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La place des images
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M�me s�il est d�sormais classique, pour qui passe au crible le fonctionnement d�une soci�t�, de proc�der � une critique de son propre syst�me de fonctionnement, bien souvent encore on se borne � dire qu�une recherche s�inscrit dans un itin�raire, sans plus de d�tail. Itin�raireEn ce qui me concerne, il me faut en d�voiler un peu plus sur les contenus d�une exp�rience qui m�a conduite � m�int�resser au mythe de M�d�e. Ce travail, commenc� en 1980, fut abandonn� puis repris de nombreuses fois, aussi longtemps qu�il m�a �t� impossible de trouver des �l�ments de r�ponse � la question : qu�est-ce qui me pousse dans cette voie ? J�ai dit souvent depuis que je n�avais pas choisi le sujet, mais que c��tait lui qui m�avait � prise��. Il m�a poss�d�e, au sens le plus fort du terme pendant des ann�es, d�s que je me mettais au travail, jusqu�� me faire �prouver un constant malaise physique fait de naus�es et vertiges, happ�e que j��tais par un puissant mouvement int�rieur en spirale, m�attirant irr�pressiblement vers le bas, vers un grand vide, une pesanteur, et me laissait �puis�e, prostr�e et sans volont�, en ce mouvement de fuite serpentine, annihilant en moi toute aptitude � l�articulation d�un discours logique. Cette emprise est rapport�e de diverses mani�res, bien que rarement encore, par certains chercheurs, mais bien souvent, elle est laiss�e en marge des �crits th�oriques. Elle fait l�objet de publications s�par�es sous forme de journal de terrain, r�dig� en de plus ou moins tristes tropiques. N�anmoins, je peux t�moigner qu�elle sollicite une partie de l�individu, de lui m�connue, qu�elle active une dynamique, mettant en relation la pens�e et ce que nous pourrions appeler � l�imaginaire�� bien que cela d�borde ce qu�on entend g�n�ralement par ce terme. Ainsi, lorsque j�ai commenc� il y a quinze ans une �tude des aspects litt�raires du mythe, j�ai ressenti imm�diatement le besoin imp�rieux, � la fois de reprendre la r�daction d�un journal, pratique que j�avais abandonn�e depuis quelques ann�es, et dans le m�me temps, d��crire des fictions, nouvelles bien sombres et pessimistes, auxquelles j�attachais une importance immense et toute relative � la fois, puisque je ne les ai pas gard�es. Je n�accomplissais pas alors une d�marche anthropologique volontaire, j�ob�issais seulement � une n�cessit� vitale et le moindre manquement me faisait redouter pour ma raison que je sentais chancelante. � J�ai bien conscience que mon t�moignage ne saurait fonder une th�orie. A la v�rit�, forte de cette exp�rience que je persisterai � appeler int�rieure, je n�ai eu d�autre souci que de v�rifier qu�elle a �t� partag�e par d�autres, de savoir comment et ce � quoi cela a pu les amener. Pour ma part, je ne travaille que sous la contrainte, ayant r�ussi � me persuader que c��tait vital pour moi, et que sans cette gangue m�d�enne, mon existence n�avait pas de sens. C�est pourquoi, j�ai commenc� en reconstruisant ma vie � partir de ma relation � M�d�e, comme une mythologie personnelle qui me sert tout � la fois de colonne vert�brale, de rail, comme s�il s�agissait d�un n�cessaire passage avant d�amorcer ce que Jeanne Favret-Saada[1] appelle la ��d�prise th�orique��. � Cette mani�re de me relier � la figure mythique m�a conduite � poser que, peut-�tre, l�image int�rieure �tait en soi le lien qui m�attachait au mythe. Je m��tais en effet retrouv�e, chemin faisant, petite fille solitaire, pr�occup�e du lien entre les choses, � relier dans l��clat du soleil les fils tiss�s de myriades de poussi�res, jusqu�� une main myst�rieuse qui de l�-haut actionnait les hommes/marionnettes : cela se passait � la fin des ann�es cinquante, dans les Vosges, au bord de la Vologne, sur le lieu m�me o� plus de vingt-cinq ans apr�s, la d�couverte du corps inanim� d�un petit gar�on nomm� Gregory allait d�frayer la chronique et conduire la m�re de l�enfant aux Assises sous l�inculpation d�infanticide... Et tout bien consid�r�, la qu�te des origines d�passait les limites de ma propre existence, qui allait me ramener