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Catherine Barb� � L�espace sorcier � un imaginaire de l�instableL�explosion de la chasse aux sorci�resJusqu'au moment o� la grande chasse aux sorci�res envo�ta litt�ralement tout et tous, le sorcier fut presque par d�finition une femme. Mais pas n'importe quelle femme. Elle se distingue de la communaut� par son veuvage, son �ge avanc�, sa laideur �effrayante � voir�, par un caract�re excentrique, solitaire, acari�tre, et dangereuse. L�h�r�dit� l� aussi �tait pr�sum� jouer un r�le. Le sorcier n'�tait pas seulement une personne mauvaise et dangereuse : il personnifiait le mal et une repr�sentation pr�cise, concr�te et d�limit�e du mal�! � La fixation par le discours d�une repr�sentation n�gative de la sorci�re, l�effort de classification et l�effet d�exclusion par mise � distance sont ins�parables d�un retour de l�ind�termin�, source d�une inqui�tude contre laquelle les repr�sentants de la l�galit� humaine et divine ne peuvent rien. Si l�une des fonctions des textes officiels est de consolider une vision du monde o� s�excluent les contraires, la parole �rudite suscite aussi, soit par contamination inconsciente de cette m�me culture populaire m�pris�e et rejet�e, soit par rencontre au niveau de l�imaginaire, une autre figure mythique de la sorci�re, proche des l�gendes, des contes et des grands mythes religieux : une figure o� triomphe l�ambivalence. Et c�est paradoxalement dans l�attirance/r�pulsion que subit l�inquisiteur que la sorci�re retrouve cette puissance personnelle que le pouvoir centralisateur lui d�niait. M�lusineEn fin d��volution de la femme-serpent, nous ne saurions oublier M�lusine. L�existence des femmes-serpent est confirm�e par les Propos rustiques de No�l du Fail, parus en 1548 : l�auteur place une histoire de femme serpent dans le r�pertoire de Robin Chevet, un conteur de village actif entre 1490 et 1500[1]. Rabelais rapporte[2] que la l�gende de M�lusine est bien vivante � son �poque, et trouve des gens pr�ts � jurer qu�elle ��avoit corps f�minin jusqu�aux boursavitz et que le reste en bas �tait andouille serpentine ou bien serpent andouillicque��. � Une miniature des Tr�s riches Heures du Duc de Berry repr�sente la forteresse de Lusignan avec un dragon d�or perch� sur le donjon. Brant�me dit encore qu�on entendait M�lusine ��crier d�un cri tr�s aigu et effroyable par trois fois lorsqu�il devait arriver quelque grand d�sastre au royaume, ou un changement de r�gne ou une mort.��[3] � La popularit� litt�raire de M�lusine est li�e � la famille de Lusignan, tandis que son existence dans le folklore provient de son caract�re de b�tisseuse, de son appendice serpentin et des cris qu�elle poussa en s�envolant de Mervent : ��Puis elle prit la direction de Lusignan, dans un tel bruissement (esroiz), un tel tapage, qu�il semblait, partout o� elle passait, que c��tait la foudre et la temp�te qui allaient s�abattre��. � Pierre de Lancre, envoy� au Parlement de Bordeaux par Henri IV pour r�primer la sorcellerie �crit : ��Et pour montrer particuli�rement que la situation du lieu est en partie cause qu�il y a tant de Sorciers, il faut s�avoir que c�est un pays de montaigne, la lisi�re de trois royaumes, France, Navarre, Espagne, le meslange de trois langues Gran�ois, Basque et Espaignol, l�enclaveure de deux Eveschez, car le Doic�se d�Aqs va bien avant dans la Navarre. Or toutes ces diversitez donnent � Sathan de merceilleuses commoditez de faire en ce lieu des assembl�es et Sabbats, veu que d�ailleurs c�est une coste de mer qui rend les gens rustiques, rudes et mal policez desquels l�esprit volage est tout ainsi que leur fortune et moyen attach� � des cordages et banderolles mouvantes comme le vent, qui n�ont d�autres champs que les montaignes et la mer... Bref leur contr�e est si infertile qu�ils sont contraincts de se jeter dans cest �l�ment inquiet, lequel ils ont tellement accoustum� de voir orageux, et plain de bourrasques qu�ils n�abbhorent rien tant que la tranquilit� et bonnace : logeant toute leur bonne fortune et conduite sur les flots qui les agitent nuct et jour : qui faict de leur commerce, leur conversation et leur foy est du tout maritime : traictant toute chose quand ils ont mis pied � terre, tout de mesme que quand ils sont sur les ondes et en ondoyant, toujours hastez et pr�cipitez, et gens qui pour la moindre grotesque qui leur passe devant les yeux vous courent sus, et vous portent le poignard � la gorge.