Machines A Sous Gratis
Votez pour nous
La femme est-elle encore un continent noir�?

Anne Rose

�

�

�

�

�

Le pass� marginal des femmes de nos latitudes les rend-elles vraiment plus � m�me de communiquer avec ce monde ou de l'explorer ? � chacune d'elle d'en d�cider�

�

�

Pr�sentation

Si l�on s�interroge sur l�interrelation qui existe entre culture et personnalit�, il paraissait essentiel d'�voquer le probl�me de la femme. Pourquoi ?

La Femme fut l'un des premiers �cueils auxquels se heurt�rent la psychologie et la psychanalyse dans leur d�couverte de l'humain.

Instaurant une relation particuli�re � la m�re, au corps, � l'autre, le f�minin posait d'embl�e l'�pineux probl�me de la diff�rence au sein d'un territoire culturel balis� par les valeurs masculines.

Pour dire la Femme, suffisait-il de s'armer d'un miroir ? Le complexe d��dipe lui-m�me y laissa des plumes !

��La femme, ce continent noir...�� soupira Freud.

D'autres, psychologues et/ou f�ministes, se mirent ensuite � l'ouvrage.

Qu'en est-il de cette recherche aujourd'hui ?

Cette question sera abord�e au travers d'un aspect pr�cis de la vie de la femme : la maternit�, et rebondira sur d'autres :

��������� parler du f�minin, est-ce parler de la femme � et r�ciproquement�;

��������� l'instinct maternel est-il une invention culturelle ou une donn�e de nature ;

��������� comment la maternit� est-elle int�gr�e aux th�ories psychologiques traitant du f�minin ;

��������� les th�orisations contemporaines qui remettent en cause la naturalit� de la maternit� lib�rent-elles la femme d'un joug mill�naire ou lui �tent-elles une de ses fondamentales dimensions d'�tre ;

��������� pourquoi en revanche la morale actuelle reste-t-elle, malgr� son apparente �volution, tr�s proche des sch�mas d'autrefois ;

��������� � la crois�e de ces id�ologies contradictoires, la femme d'aujourd'hui est-elle � m�me de trouver sans d�chirement une place qui lui soit propre au sein de sa culture�?

Les mod�les th�oriques : Freud et Jung, deux univers

Freud

Apr�s avoir tent� toute sa vie d'�laborer une th�orie psychologique de l'humain qui ne laisse rien dans l'ombre ni au hasard, apr�s avoir �tay� celle-ci de concepts-cl�s � l'h�g�monie incontournable, tels le primat de la sexualit�, le Complexe d��dipe, le rapport de force entre le �a, le Moi et le Surmoi, etc., Freud, donc, avoua que sa th�orie du F�minin comportait de nombreuses lacunes, voire quelques erreurs, et qu'il restait encore beaucoup � explorer.

Comparant la femme � un continent noir, il voulait bien s�r exprimer m�taphoriquement que le domaine de la psychologie consacr� � la femme �tait un terrain de recherche o� demeurait encore nombre d'inconnu.

Mais quelle port�e symbolique r�sidait dans cette simple phrase !

��La femme est un continent noir...��

Comme l'Afrique, terre quasi-inexplor�e et peupl�e d'�tres sombres, colonis�e mais myst�rieuse. L'Afrique, antagoniste parfaite du monde civilis�, Terre de sorcellerie, de r�ves et de cauchemars, monde des sorciers, des gri-gri, des sorts et des possessions, des anthropophages et des coupeurs de t�te... Afrique qui serait le lieu d�origine de l�humanit�! Afrique aux rythmes envo�tants, Afrique chaude, impr�visible, moite et aride � la fois, sauvage, immense, fascinante...Terrifiante Afrique !

��La femme est un continent noir��...

Comme noire est la nuit...

Comme les profondeurs de son sexe aux sombres replis, de sa matrice ��secr�te et close comme un tombeau��[1] qu'en bon psychologue nous pourrions nommer ��bo�te noire�� puisqu'il n'en sort pas toujours ce qui y est rentr�, et qu'entre les deux l'on ne sait pas encore parfaitement bien ce qu'il s'y trame...

Noire comme dans notre culture, la Mort...

Comme les t�n�bres du dehors...

Et comme bien souvent cet envahisseur basan� de l'Europe, pudiquement nomm� ici ces derniers jours : ��migrant��.

Voil� pourquoi, au-del� de la Femme, ce questionnement concerne tous ceux qui se sentent peu ou prou ��autre��, ��migrant��, c'est-�-dire d'un autre monde que celui qui �volue autour d'eux.

�

�

Au sein de notre culture occidentale contemporaine, marqu�e par l'�mergence d'un mode de pens�e rationaliste et analytique qui a pris son plein essor au si�cle des Lumi�res, le p�re de la psychanalyse �nonce l'implacable v�rit� : la femme, � l'oppos� de cette Lumi�re, c'est le Noir, l'Inconnu, l'Autre, l'Archa�que...

Freud �tait-il conscient de r�sumer ainsi en une expression des mill�naires d'histoire, une civilisation toute enti�re�?

Pouvait-il �tre dupe de la port�e ontologique d'une telle m�taphore, ses continuateurs rester sourds � un tel message�?

La c�l�bre phrase montre clairement l'assimilation du f�minin dans notre culture � quelque chose de l'ordre du sombre, de l'ombre, de l'inexplor�. C'est � dessein que nous employons ici le terme de f�minin, alors que Freud, en bon biologiste, s'est toujours attach� � d�crire des comportements propres � des classes d'individus et non des symboles.

Cette confusion des plans r�el et symbolique, de la femme avec le f�minin, ne lui est pas propre. Elle est couramment de mise en cette �poque o� l'observation scientifique a cess� de chercher � traduire une intention divine pour se consacrer au d�pouillement syst�matique d'une Nature r�duite � l'�tat de mati�re. Le propos scientifique proc�de de l'individuel vers l'universel, � l'inverse des si�cles pr�c�dents qui reconnaissaient l'existence d'une dialectique macrocosme/microcosme. C'est donc en observant l'homme et la femme qu'il est possible de d�gager des lois concernant le masculin et le f�minin.