au lieu de naissance de celle que j�avais toujours consid�r�e comme une h�ro�ne de trag�die : ma propre m�re. � L�intuition pointa, alors que les implications du mythe allaient bien au-del� du r�cit qui en est fait et des explications rationnelles dont il est l�objet. Ma recherche a donc d�but� par un long travail de diff�renciation, doubl� d�un autre, de rep�rage, aussi bien dans ma vie personnelle, dans mon entourage que dans les domaines culturel et socio-politique. Le mythe, lieu de dialogueLa mati�re mythique ne peut �tre consid�r�e comme pur objet d�investigation ; l�entendre ainsi, c�est la vider de son sens. Et, n�anmoins, pr�tendre poursuivre une recherche sur le mythe oblige � une distance. O� est la fronti�re ? Fronti�re, non comme une ligne de d�marcation fixe qui s�pare deux contr�es ennemies, mais espace de dialogue. Ma qu�te est faite de moi, d�abord. Par un long cheminement, mon ��sujet�� de recherche, demande � se faire ��objet��. Mais la fronti�re entre l�objet et le sujet est-elle si nette, si lisse qu�on puisse la tracer un jour comme au fil du rasoir ? Ne se cr�e-t-il pas plut�t entre mon objet et moi un dialogue et un �change permanent ? Et par quel truchement ? Ma conception de l�humain, tr�s antique mod�le o� s�interp�n�trent et dialoguent, dans l�id�al, nous, ��l�esprit��, epithumia ��le ventre�� et thumos, ��le c�ur��[2] m�a �t� un premier rep�re pour �viter la rigidit� d�un discours d�shumanis� o� pouvait me conduire l�enfermement dans un cadre m�thodologique. Car la tentation est bien grande, face � un objet aussi turbulent que le mythe, d��riger un rassurant bastion aux �pais remparts, enserr� d�une s�curisante grille de lecture ! Mais j�abhorre les jargons et reste tr�s classique dans la conviction que les mots les plus simples peuvent rendre compte d�une r�alit� complexe. J�utilise peu de termes techniques n��tant sp�cialis�e dans aucun des syst�mes d�analyse en vogue. Ce n�est pas l� ce qui m�int�resse. En revanche, il devient passionnant de constater que ces syst�mes renvoient au m�me mod�le que la soci�t� qui les g�n�re. Mon investigation ne rel�ve pas d�une d�cortication consciencieuse d�entomologiste, mais propose plut�t des rep�res pour une lecture dynamique globale d�un ph�nom�ne dans ses manifestations historiques et imaginaires. Je ne diss�que pas des cadavres, j��uvre dans le vivant, le mouvant, et l�insaisissable charg� d�angoisse. � Dans la lign�e d�une enqu�te g�n�alogique, autobiographique, s�inscrit la qu�te m�thodologique, non comme enfermement dans un cadre conceptuel, mais comme chemin ou traces � suivre ; l��il riv� sur une ligne d�horizon fluctuante que pointe du doigt celui qui me guide, pour sortir de l�enchev�trement des passions et de la fascination. � J�ai mis mes pas dans ses pas, suivant le sens de ma ligne de faille � la recherche des contours de l�objet... Lumi�re, lien, �clat, anneau, spirale, regard... ces parcelles d�une r�alit� �clat�e m�ont donc conduite, dans un troisi�me temps, � m�interroger sur la notion � d�image��, sur son origine et sur la source de sa puissance agissante. M�d�e me retient � la vie et dans le m�me temps m�aspire vers la mort, les deux ensemble. L�impossibilit� d�englober la totalit� ouvre une seule voie qui consiste � s�emparer de ce qui est saisissable, le rendant intelligible en raccordant pi�ce par pi�ce quelques �l�ments de ce monstrueux puzzle, sachant qu�il n�y a pas de fin, que de la surface � la profondeur, les strates s��tagent � l�infini, bien au-del� de ce que l�esprit humain peut int�grer. � Une certitude n�anmoins affleure dans cet oc�an de doute : la pens�e rationnelle ne saurait rendre compte de l�objet dans sa totalit�, qui a rel�gu� la pens�e mythique dans les marges de la Raison. Toutes les tentatives de th�orisation, psychanalytiques en particulier, si elles parviennent � diss�quer et � �tiqueter ne font qu�ass�cher une mati�re, occultant l�essentielle dynamique. Place de l�imageInscrite dans cette lign�e, ma recherche, serpentine � la source, apr�s tours, d�tours et contournements, trouvant sa naturelle ligne de pente, devait en arriver � circonscrire un objet d�s lors