��[4] � On rel�ve une s�rie de corr�lations o� l�inconstance, la mobilit�, le passage, viennent caract�riser un univers aussi captivant qu�inqui�tant. La g�ographie, l�histoire, �l�humeur� des habitants sont invoqu�s pour faire du Labourd, �petit recoing de la France�, la �p�pini�re� des sorciers, puisqu�en ��nul lieu de l�Europe qu�on sache, il n�y a rien qui approche le nombre infini que nous y avons trouvé ». L�instabilit� est la caract�ristique essentielle du d�mon : ��En certains lieu o� les Sorciers avaient tenu leur Sabbat, on trouva jusqu�� trois cents chamoeleons sur la terre, chose admirable : mais n�anmoins qui ne saurait mieux exprimer combien les d�mons et le Sorciers sont addonez � la l�g�ret� et � l�inconstance, puisque le chamoeleon en est le vrai hi�roglyphe.��[5] � Pour Montaigne au contraire, les m�mes qualit�s r�v�lent la nature de l�homme : ��Notre fa�on ordinaire, c�est d�aller apr�s les inclinaisons de notre app�tit, � gauche, � dextre, contre-mont, contrebas, selon que le vent des occasions nous emporte. Nous ne pensons ce que nous voulons qu�� l�instant que nous le voulons, et changeons comme cet animal qui prend la couleur du lieu o� on le couche.��[6] � Un m�me embl�me d�signe donc pour l�un d�mons et sorciers et pour l�autre, la nature de l�homme. Mais quel lien peut-on trouver entre le sorcier et l�homme ? L�explication th�ologique des contradictions et vari�t�s inh�rentes au Diable inclut l�id�e d�un corps r�el mais factice, compos�s d��l�ments disparates d�emprunt. Incapable de cr�ation, il d�robe aux mati�res cr��es par Dieu des parcelles, dont l�assemblage toujours insolite le trahit : m�me la voix du D�mon, ��ou rauque ou d�li�e ey menue, ou bien semblable � celle d�un homme qui parle dans un tonneau��[7] le d�signe par son incongruit�. Le Diable n�est qu�un simulacre. L��tat d�instabilit� perp�tuelle de son corps, et le mensonge qui lui est attach�, expliquent pour Lancre la sympathie qui lie le Diable,��si bon ma�tre en les m�tamorphoses�� et les habitants du Labourd. Lancre ne fait que reprendre une conception traditionnelle des d�mons, �voqu�e chez Ronsard : ��Tout ainsi les Daimons qui ont le corps habile, Ais�, souple, dispost, � se muer facile, Changent bient�t de forme, et leur corps agile est Transform� tout soudain en tout ce que leur plaist : ... Bien souvent on les voit se transformer en beste, Tronqu�s par la moyti� : l�une n�a que la teste L�autre n�a que les yeux, l�autre n�a que les bras, Et l�autre que les piedz tous veluz par � bas.[8] A cette instabilit� de la forme correspond une instabilit� des lieux : les d�mons, �� force qu�ils ont l�humeur inconstante et vagabonde... d�sirent d��tre toujours errants�[9], et des actions : ��le Diable n�a point forme constante, toutes ses actions n��tant que mouvements inconstants, pleins d�incertitude, d�illusion, de d�ception et d�imposture��. Caract�re qu�il transmet � ses supp�ts : ��il oste le poids et la fermet� aux choses qu�il a en son pouvoir, et surtout aux �mes qu�il poss�de, et les entretient toujours en inconstance, mouvement, l�g�ret� pernicieuse.��[10] � C�est de l�ensemble de ces th�ories que na�t chez Lancre une conception du Sabbat o� le Diable entra�ne dans la folie ses adorateurs et plus particuli�rement les femmes. Le monde de la sorcelleriePar ailleurs, cette repr�sentation fascinante et inqui�tante du monde de la sorcellerie comme celui de la fluctuation, des fronti�res instables entre les r�gnes, de l�indistinction, de la confusion et du d�sordre, en un mot du monstrueux, n�est pas sans rapport avec une repr�sentation plus g�n�rale de la femme. Comme le proclame un texte de 1583, la femme est toujours naturellement �sorci�re et mal�fique� : �La nature des femmes est d��tre mutables et volages, sit�t que quelque fascherie leur survient, elle sortent de leur aequanimit� et perdent patience, et si troublans ainsi les humeurs, elle font sortir de leurs estomacs certaines qualit�s et exhalaisons venimeuses ...