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� � Anne Rose � � � Jung est d'une famille bourgeoise traditionaliste. Son p�re �tant pasteur � ainsi que six de ses oncles �, il a v�cu dans une ambiance religieuse, mais dans laquelle il s'est cependant tr�s vite senti mal � l'aise. C'�tait un enfant tr�s curieux de tout et qui n'arrivait pas � accepter spontan�ment les dogmes qu'on lui enseignait � le ��petit J�sus�� lui faisait une peur bleue. Il ressentait un d�calage tr�s vif entre ce qu'on lui disait en mati�re de religion et ce qu'il �prouvait. Ainsi d�s la petite enfance, il a commenc� � se sentir mal � l'aise sans oser en parler, ce qui a d�velopp� tr�s t�t un grand sentiment de solitude. Tr�s vite donc, il s'est mis � douter. Il a fait alors une exp�rience religieuse qui a conditionn� son attitude ult�rieure face � la vie : une image d'�glise lui venait tout le temps � l'esprit et le mettait tr�s mal � l'aise. Il tentait de la chasser mais cette image s'imposait de plus en plus � lui jusqu'� devenir une torture. Il s'emp�chait de dormir pour ne pas �tre la proie de cette vision et sentait que s'il rel�chait sa vigilance, il allait commettre une esp�ce d'�norme sacril�ge. Puis il a fini par se dire que si Dieu lui envoyait cette image tellement obsessionnelle, peut-�tre devait-il s'y abandonner, et apr�s un long combat int�rieur, il a d�cid� de s'y laisser aller. C'est alors qu'il a eu la vision de Dieu assis sur un tr�ne au-dessus de l'�glise, l�chant un �norme �tron qui faisait voler cette �glise en �clats. Apr�s cela, il s'est senti d�finitivement soulag� et ne s'est plus pos� le probl�me religieux : il avait fait une exp�rience intense de l'existence de Dieu. Il s'est alors beaucoup �loign� de la th�ologie parce que les th�ologiens lui semblaient vouloir d�montrer la foi sans jamais en avoir l'exp�rience. La foi sacerdotale de son p�re lui apparaissait totalement factice et il pressentait que celui-ci continuait son m�tier de pasteur, une fois le processus enclench�, mais sans avoir de foi v�ritable. D'o� le r�ve de dieu d�truisant son �glise officielle. Par suite, tout au long de sa vie, Jung ne pourra s'emp�cher de remettre en question tout ce qui est ass�n� de mani�re in�branlable. Cela a �t� le gros probl�me avec Freud. Toute l'enfance de Jung fut une qu�te effr�n�e pour rencontrer des gens qui comme lui recherchent toujours l'authenticit� derri�re les choses. Il entretenait un dialogue int�rieur entre ce qu'il appelait son num�ro un et son num�ro deux : il parle du num�ro deux comme d'un vieil homme sans �ge, qui n'est pas reli� au temps mais est plein d'exp�rience, tandis que le num�ro un essaie constamment de s'adapter � la r�alit�. Avec son num�ro deux, Jung trouvait les adultes ridicules, d�phas�s, mais n'arrivait pas � le dire et il avait tr�s vite rep�r� qu'il valait mieux taire un certain nombre de choses. Il �tait tr�s partag� entre le besoin de s'int�grer � � l'�cole par exemple � et le fait de ressentir cette relation aux autres comme une ali�nation, comme quelque chose qui le rendait diff�rent de ce qu'il �tait en r�alit�. Il savait qu'il �tait oblig� de trahir un peu de sa personnalit� pour se montrer � l'ext�rieur. Ainsi pour �tre mieux accept� des autres � l'�cole, il s'effor�ait d'�tre toujours dans la moyenne. Plus tard, quand il lit en 1890 pour la premi�re fois ��la science des r�ves��, il est passionn� par l'ouvrage de Freud, mais il est � l'aube d'une carri�re universitaire qu'il risque de g�cher en prenant partie pour Freud, ce qu'il h�site � faire, comme il a