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� Andr�-Michel Berthoux � � Tis beauty truly blent, whose red and white Nature's own sweet and cunning hand laid on: Lady, you are the cruell'st she alive, If you will lead these graces to the grave And leave the world no copy. Shakespeare, Twelfth Night (I, 5) � C�est de beaut� admirablement fondue�; ce rouge et ce blanc ont �t� mis l� par la main exquise et savante de la nature elle-m�me. Madame, vous �tes la plus cruelle des vivantes, si vous emportez toutes ces gr�ces au tombeau, sans en laisser copie au monde. Shakespeare, La nuit des rois (I, 5) � 1 � Une histoire ancienneL�histoire des automates est ancienne[1]. D�j�, dans l�antiquit�, les �gyptiens fabriquaient des statues anim�es dans un dessein religieux. Ils pensaient qu�une statue � l�effigie d�un dieu ou d�un mort poss�dait les m�mes pouvoirs que ceux qu�elle repr�sentait, une fois l��me divine insuffl�e par un pr�tre. H�ron d�Alexandrie, math�maticien et m�canicien grec du 1er si�cle qui r�digea un trait� intitul� �des automates� et Phylon de Byzance furent, en fait, les v�ritables pr�curseurs des automatistes modernes qui s�en inspir�rent notamment pour cr�er des personnages mus gr�ce aux principes de la force hydraulique. Les arabes seront les premiers � mettre en pratique ces techniques. Les jardins de Bagdad se peuplent alors d�oiseaux artificiels capables de piailler en battant des ailes ou bien de personnages qui semblent se promener. � Peu � peu, cette mode gagne l�Europe : l�Espagne, puis l�Italie. Dans son �Journal de voyage en Italie� Montaigne nous fait part de son �merveillement � la vue de la grotte de Pratolino pr�s de Florence dans laquelle statues et animaux se meuvent gr�ce au mouvement de l�eau. A la villa d�Este, il d�crit comment une roue dent�e actionn�e par la force hydraulique et des ressorts font entendre la musique des orgues, le chant des oiseaux et appara�tre un hibou qui fait soudain cesser cette harmonie. En France, la mode des automates dans des grottes de rocaille se propage sous le r�gne du roi Henri IV. Mais parall�lement � cette technique, se d�veloppe �galement celle issue de la m�canique horlog�re. Elle permettra notamment la fabrication des jaquemarts, personnages repr�sentant des saints ou des ap�tres, arm�s d�un marteau qui frappe les heures dans les grandes horloges au fronton des cath�drales gothiques comme � Strasbourg et Munich. Des jaquemarts, � l�effigie profane, vont appara�tre ensuite au sommet des tours dominant les places publiques. Les deux maures de la tour de l�horloge � Venise en sont les plus c�l�bres repr�sentants. Progressivement, la m�canique de pr�cision va supplanter la technique fond�e sur la force de l�eau dans la r�alisation des mouvements des automates. Elle permettra � Hans SCHLOTTHEIM de construire au XVIe si�cle une v�ritable oeuvre d�art, la Nef de Charles Quint conserv�e au Mus�e National de la Renaissance au ch�teau d�Ecouen en France. � Le XVIIIe est la grande �poque des automates � forme humaine, imitant l�homme et ses comportements, les andro�des. Deux noms s�imposent durant cette p�riode. Le premier, Jacques VAUCANSON (1709-1782), se lance, apr�s des �tudes d�anatomie, de musique et de m�canique, dans la construction de trois fameux automates, au m�canisme complexe, aujourd�hui malheureusement perdus. Parmi eux, un Joueur de fl�te de grandeur nature ex�cutant onze airs diff�rents � la fl�te traversi�re par les seuls mouvements des l�vres, des doigts et du souffle de sa bouche. Le second, Pierre JAQUET-DROZ, n� en 1721 d�une famille d�horloger, con�oit et r�alise avec son fils Henri-Louis Jaquet-Droz et Jean-Fr�d�ric Leschot, son m�canicien, trois andro�des expos�s