�[11] La sorci�re � Ma�tresse des �l�mentsAinsi pos�e, pour les besoins du mythe, comme fausse h�ro�ne, h�ro�ne de l'illusoire, la sorci�re est simultan�ment investie par les fantasmes des juges, d'un pouvoir redoutable. Cette apparente contradiction correspond en fait � une autre n�cessit� du texte : pour rendre glorieux le pouvoir du juge, pour figurer l'opposant cr�dible d'un h�ros positif, elle doit appara�tre capable de le mettre en danger. Aussi est-elle d�sign�e comme ce qu'il y a de pire ��dans l'ordre de la perversion morale��. [12] �Ses p�ch�s, ��en certaines circonstances, d�passent les p�ch�s des anges et des premiers parents��[13] Sa sph�re d'action s'�tend � l'ensemble de l'univers : ma�tresse des �l�ments, elle soul�ve des temp�tes de gr�le, peut nuire � tous les r�gnes, ��aux hommes, aux b�tes et aux fruits de la terre��. [14] Elle est m�taphoriquement li�e au registre de la violence ("entrechoquer, perturber, bouleverser"), de la souillure ("souiller, corrompre, putr�fier"), de la maladie ("infecter la peste, inoculer, empester, soci�t� pestilentielle") et de la mort. Le regard, le toucher et la parole mal�fiquesLorsqu�enfin le juge et la sorci�re sont face � face dans le lieu clos des salles d�interrogatoire ou de supplice, le h�ros doit non seulement s�efforcer de r�duire son opposant, mais encore se prot�ger lui-m�me. Tout contact direct avec la sorci�re est particuli�rement �vit� ; son toucher et sa parole sont mal�fiques ; ainsi les juges doivent-ils se m�fier de ce qu�elles � peuvent ensorceler rien que par l�audition de leurs paroles��, surtout au moment o� elles sont expos�es � la torture. Enfin, il ne faut pas donner aux sorci�res l�occasion ��de jeter le premier regard sur le juge, avant qu�il ne les ait vues �. On fera donc entrer la sorci�re � reculons. Cette crainte du regard dont on a d�j� vu l�importance dans la caract�risation de la sorci�re, prend ici des connotations tr�s explicitement sexuelles � Il y a des sorci�res qui peuvent ensorceler le juge rien que par leur regard et un �clair de leur yeux. � Elles se vantent d�ailleurs publiquement qu�il ne peut leur faire aucun mal. Affirmation contradictoire avec celle qui campe le juge en invuln�rable d�fenseur de la loi. Sans doute est-elle n�cessaire � l�efficacit� du message id�ologique transmis. Mais elle traduit aussi les conflits internes de l�inquisiteur, conflits qui face � la vision de la femme d�vorante, le pousse � faire appel � la figure antith�tique de la Vierge, figure maternelle d�barrass�e de tous les fantasmes sexuels angoissants. Il faut, � avant m�me la destruction finale par le feu � , briser et �craser le corps de la sorci�re dans sa r�alit� par la torture, la suppression des contacts avec le monde ext�rieur par l�incarc�ration, et symboliquement l�enfermer en lui-m�me : corps immobile, aveugle, muet. � Un certain nombre de l�gende nordiques mettent en sc�ne un roi,[15] qui apr�s un s�rie d��preuves doit d�truire une sorci�re dont la pr�sence d�range l�ordre et menace la s�curit� de son royaume. Il lui faut en particulier faire preuve d�astuce et de courage pour d�jouer les man�uvres de son adversaire, habile � se pr�senter � ses yeux, par des enchantements, sous des formes illusoires. Devant une ennemie caract�ris�e, nous l�avons vu, par le leurre, le juge se voit ici attribuer la m�me fonction : il doit d�jouer les ruses d�moniaques et �forcer la sorci�re � dire la v�rit�. Une importance particuli�re est accord�e (dans les Trait�s) � la mani�re de vaincre le �mal�fice de taciturnit�, don de silence accord� aux serviteurs du Diable afin de leur �pargner l�aveu... Outre le symbolisme sexuel, on peut discerner l�expression ultime du cannibalisme de la sorci�re (inversion du cannibalisme). Mais cette taciturnit� peut aussi �tre interpr�t�e comme un signe d�incommucabilit� entre deux cultures. � Enfin dans le combat entre le juge et la sorci�re, tous les moyens sont bons, puisque la justice est, tout au long du r�cit, implicitement, dans le camp des autorit�s. Et l�on voit le champion du bon droit, par une nouvelle assimilation � son adversaire, utiliser les armes de la sph�re diabolique, le ��faux-semblant��, la ruse, les mani�res cauteleuses et retorses, les astuces. La torture lui permet enfin de mettre en �uvre son exp�rience et �son g�nie propre� pour vaincre d�finitivement la r�sistance de la sorci�re. � D�un bout � l�autre du proc�s, les m�taphores du combat sont nombreuses, c�est une bataille o� les blessures sont autant de signes de victoire de l�un ou l�autre camp. Mais on peut aussi �tre tenter de l�interpr�ter comme une lutte de deux paroles, investies d�un pouvoir, et qui s�ach�ve, par un total transfert de forces, aux d�pens de la sorci�re et en faveur du juge. � On peut noter tout d�abord que la sorci�re, avant son arrestation, est dans son milieu naturel, le village, investie d�un pouvoir qui s�exprime au niveau du dire . Nous notons que la plupart des t�moins se r�f�rent � une �menace� prononc�e par une femme. En r�f�rence � cette parole dangereuse o� s�est ancr� le soup�on, on lui attribue la responsabilit� des malheurs survenus par la suite. La sorci�re est donc une premi�re fois constitu�e comme sujet par des �nonc�s qui la placent dans une situation de force au sein d�une probl�matique collective ; cette force n�est pas en g�n�ral pr�cis�e davantage par les d�lateurs. C�est la plupart du temps le juge qui par son interrogatoire fait intervenir les proc�d�s magiques, et la m�diation satanique. Il institue un discours taxinomique (relatif � la classification d��l�ments), dont la fonction est, pour une part, rassurante. Il s�agit d�att�nuer l�angoisse en lui donnant un nom emprunt� au savoir th�ologique ; de r�duire le d�sir de l�autre � autre sexuel et autre social � en le faisant entrer dans une classification savante, en niant la structure symbolique sp�cifique qui le fait participer d�une autre couche de culture... En refusant de donner � la sorci�re les noms de ses d�nonciateurs, en la faisant entrer dans un monde �tranger, carc�ral et inquisitorial, en la pliant de force � des cat�gories pr�-�tablies, le juge proc�de � une reconstitution du sujet sorci�re, � partir d�un nouveau support d��nonc�s. Au lieu de l�int�grer dans un monde social en crise, et de l�y laisser jouer un r�le, m�me fantasmatique, le juge l�exclut, en posant les rapports antith�tiques que nous avons analys�s, de l�humanit� tout enti�re. En l�acculant � l�aveu final, il la force � reconna�tre la validit� de ce sujet discursif, constitu� par la parole l�gale : il la force � se reconna�tre dans un discours venu d�ailleurs. La sorci�re a donc litt�ralement perdu la parole, donc la force, puisqu�elle est r�duite � r�p�ter la parole de l�inquisiteur. (Alors que M�d�e ne se laisse pas confisquer la parole enti�rement : cf. diff�rences et similitudes). Celui-ci prend d�finitivement le relais d�un pouvoir qui ne peut plus �tre menac�. L��preuve principale se termine par la victoire du h�ros de l�ordre qui poss�de � son tour �la parole efficace�[16], celle qui le met en situation d�exorciste et le rend ma�tre de la taciturnit� de la sorci�re... Ce transfert total de pouvoir, cette annihilation par un v�ritable processus d�acculturation, expliquerait peut-�tre la raison pour laquelle, � l��tonnement des historiens contemporains, comme Bavoux ou Delcambre, la sorci�re n�a jamais utilis� le stratag�me efficace qui consistait � d�noncer les juges pour d�sorganiser le proc�s. Il aurait fallu pour cela qu�elle reconquiert une situation de pouvoir, ce qui dans le cadre judiciaire �tait impossible. (Mais c�est peut-�tre ce que fait M�d�e). Il est logique, en revanche, qu�elle exprime quelquefois sa gratitude au juge pour l�avoir sauv�e de la damnation : c�est le d�but de l��preuve glorifiante. La sorci�re : bouc �missaireLa chasse aux sorci�res est