L'on mesure facilement les risques d�viationnels de tels proc�d�s, pour peu que l'on oublie de relativiser ces observations. Prendre la partie pour le tout sans s'en r�f�rer � une continuit� historique comporte le risque certain de figer une norme ponctuelle, propre � une certaine culture seulement, en loi universelle.

C'est � ce point pr�cis qu'intervient une divergence fondamentale entre Freud et Jung mais aussi entre diff�rentes visions du monde.

Jung

Contrairement � Freud, qui se voulait fondateur d'un nouveau paradigme, Jung tenta tout au long de son �uvre de renouer un lien devenu occulte avec les cultures de l'�re pr�industrielle. C'est pourquoi il s'appliqua � retrouver dans l'individu ce qui le reliait � une histoire, � une collectivit�. Son exp�rience clinique sur les r�ves et les d�lires de ses malades lui fit mettre en �vidence l'apparition r�guli�re de grands th�mes, communs entre eux et pr�sentant des ressemblances troublantes avec certains mythes, certaines croyances. Ces observations le conduisirent � �laborer sa th�orie des arch�types, grandes pr�formes qui animent l'espace collectif d'un Inconscient non limit� � la part refoul�e ou inaccomplie de la personne.

Les arch�types, permanents dans leur essence, s'expriment de fa�on toute diff�rente d'une culture � une autre, d'un individu � un autre, d'un moment � un autre, d�terminant l'extr�me vari�t� des syst�mes de repr�sentations du monde possibles.

L'individu, au fa�te de la pyramide, est le lieu de croisement du collectif ext�rieur � la culture, du collectif int�rieur � sa g�n�alogie � et de son histoire personnelle. La synth�se de ces forces cr�e sa sp�cificit�.

On con�oit ais�ment qu'une telle conception du fait humain s'embarrasse assez peu des repr�sentations du moment pour juger de la signification r�elle d'un fait. Pour Jung, toute repr�sentation est relative � un contexte symbolique. Seul l'arch�type � l'essence � est absolu.

Femme, F�minin, Maternit�

Tirer de l'observation de la femme d'aujourd'hui des conclusions imm�diates sur ce qu'elle est fondamentalement frise donc l'imposture. Et ce ne sont pas les adaptations r�centes � quoique en langage moderne � de la th�orie freudienne qui changeront cet �tat de fait.

En revanche, en �tudiant les diff�rentes id�ologies qui ont �tay� les cultures depuis le d�but de notre �re, l'on peut voir appara�tre quelques axes fondamentaux, dont l'un d�finit le F�minin. Ce F�minin s'est incarn� en diff�rents mythes, diff�rentes d�esses tout au long de l'histoire, sans perdre l'essence m�me des qualit�s dont il �tait porteur : qualit�s dont Jung donne une remarquable synth�se lorsqu'il �voque le monde de l'Anima.

La Femme, c'est l'image de ce F�minin projet�e sur la gent f�minine et d�finissant un �tre aux mensurations physiques et/ou psychiques id�ales.

Quant aux femmes... Tout comme les hommes, leurs compagnons sur cette terre, elles repr�sentent le point de collision entre cet id�al quasi immuable � l'�ternel f�minin m�diatis� par la Femme � et un quotidien soumis aux variations bio-climatiques et culturelles que l'on devine.

L'on sait � quel point la tension est grande entre ces deux mondes. Et � quel point la tentation fut � et est encore � forte de d�limiter des zones comportementales garantissant � chacun une forme d'identit�, mais en-dehors desquelles il n'est plus consid�r� comme tel.

Peu � peu ont donc �t� circonscrits des modes d'agir typiquement f�minins. L'un d'eux, et pour cause�! fut la Maternit�.

Cheminer dans l'histoire de la Maternit� peut donc apporter de pr�cieuses informations sur l'histoire des femmes et du F�minin, et permettre d'aborder d'un peu plus pr�s le fameux continent noir sur lequel les femmes ont �t� exil�es si longtemps.

Destin de la maternit� dans l'imaginaire

De tout temps, la Maternit� semble avoir tenu une place de choix dans l'histoire de la femme. Elle n'est cependant pas investie de mani�re similaire d'une �poque � l'autre.

Selon la p�riode, la culture ou l'id�ologie consid�r�e, la maternit� est v�cue comme un ph�nom�ne naturel ou un conditionnement, une mise en acte des fonctions f�minines ou l'expression d�guis�e de potentialit�s masculines, la victoire de l'animalit� ou la voie de la sanctification et du salut,...

Bref, la maternit� est investie de valeurs symboliques aussi vari�es que paradoxales, et cette h�t�rog�n�it� rend caduques bien des tentatives de th�orisation.

Dans le contexte original de la fin du XXe si�cle et du d�but du XXIe, o� le syst�me patriarcal est en pleine mutation, o� l'avortement et la contraception sont enfin l�galis�s � pour la premi�re fois dans l'histoire des civilisations ! � la maternit� s'�claire sous un jour nouveau.

Bref historique

L'�tude des soci�t�s dites primitives et celle des cultures de l'Antiquit� montrent que la maternit� est partout consid�r�e comme un r�le social fondamental pour la femme.

La maternit� s'int�gre � un ensemble complexe de faits charg�s d'un sens sp�cifique et n�cessaires � l'�quilibre de la tribu ou de la collectivit�.

Elle est toujours consid�r�e comme un grand myst�re. Assimil�e � la mort, la naissance est entour�e de rituels particuliers. La femme enceinte est �galement assujettie � un certain nombre de pratiques visant � la prot�ger et � prot�ger la collectivit� du danger inh�rent � cet �tat : lieux interdits, activit�s proscrites, etc.