incontournable : l�image. � Le rejet de ��l�image�� (int�rieure) dans la culture occidentale contemporaine, paradoxalement dite ��culture de l�image�� repose sur une esth�tique vide de sens : il aboutit � un vide esth�tique que seul un retour � l�aisth�sis antique est susceptible de combler. L�image fait partie int�grante de la vie, en cela elle d�borde largement le cadre du rationnel o� d�aucuns voudraient enfermer l�existence humaine. Bernard Teyss�dre l�a montr� abondamment dans La Naissance du Diable, o� il enqu�te sur ce qu�il nomme les ��images affects��, substrats des repr�sentations d�une culture et v�hicules des mythes, ignor�s mais vivants, qui serpentent dans nos cultures. � La notion d�affect renvoie � la d�finition qu�en a donn�e C. G. Jung : ��Par affect il faut entendre un �tat de sentiment caract�ris� et par une innervation perceptible du corps, et par un trouble sp�cifique du cours de la repr�sentation... Je range les affects nettement marqu�s, c�est-�-dire accompagn�s de violentes innervations corporelles, non dans le domaine de la fonction du sentiment mais dans celui de la fonction sensation.��[3] Images, sensations et affectsCondillac, avant d��tre rel�gu� dans les poubelles de l'histoire, au lendemain de la R�volution fran�aise, avait avanc� que, mis � part le langage, qui est d�institution, il est une seule source naturelle dans nos facult�s et connaissances : la sensation. De la sensation, par d�rivation, mais aussi par composition[4] entre sensations d�origines diff�rentes, Condillac fait d�river les fonctions d�entendement et de volont�. Au lieu de distinguer et de s�parer les fonctions sensibles et les fonctions intellectuelles, il cherche une solution dans la composition de ces sensations. Cette gen�se par composition et diff�renciation se traduit chez le sujet par le passage de la passivit� pure � ce que nous croyons �tre une activit� propre � notre esprit. La vivacit� de la sensation est la racine de l�attention, dont nous pouvons faire d�couler toutes les facult�s intellectuelles. Mais la pens�e de Condillac, que la linguistique moderne ni la psychanalyse ne peuvent renier, a �t� �vacu�e. A la racine de l��tre conscient, Gaston Bachelard d�couvre une activit� imaginante qui se d�ploie en ces deux champs oppos�s que sont la science et la po�sie. Loin de renvoyer � des principes et � des m�thodes diff�rents, le savoir et la po�sie reposent sur un principe unique : par ses oppositions, l�imagination nous unit et nous relie � nous-m�mes � travers les d�tours de la r�verie ou du travail. ��Il y aurait int�r�t � doubler l��tude psychologique de la r�verie par l��tude objective des images qui nous enchantent[5]�� (... et �) ��d�gager des dialectiques alertes qui donnent � la r�verie sa vraie libert� et sa vraie fonction de psychisme cr�ateur�?[6]�� N�est-ce pas apr�s tout ce que fait Bernard Teyss�dre en interrogeant le texte de Philon d�Alexandrie ? Rendre l�image � une totalit�, la diff�rencier des repr�sentations qu�elle suscite n�cessite de poser � priori l�existence de plusieurs r�alit�s. Or, la repr�sentation appartient � la r�alit� physique objective, et selon Nietzsche, pour rendre compte de la totalit� dynamique nomm�e corps, il faut au-del� du moi conscient et de ses fictions, tenter de cerner la vie cach�e des instincts qui la composent et dont les ph�nom�nes conscients ne sont que des sympt�mes. Ainsi, la connaissance n�est-elle pas, pour Nietzsche, la contemplation d�une pr�tendue ��r�alit� objective�� plac�e devant le regard de l�esprit. Elle traduit l�effort des instincts group�s � l�int�rieur d�un m�me organisme pour s�approprier le chaos d�une r�alit� qui ne constituera un monde que par le travail d�une volont� qui, l�int�grant � un ordre, � des structures, situera un cosmos et ses limites ; elle devient de ce fait fondatrice d�une repr�sentation du monde. Mais ce cosmos, con�u comme un ordre harmonieux du monde, coh�rent aux plans philosophique, moral et esth�tique, inclut d�embl�e ��son droit � l�exclusion��[7], renvoie hors des limites tout ce qui pr�sente un danger pour l�harmonie d�ensemble, totalit� indiff�renci�e globalement rev�tue des oripeaux de la monstruosit�. Et Bernard Teyss�dre illustre le constat par l�exemple : ��la civilisation europ�enne a souvent pris un tour singulier : alors qu�elle tendait � l�universalit�, en ce sens qu�elle proposait � l�Homme un mod�le qui f�t valable, d�sirable pour tous (...) elle g�n�re les couples antith�tiques, Hell�nes/Barbares, Chr�tiens/infid�les, civilisateurs/colonis�s...