Une Nation trouve sa cohérence à travers une représentation du monde que partagent tous ses sujets. Actuellement, sur le continent
européen, une vision du monde nouvelle prend le pas sur les antiques représentations nationales. Et c'est un des enjeux majeurs du
« premier passage
» à l'Euro en 1999. Celui dont on ne parle pas car il ne se met ni en chiffre ni en valeurs de Raison.
Pour les français, la Révolution de 1789 et les valeurs de la Démocratie constituent les fondements de la République. Durant 2 siècles et demi les icônes représentatrices de la Nation française servirent de ciment à tous les citoyens, animant la vie commune, servant un passé et présentant un futur à chaque génération. La fête de mai 1968 représente une étape particulière car elle renversa le pouvoir charismatique du Général De Gaulle. Pourtant ce dernier revint au pouvoir en rappelant qu'il y venait pour restaurer les valeurs de la République. La métaphore dirait donc qu'il revint pour défendre Marianne que ses prédécesseurs avaient mise à mal. On pourrait alors se demander si Mai 68
ne fut pas pas une des prémisses de la Révolution qui
s'opère sous nos yeux, à coup de restructurations, de fusions, de mondialisation..., une sorte de soubresaut, de hoquet d'angoisse face à un futur incertain.
Ce siècle qui s'est achevé vit la perte de l'antique cosmographie chrétienne, très vite compensée par de nouvelles valeurs. Même la guerre de 39-45 ne put porter atteinte à cette nouvelle et formidable cohésion. Il se trouva même un homme, de Gaulle, pour relancer les forces vives d'un peuple repartant à la conquête du monde sur des bases qui effaçaient une défaite humiliante, même si l'on soupçonne un peu plus le prix qu'il fallut payer, sur quelle stratégie cet homme s'appuyait. (Il suffit pour s'en convaincre d'assister au procès de la mémoire de France en marge du Procès Papon.)
Aux États Unis, « le Grand rêve Américain
» représente encore un futur potentiel auquel adhèrent de nombreux jeunes citoyens. Pourtant, il semblerait bien que ce rêve tombe lentement en lambeaux.
Et c'est de l'intérieur que vient
la critique la plus éprouvante, nourrie par le doute des populations.
Par suite d'un phénomène mal connu, peu étudié, chaque Nation voit ainsi s'effriter les grands rêves qui servaient de liant à tous les sujets. Chaque société paraît se déliter et se fragmenter à travers un réseau de plus en plus compliqué de sous-groupes dont certains paraissent même rejeter les valeurs fondamentales de la vie en société. La violence gratuite éclate dans les banlieues, sous la sombre grisaille des cités où l'on s'ennuie. Et chacun ne s'en tient qu'aux images de bagnoles qui flambent...
Est-il venu à l'esprit de quiconque que, pour détruire son propre habitat, il fallait être mû par une grande désespérance ? Dans quel registre statistique ce sentiment prend-il sa place ? Doit-on revenir à des systèmes archaïques, ceux-là même qui firent l'histoire de la Nation ? Et sous ce prétexte doit-on étendre l'application des lois d'exception à quelques zones franches — pudeur sémantique masquant les ghettos modernes ? Plus de répression pour plus de sécurité ? Pour vivre heureux, frappons plus vite !
A l'atomisation des sociétés, les spécialistes et experts de tous genres réagissent par un surcroît de fragmentation. Et l'on se perd dans un dédale inouï de solutions provisoires, sans avenir, sans base populaire et finalement vouées à être remplacées le lendemain par d'autres tout aussi nouvelles que segmentaires.
Ou bien doit-on enfin s'interroger sur la portée symbolique, affective sentimentale de ces violences, en les associant à d'autres telles que le suicide des adolescents, ou la délinquance des cols blancs,... ? Mais ! Où le sentiment a-t-il une place dans les discours actuels ?
Soit nous acceptons sans broncher qu'une oligarchie prenne en main le destin de nos sociétés, soit nous consentons à revoir nos idées reçues, avec quelques chances d'apercevoir parfois des solutions qui gisent au cœur des flambées de violence. L'Histoire nous apprenant que, dans les moments de crise, les soutions conservatoires ont toujours été associées à des visées totalitaires.
Il 'l Baz, le 04/04/98
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