Mais � aucun moment n�appara�t pour la m�re dans les soci�t�s de type pr�scientifique une fascination comparable � celle que l'on observe parfois de nos jours pour la femme enceinte ou la jeune m�re et son ��b�b頻. Elle est la gardienne de ce temple o� s'accomplit l'�laboration de la vie, non le temple lui-m�me !

Depuis notre XXe si�cle, nous projetons souvent cependant l'id�e que la m�re �tait jadis investie d'un pouvoir quasi magique.

En effet, il est tentant d'imaginer qu'au c�ur d'un contexte archa�que de totale d�pendance � la Nature, la femme, qui r�capitule en elle-m�me cette Nature toute puissante, ait pu �tre crainte et respect�e comme son incarnation m�me.

Cette hypoth�se est lourde de cons�quences.

Car si l'on identifie la femme � la Nature, la conqu�te de l'homme sur cette Nature se lit comme une victoire sur un �l�ment f�minin dou� de pouvoirs dangereux pour le m�le.

Si l'on consid�re au contraire cette Nature comme un tout � le couple Ciel/Terre, bisexu� � l'institutionnalisation culturelle de certains ph�nom�nes naturels, dont la maternit�, appara�t alors comme une conqu�te de l'homme et de la femme sur leur propre d�pendance biologique.

A l'origine, tous les mythes de cr�ation retranscrivent le caract�re polysexu� de la Nature. Et le fait m�me que Prom�th�e � arch�type m�me de la Culture en ce qu'il donne � l'Homme un moyen d'agir sur la Nature � finisse encha�n� � un rocher, le foie sans cesse d�vor� par un aigle, illustre le lien douloureux, certes, que l'humain peut �tablir avec la Nature/Cosmos, et qui lui permet d'�voluer.

Plus tard pourtant, la Nature sera nettement associ�e � l'�l�ment f�minin, qui sera donc porteur de toutes les projections collectives culturelles effectu�es sur la dite Nature.

Quels param�tres ont-ils d�termin� un tel glissement ?

A posteriori, l'on explique souvent cette assimilation par la mise en rapport des cycles f�minins et naturels : menstrues/lunaisons, .... C'est oublier un peu trop vite que l'homme est �galement soumis � ces influences, et qu'il poss�de lui aussi un fonctionnement cyclique : ce que va illustrer pendant des mill�naires l'astrologie, ce que nous prouve aujourd'hui l'endocrinologie.

La raison de cette r�duction quelque peu caricaturale r�side dans un principe tr�s simple, que nous avons d�j� �nonc� plus haut : chaque culture s'�labore autour de r�f�rents de bases in�dispensables � sa coh�rence. Au cours des si�cles, ce qui repr�sentait au d�part une qualit� ex�ploitable parmi d'autres, propres � un membre de la collectivit�, va peu � peu �tre �rig� en symbole type.

Comme nous le verrons plus loin, confondant la partie avec le tout, les diff�rentes th�orisations, des philosophes grecs aux psychanalystes, participent � cette caricature : parlant de la femme, ils ne peuvent alors que gommer les diff�rences individuelles, et l'enserrer dans un cadre. Le normal est n�, flanqu� de son ind�sirable partenaire de toujours : le pathologique.

Antiquit� : philosophie, politique et religion

La soci�t� grecque

Au sein d'une soci�t� aussi sophistiqu�e culturellement que la soci�t� grecque antique se d�veloppe une conception d'apparence tr�s misogyne : Femme = Nature = Mati�re.

A propos de la maternit�, la d�monstration est troublante : � l'action de la Mati�re s'ajoute un plus, ce plus est apport� par l'�l�ment m�le.

D'apr�s Aristote :

��La part de la femelle est (...) un r�sidu qui poss�de toutes les parties en puissance sans en avoir aucune en acte.��

En revanche, ��le m�le est comme le moteur et l'agent.��[2]

La Femme-Nature fournit la mati�re � l'�tat brut ; l'Homme-Culture, comme le sculpteur devant son bloc de granit, donne la forme, permet l'accueil de la vie.

Le juda�sme

Dans le juda�sme comme chez les musulmans, la maternit� est consid�r�e comme une fonction sociale naturellement d�volue � la femme. C'est � elle qu'est confi�e la t�che fondamentale d'assurer une descendance, et dans les textes sacr�s il est rarement question des �tats d'�me de la m�re face � son enfant.

Le christianisme

L'av�nement du christianisme apporte une vision radicalement nouvelle de la relation qui unit l'Homme � Dieu. Le Messie repr�sente le messager, le m�diateur, il est Dieu lui-m�me incarn�. Une notion nouvelle d'amour � et non plus seulement de crainte et de respect � s'�labore entre l'Homme et son contexte.

Or, J�sus, fils de Dieu, est n� d'une femme de chair, une vierge, Marie.

Les conditions dans lesquelles s'est produite la grossesse feront l'objet de nombreux conciles. Une chose est s�re cependant : le ventre d'une femme, cette matrice, ce cloaque qui rejette r�guli�rement le sang des r�gles, ce lieu sombre, coinc� entre l'intestin et la vessie, a contenu Dieu lui-m�me ! Quelle revanche sur Eve, issue d'Adam et principale responsable de la chute !

Avec l'av�nement du culte de la Vierge se transforment radicalement certains a priori culturels : au travers de la M�re de Dieu, la r�le de la m�re cesse d'�tre uniquement li� � la procr�a�tion, pour acc�der � un statut plus noble.

Et de fait, appara�t un �l�ment tout nouveau : le principe de l'instinct � ou sentiment � maternel.

Naissance de l'Instinct maternel

Un nouvel arch�type ne se constelle jamais par hasard. L'irruption de cette bonne image de m�re jouxte donc un changement du statut socio-politique de la maternit�.

La maternit� n'est plus seulement un acte social de reproduction : une nouvelle morale s'instaure, et la consid�re comme une v�ritable vocation, confirm�e par le fait qu'un lien intime existe entre l'enfant et sa m�re, qui d'embl�e l'aime et le prot�ge.