�� [8] Image et repr�sentations du mondeLa remarque, effectu�e au plan de l�organisation horizontale de la soci�t�, peut �tre �largie � l�ensemble de la cosmographie ; et la totalit� de l�image � de m�me que le Barbare ne peut se concevoir que comme antith�tique et compl�mentaire du Grec civilisateur � prend sens dans la mesure seulement o� le lieu de production de l�image est articul� dialectiquement � la r�alit� objective. � Du lien qui r�unit les deux p�les, Descartes avait eu d�j� l�intuition. Dans le syst�me cart�sien, il existe en effet deux sortes de substances distinctes, cr��es : les �mes, immat�rielles et pensantes, et les corps, substances mat�rielles et �tendues. L'Homme r�sulte de l�union des deux. Mais cet homme concret pose le probl�me du lien entre les deux substances : comment comprendre en effet qu�une volont� puisse mouvoir la mati�re, ou qu�un mouvement de mati�re puisse produire une douleur ? En r�ponse � cette question de l�union de l��me et du corps, Descartes sera amen� � invoquer une troisi�me notion primitive, renon�ant m�me � la r�gle de distinction des id�es. C�est ��en usant seulement de la vie et des conversations ordinaires et en s�abstenant de m�diter et d��tudier aux choses qui exercent l�imagination qu�on apprend � concevoir l�union de l��me et du corps.�� � Faut-il comprendre alors que l�union de l��me et du corps puisse se faire � la seule faveur d�un abandon ? Dans la cosmogonie cart�sienne, la Mati�re constitue un pilier, indissociable de son compl�mentaire, l�Esprit. Leur relation dynamique fait l�objet de longs d�veloppements dans les M�ditations, et montre, s�il en �tait besoin, que la pens�e cart�sienne est essentiellement dialectique, qui relie deux termes par un troisi�me, tout en admettant que ce dernier, restant ��myst�rieux��, puisse rendre compte d�une r�alit� complexe. � La ��vie cach�e des instincts�� de Nietzsche, les ��imaginations�� et ��r�veries�� de Descartes permettent par cons�quent d�induire l�existence d�une r�alit� psychique.[9] L�opposition de deux r�alit�s compl�mentaires revient ainsi � d�finir deux classes d�objets. � Bernard Teyss�dre, et Jung avant lui, classe les ��images-affects�� au rang d�objets psychiques, dont chacun est reli� dialectiquement � son objet physique. Descartes posait d�j� comme principe de son syst�me, dans la M�ditation troisi�me que : ��Afin qu�une id�e[10] contienne une r�alit� objective, elle doit avoir cela de quelque cause dans laquelle il se rencontre pour le moins autant de r�alit� formelle que cette id�e contient de r�alit� objective�� pr�cisant, dans la m�me M�ditation, qu�il avait remarqu� ��en beaucoup d�exemples qu�il y avait une grande diff�rence entre l�objet et son id�e.�� � L�exemple de Bernard Teyss�dre rapport� plus haut, relatif � la ��femme�� peut illustrer cette diff�rence entre l�objet prot�iforme ��femme�� qui ne pr�sente que certains aspects s�lectionn�s par une culture, et l�objet psychique correspondant, image de la femme, � diff�rencier imp�rativement : nommons-le f�minin. ��R�alit� psychique objective�� et ��r�alit� physique objective��Or, le mythe se constitue � partir de l�image-affect et en tant qu�il est ��au point de croisement entre r�alit� psychique objective (g�n�alogie, ligne d�action des h�ros � conflit entre dieux...) et r�alit� physique objective de celui pour qui le mythe se met � vivre..., il repr�sente le regard circulaire d�un sujet au centre de l�univers dans un cosmos que ce sujet cr�e. Cette repr�sentation �gocentrique est une donn�e de base de la psych�. La disqualifier revient � se couper d�une source importante d�informations sur la r�alit� des hommes et des femmes. Cet �gocentrisme radical se compl�te parfaitement avec le regard ext�rieur de la science, fractionn�, divis�. Celui-ci est fatalement porteur de mort, vision clinique de cadavre, car il est en dehors du lieu o� se d�veloppe la vie et o� s�ordonne le monde. Le Moi est le sujet, c�est en dehors de lui, mais sous son contr�le que s�op�re le mouvement qu�il ausculte.