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Rep�res pour l'�tudes des mythes


Élément de décoration d'un portique de l'Alhambra
Mythographier

Le mythe, la raison et nous
Parution int�grale in Hommes et Faits juin 2000

Catherine Barb�

Les mythes ont toujours fait couler beaucoup d'encre. Chacun y va de son grain de sel et de sa science pour tenter de leur donner un sens et de r�pondre � la question : pourquoi une telle p�rennit� ? Des th�ories s'�laborent, s'�chauffent, s'�chafaudent historique, sociologique... ethnologique et m�me psychanalytique, mais elles restent insuffisantes, parce que parcellaires pour r�pondre � la question : en quoi le mythe parle-t-il de la profondeur de l'homme?

L'�tude d'un mythe est pareil au parcours des h�ros eux-m�mes : jalonn� d'�preuves.

Le premier �cueil se pr�sente dans la mani�re d'envisager les personnages : assimiler chaque personnage � un �tre de chair et d'os. Or le mythe n'est pas un ph�nom�ne individuel, mais une cr�ation collective qui s��labore sur une longue �chelle de temps. A ce titre, ses personnages repr�sentent des instances de la psych� humaine, qui plus est sur plusieurs couches d�histoire voire de civilisation. R�duire un h�ros mythique � un individu revient, pour celui qui �crit sur le mythe, � s'identifier t�t ou tard avec le personnage/h�ros en question. D�s lors, la n�cessaire distance avec l'objet d'�tude n'existe plus; l'on n'est plus le sujet qui m�dite sur un objet : l'objet envahit le sujet. Et nous voici habit�s par le mythe. Le pi�ge collectif se referme sur l'auteur. D'autant plus qu'il est clair que mythographier signifie pour l'auteur qu'il a quelque chose � voir avec ce mythe, qu'il est impliqu�. Aussi la premi�re question � se poser est-elle : en quoi suis-je concern� par ce mythe ? Quelle instance de ma personnalit� r�sonne avec lui ? Qu'est-ce que cela touche en moi ? C'est � ce point que le travail commence et l'on ne peut pr�tendre avancer sur le chemin de l'�tude rationnelle du mythe sans avoir per�u une amorce de r�ponse � cette question initiale.

Le mythe a sa vie propre, son mouvement, sa logique; les personnages qu'il met en sc�ne �galement, et l'ensemble franchit les limites de l'humain : c'est pourquoi il est impossible de prendre les h�ros mythiques comme mod�les de comportements humains : un meurtre, un sacrifice a sa raison d'�tre dans le r�cit mythologique, dans la r�alit� de tous les jours. Pour un individu donn�, le m�me acte serait r�v�lateur d'une pathologie. Dans les soci�t�s traditionnelles, on le dit poss�d� par un d�mon; dans notre soci�t�, nous dirions , avec Jung, qu'il est sous l�emprise d'un complexe autonome [1]


Si l'on parle de complexe autonome, on aborde d�j� un aspect de la psych�, mais le terme reste tr�s g�n�rique.

Dans le r�cit mythique la r�alit� d�crite n'est pas la r�alit� physique objective, c'est la r�alit� de la psych�. Aussi chaque personnage repr�sente-t-il non pas un individu de chair et d'os, mais une facette de la psych� collective totale.

Or celle-ci n'est pas un bloc monolithique, mais une masse d'�nergie en perp�tuel mouvement, tendue , sous tendue, articul�e selon deux p�les dialectiques (polaris�e) : conscient/inconscient ; masculin/f�minin.

Ainsi, chaque personnage du mythe repr�sente-t-il une facette particuli�re de la psych�.

Un personnage f�minin, par exemple, ne peut-il repr�senter qu'un f�minin collectif, � situer selon la quaternit� propos�e par Jung[2] ? Il rev�t ainsi une quantit� presque infinie d'aspects : L'�l�ment maternel � l'autorit� magique du f�minin � la sagesse � l'�l�vation spirituelle au del� de l'intellect � ce qui est bon -protecteur, patient, ce qui soutient � ce qui favorise la croissance � la f�condit� � l'alimentation � le lieu de la transformation magique � de la renaissance � l'instinct ou l'impulsion secourable � ce qu'il y a de sacr�, de cach� d'obscur � l'ab�me, le monde des morts, ce qui d�vore, ce qui s�duit ce qui empoisonne, ce qui provoque l'angoisse, l'in�luctable . � [3]

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� ... les mythes et les contes de la litt�rature universelle renferment les th�mes bien d�finis qui reparaissent partout et toujours. Nous rencontrons ces m�mes th�mes dans les fantaisies, les r�ves, les id�es d�lirantes et les illusions des individus qui vivent aujourd'hui. Ce sont ces images et ces correspondances typiques que j'appelle repr�sentations arch�typiques... Elles nous impressionnent, nous influencent, nous fascinent. Elles ont leur origine dans l'arch�type, qui, lui-m�me �chappe � la repr�sentation, forme pr�-existante et inconsciente... � C. G. Jung in Aspect du drame contemporain.