Cependant, poser le sentiment maternel � l'�gal d'un instinct est une tendance fort ambigu�: il est vrai qu'elle ��anoblit�� le fait biologique en le doublant d'une �motion humaine. La femme n'est plus seulement l'ex�cutante du mouvement sacr� de sauvegarde de l'esp�ce, elle y participe de par son essence m�me. Mais ce sentiment lui �te en m�me temps la possibilit� de ne pas se reconna�tre dans ce portrait � � moins de se d�clarer anormale.

Une fois encore, l'�rection en principe universel de r�alit�s observ�es fige lentement les r�les au risque de les transformer en carcan.

La question de l'Instinct

La question de l'instinct ne peut se poser que dans une soci�t� suffisamment affranchie de son contexte naturel, l'instinct, immuable fait de nature, s'inscrivant alors en relief par rapport aux habitus culturels.

Dans l'histoire du comportement humain, l'instinct figure en effet une sorte de point vernal, et sa comparaison aux normes culturelles du moment permet de mesurer la distance qui s�pare l'inn� de l'acquis, la Nature de la Culture dans le domaine consid�r�.

Homme et femme sont au d�part � �galit� devant la Nature : cependant, au fil des si�cles, menstrues et grossesses ne subissent aucune variation biologique notable, la confrontation au corps y reste aussi intense.

Forte de cette immuabilit�, la femme va alors lentement devenir la repr�sentante privil�gi�e de cet archa�sme. Elle sera assujettie � ce double principe : Nature/Instinct, dont l'influence remplace la force physique et/ou l'activit� mentale.

Et o� la poussent ces fameuses pulsions ? Vers la reproduction et la maternit�, bien s�r.

Platon, Paracelse, et apr�s eux tous les m�decins de l'Antiquit� et du Moyen Age conf�rent � la matrice un statut d'animal, ayant sa propre autonomie et imposant son implacable volont�.

M�me les progr�s de la chirurgie, qui permettent enfin � la ��m�re�� � l'ut�rus � de retrouver sa fonction d'organe ne lui enl�vent pas sa consid�rable influence. ��Tota mulier in utero�� r�p�te-t-on encore apr�s Saint Augustin au XIXe si�cle...Introduction r�v�e aux th�ories de l'hyst�rie que Freud et Charcot d�fendront quelques ann�es plus tard.

Et la d�couverte, � la m�me �poque, de l'ovule et de son r�le dans la procr�ation alimente encore les th�ses naturalistes : si la femme poss�de chaque mois un cycle d'ovulation, qu'elle ait une vie sexuelle ou pas, cela ne prouve-t-il pas qu'elle est faite pour �tre m�re ? L'on parle alors d'une ��pr�destination � la maternit頻.

Saison apr�s saison, la nature offre ses fruits : c'est pourquoi la femme elle-m�me est pouss�e spontan�ment � mettre au monde, r�guli�rement, des enfants.

Soumise � son instinct d'une part et � son sentiment de l'autre, la femme peut-elle alors �chapper � son destin maternel ?

Au del� de simples consid�rations scientifiques, l'enjeu semble bien plus fondamental : au milieu des d�couvertes techniques qui d�stabilisent la soci�t� de ces derniers si�cles, dans le mouvement vertigineux d'une culture en pleine mutation, il reste donc un bastion in�branlable : la m�re !

C'est � cette �poque que le culte de la Vierge Marie ��M�re de Dieu��, atteint alors son apog�e.

Maternit� et psychanalyse

Comme nous l'avons constat�, jusqu'� l'av�nement des sciences humaines les r�les d'homme et de femme rest�rent inchang�s pendant plusieurs mill�naires : en ce qui concernait la maternit�, la fonction de reproduction instinctive se posait comme unique discours, la femme, de si�cle en si�cle, s'imposant comme l'incarnation de la Nature, de la Mati�re, de l'Instinct, du Sentiment...

Freud et la maternit�...

C'est � Freud que revient le troublant m�rite d'avoir �t� le premier � s'interroger sur les motivations de la femme face � la maternit�.

Sur la base de multiples observations, ce m�decin viennois ne dressa pas deux �difices th�oriques compl�mentaires � l'un pour l'homme, l'autre pour la femme, mais adapta � la femme tous les �l�ments de th�orisation concernant l'homme. Il importait peu que le v�tement ne soit pas seyant, l'essentiel �tait qu'il y en e�t un !

R�sumons bri�vement cette pi�ce ma�tresse de l'�difice freudien, la th�orie du penisneid � envie du phallus.

Dans le mythe freudien en effet, la petite fille se retrouve � envier le p�nis de son fr�re � ou oncle, ou papa, aper�u subrepticement � la faveur de quelque ablution matinale, et � d�velopper une s�rie de comportements destin�s � lui permettre l'acquisition du fameux p�nis dont elle se voit priv�e - ou tout au moins � calmer l'angoisse du manque.

Pas un instant il n'est envisag� la possibilit� que le petit gar�on ait pu envier lui aussi le sexe d'autrui ! Et pour cause, c'est un vide, un trou, une faille, de l'air, rien, �a n'existe pas ! Et en plus, c'est sombre !

Frapp� de c�cit�, pauvre �dipe sans Antigone, � aucun moment Freud ne voit ce qu'est aussi le sexe de la femme : une bouche, des l�vres, de la chair !

M�me le clitoris, auquel il daigne reconna�tre un semblant d'existence, n'est pour lui qu'un ersatz de p�nis, auquel la femme se doit de renoncer lors de l'accession � sa sexualit� d'adulte.

En cons�quence, la femme envie le p�nis de l'homme et se l'approprie symboliquement en ��devenant grosse�� d'enfants � m�les si possible.

