de plus pr�s, la mauvaise m�re, celle du mythe, s�vit au plan collectif. L'�tat : mauvaise m�re ?A l'�vidence, sans s'�tre donn� le mot, le juge Bertha-Geffroy et Jacques
Chirac paraissent, chacun � sa mani�re, vouloir pratiquer une p�dagogie
allant dans le sens d'une responsabilisation accrue des pouvoirs publics, des
ministres aux pr�fets. Le magistrat instructeur semble d�cid� � mettre � jour
la haine des responsabilit�s � l'origine des retards observ�s dans la mise en
place du d�pistage syst�matique du sida dans les dons de sang. Cette nouvelle
mani�re d'envisager la responsabilit� signifie que lorsqu'il est en cause,
l'�tat ne doit plus compter sur une indemnisation pour �ponger ses fautes. Il
est fini le temps de la responsabilit� et de l'irresponsabilit� collectives
qui permettaient l'impunit� de la puissance politique pour autant que la
collectivit� accept�t de payer. Avant qu'il ne soit trop tard, et sans critiquer cette �volution du droit et des mentalit�s, il convient pourtant de mettre en garde contre un exc�s de retour du balancier, contre la tentation de mettre en cause, � tout prix, au moindre incident, la responsabilit� des pouvoirs publics.(2) ProspectivesAux lumi�res du pass�, une vision de l'avenir ou la le�on du mythe Il en est de certaines productions de l'imaginaire comme des r�ves proph�tiques de la Bible, par exemple : ainsi le r�ve de Pharaon, des sept vaches grasses et des sept vaches maigres, dont le contenu ne devient accessible qu'apr�s la lecture qu'en fait Joseph, fils d'Isra�l. La lecture qu'il fait du r�ve permet la mise en �uvre de mesures destin�es � supporter les ann�es de famine qui s'annonce, apr�s que Pharaon a accept� l'avis de l'�tranger, esclave de surcro�t. On soulignera le statut particulier de Joseph, �tranger en captivit� depuis de longues ann�es, mais qui a, par ses qualit�s, son savoir, sa sagesse, son int�grit�, acquis une place particuli�re dans la maison de Pharaon, jusqu'� devenir grand intendant du Royaume. Il a une fonction, certes modeste au d�but, dans une soci�t� dont il reste n�anmoins en marge, et en acquiert une vision suffisamment proche et distanci�e pour que sa parole soit �cout�e et prise au s�rieux. Au plan de la m�taphore, le r�ve de Pharaon, aujourd'hui o� les instances sup�rieures de l'�tat ont rompu le pacte avec une transcendance, qui, nous avons tent� de le montrer, parle par images m�diatis�es, ce pourrait bien �tre un film comme Le Silence des Agneaux, et la parole efficace de Joseph, pendant que nous y sommes, l'anthropologie. Parole et action, rappelons que l'anthropologie ne se pr�sente pas seulement comme un discours de plus dans l'arsenal logorrh�ique en vogue, mais orient�e par une action finalis�e, elle se doit de faire des propositions utiles � appr�hender les probl�mes qu'elle soul�ve. Ou, � tout le moins, signaler des pistes.