Catherine Barb�, le 12/11/1991

Le mythe, le f�minin et notre conscience

Illel Kieser pose le principe d'une conscience blanche occidentale qui se pose comme universelle alors qu'il existerait dix ou douze autres formes de conscience possibles, � chacune pouvant �tre qualifi�e de la m�me fa�on que la n�tre �.

Parlant de f�minitude et de n�gritude, il se demande si ce ne sont pas l� des concepts � commodes pour une doctrine de la domination �.

� l'homme blanc, au nom de tous les pouvoirs, y compris psychiques, s'est arrog� le droit � l'exclusion de toutes les autres formes de repr�sentation du monde. �

Ainsi, une �tude critique de l'histoire r�cente de la psychologie montre que la m�re, la g�nitrice, a �t� longtemps prise dans un faisceau de projections qui a fait d'elle une sorte de personnage omnipotent, donneur de vie, dispensateur de chaleur et de nourriture mais aussi capable de nuisances graves � l'�gard de l'enfant. Que n'a-t-on pas dit de la m�re du psychotique ?
� ... trop souvent la m�re reste l'objet de projections si violentes et n�gatives qu'il convient de s'interroger sur la source de ces repr�sentations. � Dans ce cas, en toute rationalit�, la m�re est confondue avec un personnage mythique et qu'importe que ce r�le � quant au pouvoir sur l'enfant, en bien comme en mal � soit �galement tenu par les institutions d'accueil, par l'�cole, par les organismes sociaux...
Seule la m�re est en cause ! Nul ne s'interroge sur sa position charnelle, humaine, faite d'amour et de contradictions multiples. Nul ne songe � la responsabilit� de l'entourage et, par suite � celle, plus globale, de la soci�t�.

Mon hypoth�se de d�part s'inscrit dans la continuit� de ce discours, � savoir que M�d�e est une repr�sentation d'une des ces formes de conscience collective, rejet�es dans l'ombre par la conscience masculine au pouvoir, dont l'�mergence reste � venir.

Il m'aurait �t� plus ais� de traiter le mythe sur un mode plus classique et moins original. C'e�t �t� confortable et s�curisant de pr�senter M�d�e comme une expression de l'Anima, ou m�me de traiter du probl�me sur le plan de la conscience f�minine individuelle. La tentation fut immense de faire machine arri�re, quand exposant, dans ses grandes lignes, mon projet d'�criture � un psychologue clinicien d'ob�dience jungienne, je re�us comme un coup de fouet, les manifestations de son incompr�hension, peut-�tre feinte... � Conscience f�minine collective, je ne vois vraiment pas ce que tu veux dire... � C'�tait une femme, et elle ne comprenait pas. Il est vrai que mon expos� ne pouvait �trelumineux, dans la mesure o�, avan�ant en terrain vierge, je ne disposais pas de tous les �l�ments th�oriques, ni m�me du vocabulaire ad�quat.

Comme point de d�part � la d�monstration, il faudra qualifier pr�cis�ment la conscience au pouvoir, masculine, blanche, rationnelle, lumineuse et en regard, la conscience f�minine telle qu'elle transpara�t dans le personnage mythique : autre, tiss�e d'ombre, barbare, magicienne....

Pourquoi M�d�e, pourquoi le mythe ?

De nos jours, dans la soci�t� occidentale, il semblerait que le mythe ne se vive plus de l'int�rieur : on glose, on en d�cortique la symbolique, mais le lien ne se fait plus entre la personne et ces images qui vivent � l'int�rieur d'elle, sinon pass�es au crible de la psychanalyse. Autrement en est-il en Inde, en Afrique...

Le mythe est justement la premi�re victime de la rationalisation � outrance de la conscience blanche. Le mythe est tronqu�, r�cup�r�, universalis� au profit de l'id�ologie dominante : ainsi �dipe. N�anmoins, le mythe continue � vivre au-dedans de chacun de nous, un rapide tour d'horizon de l'imaginaire de nos contemporains suffit � le prouver. Mais il agit dans l'ombre, parce que non int�gr� � la conscience.