Selon Freud, le d�sir d'enfant est quelque chose qui ��appartient de mani�re absolue � la psychologie du moi��, qui n�appara�t que ��secondairement en raison de la d�ception due � la prise de conscience de l'absence du p�nis��, et que ��de ce fait il n'est pas un instinct primaire��.[3]

... et les freudiennes

��Je pense au contraire�� dit Karen Horney, ��que le d�sir d'un enfant peut tirer de l'envie du p�nis un renforcement secondaire consid�rable, mais que ce d�sir est primaire, instinctuellement ancr� profond�ment dans la sph�re biologique.��[4]

L'on mesure l'importance de telles th�ories appliqu�es au plan socio-culturel. En poussant � l'extr�me l'hypoth�se freudienne, l'on peut conclure qu'il suffirait d'�ter � la femme l'envie du p�nis pour qu'elle cesse de vouloir �tre m�re. Freud s'inscrit l� en amont d'une importante lign�e moderne �� laquelle nous reviendrons plus tard.

Karen Horney accorde au contraire � la Maternit� une assise instinctuelle totale, �laborant en cela un mod�le psychologique f�minin autonome, se r�f�rant secondairement au mod�le masculin. Qu'une femme parmi les propres �mules du ma�tre se permette d'affirmer l'exact oppos� de sa parole illustre dans quel inconnu baigne le statut des femmes.

Cependant, quoi qu'il en soit, chacune � leur mani�re ces deux th�ories jettent la femme dans une impasse.

L'impasse de la th�orie naturaliste :

Selon le courant naturaliste pr�n� par Karen Horney la Maternit� est un instinct.

Cette th�orie, qui semble plaider en faveur de l'autonomie des femmes, poss�de en fait la m�me ambigu�t� que les consid�rations religieuses sur l'instinct maternel. Elle divise d'embl�e les femmes en deux clans : les femmes normales, et les autres. Placer la Maternit� comme instinct primaire, c'est alors hausser la femme-non-m�re au m�me rang qu'une anorexique, par exemple.

L'impasse de la th�orie freudienne

Selon Freud en revanche, la Maternit� est la cons�quence d'un �tat de manque � manque que l'on peut symboliquement attribuer � un statut socio-culturel d�valorisant, et le comblement de ce manque devrait entra�ner la disparition de cette envie ; ce qui confronterait la femme � la disparition d'un mode d'�tre, avec la capacit� mais aussi la n�cessit� de transformer son rapport � la vie.

Cet �tat d'esprit fut tr�s en vogue dans les milieux f�ministes des ann�es 60. Prenant � rebours l'�quation :

���������������� ����������� ����������� enfant = femme + phallus,

les f�ministes, tr�s pr�sentes dans le monde psychanalytique, d�clarent alors la guerre � la maternit� : l'enfant barre la route de l'�volution/lib�ration de la femme.

Ici non plus le choix n'existe pas. L'enfant, dans un sens comme dans l'autre � d�sir� ou subi �, est point� comme une imposture. Il devient alors inconfortable pour une femme ��consciente�� de d�sirer ouvertement un enfant : cela est soit masochiste, soit castrateur !

Dans le m�me temps appara�t sur la sc�ne scientifique comme politique un bouleversement dont on ne mesure pas encore toute l'ampleur : il devient possible pour la femme, sans risque et en toute l�galit�, de ne pas procr�er, d'�chapper � ce r�le mill�naire. La contraception l�gale est n�e ! Les mouvements f�ministes s'emparent de cette victoire toute nouvelle et en font leur �tendard : d�fense de l'avortement, contraception, discours anti-maternels arguant que le lien entre la nature de la femme et la maternit� avait �t� cr�� artificiellement...Lib�rer la femme revient alors � l'extraire de sa gangue naturelle... et maternelle.

Les f�ministes� elles-m�mes� sont tomb�es dans le pi�ge culturel : confondant la r�alit� du moment avec le symbole lui-m�me, elles d�noncent la maternit� soit comme instrument d'ali�nation, soit comme exercice illicite d'un pouvoir castrateur.

Il est int�ressant de constater que le discours freudien et celui, lib�ratoire, des f�ministes ont �t� repris et amplifi�s � au-del� certainement de leurs esp�rances � par quelques nouveaux te�nants de l'id�ologie moderne : en effet, dans le secteur m�dical l'on met actuellement au point des ut�rus artificiels ��lib�rateurs des femmes et de l'humanit頻�:

��Pour la femme, elle � la gestation in vitro � sera un nouveau pas dans la conqu�te d'une libert� l�gitime, avec une capacit� de travail et une disponibilit� pour les loisirs �gale � celles de l'homme.��[5]

Au-del� de leurs nombreuses implications id�ologiques, ces deux courants de pens�e pr�sentent un int�r�t : ils reculent � l'extr�me dans un sens ou dans l'autre les limites de la naturalit� et forcent � r�fl�chir. En effet, si la femme n'est pas ��toute nature��, mais qu'elle bl�mit lorsqu'on lui annonce que sa matrice sera bient�t lib�r�e d'un esclavage plus que mill�naire, force lui est de se situer concr�tement � mi-chemin entre ces deux extr�mes.

L'id�ologie actuelle

Ce continent noir aux senteurs myst�rieuses, lieu d'exil de la femme, bien des femmes ont cru s'en �tre �chapp�es pour de bon en entrant dans l'univers social lumineux r�serv� jusqu'alors aux hommes.

Apr�s la violence de la vague f�ministe, notre culture a sembl� pendant quelques ann�es �tre parvenue � un nouvel �quilibre, dans lequel la maternit� n'�tait plus le pilier central de la vie de femme. Celle-ci pouvait remplir d'autres fonctions sociales et s'y �panouir. Sa libert� toute neuve d'�tre ou de ne pas �tre m�re lui ouvrait les portes d'un nouveau monde.

Cependant...

Il se produit actuellement un ph�nom�ne �trange, une sorte de retour � un primat de la maternit�. Malgr� le paradoxe qui se dresse entre raisonnement naturaliste et nouveaux r�les socioculturels, ce point de vue est abondamment d�fendu aujourd'hui par nombre de m�dias et son ampleur va croissant, alimentant de nouvelles th�ses et frisant la propagande nataliste.

