Nos soci�t�s sont anim�es d�un mouvement qui les conduit tant�t vers une philosophie des devoirs, tant�t vers une philosophie des droits. On dira que la philosophie des devoirs serait plut�t de l�ordre du f�minin et celle des droits de l�ordre du masculin. L�une serait plut�t de gauche, l�autre de droite. Une soci�t� articul�e sur le devoir ne prend pas en compte les parcours des personnes, elle pose un mod�le qui vaut pour tous et qui a valeur universelle. Soci�t� de citoyens -comme on disait sous la R�volution- qui fait fi du pass�, des �ci-devants�. En revanche, une soci�t� articul�e sur les droits � et non pas sur le Droit � est plus complexe et plus al�atoire: on ne fait pas tout ce qui nous est permis, on ne r�alise pas tout ce qui est en potentiel. On a le droit de devenir Einstein mais on sait tr�s bien que cela reste largement virtuel alors que les devoirs, eux, sont bien r�els et incontournables. Les droits correspondent � des possibilit�s. On a le droit de se pr�senter � un poste, rien ne nous garantit que l�on sera pris. Beaucoup d�appel�s et peu d��lus. L�enfant, selon ce mod�le, apprendrait ses devoirs avec sa m�re et s�initierait � la gestion de ses droits avec son p�re. Un enfant sans p�re risquerait, d�s lors, de ne pas savoir exploiter ses droits, sauf � d�finir ceux-ci comme les devoirs des autres � son �gard. Pr�cis�ment, il est des p�riodes o� la soci�t� a un devoir de reconnaissance � dans tous les sens du terme � � l��gard de ceux qui font preuve d�un certain m�rite. On est bien loin alors du profil du petit enfant sage qui fait bien tout ce qu�on lui dit. Le droit pose le probl�me de l��lite, de l��lu. Et nos soci�t�s d�mocratiques, lorsqu�elles �lisent quelqu�un basculent ipso facto d�une logique de devoir � une logique de droit. Le devoir incombe � tous d�embl�e, le droit n�aboutit qu�exceptionnellement. A priori d�un c�t�, a posteriori de l�autre. Par ailleurs, autant le devoir se situe dans une �thique assez rigide du bien et du mal, du permis et de l�interdit, autant le droit rel�ve de l�extraordinaire, de la novation. Encore faut-il pr�ciser qu�en fran�ais, nous ne distinguons pas comme le font les anglais entre can et may, que l�on traduit l�un et l�autre par pouvoir. En r�alit�, can vaut pour le droit et may pour le devoir. May signifie ce qui est autoris�. De m�me, �avoir le droit� signifie souvent faire ce qui est accept�. �Avoir des droits� veut souvent dire ce qui nous revient d�office. Rien � voir avec ce que nous entendons ici par droits, � savoir une perspective d��volution qui, au niveau de l�excellence, d�pend de chaque cas. Le droit, en ce sens, est fonci�rement in�galitaire m�me si chacun peut r�ver. Il y a des personnes assez m�diocres qui fonctionnent dans un syst�me de devoir, elles ont �t� bien ob�issantes, ont fait l� o� on leur a dit de faire et qui vont �tre r�compens�es en cons�quence. Cela, non plus, ne rel�ve pas s�rieusement de ce que nous entendons par droit m�me si une telle attitude leur a donn� des droits. Tout comme celui qui acc�de � un poste du fait de l�anciennet�. Dans l�histoire de ces gens l�, le devoir a jou� un trop grand r�le. Mais, en jouant sur l'ambigu�t�, ne dira-t-on pas : �ils ont bien m�rit� ce poste�. Car le mot �m�rite� vaut tant pour le devoir que pour le droit. Il a �t� bien sage, il a m�rit� une image, un bon point par opposition � il n�a pas �t� sage. On oppose ici le bon et le mauvais, dans une logique de devoir. Mais le m�rite, c�est aussi la parabole des talents de l�Evangile: qu�as tu fait de tes droits? Et l� on oppose celui qui a construit et celui qui n�a pas su le faire. Mais on voit � quel point r�gne la confusion s�mantique, � quel point le devoir a envahi le champ du droit jusqu�au Droit, en fran�ais, qui veut dire la Loi, alors qu�en anglais Law (la Loi, le Droit) ne se confond pas avec rights (les droits). Pour