l'honn�tet� de le dire. Pourtant, il se rend compte que Freud et lui sont arriv�s aux m�mes conclusions � partir d'un travail sur les associations. Tout l'effort de Jung en psychiatrie sera d'�couter le discours du ��fou��. Habitu� d�s sa petite enfance � �tre isol� et � se tenir un discours en d�calage avec l'ext�rieur, il s'est spontan�ment rapproch� d'une autre cat�gorie de marginaux. Vers 1903, il prend alors ouvertement partie pour Freud qu'il ne rencontrera d'ailleurs qu'en f�vrier 1907 au cours d'une discussion qui dura 13 heures d'affil�e. Freud �tait pour Jung la personnalit� la plus forte et l'esprit le plus intelligent qu'il ait rencontr� jusqu'alors. Tandis que Freud se situait dans une lign�e biologiste, Jung s'int�ressait beaucoup � l'hypnose, au spiritisme etc. Chaque fois que Jung essayait d'en parler � Freud, celui-ci lui r�pondait qu'avec l'exp�rience il finirait par comprendre l'inint�r�t de tout cela. Toute la th�orie de Freud est bas�e sur l'aspect sexuel de la libido et tout ce qui n'est pas directement sexuel provient de la sublimation ou du refoulement de cette force. Cela choquait beaucoup Jung qui disait : ��mais alors, la culture ?�� ��H�las, oui�!�� r�pondait Freud, ��il faut l'accepter, la culture n'est que cette mascarade-l� du refoulement et de la sublimation��. � � Peu � peu Jung a pris conscience de ce que Freud voulait faire de sa doctrine quelque chose d'in�branlable. D�s que Freud parlait de sa th�orie, dit Jung, il devenait compl�tement �motionnel, il s'enflammait, il rentrait presque en transe. Cela devenait de plus en plus suspect aux yeux de Jung. Jung avait d'abord �t� s�duit par l'analyse de la r�alit� � travers le prisme de la sexualit� �analyse succ�dant � l'�poque victorienne�! � et c'est effectivement l� qu'on voit v�ritablement �merger ce qu'est l'inconscient. Cependant, au fur et � mesure que Jung �largit son horizon, se confrontant aux mythes et � la question obscure du sacr�, il d�couvre d'autres dimensions qui d�bordent de beaucoup l'histoire personnelle de l'individu. C'est pourquoi il a �t� amen� � se d�marquer peu � peu de la conception exclusivement pansexuelle de Freud : bien au-del� de ce qui peut �tre transcrit culturellement, verbalement, g�t dans l'individu quelque chose qui passe de g�n�ration en g�n�ration, qui oriente sa vie � et peut aussi l'apaiser comme les pierres peintes du plumier cach� au grenier�!. Cette dimension lui semble grandement manquer � la th�orie de Freud, qu�il trouve r�ductive. Quelque chose dans l'homme est perp�tuel, infini, immuable et trouve � un certain moment le moyen de surgir dans notre r�alit�. Cela ne se transmet pas. C'est l� depuis la nuit des temps et surgit � des moments sp�cifiques, singuliers de notre vie. Sans renier la pertinence de l'analyse freudienne sur la sexualit�, Jung en refusait le caract�re totalitaire et exclusif. De plus, intervenait entre eux la probl�matique du p�re : Jung parlait de son p�re comme de quelqu'un de d�chir�, avec des sautes d'humeur terribles parce qu'il ne supportait pas d'�tre contredit. Apparemment, ce comportement �tait assez semblable � celui de Freud, o� l'id�e de Dieu aurait �t� remplac�e par celle de sexualit�. Au d�part, Freud et Jung avaient en commun cette prise de conscience que l�exercice de la religion traditionnelle �tait compl�tement d�cal�e et d�pass�e par rapport � ce que l'humain vivait, que la religion �tait prisonni�re d'un dogme, ne remplissant plus alors sa fonction de lien au sacr�. Freud r�agit en niant le sacr�, en devenant compl�tement mat�rialiste