Force m'est de retracer l'int�r�t que je porte � celui de M�d�e. Je ne l'ai pas choisi ; il m'a �t� impos� de l'ext�rieur. J'avais seulement envie de travailler sur un mythe grec dans le cadre d'un m�moire de ma�trise, il y a treize ans. Et d�j� la force du nom fit son �uvre. Mon premier travail, apr�s avoir pris connaissance du r�cit mythique fut de le retrouver dans mon histoire et je r�alisai rapidement que nos chemin s'�taient crois�s depuis ma naissance. D�s lors, ce fut la fascination, j'�tais m�d-us�e. avant l'heure

Force du nom, M�d�e, M�duse : m�me racine �tymologique, en relation avec l'acte de penser, de m�diter. Et imm�diatement le renvoi � ma propre difficult� � organiser ma pens�e : confusion du thumos et des bouleumata, du centre du sentiment et de celui de la volont� : centre du d�bat chez le personnage lorsqu'il s'agit de prendre la d�cision de sacrifier ses enfants.

Et puis derri�re cette racine officielle, une autre hypoth�se, r�fut�e par les sp�cialistes la racine Med- aurait � voir avec les testicules, r�servoir de sperme.

Pourquoi ne pas tenter une incursion de ce c�t�, alors qu'il est si souvent question du lit dans le texte d'Euripide.

La M�d�e d'Euripide, pourquoi cette trag�die plut�t qu'une autre, alors que le mythe est constitu� de toutes les versions auxquelles il a donn� lieu ? Parce que c'est la premi�re dont le texte nous soit parvenu intact, avec cette difficult� que la version qu'elle propose est d�j� largement rationalis�e, par rapport aux bribes qui nous restent de textes ant�rieurs. Mais il subsiste dans le texte des zones d'ombres, et c'est dans ces failles � la logique rationnelle que je me propose de plonger.

Au-del� de cette �uvre, force m'est de retourner, apr�s quelques ann�es d'errance et de r�flexion m�l�e, de retourner � mon corpus initial, monstrueux pour un m�moire de ma�trise, n�cessaire et adapt� au pr�sent travail : M�d�e, d'Euripide � Pasolini, auquel je pourrais m�me ajouter aujourd'hui celle de Marie Cardinal.

Pasolini a trait� deux trag�dies grecques : �dipe et M�d�e. Fait int�ressant � souligner dans la perspective que j'ai choisie : �dipe sur lequel se fonde l'universalit� de la conscience blanche dominante, d�clin�e au masculin ; M�d�e, femme et barbare.

D'Euripide � M.Cardinal, le mythe n'a pas chang� de discours : � peine celle d'Anouilh est-elle plus � peuple �, boh�mienne un tantinet grossi�re, mais toujours m�re meurtri�re. Nous vivons en des temps o� le tragique a chang� de niveau. Dieu est mort, ecce homo !

Ainsi du Voyage des boh�miens, film d'Angelopoulos, reprise de la l�gende des Atrides. Sans doute serait-il int�ressant de creuser cette tendance des auteurs modernes � transporter les antiques h�ros dans la roulotte des gens du voyage. Pourquoi repr�senter ces surhommes, ces demi-dieux sous les traits d'individus si mal consid�r�s par leurs semblables s�dentaires, coupables de tous les larcins ?

Et s'il ne s'agissait apr�s tout que de parler de l'errance, d'une qu�te, jamais finie, celle de la conscience ?

Evidemment sur ce mode, le champ est large des versions qui restent � �crire : M�d�e juive, ou sid�enne. Les griefs restant au fil du temps les m�mes contre les parias, anciens et nouveaux, que ceux dont furent victimes les magiciennes devenues pour l'occasion sorci�res. Et la soci�t� civile, semblerait-il, n'a rien envier � l'Inquisition.

Quel plus bel exemple quand le but avou� est de saisir la permanence du mythe, ce qui, par-del� les fronti�res et le temps, reste inscrit dans l'homme. Des si�cles d'ombre, et soudain une flamm�che se fait fulgurance, �toile filante �merge de la masse des t�n�bres et s'en va t�lescoper la myriade de lumi�re. Une �toile na�t quand une autre s'�teint.