Se propage � nouveau un message pro-maternel dans lequel la Maternit�, ayant retrouv� une majuscule pour la circonstance, appara�t m�me comme l'exp�rience-cl� de la vie de femme. Les femmes sans enfant le savent assez, elles sont tol�r�es en apparence mais ont � en d�coudre avec une forme de m�fiance ou de piti� aussi implacable qu'insidieuse.

Quel est donc ce r�le que joue aujourd'hui la Maternit� ? Ce mouvement de balancier vers l'arri�re est-il un retour au Naturel ? Serait-on all� trop vite ou trop loin dans cette fameuse lib�ration ?

L'on serait tent� de le croire. Cependant, � y regarder de plus pr�s, ces id�ologies d�passent le Naturel, et femmes et Maternit� y sont au contraire totalement id�alis�es : il reste alors � deviner quelle est l'intention inconsciente qui se cache derri�re ces diff�rentes incitations � �tre m�re, derri�re cette sacralisation de la Maternit�.

Les Dieux, le profane et le Sacr�

Dieu est-il mort ?

La culture occidentale contemporaine postule que le monde sacr� des Dieux ap�partient � son pass�, que croyances et rituels sont les r�sidus d'une pens�e pr�-scientifique, et qu'au jour o� la conscience totale �clairera le monde, le sacr� s'endormira enfin dans les vitrines des mus�es de son histoire.

Dieux et d�esses seraient alors comme des b�quilles que s'est donn�es l'Homme � un moment de son �volution. Dieu serait alors une invention humaine dont l'utilit� s'est �teinte d'elle-m�me lorsque l'Homme a acquis un contr�le et une connaissance suffisante de son environnement spatio-temporel.

L'Homo occidentalis ayant ray� les Dieux de sa carte du monde, cette dimension a du m�me coup quitt� le champ culturel manifeste. En a-t-elle pour autant totalement disparu ?

Qu'un contenu psychique disparaisse du champ conscient ne prouve pas automatiquement qu'il a cess� d'exister. Ceci n'est valable que pour une psychologie de surface.

Le fait que l'Homme ne croit plus en Dieu ne prouve pas qu'il n'en a plus besoin mais que l'arch�type qu'il m�diatisait s'incarne aujourd'hui autrement. Et le sacr�, manifestation du divin sur terre, a trouv� lui aussi un autre lieu d'incarnation.

Fonction du mythe

Au cours des si�cles pass�s, les mythologies religieuses ou profanes, les l�gendes, les superstitions, les croyances,... servaient � mettre en sc�ne les grandes images arch�typiques. La part d'�nergie libidinale projet�e sur elles tissait une trame culturelle, assurant la coh�sion de la collectivit� sous un m�me d�me id�ologique et prot�geant le commun des mortels du risque d'�tre an�anti par les forces projectives.

Les autres, ceux des extr�mes, rois � au centre, sur l�axe du monde � ou marginaux � � la p�riph�rie, tout proche de l�autre c�t� du monde, subissaient au contraire toute l'intensit� des projections faites sur eux, telles les milliers de femmes br�l�es comme sorci�res, ou d'individus comme h�r�tiques.

Sommes-nous vraiment plus ��civilis�s���?

La seule diff�rence notable dans nos mentalit�s r�side en fait en ce qu'il n'existe plus de mythologies ni de Divinit�s pour accueillir et canaliser la masse des projections arch�typales. Tels les int�gristes de l'Inquisition, nous nous servons d'autres humains, promus demi-Dieux pour la circonstance, comme �crans de projection. Aujourd'hui, Madonna � ou Jennifer Lopez � a d�tr�n� la Madone... Nageant en plein f�tichisme, nous confondons all�grement le plan du symbole et celui de la manifestation. Sans que nous en soyons conscients s'est produit le grand cataclysme que craignaient tant nos anc�tres : le ciel nous est tomb� sur la t�te !

La Grande M�re :

Comme nous l'avons d�j� �voqu�, la Maternit� a toujours �t� investie de qualit�s sacr�es. Car ce qui se produit dans ce sexe sombre pendant le temps de la gestation n'est rien d'autre que l'�laboration de la vie, et se rattache � tous les grands myst�res fondamentaux qui touchent � l'humain.

Tant qu'il existait un espace religieux propre � canaliser l'�norme masse d'�nergie mobilis�e par ces repr�sentations du numineux, femmes et maternit� n'�taient pas investies des m�mes projections. Simple participante du culte, la femme pratiquait les rites qui accompagnaient commun�ment grossesse et accouchement, et s'en retournait ensuite � sa vie habituelle, jusqu'� la fois suivante.

La Grande M�re, cette figure rassurante qui garantissait aux Hommes une s�curit�, un lien inali�nable avec leurs origines se manifestait sous les traits d'une D�esse, de la Vierge, etc. Sa protection �tait �voqu�e dans toutes les p�riodes de crise. Elles servait alors � la fois de mod�le et d'�cran, �vitant � la plupart des femmes de subir elles-m�mes ces projections-l� tout en se recon�naissant en elle au travers du r�le qu'elles remplissaient.

Mais la Grande M�re, c'�tait aussi cette M�re-Nature terrible capable d'engloutir la vie autant que de la donner, M�re d�vorante, toute puissante, implacable, cruelle, impr�visible, terri�fiante !

Certes, la M�re a toujours �t� investies de projections contradictoires. M�lanie Klein[6] explique parfaitement que cette scission en un bon et un mauvais objet de projection est essentielle pour l'�volution de l'enfant : rejetant le mauvais objet et s'identifiant au bon, il gravit peu � peu les marches qui le m�nent � l'autonomie.

Sur le plan collectif, le mouvement est semblable : des images de M�re n�gative c�toient des repr�sentations de M�re positive. Dans l'imagerie populaire des si�cles pass�s, la Madone cohabite sans probl�me avec la Sorci�re, l'Ogresse.

