Aux sources des peurs, le mythe
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Le robot et le loup
Tous droits réservés ©
Lierre & Coudrier
éditeur
Illel Kieser 'l Baz — Houria
Extrait de Houria, inédit, Paris
1989.
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Table des matières
I – Introduction
II – Le robot, nouveau maître
La construction du Moi, naissance du monde moderne
Place au nouveau maître
Le robot et l'adulte
Le modèle de la voiture
Les robots électroniques
Le loup est mort !
III – Le robot, nouveau héros
Vivacités enfantines et morales parentales
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D'antiques
spectres millénaristes resurgissent au point que la vague moralisatrice paraît
comme seule voie de salut face à ce que l'on nomme violence, insécurité ou
accélération non contrôlée du progrès. Effrayé, l'Occidental moyen en
arrive à recourir aux pires méthodes de préservation pour conserver ses
dogmes, ses rites, sa sainte trilogie, Sécurité, Stabilité, Santé.
Le long labeur de la civilisation paraît menacé car c'est lui l'accusé
d’un procès où la peur du devenir fige chacun dans une attitude frileuse
et stérile.
On se demande également quel a bien pu être le bénéfice des religions
qu'il faille, sitôt la mort de Dieu, retourner aux cavernes pour mieux
s'exercer à la sauvagerie. Quelle confiance peut-on accorder à un retour du
sacré, même dans l'espoir de mieux vivre la modernité ? La sacralité
porte-t-elle davantage de fruits sous le costume colorié des « nouvelles spiritualités
» que vêtue des habits solennels des prêtres et des
officiants d'antan ?
Une culture meurt et, plutôt que de faire face, d’envisager les solutions
les plus courageuses et les plus humaines, nous trouvons refuge dans des rêves
nostalgiques.
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Dans l'imaginaire de l'enfant moderne, désormais, le robot remplace le loup ou la sorcière. La substitution s'est faite avec simplicité... Celle-ci s'insère logiquement dans les moments d'évolution de l'enfant.
Vers trois ans, l'enfant voit croître en lui une forme de conscience qui le distingue du monde extérieur lui permettant une entrée progressive dans celui-ci. Le Moi se forge alors dans une lutte angoissante contre le monstre avaleur qui menace la toute jeune conscience émergeant vers la lumière des Humains. C'est sur la base de cette figuration que s'illustre le processus de naissance au monde concret, hors des flots sombres de l'inconscient. Durant cette période, la jeune conscience est menacée - parce que à peine née
– de ré-engloutissement par les flots sombres du chaos, de la "non-vie". Les figurations de mère
"avaleuse", "engloutisseuse", "mauvaise" ou "castratrice" sont destinées à représenter ce mouvement de la "vie en soi". La mère réelle ou son substitut incarné ne sont nullement en cause. En dehors de
pathologies gravissimes, aucune mère au monde ne pourrait atteindre ce niveau de cruauté froide en détruisant les jeunes forces de l'enfant. Par contre à travers ses imagines, ses angoisses et ses cauchemars, l'enfant perçoit le puissant mouvement de la vie en lui. Ce dernier lui est en quelque sorte "révélé" de manière puissamment sensitive et affective.
C'est à partir de cette valse d'images que se forgent les premiers éléments du Moi, adaptable et pilote de la conscience. La conscience libérée de la gangue indifférenciée du monde antérieur fabrique désormais des outils de transformation du monde.
L'enfant apprend à manipuler les robots électroniques du monde moderne et en luttant contre ces silhouettes mutantes, contre ces structures aux fonctions multiples, le jeune humain se crée les moyens de faire face à un monde dans lequel la forme extérieure des objets n'est plus stable. Les outils psychiques de transformations du monde se perfectionnent.
Mais le monstre est là, de forme massive, denté, la gueule
engloutisseuse, menaçant, fascinant, il guette de sa présence éternelle...
Quand le monde environnant était celui de la nature sauvage, que la terre à cultiver était encore habitée de bêtes fauves, les images d'émergence de la conscience créatrice se développaient autour du thème d'un combat contre les fauves de la jungle. C'est autour de ces figurations que se développèrent les rites initiatiques d'affrontement de la forêt sacrée. Il fallait que le jeune, l'adolescent
- celui qui va devenir adulte -, montre sa capacité à tirer parti de ses qualités physiques et psychiques pour faire face au monstre engloutisseur qu'était la jungle, au profit de sa communauté et pour la plus grande gloire de son petit Moi.
En d'autres temps, les humains eurent plutôt à vaincre la masse sombre d'une morale barbare. Les grandes villes étaient déjà nées, une partie de l'humanité se sentait déjà apte à maîtriser de nombreuses techniques, mais les centres urbains étaient insalubres et dangereux. Il fallut maîtriser ces masses psychique encore proches de la violence d'antan. Les grandes morales naquirent, le
Taoïsme, le Judaïsme, la Philosophie grecque, etc.
Chaque fois le jeu des images changeait de forme, pas de structure ni de finalité.