��[11] � Les fronti�res entre sujet et objet, mati�re et esprit/psych� sont d�s lors moins pr�cises qu�on ne le croyait jusque l�. Il devient alors impossible d�approcher la r�alit� globale du mythe et de l�image, tant que sera �vacu�e de la recherche la n�cessit� de rendre l�objet � son contexte individuel et collectif, l� o� elle prend son sens. L�exploration de cette zone, point de convergence de l�individuel et du collectif, sur laquelle les approches purement rationnelles d�livr�es du doute salvateur ne sauraient avoir prise, ne peut se concevoir sans, dans un premier temps, l�exercice d�une connaissance de soi, au sens o� l�entendait Michel Foucault. � Dans la lign�e de Nietzsche et Bachelard, qu�il se reconna�t comme ma�tres, Michel Foucault se pr�sente comme un arch�ologue vou� � la reconstitution de ce qui, en profondeur, rend compte d�une culture. L�ambition du projet inclut l�imp�ratif d�un exercice sur soi de la pens�e comme exercice spirituel, � travers ��l�essai��, (philosophique). Nietzsche pr�conisait d�j� cette pratique, en lieu et place de l�esprit de syst�me, aux fins de respecter le caract�re prot�iforme de la r�alit� ; ��l�essai�� reste pour Michel Foucault ��corps vivant de la philosophie, si du moins celle-ci est encore maintenant ce qu�elle �tait autrefois, c�est-�-dire une ��asc�se��, un exercice de soi, dans la pens�e��[12], qui rejoint le spiritualisme cart�sien aujourd�hui ni� et la pratique d�un exercice assidu de l�examen de conscience par �crit tel que Saint Antoine le recommandait � ses disciples...[13] Ainsi se trouve r�habilit�e la dimension ��d�esth�tique de l�existence��. � Alors que sur la fin de sa vie, il r�fl�chit sur l�origine de notre culture, le philosophe reprend la question d�un art de vivre comme �uvre de soi sur soi. Pour lui, la morale grecque est morte mais il est permis de garder l�id�e d�une pratique des exercices spirituels comme exercice de pr�paration au l�cher prise. Quand tout alentour s�estompe sous le regard, il reste le centre, ce ��moi-je�� qui seul peut mettre en action un style d�existence aboutissant fatalement par la m�ditation � des digressions philosophiques puis, pourquoi pas, � une �uvre qui en soi serait �uvre d�art au sens o� les Grecs entendaient la techn� : un savoir-faire comme fondement d�un savoir-vivre. La position centrale du sujet actualise l�obligation de rester fid�le au principe cart�sien de n��noncer rien qui ne soit ��clair et distinct��, rien qui ne soit pass� au crible du doute : pour entreprendre la recherche de la v�rit�, il faut donc ��une fois�� douter dans sa vie ��de toutes les choses o� l�on per�oit le moindre soup�on d�incertitude��. � Ainsi, avons-nous l�impression de vivre au milieu d�objets. Ces objets existent-ils r�ellement dans le monde ? Nous ne saurions en avoir la preuve, incapables que nous sommes de sortir de nous-m�mes, et le monde se r�duit � l�ensemble de nos sensations. Or nos sens nous trompent parfois : nous prenons pour r�els les objets figurant dans nos r�ves. Le doute sera donc appliqu� d�abord � la r�alit� des choses sensibles. � Le doute a pour cons�quence imm�diate la d�couverte de la premi�re des v�rit�s, celle du Moi pensant : du fait que je doute, je suis assur� de la pens�e qui doute. Condition n�cessaire de la connaissance, le doute s�appliquera par cons�quent, dans le deuxi�me temps de la recherche, � l��tude du contexte historique et anthropologique. � Jean Duvignaud, en 1983, en m�me temps qu�il fait ��l��tat des lieux�� de l�anthropologie contemporaine, � savoir qu�elle n�a pas gard� de distance avec l�id�ologie de la s�curit�, sugg�re que les politiques sont eux-m�mes manipul�s par des forces qu�ils ont voulu ignorer : ��On doit alors se demander si l�anthropologie, en valorisant depuis pr�s de deux si�cles, les r�gles, les obligations, les institutions et la conservation des soci�t�s ne s�est pas engag�e dans