Le XXe si�cle occidental a pr�sent� en revanche l'aspect remarquable de ne plus se r�f�rer � de grandes images mythiques, religieuses ou l�gendaires. Cela, on le laisse aux petits enfants. Le XXIe si�cle commence avec la science et le rationalisme comme super stars.

L'Imaginaire contemporain

La mauvaise m�re

Sous le couperet implacable de la psychanalyse, le d�but du XXe si�cle voit para�tre une nouvelle image maternelle n�gative. L'impact freudien est tel que le principe de la mauvaise m�re frise le pl�onasme.

Sous les cieux sans �toiles de l'�re moderne, c'est la simple m�re de chair et de sang qui est montr�e du doigt. Las ! Il ne reste plus qu'elle !

L'anorexie, la boulimie, l'homosexualit�, l'�nur�sie, la dyslexie ou le b�gaiement des enfants, c'est la femme elle-m�me qui en est responsable ! Le pouvoir de la m�re n'est pas reconnu : il est d�nonc�. Et ce � coup d'arguments scientifiques, c'est-�-dire �tay�s par nombre d'observations cliniques, mesurables et quantifiables.

La lib�ration de la femme

La femme, prise sous les feux des projections collectives faites sur la Grande M�re, confondue avec son image n�gative, s'efforce de ne plus lui ressembler : il faut alors changer de r�le ! Il est vrai que les intenses bouleversements culturels � guerres, crises ou progr�s technologiques � sont propices � une telle transformation.

Nous ne reviendrons pas sur les diff�rents changements sociaux qui ont marqu� ce que l'on appelle d�magogiquement aujourd'hui la ��lib�ration de la femme��. Tout aurait pu s'arr�ter l�. Certes, l'histoire �tait belle : la femme fut prisonni�re d'un joug mill�naire, et la voici qui conquiert hardiment le monde !

La femme aurait-elle cess� d'�tre un continent noir ?

Tout n'est pas si simple.

Black is beautiful

Revenons-en au Noir.

Tous les mythes t�moignent d'un passage par le noir, le chaos, l'Inconnu avant l'�mergence vers la lumi�re. L��uvre au noir, ce processus de transformation dont parlent les alchimistes, en est une des manifestations. Th�s�e affronte le Minotaure au c�ur du sombre laby�rinthe, les tr�sors sont toujours cach�s au fond d'une grotte obscure.

Il repr�sente aussi bien le danger de l'an�antissement que la r�demption. Il se trouve au-dessous, au-del� et au-dessus de l'Homme. Il est la repr�sentation du sacr�, la source fondamentale, autant crainte que v�n�r�e par l'�tre humain qui a �labor� nombre de moyens pour oser en�trer en contact avec elle : rituels, c�r�monies, etc.

Ainsi donc, ce Noir qui entoure la sph�re �clair�e du connu est autant porteur de lu�mi�re que d'ombre.

Qu'est-ce que ce Noir, cette Lumi�re Noire, cet Au-del� porteur de Vie ? C'est le ventre de la M�re ! La Grande M�re, qui donne et qui reprend, qui prot�ge, qui nourrit...

Ce Noir dont parlait Freud n'est donc pas qu'un manteau sombre dont il convient de se d�barrasser. Il repr�sente aussi le lieu fondamental d'o� l'humain puise son �nergie.

L'Homme d'aujourd'hui ne b�n�ficie plus de ces recours mythologiques ou religieux. Cependant, sa structure psychique fondamentale reste la m�me, sa recherche effr�n�e de la M�re aussi.

De qui alors invoquer la protection ?!

De la simple m�re, encore une fois.

Comme Freud, mais dans l'autre sens, l'Occidental moderne proc�de lui aussi au t�lescopage. Priv�e de la dimension mythologique, la puissance de la projection arch�typique s'incarne alors directement, sans m�diateur, au sein m�me de la simple femme, donnant naissance au discours ultra-maternel d'aujourd'hui et � une sorte de d�ification de la femme enceinte, qui devient pour un temps le centre du monde.

Certaines femmes y trouvent apparemment leur compte. Elles pensent avoir pris un pouvoir qui leur avait �t� si longtemps �tranger...

D'autres en font au contraire le constat douloureux : d�sirant jouer un autre r�le que celui de muse, de m�re protectrice ou d'objet de myst�re, elles se retrouvent seules, pendant que l'on se tourne vers d'autres...

Curieux paradoxe : en m�me temps que bien des femmes s'appliquent � le quitter, leur sombre univers se pare de toute les qualit�s ! En pleine crise, la culture occidentale cherche � se ressourcer chez ceux qu'elle maintient par ailleurs sous le regard hautain de sa suffisance : femmes, noirs, arabes, dingues, homos,... A coup de litt�rature f�minine, de musiques noires ou basan�es, d'art contemporain d�cadent, les exclus d'hier r�alimentent aujourd'hui notre patrimoine culturel.

Singeant les hymnes � la Nuit de Novalis, l'on implore alors la femme de continuer � incarner cette terre immense aux ressources inestimables ; qu'il reste encore un lieu � conqu�rir, un univers auquel r�ver, une source o� s'abreuver !

En effet, sortant du champ projectif n�gatif, la femme se prive � et toute une culture avec � de l'investissement positif dont elle est �galement l'objet.

La ��lib�ration de la femme�� confronte autant les individus que la collectivit� � la n�cessit� d'un remaniement psychique extr�mement profond. L'histoire ne s'arr�te pas au fait d'enfiler un pantalon.

Quittant le monde de l'ombre, rejoignant l'homme dans la lumi�re, la femme se lib�re de ses anciennes cha�nes, certes, mais elle cesse aussi d'�tre celle par qui vient la Vie.