au Mus�e de Neuch�tel (Suisse) et consid�r�s comme les plus beaux au monde : � la Joueuse de clavecin, repr�sentant une jeune fille qui ex�cute elle-m�me gr�ce � ses doigts articul�s plusieurs morceaux de musique avec beaucoup de pr�cision. Son regard se porte alternativement sur ses mains et sur la partition. A la fin de chaque air, elle fait une r�v�rence � la compagnie et sa gorge s�enfle r�guli�rement si bien que l�on croirait qu�elle respire; � l�Ecrivain, enfant de cuivre, de carton et de bois et qui pourtant semble tracer en caract�res fort �l�gants avec sa plume, le mot ou la phrase qu�on lui dicte. Un journal �crira � son propos �nous certifions que cet enfant a plus d�intelligence qu�il n�en faut pour �tre secr�taire d�un grand�; � le Dessinateur dont la l�g�ret� de la main et la finesse du croquis rappellent � si m�prendre celle d�un v�ritable artiste. Compte tenu de l�extr�me complexit� du m�canisme de ces andro�des, des milliers d�heures de travail exig�es par leur fabrication, la valeur de ces pi�ces uniques �tait consid�rable. Leur constructeur ne pouvait que les vendre � des amateurs �clair�s et fortun�s ou les exhiber en public lors de f�tes foraines. � Au XIXe si�cle, le go�t pour les automates se r�pand dans la bourgeoisie prosp�re, imitant en cela l�aristocratie du si�cle pr�c�dent. Pour r�pondre � cette demande, se cr�e alors � Paris une v�ritable industrie. C�est ce que l�on a appel� l��ge d�or des automates. Les prix deviennent plus accessibles du fait d�une fabrication en plusieurs exemplaires. Toutefois, de c�l�bres constructeurs demeurent associ�s � cette p�riode comme ceux de Lambert, Vichy, Descamps et Roullet. � Cette mode va portant s��teindre peu � peu au d�but du XXe si�cle. Et la disparition, au fil des d�cennies, de nombreux automates va faire des survivants, en raison de leur beaut� et de leur qualit� de leur fabrication, des oeuvres tr�s pris�es des collectionneurs et des mus�es. � Les automates ont jalonn� l�histoire de l�Homme. Ils l�ont amus�, �merveill�, intrigu�. Il faut voir cet �crivain tremper sa plume dans l�encrier, la secouer deux fois pour �viter que l�encre ne t�che la feuille, �crire une phrase ou cet autre dessiner comme on aimerait soi-m�me le faire pour comprendre toute la fascination que ces andro�des ont pu exercer sur le spectateur incr�dule. 2 � De la fabrication de la copie,Le m�canisme des automates n�est pas �ternel. Pour conserver intact les originaux, on cr�e des copies avec des mat�riaux plus solides et ce sont ces mod�les que l�on fait fonctionner lors des visites du public. La construction d�un tel automate peut faire intervenir jusqu�� 50 corps de m�tiers : le sculpteur pour la reproduction du mod�le original et la fabrication du corps, le peintre-d�corateur pour la teinte du visage et des mains, le souffleur de verre pour les yeux, l�une des pi�ces les plus fragiles, le tanneur pour les paupi�res, le costumier pour les habits, le perruquier pour la coiffure, le cordonnier, l��b�niste, le doreur, le fondeur, ... Mais c�est bien s�r le m�canicien qui est l�intervenant essentiel. En bois (buis) ou en m�tal (acier ou laiton), les pi�ces m�caniques se comptent par centaines; plus d�un millier pour l�automate consid�r� comme le plus complexe, le Physicien (prestidigitateur) de Pierre STEVENARD. Arbre porte cames reli� au moteur, platines servant de support � l�armature des organes rendus mobiles gr�ce aux tringleries et aux cames qui en d�terminent les diff�rents mouvements, toutes ces pi�ces sont usin�es gr�ce � des tours et des fraiseuses puis assembl�es. Au total, pr�s de deux ans de travail seront n�cessaires pour donner vie � un automate. 