Ces lignes traduisent le constat d'un fait ind�niable, la partie �merg�e de l'iceberg. Mais une compr�hension compl�te du ph�nom�ne n�cessite une incursion dans les coulisses de la psych�, � l'envers du d�cor. Pourquoi cette fascination ? En quoi est-elle r�v�latrice du fonctionnement de l'imaginaire ? La r�p�tition, le retour, m�diatis�, � des repr�sentations de sacrifices humains rituels(5) et anthropophages est un signe suppl�mentaire de la projection d'une violence, pr�sente dans les contes et les mythes, que l'imaginaire moderne refuse d'assumer, comme nous l'avons signal� plus haut. (Et il s'agit bien de ��repr�sentations�� transmises � travers le cin�ma ou la t�l�vision, non des horreurs que l'actualit� nous apporte dont il n'est pas s�r que le public en soit fascin�. Les r�actions de la foule, dans l'affaire Dutroux, montrent que le public ne se trompe pas sur les ��r�alit�s��. NDLR) � Le Silence des agneaux �, un conte moderneLe Silence des Agneaux se pr�sente comme un conte moderne qui pourrait s'intituler ��Jeanne d'Arc et le psychopathe�� ou encore ��Clarice en qu�te de la Toison d'or��. Par sa structure(6) d'abord, il met aux prises une h�ro�ne, Clarice, �l�ve-agent du F.B.I et un monstre bic�phale : le Cannibale, sous les traits d'Hannibal, psychiatre-psychopathe, intern� depuis huit ans dans une prison de verre, et de John Gump, libre, tous deux meurtriers en s�rie. Contre le monstre, l'h�ro�ne b�n�ficiera du pr�cieux auxiliaire qui ne fait jamais d�faut dans les contes : la cl� magique se pr�sente sous la forme de l'histoire personnelle de Clarice, r�v�l�e par Hannibal. Ainsi, la qu�te, r�solution d'une �nigme, appara�t-elle double elle aussi : d�couvrir le meurtrier d'une s�rie de jeunes femmes dont les cadavres portent des traces identiques, et savoir qui est vraiment Clarice. Mais l'enqu�te sera contrari�e par des opposants, en particulier le psychiatre d'Hannibal, Chilton, attach� � la prison. L'�lucidation de l'�nigme passera par la d�couverte d'un rituel magique : l'utilisation de chrysalides de papillons de nuit exotiques, le sphinx acheron thiastus dit phal�ne � t�te de mort, aux fins de m�tamorphose, articul� au sacrifice consenti par l'h�ro�ne d'ouvrir les portes de son �me au monstre Hannibal. C'est au prix de ce sacrifice personnel, abandon de contr�le d'une situation, mais intervenant aussi comme transgression des ordres donn�s � cette derni�re par sa hi�rarchie de ne rien livrer d'elle-m�me lors de ses entretiens avec Hannibal, qu'est scell�e l'alliance, entre Hannibal et Clarice. D�s lors, cette derni�re progresse vers la solution de l'�nigme, vers la victoire sur le monstre dans un combat sans merci. La femme-soldat sortira victorieuse de l'affrontement final avec J.Gump, le psychopathe-couturi�re, digne d'�tre promue agent titulaire du F.B.I. Par la qualit� des protagonistes, comme dans les mythes, la clef du conte transpara�t dans les noms des personnages. Nous d�velopperons cet aspect uniquement chez les deux principaux. Clarice, diminutif de Clara, la Claire, fera la lumi�re, associ�e �galement � son patronyme : Starling, de star , ���toile��, mais aussi ���tourneau, sansonnet��, � mettre en relation avec une certaine dose de na�vet�, d'inconscience, diront certains, propre aux novices, sur laquelle elle s'appuiera, semble-t-il, pour transgresser les ordres. Double lumi�re, sur l'�nigme et sur elle-m�me : l'aboutissement/r�solution de la qu�te/enqu�te sera pour elle un pas franchi dans la connaissance de soi, inaugurant l'�re nouvelle du � silence des agneaux � dont les hurlements hantaient ses r�ves depuis l'enfance. Quand au patronyme d'Hannibal : Lecter, il s'inscrit