une s�curisante impasse. (...) On devrait alors �voquer la r�gion obscure, souvent occult�e, dont les manifestations ne se r�duisent pas aux banales exigences de l�explication scolastique ou classique : de ce domaine �mergent les formes et les attitudes qui entra�nent les changements profonds, les mutations impr�visibles des relations sociales, les utopies parfois inopin�es, les ��id�es-forces�� dont la politique, faute de les avoir per�ues, subit les effets. L�exp�rience imaginaire, la vie affective, les passions, les �motions, ... les r�veries, le ��gai savoir��[14] ressortissent � cette r�gion de l�exp�rience que nous connaissons mal et qui, pourtant, concerne la gen�se pr�sente de nos soci�t�s.��[15] � C�est � ce point que l�approche anthropologique du ph�nom�ne � la seule qui, par la multiplicit� des points de vue qu�elle propose soit � m�me de l�englober d�un regard circulaire, central et distanci�, qui s�efforce d��tre total sans pour cela �tre absolu � s�impose comme outil d�analyse et de connaissance. R�gis Debray, Michel Leiris et Michel Foucault ont, dans ce sens, ouvert de larges perspectives � la recherche. � L� o� Jean Delumeau rep�re les d�placements de la peur, projet�e d�une zone � une autre, R. Debray retrace, dans Vie et mort de l�image, l��volution parall�le de ��l�histoire du visible��. L��tude s�mantique du mot ��image��sert de pr�liminaires � une r�flexion, d�veloppant l�hypoth�se qu�il n�y a pas d�image en soi : celle-ci d�pend de l��il qui la regarde et chaque �il a son histoire : �� l��volution conjointe des techniques et des croyances va nous conduire � rep�rer trois moments... : le regard magique, le regard esth�tique et enfin le regard �conomique. Le premier a suscit� l�idole ; le second l�art ; le troisi�me le visuel. Plus que des visions, ce sont l� des organisations du monde.��[16] � Au plan collectif, au fil des grandes mutations de soci�t�, l�image s�est trouv�e investie d�un statut et d�un pouvoir diff�rents. A propos du ��pouvoir de l�image��, au titre de L�efficacit� symbolique, l�auteur note : ��Comme il y a des mots qui blessent, tuent, enthousiasment, soulagent, etc., il y a des images qui donnent la naus�e, la chair de poule, qui font fr�mir, saliver, pleurer, bander, gerber, d�cider, acheter telle voiture, �lire tel candidat plut�t que tel autre.��[17] � L�action efficace de l�image, ainsi rapport�e � l�ensemble des activit�s humaines ouvre une piste que je ne peux manquer d�emprunter, lorsque je me r�f�re � la r�flexion de R�gis Debray, � ce que je rapportais plus haut de mes propres r�actions, non face � une repr�sentation mais au contact du mouvement int�rieur que j�ai d�crit comme un saisissement de l��tre. ��(...) L�emprise qu�ont sur nous nos figures varie avec le champ de gravitation o� les inscrit notre �il collectif, cet inconscient partag� qui modifie ses projections au gr� de nos techniques de repr�sentation.��[18] � Si l�objectif de R�gis Debray est de montrer ��comment le monde se donne � voir � ceux qui le regardent sans y penser�� compte tenu du fait qu���il est impossible de voir totalement notre voir, puisque �rendre la lumi�re suppose d�ombre une morne moiti� �, c�est sur cette morne moiti� que j�aimerai braquer le projecteur, non pour l��clairer, � impossible gageure � mais seulement d�celer en quoi elle est reli�e au monde des repr�sentations, et comment elle �uvre. � Le propos de Michel Leiris s�inscrit dans une d�marche parall�le et compl�mentaire, en ce qu�il traite les faits racont�s non sous le simple jour du r�cit, mais comme une mythologie, int�grant la part de l�ombre dans l�attention qu�il porte non seulement � narrer un fait mais � observer comment il appara�t au fil de l��criture et touche peu � peu au symbole. La transformation po�tique du donn� rejoint alors le libre mouvement des associations, � partir d�une image. Les syncopes d�images mettent en jeu la v�rit� fonci�re du souvenir et aussi la recherche d�un langage fondateur qui s�efforcerait de retracer une l�gende. � Mettant en �uvre, � travers le style, un processus de bifurcation susceptible de pr�voir mais aussi de favoriser le glissement d�un plan de r�alit� � un autre, sans jamais s�y fixer il proc�de par touche dans la construction de l�image, plus par ramification que par unification, conjonction de signes. Chez Michel Leiris pointe l�unit� des d�marches litt�raire et anthropologique : ��Passant d�une activit� presque exclusivement litt�raire � la pratique de l�ethnographie, j�entendais rompre avec les habitudes intellectuelles qui avaient �t� les miennes jusqu�alors et, au contact d�hommes d�autres cultures et d�autre race, abattre les cloisons entre lesquelles j��touffais et �largir jusqu�� une mesure vraiment humaine mon horizon.