Errance, la mienne propre aussi, dans les d�dales de la pens�e, domaine o� je suis si peu habile. Ainsi en va-t-il de l'emprise du mythe. Ce qui me relie � ce mythe n'est seulement tangible dans les th�mes : la connaissance, le sacrifice, mais aussi dans le mouvement qui m'anime. Au-del� de ce qui est rationnellement transmissible, l'itin�raire, le mien, celui du travail accompli, les �cueils, dans la confrontation avec la rigueur, avec la m�thode�

  • Axe diachronique, mais insuffisant � faire le tour du sujet�: ma recherche se d�ploie n�cessairement en �toile. Le mythe de M�d�e ne peut �tre �voqu� sans qu'on lui associe ses s�urs terribles, H�cate, Ph�dre...
  • Autre axe : une recherche comparative sur les multiples r�f�rences � la Th�mis de Zeus, les chevauchements historiques des mythes, le droit � ainsi en est-il de l�ambigu�t� dans l'utilisation du vocabulaire juridique : l'antique Th�mis et la nomos, loi civique, sous le haut patronage d'H�cate.

Ma d�marche se veut anthropologique, mon terrain d'observation tout d'abord le couple, et plus largement l'institution, la soci�t� vues sous l'angle de la relation homme/femme. Ma recherche se limite aux cultures o� le mythe resurgit, � diff�rentes �poques du Ve si�cle avant J�sus-Christ � nos jours.

Au tout premier plan, le lien qu'entretiennent sur ces terrains id�ologie et morale�� �thique du couple, et par rapport aux enfants � �ducation et relation.

D�marche difficile parce que je suis loin d'�tre moi-m�me � l'abri des d�rapages id�ologiques. Qui n'a pas un jour donn� comme v�rit� premi�re ce qui se r�v�le un simple jugement moral ?

Mon point de d�part : une d�marche personnelle, �go�ste de connaissance de moi.

A l'arriv�e, un besoin de transmettre, non pas des conclusions, car je suis bien �loign�e de pouvoir en tirer, mais seulement les �tapes de mon cheminement, de mon exp�rience. Besoin de transmettre, comme un devoir moral, n� de discussions avec des femmes, des hommes, des couples, d'�changes sur les probl�mes de couple, de relation avec les enfants, o� revient le leitmotiv : � on se laisse bouffer par les enfants, il ne me laisse pas tranquille � ... ��Cr�ativit�, sexualit� : c'est pas le pied�!��

Probl�mes du quotidien qui �crase ?

Quel rapport avec M�d�e ?

Autre difficult� justement : le mythe ne se manifeste pas forc�ment d'une mani�re imm�diatement intelligible, � laquelle s'ajoute que je ne travaille pas sur le passage � l'acte : l'infanticide r�el n'est pas mon sujet. Je ne parle que du sacrifice.

Quel sacrifice est pour la femme � la base de son acc�s � une conscience sp�cifique du f�minin ?

Et il faudra bien parler du f�minisme, de ses heurs, et mal heurs. F�minisme d�clencheur, d�clic, coup de jus, b�ton dans la fourmili�re, mais aussi radicalisation, dont femmes et hommes �prouvent aujourd'hui � leur d�pend les cons�quences.

Quid de la femme-femme ? La p�d�g�re ? Quid des valeurs du f�minin ? Quid de la maternit� ? Quid des forces de la r�action, des retours progressifs sur les lois contre l'avortement.

L� pointe le moralisme : je serai tent�e de dire, de pr�cher : mes s�urs, il est temps de faire machine arri�re, de reconna�tre nos erreurs, nos errements. Voyez comme nous sommes, travailleuses, m�res, �pouses, accabl�es par la t�che, les difficult�s o� nous nous sommes mises de suivre les pionni�res, les amazones. Etre femme aujourd'hui, qu'est-ce que c'est ? Et quelle femme suis-je ?

Catherine Barb�, le 12/04/1993


[1] � Le complexe est constitu�, pour Jung, de toute perturbation qui barre la libert� de la conscience (Les d�mons du M. A. par ex.).

Il existe trois niveaux de complexes :
a - les complexes inconscients au sens strict (ni)veau de l'inconscient collectif, contenus arch�typiques.
b - les complexes li�s au m�canisme du refoulement(selon l�acception freudienne - niveau de l'inconscient personnel)
c - Les complexes conscients ( niveau du moi conscient).

[2] � In Racines de la Conscience, p.89 � 98.

[3] � In M�tamorphoses de l'�me et ses symboles.

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