dans sa vision des choses, mais, disait Jung, il avait remplac� le dieu-�sprit par un dieu-Mati�re � la sexualit� � et il �tait devenu le pape d'une nouvelle religion. Refusant le sacr�, il se privait de vivre tout une part de lui-m�me dont il �tait cependant d�pendant. Jung, remettant lui aussi en question le dogme, est all� retrouver la source, ce qui l'a fait se pencher sur les mythologies, les religions dites primitives. A partir d'une attitude de d�part semblable, il est int�ressant de voir comment ils ont pris chacun ensuite deux directions compl�tement oppos�es. Freud a d� lutter �norm�ment au d�but pour imposer ses id�es sur la sexualit�, notamment de l'enfant, et cette lutte lui a form� une cuirasse extr�mement puissante. Ensuite, lorsque ses disciples ont cherch� � moduler sa pens�e de fa�on non orthodoxe, tous ont eu de grandes difficult�s; pris tout d'abord par l'attrait de Freud, ils l'ont �t� ensuite par le carcan limitatif. Freud, bien qu'ayant beaucoup chang� sa th�orie � puisqu'� la fin de sa vie appara�t l'instinct de mort, compl�tement diff�rent de l'instinct de sexualit�, n'a jamais eu de confrontation, de discussion avec ses disciples. Leurs rapports ont proc�d� par cassure. En r�action, Jung ne b�tira jamais de th�orie fig�e. Il ne dira jamais ��l'anima, c'est �a��, ��l'ombre, c'est �a��, de sorte qu'il est toujours difficile de se rep�rer dans son �uvre et qu'on ne sait pas toujours tr�s bien la diff�rence entre l'ombre, l'anima, l'animus. � Jung a toujours man�uvr� pour que ses conceptualisations ne donnent jamais lieu � des doctrines ferm�es. En contrepartie plane toujours une sorte de doute; en particulier, on ne peut pas vraiment rep�rer si Jung croit ou non en Dieu. En fait, � certains moments, il dira�: ��Je sais�!��. �tait-ce une fa�on de placer le savoir au-dessus de la croyance�? Il semblerait que Jung ait toujours voulu brouiller les pistes. � la fin de sa vie, il affirmait que la question de l�Anima le troublait encore. Pour Freud, c'est le moi qui est au centre de la psych�, entre le �a � les pulsions � et le Surmoi � ce que d�veloppe l'individu comme syst�me de d�fense pour pouvoir s'adapter au r�el. Dans la conception jungienne, le centre de la psych�, c'est le Soi : il englobe le conscient et l'inconscient. Dans l'optique freudienne, l'inconscient est quelque chose de constamment ext�rieur. On se retrouve un peu comme face � une b�te sauvage : l'inconscient est quelque chose de tr�s dangereux, de difficile � approcher et qu'il faut arriver � dompter. Jung a, de l'inconscient, une approche d'un plus grand respect : cette �norme force de l'inconscient � qui est aussi Dieu � ��le royaume de Dieu est au-dedans de vous�� � il faut dialoguer avec. Pour Freud, le �a, n'�tant form� que de refoul�, n'a pas de valeur �thique. Pour Jung, qui � propos d'un r�ve ou d'une pens�e consciente, on ne le sait pas a priori, disait : ���a d�pend des cas.��, il s�agit plut�t d�enrichir la conscience en dialoguant avec l�Inconscient. Il y aurait, selon lui, une sorte de dialectique entre le conscient et l'inconscient qui dessinerait peu � peu une v�rit� et un chemin de qualit� fortement personnelle. Et c�est � partir de ce positionnement que l��tre pourrait enfin acc�der � une v�ritable place parmi les autres � l�individuation. Sans cet �laboration, l�individu demeurerait plus ou moins prisonnier du marquage collectif donc susceptible d��tre pris, � tout moment, par un ph�nom�ne de groupe, rumeur, opinion, etc. Anne Rose, Paris 1989. |
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