donc l'aboutissement d�un processus imaginaire dont nous retrouvons les origines d�s l'Antiquit�. Que reproche-t-on aux sorci�res ? De pratiquer des mal�fices, d'avoir �tabli un pacte avec le Diable, d'�tre sous son pouvoir et d'entretenir des relations bestiales avec lui. Et surtout d'aller contre l'interdit de l�inceste, de d�vorer des enfants nouveau-n�s ou de faire de leur chair, sang ou os des breuvages dont se d�lecte la secte du Diable. A quelques nuances pr�s, dans l'Antiquit�, il fut reproch� les m�mes choses aux premiers Chr�tiens, puis aux h�r�tiques durant les XIe, XIIe, XIIIe et XIVe si�cles. � Pour universelle qu�elle soit, la figure de la sorci�re se fonde, dans la domaine europ�en, � partir des textes des inquisiteurs et des d�monologues. La magie dans les textes des Anciens et la sorcellerie dans des textes � qui apparaissent � des moments historiques pr�cis � structurent v�ritablement la mythe de la sorci�re et l�orientent. En Europe, la chasse aux sorci�res conna�t une large extension dans les ann�es 1560-1630. Les associations disparates que suscitent la figure de la sorci�re �laborent un bestiaire mythique inspir� de la culture populaire aussi bien que de la culture officielle. Des recherches contemporaines ont montr� que les p�riodes de r�currence de la pers�cution de la sorcellerie s�inscrivent dans des contextes historiques pr�cis, mais que l�on peut n�anmoins y d�celer certaines� permanences de caract�ristiques et de fonctions permettant de les rapprocher de ph�nom�nes analogues : il s�agit presque toujours d�une symbolique an�antissement de ��monstres�� permettant de fonder une civilisation. � Des textes de proc�s, des ouvrages d�monologiques, des �uvres litt�raires mettant en sc�ne des sorci�res sont transcrits dans d�autres livres. ��C�est merveille � �crit Boguet, grand juge en terre de Saint-Claude � que nous voyons encor� par le iourd�hui des personnes qui ne croyent point qu�il y ait des sorciers. J�estime quant � moi, que ces gens l� savent bien le contraire en leur �me, mais qu�� droit propos il ne veulent pas confesser. Car les Payens leur monstrent en cela leur le�on, les Lois Canoniques et Civiles les combattent, la Saincte Ecriture les d�ment, les confessions volontaires et r�it�r�es des sorciers les condamnent, les jugements rendus en divers lieux contre les sorciers leur ferment la bouche.��[17] � Le m�me argument sera utilis� par Jean Bodin, auteur de la R�futation des Opinions de Jean Wier : comment contester la culpabilit� des sorci�res, lorsque la loi des Douze tables, des jurisconsultes, des empereurs...mais aussi Saint-Augustin, Porphyre, Jamblique, Platon, Plotin les condamnent. Ainsi le mythe s�alimente au mythe. Pratique textuelle et pratique judiciaire sont �voqu�es conjointement pour attester de la r�alit� de la sorci�re. Ce dont les juges se justifiaient, comme des condamnations prononc�es sur la foi de d�nonciations, par l�assertion que la sorcellerie �tait ��un crime le plus abominable de tous, et qui se commet ordinairement de nuit, toujours en secret, de fa�on qu�il n��tait jamais requis que l�on e�t des preuves si exactes.�[18] � Dans la constitution d'un objet sorci�re, que la plupart des sp�cialistes s�accordent � voir surgir vers le XVe si�cle, le Malleus maleficarum ou Marteau des sorci�res �dit� en 1486-1487, joue un r�le consid�rable. �uvre des dominicains Henri Institoris et Jacques Sprenger, il pr�sente par rapport aux autres manuels pour Inquisiteurs qui les pr�c�d�rent, l'originalit� d'�tre ��un guide sp�cialis� dans la poursuite de l'h�r�sie de sorcellerie et de magie diabolique��. D'autres ouvrages avaient d�j� esquiss� la figure de la sorci�re, mais le Marteau regroupe syst�matiquement de multiples �l�ments jusqu'alors �pars dans la tradition classique : la litt�rature, la Bible, les textes des P�res de l��glise, les l�gendes orales, les � exp�riences � des auteurs eux-m�mes, etc., et les articule selon une v�ritable syntaxe qui leur donne un sens nouveau. Il institue donc un discours mythique sur son objet. � Le silence de la sorci�re, renvoie � des significations complexes. Sans doute des discours exprimant des id�es inacceptables, souvent traduites dans un langage inusit� ont-ils �t� annihil�s par les autorit�s civiles et religieuses du quinzi�me si�cle, qui suscit�rent � leur place des constructions mythiques. Si tout dans la sorcellerie est discours[19], il faudrait pouvoir d�chiffrer ce qui subsiste, d�tourn� de son sens, du discours perdu des sorci�res elles-m�mes, dans ces textes de th�ologiens, m�decins, historiens ou journalistes qui nient cette tentative de mise en forme d'une exp�rience originale pour, � sa place et contre elle, exprimer leurs propres fantasmes. Mais peut-�tre aussi ce mutisme est-il volontaire. On y verra alors, dans la mouvance de Michelet, une forme de r�bellion contre le pouvoir centralisateur, une r�sistance � l'acculturation. La figure de la sorci�reLa figure de la sorci�re est donc appel�e par la structure m�me du discours qui rend possible l�apparition d�un h�ros de l�ordre restaur�. Ce qui n�exclut pas la possibilit� d�une r�bellion historique des sorci�res contre le pouvoir. Il est logique qu�au moment m�me, o� sous de multiples formes des forces de d�viance luttent contre l�instauration d�un pouvoir centralisateur, soit suscit� un discours mythique qui assume une fonction de l�gitimation. La destruction dans un lieu institutionnel de celle qui est � la fois signe et agent du d�sordre est annonciatrice d�un tour � la stabilit�. Le juge-h�ros, par son triomphe r�affirme l�autorit� traditionnelle, consolide la� parle l�gislatrice et centralisatrice, et l�investit m�me d�un pouvoir plus fort. Simultan�ment, la sorci�re, en tant qu�objet mythique, supporte fantasmatiquement le d�passement de l�angoisse, se voit dans sa personne m�me publiquement d�nonc�e et mise � part comme responsable de tous les malheurs du temps. Le r�le d�un travail proprement ��th��tral�� de l�Inquisition et de ses spectaculaires mises en sc�ne a d�j� �t� soulign� par Michelet : ��L�Inquisition arrivait ici � merveille pour terroriser le pays, briser les esprits rebelles, br�lant aujourd�hui comme sorciers ceux qui peut-�tre demain auraient �t� consid�r�s comme insurg�s. Excellente arme populaire pour dompter le peuple, admirable d�rivatif. On allait d�tourner l�orage cette fois ci sur les sorciers, comme en 1349 et en tant d�autres occasions on l�avait lanc� sur les Juifs.��[20] Norman Cohn, dans D�monol�trie et sorcellerie au Moyen �ge, souligne qu'� travers la masse des documents accumul�s et �tudi�s de pr�s, aucun des t�moignages ou manuscrits relatant ces pratiques n'offrent de coh�rence objective face au regard de l'historien. La sorci�re et son monde sont les acteurs d�un th��tre d�ombre, aux fondations d�un espace mythique. � Catherine Barb�, Paris 1991 NOTES [1] � Cf. P. Jourda, Conteurs fran�ais du XVI� si�cle, Pl��ade, 1965, p.620 sq. et E. Leroy-Ladurie, M�lusine maternelle et d�fricheuse, p.604 sq. [2] � Quart Livre, ch. 38. [3] � �uvres compl�tes, L.Lalanne, T.V.: Grands Capitaines Fran�ais, 1869, p. 19. [4] � Pierre de Lancre, Tableau de l�inconstance des mauvais anges et d�mons, Paris, 1612, p.29 et 31. [5] � Op. cit., p.19-20. [6] � Essais, II,1, ��De l�inconstance de nos actions��, Pl�iade, p.316 sq. [7] � Boguet, op. cit., chap. [8] � Cf. note 18. [9] � De Lancre, op. cit. p.20. [10] - Id., p. 64 et 69. [11] � L�onard Vair, Trois livres de charmes, sorcelages et enchantements, trad. Julien Baudon, Paris, Chesneau, 1583. [12] � Ibid. p. 264. [13] � Ibid. p. 259. [14] � Ibid. p. 280. [15] � Cf. Walter Scott, D�monologie et sorcellerie, traduit de l�anglais par P. Lebret, Paris, Payot, 1973. [16] � Ibid, p. 484-489. [17] � Henri Boguet, Discours ex�crable des sorciers, Rouen, �d. Martin le M�gissier, 1603, Introduction p. IV. [18] � Henri Boguet, op. cit., chap. IV. [19] � J Favret, ��Sorci�res et lumi�res��, in Critique, 1971, n� 287, p.351-376. Les mots, la mort, les sorts. La sorcellerie dans le bocage. [20] � J. Michelet, la Sorci�re, Paris, GF., 1966. | |||||||
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