3 � au souci du ��double��HOFFMANN, dans l�un de ses contes �L�homme au Sable� (1815) extrait des �Nachtst�cke�, nous raconte l�histoire d�un �tudiant Nathana�l qui tombe �perdument amoureux d�une poup�e anim�e. Ce jeune homme a �t� marqu� dans son enfance par un ami de son p�re, l�avocat Coppelius, qu�il rend responsable de sa mort. Il reconna�t en lui, l�Homme au Sable, ce personnage fantastique qui jette, aux enfants qui ne veulent pas se coucher, du sable dans les yeux pour les faire jaillir tout sanglant de la t�te et les manger ensuite. Devenu adulte, alors qu�il doit �pouser son amie Clara, son angoisse resurgit � la venue d�un opticien ambulant du nom de Giuseppe Coppola qu�il prend pour Coppelius. Sa fianc�e tente de le rassurer en lui donnant une explication rationnelle de son anxi�t�, mais il la repousse en lui disant : �Loin de moi, stupide automate!� Il finit toutefois par lui demander pardon et lui avouer son amour. Peu apr�s, il re�oit la visite de Coppola et lui ach�te une longue-vue gr�ce � laquelle il peut maintenant observer Olympia la fille de son professeur de physique, Spalanzani. Il s��prend alors d�elle malgr� l�avertissement de ses camarades qui la consid�rent comme un �tre inanim� � la figure de cire. �Sa marche est bizarrement cadenc�e, et chacun de ses mouvements lui semble imprim� par des rouages qu�on fait successivement agir. Son jeu, son chant, ont cette mesure r�guli�re et d�sagr�able qui rappelle le jeu de la machine�, dit l�un d�eux. A ses d�clarations, elle prononce toujours les m�mes mots : �Ah, ah !� Un soir, il est le t�moin d�une violente dispute entre Spalanzani et Coppola qui s�arrache le corps d�une femme, celui d�Olympia. Il s�aper�oit alors qu�elle n�a plus d�yeux et qu�elle est devenue un corps sans vie. Il entend le professeur lui dire : �Poursuis-le ! poursuis-le ... que tardes-tu. Coppelius, le mis�rable m�a ravi mon meilleur automate�. Nathana�l voit alors sur le parquet une paire d�yeux sanglants qui le regardent fixement. Spalanzani les saisit et les lui lance vivement sur sa poitrine. En proie � nouveau au d�lire, Nathana�l tente d��trangler le professeur avant d��tre finalement ma�triser et transporter � l�asile de fous. Mais un jour, Nathana�l se r�veille comme d�un r�ve p�nible et profond. Il se sent ranim� par un sentiment de bien-�tre infini. Clara est � son chevet. Toutes les traces de folie ont disparu. Lors d�une promenade, ils d�cident tous deux de monter en haut du beffroi de l�h�tel de ville. Nathana�l regarde, � l�aide de la longue-vue, ce que lui d�signe Clara. Pris soudain de folie, il veut la pr�cipiter du haut de la tour. Lothaire, le fr�re de Clara, qui les accompagnait accourt � ses cris et la sauve en l�emportant dans ses bras. Rest� seul, Nathana�l bondit dans tous les sens. En bas, au milieu de la foule, on aper�oit Coppelius qui dit en riant : �Ah ! ah ! attendez un peu ! il descendra tout seul !�. Nathana�l s�arr�te brusquement, regarde Coppelius et finit par se jeter dans le vide. A ce moment, Coppelius dispara�t. Cette nouvelle oscille constamment entre le r�el et l�imaginaire, le r�ve et la r�alit�, le monde des humains et celui des automates. Elle servira de support � FREUD pour l�un de ses articles les plus c�l�bres �Das unheimliche� (1929), dans lequel il montre que le connu, le familier qui ont subi un refoulement peuvent devenir inqui�tant lorsqu�ils refont surface. Nathana�l est amoureux de Clara. Mais le visage de Coppelius, aux traits de l�inqui�tant Homme au Sable, lui appara�t � chaque fois qu�il se rapproche d�elle. Il s��prend alors d�une poup�e car il lui est impossible d�aimer v�ritablement un �tre de chair. Le retour de ce souvenir familier qu�il refoule depuis son enfance le lui en emp�che. �L�homme au