entre le lectern du voc eccl. : ��lutrin, aigle��, et lecterer : conf�rencier, deux sens r�v�lateur de ses qualit�s, perspicacit� et finesse d'analyse, appuy�es sur l'acuit� de son regard, due � la distance qu'il para�t avoir naturellement avec les �v�nements, accrue par l'internement. Il lit en Clarice comme dans un livre. C'est d'ailleurs comme telle qu'elle est pr�sent�e, sur sa chaise/lutrin lors de son premier entretien avec le psychopathe encag� de verre. La clairvoyance d'Hannibal se double d'une clart� d'exposition, m�me sous une forme �nigmatique, dans un jeu constant de questions et de r�ponses. Cet aspect renvoie � la fois au sens signal� de � conf�rencier �, mais aussi au conte et au mythe, o� le monstre en use pareillement avec le h�ros. L'�pisode d'�dipe face � la Sphinge suffira � l'illustrer. ��Si tu r�ponds � mes questions, je t'aide, mais de toute fa�on, la r�ponse est en toi, dans ta vie�;�� est en r�sum�, le discours que tient Hannibal � Clarice. Mais l'intelligence qu'il met au service de Clarice se manifeste le plus souvent par la ruse, la duplicit�, et l'esprit de calcul. Hannibal, aussi bien que son alter ego, James Gump, ��ourdissent longuement leurs plans dans l'ombre��(7) avant de passer � l'action. Rien n'est laiss� au hasard, et le d�roulement en est fulgurant. L'�vasion de la prison �voqu�e par un tourbillon de plans encha�n�s � une allure folle en est une illustration frappante. A peine commenc�, c'est d�j� fini ; on traque Hannibal dedans et il est d�j� dehors, sous le masque sanguinolent d'un gardien dont il a d�pec� la peau du visage. En regard de l'agilit� psychologique et intellectuelle, de la mobilit� psychique que partagent l'h�ro�ne et le monstre Hannibal, se dresse l'opposant, l'antagoniste aux qualit�s antith�tiques. Le psychiatre Chilton est un des personnages les plus antipathiques, essentiellement parce qu'il est taill� d'une seule pi�ce : rigide, conformiste, m�prisant, infatu� de sa personne, et pleutre de surcro�t. Comme un roc sur la pente escarp�e de l'ascension vers le sommet, il bloque l'acc�s. Le film est construit sur la r�currence, � diff�rents plans, d'un th�me d�velopp� en trois facettes : le double/compl�mentaire/oppos�, pour se r�soudre dans l'ambivalence. Le double a d�j� �t� signal� dans le fil du r�cit. Mais le th�me du double sert � �laborer des couples de compl�mentaires : Hannibal + Clarice ; Hannibal+Gump... et d'oppos�s : Clarice contre Gump, le psychiatre contre Clarice... Dans ce jeu crois� de relations complexes se d�gage la constance de l'ambivalence. L'ambivalence de l'h�ro�neClarice est une femme, certes, mais qu'a-t-elle de f�minin ? La seule allusion, graveleuse il est vrai, � sa f�minit� est faite par le voisin de cellule d'Hannibal, qui renifle � distance, usant, dans un bel �moi, d'un sens olfactif exacerb�, les effluves de dessous ses jupes(8). Mais en tant qu'h�ro�ne moderne, �l�ve-agent du F.B.I, dipl�m�e de psychologie, elle est surentra�n�e physiquement. Selon les crit�res communs, elle penche plut�t du c�t� du masculin. Le Cannibale encag� de verre la gourmande sur son manque d'�l�gance, la traite peu ou prou de bouseuse mal fagot�e, mal d�grossie, pas d�niais�e. Il entreprend donc des travaux de sp�l�ologie psychologique, en qu�te de la ��fracture�� intime de ��Starling�� sur laquelle se fonde sa vocation polici�re. La relation � Hannibal l'obligera � s'ouvrir, m�taphoriquement, et concr�tement � se livrer � une p�n�tration psychologique, en profondeur, dans un parcours qui ram�ne � la surface son plus mauvais souvenir d'enfance, le b�lement des agneaux innocents, fous de terreur, souvenir associ� � la mort de son