��[19] Cette option du chercheur-�crivain renon�ant � �tre le seul sujet du discours, mais aussi son objet au sein d�une aventure, jette les bases de l�anthropologie moderne, fond�e sur le ��d�centrement anthropocentrique��, la relativit� des points de vue, des valeurs, des conceptions de l�homme, l�abandon de l�id�e d�une v�rit� absolue situant le bien d�un c�t�, le mal de l�autre. Cela revient � renoncer � saisir la r�alit� en elle-m�me mais plus modestement � l�aborder toujours d�un certain point de vue. � C�est aussi la t�che qu�assigne Michel Foucault � la philosophie, de remettre en question notre ��volont� de v�rité », en restituant au discours son caract�re d��v�nement au d�triment de la souverainet� du signifiant. Il rep�re dans la culture occidentale de deux grandes discontinuit�s : celle qui a la fin du XVIIe si�cle inaugure l��ge classique, � savoir la solidarit� entre la th�orie de la repr�sentation et les th�ories du langage, de la nature, de la richesse ; celle qui au d�but du XIXe si�cle ��marque le seuil de notre modernité » : la th�orie de la repr�sentation dispara�t comme fondement g�n�ral de tous les ordres possibles, linguistique, biologique, �conomique et politique, et l�Homme devient l�objet d�un savoir possible. Et la psychanalyse�?Les d�marches de ces penseurs se rejoignent en d�essentiels points de convergence, mais elles restent aux marges d�une culture dominante qui n�a pas craint de s�engouffrer corps et �me � si tant est qu�elle ait une �me ! � dans la voie ouverte par Freud. Il n�est pas question de nier ici l�apport ind�niable de la psychanalyse. N�anmoins, il semblerait qu�elle soit rest�e bien en de�� des immenses possibilit�s offertes par la d�couverte de l�inconscient : ainsi, focalisant sa recherche sur une partie seulement du mythe d��dipe, Freud en a �vacu� nombre d��l�ments, partant d�un �nonc� tronqu�. Ignorant l��pisode de la lutte opposant la Sphinge � �dipe, ne validant pas la victoire de h�ros sur le monstre, il abolit la perception du mythe dans sa totalit�. Doit-on s��tonner alors, si l�on admet que le d�but conditionne la fin, que le gland contient le ch�ne, que Freud soit pass� outre, non seulement la question du �continent noir�, mais aussi toute une dimension de l�inconscient restant � explorer ? Fonctionnant ainsi, ne s�est-il pas lui aussi fait poss�der par la puissance de la parole mythique, laissant happer sa th�orie par un mouvement unilat�ral qui refoule d�embl�e un �pisode que l�on pourrait lire comme le r�cit primitif � mais il en existe d�autres � de l��crasement du f�minin ? � Ce qui va suivre repr�sente une tentative d�articulation dialectique de deux visions du monde compl�mentaires et aussi indispensables l�une que l�autre : la pens�e rationnelle, objective, fond�e sur la n�cessaire diff�renciation objet-sujet largement repr�sent�e � mais qui de r�flexive semblerait �tre prise d�un irr�pressible mouvement la poussant � se mordre la queue � au d�triment de son compl�ment indispensable, un savoir traditionnel n� de ce qu�on appelle ��l�animisme��, fond�e sur l�attribution � toute forme appr�hend�e d�une dynamique inh�rente � la forme, et d�elle indissociable. � Le lien entre les diff�rents points de vue se noue � partir du regard focalis� sur l�image, elle-m�me lien entre deux mondes. ��La recherche de la figure d�un dieu ancien qui serait en relation avec des comportements humains collectifs ou individuels nous renseigne sur la situation relative de ces comportements dans l�histoire humaine. En outre, les mythes qui se sont d�velopp�s