Sable� illustre la fascination extr�me que peut exercer sur un �tre le monde des automates, univers familier et rassurant de l�enfance que l�on ne voudrait jamais quitter mais aussi inqui�tant et fantastique que seul le passage � l��ge adulte peut nous rendre rationnel. Nathana�l refuse de franchir ce seuil; son souvenir agit alors comme un trouble, une angoisse obsessionnelle qui le poussera jusqu�� la mort. � Edgar Allan POE s�inspire pour sa nouvelle �Le Joueur d��checs de Maelzel� de l�automate fabriqu� en 1789 par le baron Kempelen, gentilhomme de Presbourg en Hongrie. D�embl�e, il rejette l�id�e que ce joueur puisse �tre une pure machine et comparer en cela � d�autres automates parmi les plus perfectionn�s. �M�me, explique-t-il, en accordant (ce qui ne peut pas �tre accord�) que les mouvements de l�Automate joueur d��checs soient en eux-m�mes d�termin�s, ils seraient n�cessairement interrompus et d�rang�s par la volont� non d�termin�e de son antagoniste�. Il est donc tout � fait certain que les op�rations de l�Automate sont r�gl�es par l�esprit, et non par autre chose. Pourtant Maelzel, devenu propri�taire de cette attraction, en expose avant chaque partie le m�canisme. Le joueur habill� � la turque est assis, les jambes crois�es, devant une vaste caisse qui lui sert de table et sur laquelle repose un �chiquier. Maelzel ouvre les portes les unes apr�s les autres et �claire � l�aide d�une bougie l�int�rieur de la caisse. �Tout cet espace est en apparence rempli de roues, de pignons, de leviers et d�autres engins m�caniques, entass�s et serr�s les uns contre les autres, de sorte que le regard ne peut p�n�trer qu�� une petite distance � travers l�ensemble�. Mais Edgar POE montre, avec sa pr�cision coutumi�re, qu�une personne pouvait, au prix de quelques contorsions, se cacher dans la caisse et actionner le bras qui d�pla�ait les pi�ces. Des miroirs plac�s � l�int�rieur du m�canisme avaient pour effet de multiplier aux yeux du public les quelques pi�ces m�caniques du tronc de mani�re � faire croire qu�il en �tait rempli. A cette �poque un tel automate ne pouvait �tre qu�une supercherie. � Il faudra attendre plus d�un si�cle pour que la partie d��chec dans �2001 : A Space Odyssey� (Stanley KUBRICK, 1968) entre HAL 9000, l�ordinateur de bord du Discovery, et l�un des astronautes ne nous paraisse plus une �nigme ou une curiosit�. Mais que dire, alors, de cette machine meurtri�re dans �La colonie p�nitentiaire�, cet appareil singulier qui inscrit de plus en plus profond�ment � l�aide d�une herse, sur le corps du condamn�, la loi qu�il a enfreint. Jamais un tel m�canisme n�avait suscit� pareil effroi. Et pourtant, la description de son fonctionnement lors de la mise � mort quasi rituelle de la victime finit par prendre un caract�re humoristique, comme seul KAFKA peut en �tre capable en pareilles circonstances. � Les automates que nous cr�ons ne sont en fait que des doubles dans lesquels nous projetons nos envies, fantasmes et r�ves inaccomplis. Plus ils nous ressemblent, plus ils nous deviennent effrayants. Alors nous pr�f�rons, peut-�tre, ne voir en eux que gestes saccad�s et mouvements r�p�titifs car nous nous pensons habiles et imaginatifs. Mais cette illusion n�a qu�un temps et comme les personnages de la �R�gle du jeu� de Jean RENOIR nous finissons, apr�s avoir essay� plusieurs r�les, par ne plus savoir jouer le n�tre que fort maladroitement. � Andr�-Michel BERTHOUX � � � Pour en savoir plus sur les automates de Pierre JAQUET-DROZ�: http://www.automates-anciens.com/pages_de_cadre/ensemble_cadres.htm � [1] � L�historique est tir� de l�ouvrage �Les automates de Mont�-Carlo�, Biti Editions � Milan. |
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