p�re, sh�rif-h�ros, tomb� dans l'accomplissement de son devoir. En sortira-t-elle plus �l�gante et f�minine � la fin ? Peut-�tre. Mais il est certain qu'� travers l'alchimie subtile d'un abandon de soi et du contr�le sur soi, elle r�alise le cheminement qui conduit � la connaissance de soi, comme vecteur de l'action efficace. Clarice � m�diatrice �De la prison � l'antre du cannibale Gump, Clarice effectue une descente aux enfers et ram�nera vivante, � la lumi�re du jour, in extremis, la derni�re victime de Gump, au fil d'un itin�raire personnel, partant de la mort de son p�re, innocente victime sacrifi�e � la cause publique. Dans une forme d'abandon au monstre, qui n'est pas sans �voquer celui qu'on imputait aux sorci�res(9), elle figure la fonction de m�diateur que nous avons soulign�e chez M�d�e, entre le monde des vivants et celui des morts. Cette ouverture aux puissances infernales, alli�e � la ma�trise de la peur la conduit sur les sentiers de la gloire. Conciliation et r�conciliationLe papillon, utilis� comme embl�me de la m�tamorphose masculin-f�minin, renvoie aussi � yuc, l'�me qu'au moment m�me de la mort on peut voir s'envoler du cadavre. Psychiatre/psychopathe/anthropophage ��Hannibal le cannibale��. contre un autre psychopathe, qui, aspirant � une transformation transexuelle, p�le ses victimes, apr�s leur avoir fait ing�rer une chrysalide de papillon de nuit, pour se fabriquer un costume en peau de femme. La peau figurant l'aire de contact entre l'ext�rieur et l'int�rieur, l'�chec de la transformation de Gump et sa chute dans le monstrueux r�siderait dans le fait qu'il reste en surface, se trompant de r�alit�. L'op�ration qui ferait de lui une femme, qui int�grerait le f�minin dans sa chair, lui a �t� refus�e par la chirurgie. Cette transformation lui �tant refus�e, il force les choses, restant dans la r�alit� physique objective, ignorant que sa propre m�tamorphose devrait s'op�rer ailleurs, dans la r�alit� psychique. C'est cette fine barri�re qui s�pare le monde du psychopathe de l'homme ou de la femme ordinaire. Le premier bascule dans la folie car il n'existe plus de ��peau�� entre les deux r�alit�s et l'horreur int�rieure passe dans la r�alit� physique avec sa th�orie de victimes innocentes. Le dialogue Clarice/Hannibal r�tablit le lien entre inconscient et conscience. La repr�sentation en est donn�e d�s leur premier entretien o� le reflet d'Hannibal dans la vitre qui le s�pare des humains jouxte en filigrane le visage de Clarice, alors qu'il lui livre les premiers �l�ments qui la mettront sur la piste. L'ambivalence de la morale, toujours en r�f�rence avec les valeurs de la morale dominant une civilisation dualiste, celle du Silence des agneaux sort du cadre. Hannibal lib�r� continue � s�vir en ��invitant � d�ner�� � on sait ce que cela veut dire pour un cannibale � le repr�sentant de la rigidit�, en la personne du psychiatre-opposant. C'est la sc�ne finale : pr�sent�e comme �uvre de salubrit� publique, o� perce la question sous-jacente � tout le film : le monstre est-il celui qu'on pr�sente comme tel ? L'action d'Hannibal �voque subtilement quelque chose comme l'invasion classique des vampires sur le pont de Brooklyn, � cette diff�rence pr�s, mais importante que souligne le dernier entretien t�l�phonique de l'agent Starling devenu agent sp�cial : Hannibal n'est pas un monstre aveugle, il choisit ses victimes. Ce qui induit directement l'�pilogue... La morale de la morale : si tout le monde faisait comme Clarice, les monstres dispara�traient. Dans leur derni�re conversation t�l�phonique, Hannibal � Clarice : ��Alors, Clarice, les agneaux se sont tus ?... Ne craignez pas que je vous harc�le, le monde est beaucoup plus int�ressant si vous en faites partie.