autour de la figure d�un dieu ou d�une d�esse constituent une source importante d�information sur la structure m�me du complexe psychologique auquel il renvoie. Enfin, l��volution linguistique et s�miotique du mythe au cours de l�histoire nous renseigne plus finement sur l��volution de ce m�me complexe sous l�effet de la marche de l�histoire... La mise en correspondance de ces figures antiques avec des faits contemporains ne vise pas � la r�duction de ces derniers � des composantes historiques connues... L��quivalence permet d��tablir que ces faits recouvrent des comportements d�j� rep�r�s par l�humanit� dans sa longue marche d��volution et cela r�duit l�impression d�unicit� et d�universalit� du fait. Si je per�ois que ce que je vis a d�j� �t� v�cu par d�autres ant�rieurement qui en ont con�u des contes et des l�gendes, c�est que, d�une part, mon v�cu est rep�rable et que, d�autre part, les questions que je me pose � ce propos ne sont ni saugrenues ni inutiles. Jung a nomm� amplification ce proc�d� (...) qui peut �tre �tendu � l�analyse historique.��[20] Les investigations qui pr�c�dent conduisent � poser l�hypoth�se que dans le monde occidental contemporain en crise, serpente l�image d�une divinit�, � d�masquer derri�re le voile des valeurs dominantes qui nous impr�gnent. L��dification du double rempart d�une morale s�curitaire, ciment� d�une inalt�rable esth�tique du lisse et du propre, rep�rables parce qu�omnipr�sentes dans les repr�sentations m�diatiques, sugg�re une r�action � une peur insurmontable face � un danger imminent. Quel est cet ennemi redoutable dont les traits se dessinent, r�p�t�s � l�envi sur nos �crans sans qu�il nous soit possible de le reconna�tre ? Qu�est-ce qui l�anime ? A ces questions, l�approche de la r�alit� globale du mythe et de l�image, en tant que productions d�une cosmogonie, peut fournir des �l�ments de r�ponse. Mais cela implique n�cessairement de rendre l�objet � son contexte individuel et collectif, l� o� il prend son sens, � un point convergence o� les approches purement rationnelles ne sauraient avoir prise, qui �vacuent l�essentiel exercice d�une connaissance de soi. L�image mythique, r�alit� permanente ancr�e dans la psych� individuelle et collective, devient alors un outil possible � une connaissance de l�Homme. Elle est miroir du pass�, mais aussi phare pour la construction d�une conscience du futur. Catherine Barb�, Paris 1996[1] � J. Favret, ��Sorci�res et lumi�re��, in Critique, 1971, N� 287, p.351-376. Les mots, la mort, les sorts. La sorcellerie dans le bocage, Paris 1977. [2] � Ces traductions terme � terme sont bien entendu tr�s r�ductrices : les trois termes consid�r�s recouvrent des zones plus larges (voir monographie : L��me et le corps, C. Barb�, FDRL&Cr). [3] � C.G.Jung, Les types psychologiques, p.404, Librairire de l'Universit�, Gen�ve, 1982. [4] � C�est moi qui souligne : j�aurai � revenir sur ces modes � propos de l�image. [5] � Psychanalyse du feu, p. 175, N.R.F., Paris 1949. [6] � Ibid., p.184. [7] � Bernard Teyss�dre, La naissance du diable, Albin Michel, Paris 1984. [8] � Ibid. [9] � La psychanalyse se sert du myst�rieux troisi�me terme de la dialectique cart�sienne, en le nommant : inconscient, articulant ainsi le myst�re du mythe et les terrains de la science, par la d�couverte du m�canisme de projection du sujet dans la mati�re que Jung met en lumi�re sur le mod�le alchimique. [10] � Se r�f�rant � la d�finition qu�il en donne lui-m�me dans cette M�ditation, � savoir�: ��Quelques-unes de mes pens�es sont comme les images des choses, et c�est � celles-l� seules que convient proprement le nom d�id�es.�� [11] � A. Kieser-�L Baz, O Isma�l, monographie, FDRL&C. [12] � In L�usage des plaisirs, Gallimard, Paris, 1984. [13] � ��L�Ecriture de soi��, in Corps �crit, n� 3, Gallimard, 1984. [14] � Graphie adopt�e par J. Duvignaud. [15] � In Magazine Litt�raire, n� 200, nov. 1983. [16] � R�gis Debray, Vie et mort de l�image, p.57, Gallimard, 1992. [17] � Ibid., p.151. [18] � Ibid., p.18. [19] � L�Afrique fant�me, 1934. [20] � A.Kieser �l Baz, La Terre ennemie, Th�se en cours. | ||
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