La tentation est forte alors d'entrer � nouveau sous le feu gratifiant d'une telle image. Et la Maternit�, qui fut jadis un symbole d'oppression f�minine, reprend aujourd'hui sa place privil�gi�e, accompagn�e de son insidieuse cons�quence : promues pour un temps pr�tresses de la Vie, voil� � nouveau les femmes porteuses de ce Noir dont nous savons qu'il est double, et dont elles auront � supporter la part sombre.

Le conflit est d'importance : en qu�te d'elle-m�me, de son individualit�, la femme d'aujourd'hui risque de d�cevoir l'attente implicite de sa culture. En revanche, si elle se laisse tenter par le r�le r�dempteur qui lui est si galamment propos�, c'est elle qui risque de ne plus se reconna�tre.

Les femmes seraient-elles enferm�es au c�ur d'un paradoxe insurmontable ?

Sortir des f�tichismes

Cependant, que l'on se r�volte contre la Maternit� ou qu'on la tienne pour essentielle, l'erreur reste la m�me. Se servant d'elle comme un f�tiche, l'on prend la femme pour la M�re, sa maternit� pour la Vie. La confusion est l� et l'imposture est aussi dangereuse que na�ve.

Les plans physique et psychique sont porteurs de deux r�alit�s bien diff�rentes.

Lorsque la Bible demande au croyant de ��quitter son P�re et sa M�re��, il ne s'agit pas forc�ment de ses p�re et m�re r�els !

Chacun a besoin d'�tre nourri et rassur� par une M�re, mais pas automatiquement par celle qui lui a donn� le jour !

Il est �videmment tr�s gratifiant, au sein d'une culture en qu�te d'elle-m�me, de repr�senter subitement l'incarnation m�me du ��salut du monde��.

Cependant, l'�nergie exprim�e par une image arch�typale est colossale, et capable de briser un individu autant que de le magnifier. Si le Moi collabore � la projection dont il est l'objet, il pourra certes profiter � outrance des forces qui se trouvent � sa disposition, mais il ne s'agira jamais que d'un pouvoir emprunt�. Le drame est faustien. Le Moi n'acquiert pas la moindre parcelle d'�panouissement r�el. On lui pr�te des v�tements de roi, mais il n'est pas le roi, il ne le sera jamais, et lorsque minuit sonne, lorsque le temps de l'ouragan arch�typique est d�pass�, le carrosse se transforme � nouveau en citrouille...

Sur le plan psychique, l'�largissement du champ de conscience passe bien souvent par le rejet d'images fausses bien que gratifiantes qui �taient projet�es sur soi. Dans le m�me esprit, ce processus passe �galement par le retrait de l'investissement massif qui �tait fait sur autrui. Pour les deux parties cette diff�renciation est un passage oblig� dans l'�laboration d'une nouvelle forme de conscience.

C'est pourquoi, s'il y a une lib�ration � accomplir d'un quelconque emprisonnement c'est de cette confusion, de ce r�seau de repr�sentation qui enserre la femme et l'homme ! De ce malentendu qui identifie la femme toute enti�re � l'arch�type du F�minin

��La femme envie le p�nis de l'homme��, dit Freud. Triple t�lescopage. Toute la proposition est en fait � traduire en�: ��le F�minin est indissociable du Masculin��.

Le p�nis de l'homme est aussi �tranger du phallus/totem, repr�sentation d�un arch�type organisateur, que le ventre de la femme l'est de la source de Vie.

Le phallus n'est pas le propre de l'homme, mais il est symbole d'action et d'unification de l'Homme-Anthropos, c'est-�-dire qu'il repr�sente un principe que la femme poss�de en elle-m�me, sa part masculine, son Animus.

Ce n'est pas non plus la femme qui est v�ritablement porteuse de Vie, mais la Femme en soi, l'Anima, pr�sente autant chez l'homme que chez la femme.

Conclusion

Si notre culture effectuait un tel travail de diff�renciation, d�gageant l'arch�type de sa repr�sentation, ainsi serait-il vraiment possible de parler de conscience.

Il ne faut pas cependant perdre de vue que derri�re la fonction se cache le symbole, le sens que repr�sente tel ou tel objet dans un syst�me donn�. Et plus loin encore en arri�re l'arch�type, image fondamentale d'o� toute repr�sentation prend sa source.

Les si�cles pr�c�dents ont commenc� par d�sacraliser le territoire humain. R�duits � leurs manifestations, les r�les sociaux pouvaient alors se d�placer comme des pions en fonction des n�cessit�s du moment.

Or les femmes n'�taient pas porteuses d'une simple fonction sociale, elle devaient en outre g�rer le lien qui relie le F�minin � ses repr�sentations.

La personnalit� est un jeu dialectique complexe entre une instance d'individualisation, le Moi, et l'Inconscient/source. Ne plus �tre un continent noir, cela pourrait alors signifier pour la femme �tre capable de cette diff�renciation tout en reconnaissant la force des symboles qui animent la psych� au-del� de la conscience.

Dans la fascination actuelle de notre culture pour les femmes, le message � entendre est alors le suivant : une issue peut na�tre de cet archa�sme, de ce myst�re, de cet irrationnel rejet� dans les limbes de nos terres.

Anne Rose, Paris le 12/07/01


[1] � Simone de BEAUVOIR in Le deuxi�me sexe.

[2] � De la g�n�ration des animaux, ARISTOTE, Trad. Pierre Louis, Les Belles Lettres Guillaume Bud�, Paris, 1961.

[3] � Some psychological consequences of the anatomical diffe�rences between the sexes, in collected papers, vol. II et vol. V, S. FREUD.

[4] � La psychologie de la femme, Karen HORNEY, Payot, Paris, 71.

[5] � L'enfant hors de la bulle, J-L TOURAINE, Flammarion, Paris, 85.

[6] � La psychanalyse des enfants, Melanie KLEIN, PUF, 78.

Plan du site � Vers le haut de page � �crire � l'auteur
Envoyez vos commentaires et vos questions au r�gisseur du site. Copyright � � 1997 Lierre & Coudrier �diteur