en venir � la situation pr�sente, il nous semble que l�on est en train de basculer d�une soci�t� de devoirs � une soci�t� de droits, dans le sens que nous venons de d�finir. Et il est clair que le temps du droit n�est pas celui du devoir, pour paraphraser l�Eccl�siaste. En fait, le temps du droit se situe �au del� du bien et du mal�, selon la formule de Nietzsche. La question n�est pas si tel ou tel a �t� un �gentil gar�on� mais s�il a une efficacit�, un charisme, s�il est capable, qui est l�adjectif le mieux assorti avec l�id�e de droit. Il ne faut donc pas s��tonner que, lors de l��lection pr�sidentielle de dimanche dernier, ce soit le plus �clean� qui ait �t� ou qui se soit �limin�, du fait d�une certaine carence de son pouvoir sur ses alli�s naturels. Ceux qui ont cru que Chirac et Le Pen seraient p�nalis�s du fait de leurs fautes, de leurs infractions, de leurs d�rapages verbaux, de leurs casseroles, en sont pour leurs frais. La prime n�est plus, � pr�sent, � l'�l�ve mod�le, on n�est plus � l��cole. On a pass� l��ge! Dans l�optique d�une soci�t� qui veut esp�rer, qui veut croire que tout n�est pas jou� dans la vie, parce qu�on a pris un mauvais d�part, qu�on est n� du mauvais c�t�, qui veut se racheter, l�exemple d�un homme qui �s�en est sorti�, en d�pit des obstacles, qui s�est d�marqu� ne vaut pas seulement dans l�optique de choisir un pr�sident mais comme mod�le au niveau de la vie de chaque individu. Expliquons-nous: dans une �lection, chacun se projette, il s�agit d�une sorte d�exorcisme collectif. Un pays, ce n�est pas seulement un homme, c�est une population qui se dynamise par rapport � un homme qui l�incarne. Chacun � son �chelle. Ce dont la France a besoin, ce n�est pas d�un �bon� pr�sident mais d�un pr�sident qui incarne un certain message de courage, de risque et pour assumer ses droits pleinement, il en faut �norm�ment. Et apparemment, Lionel Jospin, tout honn�te et psychorigide qu�il soit, n��tait pas/plus l�homme de la situation. Et d�s lors, le fait qu�il n�ait pas su contr�ler ses troupes de la �gauche plurielle� (MDC, PRG, Ecologistes, PC,) pour verrouiller le premier tour est tout un programme, �minemment r�v�lateur. En tout �tat de cause, m�me si Le Pen ne gagne pas ces �lections � et cela est probablement pr�f�rable � le seul fait qu�il ait figur� au second tour est d�j� une le�on pour beaucoup de Fran�ais, pour l�id�e qu�ils se font de leurs droits, pour passer du virtuel au r�el. L�exemple Le Pen � aussi controvers�, � tort ou � raison, soit le personnage � devrait faire t�che d�huile, � tous les niveaux de la soci�t� fran�aise. Et cela n�a rien � voir, cette fois, avec son message explicite � son programme � mais avec son message implicite qui est beaucoup plus fort � ce qu�il d�montre face � l�establishment, qui est celui des devoirs plus que des droits. Il est d�ailleurs tout � fait possible que le cas Le Pen fasse �cole � gauche et qu�� gauche, un changement de leader s�op�re en faveur de personnages laiss�s pour compte, moins irr�prochables que d�autres, comme ce DSK voire comme Tapie. On ne trouve pas tous les jours un De Gaulle, homme de la Seconde Guerre Mondiale, comme en 1958, capable d�assumer pleinement cet id�al du h�ros. La guerre est souvent une fabrique de h�ros � comme ce P�tain, homme de la premi�re Guerre Mondiale, qui fut mobilis� en 1940 � un �ge canonique � mais la guerre est loin d�sormais. Certes, Chirac, � la diff�rence de Jospin, a fond� son parti, le RPR, il n�existe pas uniquement du fait du prince, Mitterrand en l'occurrence. Mais sa pr�sence ambigu� au cours du dernier septennat, a brouill� son image beaucoup plus que les �affaires�. Il eut mieux valu qu�il se retir�t apr�s la dissolution calamiteuse de 1997 pour se tenir en r�serve de la R�publique, il est victime des �d�lices� de la cohabitation et du double langage.. Ce n�est probablement pas tout � fait un hasard si les deux candidats restant en lice sont les plus �g�s, septuag�naires car plus une carri�re s��tale dans le temps et plus elle est marqu�e par des d�parts et des retours. Il y a l� aussi une le�on, celle du Temps lequel est par trop souvent bafou�.. Car sans temps, il n�est pas de droit qui puisse s�assumer alors que le devoir fonctionne dans l�imm�diat et d�s la naissance. Un enfant doit apprendre � parler, � marcher, � �tre propre, cela se joue dans les premi�res ann�es. Mais quant � ses droits et ce qu�il en fera, il faudra parfois attendre des d�cennies pour faire le bilan. C�est cela la vraie maturit�. Le Temps est une valeur bafou�e par ceux qui pensent que l�on peut passer librement d�un Espace � un autre, pourvu que chaque fois l�on assume les devoirs minimaux du lieu o� l�on arrive. On a dit, dans nos pr�c�dents �ditoriaux, le probl�me que posait l��tranger � toute soci�t�, les valeurs qu�implicitement il personnifie et qui ne respectent gu�re la dimension du Temps. A quoi bon que l�on poursuive une qu�te durant des ann�es, si n�importe qui peut pr�tendre en faire autant en quelques mois d�apprentissage plus ou moins b�cl�? Ce Temps bafou� est source de souffrances, d�angoisses, tant l�accent est mis sur le bagage minimum du devoir et non sur l�aventure difficile et pers�v�rante du droit. Comme dit l�adage: il n�est pas n�cessaire de r�ussir pour pers�v�rer. A condition que ceux qui pers�v�rent aient l�espoir qu�on saura reconna�tre leurs efforts, lorsqu�ils accoucheront de quelque chose d�int�ressant; Cet accouchement l� n�est pas vraiment du m�me ordre que celui de l�enfant qui na�t. Encore une fois, ne m�langeons pas les genres! Ne confondons pas les processus naturels, programm�s, quantifi�s et ceux qui sont vou�s � l�al�a, � la chance saisie, � la capacit� � tenir un cap. Il n�est donc pas de droit sans temporalit�, sans respect de l�Histoire, de l�H�ritage. Or, nous avons d�nonc� cette appropriation identitaire un peu rapide qui fait que les nouveaux venus s�arrogent un pass� qui n�est pas le leur, en confondant l�appartenance citoyenne � d�ordre synchronique � et la filiation r�elle et non fantasmatique � d�ordre diachronique. Nous avons essay�, ici, de poser les termes d�un d�bat, de fournir des outils de r�flexion, en sachant tr�s bien que les protagonistes ne sont pas forc�ment conscients des v�ritables enjeux. Les choses iraient mieux si l�on savait cerner les lois, anthropologiquement parlant, qui sous- tendent notre soci�t�. Ces lois qui pr�voient qu�� certains moments, on passe d�une logique des devoirs � une logique de droits. Comme nous l�avons entendu, cette semaine, au Palais de la D�couverte, lors d�un d�bat entre repr�sentants des diff�rents candidats du premier tour, on ne peut raisonner sur l��thique de la science s�il n�y a pas de progr�s scientifique et ce n�est pas en moralisant la science qu�on la fera progresser. Entendons par l� qu�il faut que d�abord que le fleuve coule avant de le canaliser. Le fleuve, ce sont les droits, le canal ce sont les devoirs. Or, le temps est venu de se ressourcer, de trouver un nouvel �lan car c�est dans ces moments que les hommes hors du commun se r�v�lent. A force de cohabitation et de la m�diocrit� qui en d�coule � notamment parce que tout le monde reste ind�finiment en place � plus de travers�e du d�sert ! � la soci�t� fran�aise a perdu les rep�res pour faire �merger ces hommes l� et elle a cru que le syst�me les fabriquait automatiquement. Or, les r�sultats du premier tour des pr�sidentielles ont montr� que ce qui avait march� jusque l� � en tout cas depuis 1974 avec le duel Giscard-Mitterrand � � savoir la pr�sence d�une alternative/alternance droite/gauche d�pendait aussi des hommes. Jacques Halbronn le 28 avril 2002 |
Lierre & Coudrier �diteur
� Paris 1997 |
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