�� L'ambivalence du sentiment face au monstre ��Hannibal���: attirance/fascination/terreur/r�pulsion, est conforme � la ��r�alité », ainsi qu'en t�moigne l'article de l'Express et celui cit� en premi�re partie, relatifs � Jeffrey L. Dahmer, ��un am�ricain sans histoire��. Derri�re la fascination et l'abondance de dons, comme une obole � quelque entit� terrible, une intuition collective, tr�s fine et non formul�e encore : sommes-nous, nous autres, citoyens ordinaires et ��sans histoire��, � l'abri de tels d�bordements ? ��Quand Barbie mourra... Mais ils meurent les uns apr�s les autres. Et leur mort nous rappelle qu'il nous faudra assurer notre propre charge d'horreur, que l'on ne pourra plus projeter sur quiconque.��(10) Une autre id�e de la civilisationUn des cl�s de l'immobilisme se trouve dans le film, que nous lisons dans le d�cryptage que Clarice laisse op�rer de ses motivations inconscientes et son acceptation de parcourir un itin�raire personnel menant � la connaissance de soi. Une fois encore, la focalisation m�diatique sur les explosions individuelles remet le ph�nom�ne � sa place, dans la fantasmatique d'une soci�t� qui ne sait plus � quelles peurs se vouer. Mais tout porte � croire que la r�alit� du ph�nom�ne va aussi s'amplifiant, en dehors de l'impact m�diatique. Des individus, jeunes souvent, fragiles ou fragilis�s d'une mani�re ou d'une autre, ��explosent��, ��disjonctent��, ��p�tent les plombs��. Les m�taphores en disent long sur la rupture et sur son lieu : ��plus de jus��. Le jus, la s�ve... Je suis une force qui va ! Agent aveugle et sourd de myst�res fun�bres ! Une �me de malheur faite avec des t�n�bres ! O� vais-je ? Je ne sais. Mais je me sens pouss� D'un souffle imp�tueux, d'un destin insens�.(11) Monologue Hernani, h�ros du th��tre romantique, du plus profond de son d�sespoir. Mais aujourd'hui ? Reste le d�sespoir mais `plus de jus' ! ��Qu'on me donne un fusil�� clame � son tour Fantasio... En 1830, le chol�ra r�clame son tribut de mort et la jeunesse dor�e croit encore aux r�volutions, mais aujourd'hui ? Quel id�al, quel combat mobilisera les ��forces vives�� d'une nation industrielle ? La ��fracture�� est-elle seulement la somme de millions de fractures individuelles ? Le monde contemporain voit deux conceptions du destin(12) s'affronter, fig�es entre d�terminisme et libert�, r�v�latrices de la projection que l'on retrouve � propos de la soci�t� dite ��bloqu�e��, d'une conception de l'humain tiraill�e entre une volont� de contr�le absolu sur soi et son environnement, antith�tique d'une position qui consiste � accepter sans sourciller la fatalit�. Or la fatalit� aujourd'hui, c'est le moule conventionnel de l'�ducation propos�e � une jeunesse, sans rep�res fiables. Fatalit� de l'ennui ! Mais derri�re les murs des banlieues grises na�t une culture ��mixte��, Tags, Rap, langue des Keums, qui int�gre tout ce que le conformisme a refoul� en marge de son esth�tique du lisse et du propre : ��l'�tranger��, ��la Violence��... M�d�e, en un mot. Mais, le th�me est ancien de l'Homme pris entre ��la l�thargie de l'ennui et les convulsions de l'inqui�tude��, avec l'id�e qu'il existe une voie m�diane ��cultiver son jardin�� ! La philosophie des Lumi�res naissait et aurait pu initier un processus d'�volution centr� sur la connaissance de soi et du monde, dont l'id�al fut d�tourn� au profit de la ma�trise et de la Toute-puissance, au m�pris du mouvement de la psych�, de la non prise en compte de sa dynamique. De retour dans le monde contemporain, nous comprenons mieux, � la lumi�re de l'Histoire ce qui se trame dans l'ombre de la conscience collective fascin�e jusqu'� la p�trification. La fonction du mytheLa fonction du mythe est, au plan collectif, semblable � celle du conte dans le processus d'�volution de l'enfant vers l'�ge adulte. La peur, moteur indispensable � l'apprentissage de la vie, qui passe par l'apprivoisement des monstres int�rieurs, figur�s dans le conte. La confrontation � la violence et � la monstruosit�, au plan de l'imaginaire, pr�pare l'enfant (� la lutte), assoit sa confiance. L'�radication de la violence et du monstrueux, pr�n�e par de modernes censeurs, dans les fictions, alors que les mythes montrent que ce sont des composantes fondamentales de la psych�, conduiraient � leur projection dans la r�alit� physique objective, comme ce fut le cas au temps des sorci�res. L'engrenage semble amorc� dans un monde qui trouve chaque jour de nouveaux boucs �missaires. Au m�me maux les m�mes rem�des ! Mais il semblerait qu'aujourd'hui le mod�le, fond� sur le dualisme, �prouv� dans les temps anciens ne fonctionne plus et qu'il faille laisser �merger les signes du monde � na�tre qui se profile, comme un d�fi � la toute-puissance en faillite. Le d�sarroi de la jeunesse en est un, qui montre l'inefficacit� des moyens mis en �uvre � assurer la coh�sion du groupe. Relevant d'une morale protectionniste et s�curitaire, en dernier ressort, tout juste bonne � renforcer le contr�le en place, sans espace pour la nouveaut�, plut�t que de r�amorcer le mouvement dynamique de la vie. D�s lors, comme nous l'enseignent des fictions modernes, construites sur un sch�ma mythique, contre les monstres et la peur, il n'est de solution que dans un effort conjugu� de ma�trise de la peur et d'abandon � ce qui survient. Prendre l'imaginaire comme guide, reconna�tre en soi ce mouvement qui pousse � la transformation, c'est d�j� engager une dynamique, dont les appels s'entendent au plan collectif. S'ouvrir aux monstres de l'imaginaire et les apprivoiser. Leur offrir les sacrifices qu'ils r�clament. R�sum�Le mythe, comme expression du drame qui se joue dans la psych�, appartient � l'essence de l'humain : il en r�v�le, � travers les symboles, les aspects les plus profonds, les plus secr�tes modalit�s de l'�tre, fait conna�tre l'envers d'une r�alit� inaccessible par d'autres voies. Par son r�le de reliance, entre les deux facettes de la r�alit�, le mythe permet ainsi les �changes entre une cosmogonie et ce qui lui est ext�rieur. C'est par lui qu'une culture reste ouverte. Principe du mouvement, il assure en m�me temps la coh�sion du groupe et sa stabilit�. Le d�veloppement psychologique de l'enfant r�sume celui de l'humanit�. C'est dans l'affrontement au monstre du conte que l'enfant se construit. Le d�bat actuel sur la violence montre la volont� de contr�le contemporaine a juguler tout ce qui surgit inopin�ment, assimilant inconnu et violence, alors que l� r�side la dynamique de la vie et du progr�s. on ne s'�tonnera pas alors que dans un monde immobile resurgisse le spectre de la m�lancolie, comme manifestation pervertie de la force vitale �cras�e qui se retourne contre son tyran. Au monde contemporain en crise s'ouvre n�anmoins une voie, entre autres, de r�conciliation avec ses monstres et ses dieux. Plut�t que de perp�tuer l'antique syst�me de projection sur un bouc �missaire soigneusement choisi, il s'agirait d'accueillir le monstre m�diateur de la puissance des forces de l'imaginaire comme moteur d'une transformation, qui de toute fa�on est en marche, et que rien, m�me et surtout pas la volont� humaine ne saurait arr�ter. Plus la chape de b�ton est �paisse, plus grande est la violence de l'explosion ! Catherine Barb�, Paris 1995 |
� Lierre & Coudrier � 1997