Au Moyen Age, un pauvre animal en voie de disparition, le loup, figura ce pouvoir terrible de la Nature sauvage et, par suite, l'inconscient qui menace la jeune pousse trop faible pour affronter le monde
turpide. De nos jours, l'engloutisseur, le monstre, c'est bel et bien l'inconscient dont l'enfant se détache. C'est ainsi que nos systèmes de connaissance nomment une zone de la psyché qui demeure voilé d'un épais rideau de mystères et de dangers. L'enfant moderne, assuré d'une longue stabilité matérielle n'a plus à faire face à une nature externe, végétale ou animale, il lui faut affronter les monstres noirs de ses rêveries intérieures. Et c'est dans son environnement immédiat que l'enfant trouvera les formes capables de figurer cette danse des masses psychiques. Les grues, les gros excavateurs, les ordinateurs et les robots vont remplacer le loup sur lequel désormais, l'enfant s'apitoie plutôt.
La première coupure conscient/inconscient se produit à ce moment de la vie et c'est
grâce à elle que l'enfant prend la mesure de ses jeunes forces. L'en priver, lui ôter les moyens de ce passage, en le protégeant par exemple, c'est menacer gravement son potentiel adaptatif. Laisser l'enfant faire ses propres expériences ne veut pas dire l'abandonner à lui-même face au monstre dévorant de sa nature intérieure. C'est par le jeu des images intérieures, par le truchement de représentations, hors des balises du rationnel, que l'enfant trouvera les moyens de s'aguerrir et de fortifier son jeune
ego.
Les anciens nous avaient légué un patrimoine mythique et légendaire abondant dont le but était, par la répétition, le récit et la narration de montrer le chemin de la domestication du monstre/loup/inconscient. Les récits au coin du feu, les légendes du croque-mitaine, etc. permettaient à l'enfant de prendre en compte la dimension puissante et créatrice de l'inconscient/nature et cela lui permettait aussi de pressentir les issues possibles vers la réalité objective du monde environnant. C'est de là que découle cette prodigieuse victoire de la ruse sur la force car l'enfant, animé par le mythe, au lieu d'être guidé par des rationalisations qui balisent tout, apprend à faire confiance à l'intuition qu'il peut avoir de la situation et ce, sans avoir de plan préconstruit. L'enfant apprend l'inventivité grâce à l'adaptation qu'il fait du récit mythique ou légendaire face à la réalité telle qu'il la vit. La violence qui s'expose dans les mythes et les contes est une sorte de représentation des puissances en jeu dans l'inconscient. La cruauté si bien affichée dans les légendes n'est également rien de plus que l'affectation par des générations innombrables d'êtres humains de la puissance ambivalente de la Nature. La même que celle que Olivier Boissière pressentait dans les paysages asséchés de l'Arizona.
"Ces landes ont vu se pétrifier les Titans. Rien ici n'est paisible. La nature dans toute sa violence. Le ruisselet qui serpente sous les frondaisons de cottonwoods et de junipers peut en un instant se muer en torrent dévastateur emportant tout sur son passage. Partout, même dans la forêt de pins ponderosas des hauts plateaux, la roche affleure, dénudée, visible. Mère nature en nourrice sèche, cassante, exigeante, voire meurtrière. On saisit mieux à ce spectacle la terreur sacrée des indigènes, leur soumission religieuse à la terre et à la montagne, l'attachement farouche à leur sol aussi. Quelque chose comme la tendresse et la frousse qu'inspire aux marins l'océan. "1
L'histoire de l'être humain semble rivée à la résolution de la peur, comme si seul ce sentiment pouvait signifier qu'il y ait quelque chose à vaincre, une résistance à passer et finalement une réelle conquête à opérer sur le monde. Un enfant qui ne connaîtrait pas cet assaut de la crainte et de la peur face aux puissances de la Nature2 serait menacé de ne pas pouvoir accéder efficacement au monde de l'adulte, par manque, à la fois, de souplesse, de force et de capacité à changer et à ondoyer dans les interstices du réel. Que veut dire protéger un enfant si nous ne savons pas lui donner la possibilité d'affronter ses monstres intérieurs pour les domestiquer, mettre leur force au service de la conscience. Au lieu de cela, bien souvent parce que nous sommes inconscients de l'enjeu et que nous n'avons pas su nous-mêmes dominer cette peur, nous transmettons à nos enfants la crainte du monstre/robot, pris ici comme métaphore du monde technique dans lequel nous vivons.
Notes
1 – "L'Arizona de John Wayne", Olivier Boissière, Le Monde du samedi 18 Novembre 1989. De tels témoignages contrastent avec ceux des hommes de sciences car il apportent une vision directe de l'émotivité qui est derrière l'aventure de la technique, le spectacle naïf en quelque sorte.
2 – Nous parlons de peur face aux forces de la Nature et non face à un maître ou à un héros quelconque, fondement de toutes les idéologies totalitaires. La confrontation solitaire à la Nature permet à l'enfant de s'affranchir de toute tutelle à mesure de son évolution.
Et la nature, c''est aussi le corps.
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La rencontre de l'enfant moderne, du robot et du loup revêt un caractère étrange.
L'enfant, bien plus que l'adulte est amené à réagir de façon adaptée, rapide et pertinente aux sollicitations du monde alentour. Pour lui, cet affrontement est frappé du double sceau de l'ambivalence. D'un côté la curiosité pour le monde, nourrie par la puissance de l'éros qui pousse l'être vers le monde, de l'autre, la peur, le suintement de l'angoisse qui noue le ventre et tord les viscères.
" J'étais avec mon fils près d'un chantier de démolition et nous regardions évoluer les puissantes grues avec leur lourd bélier qui abattaient d'immenses murs comme s'il s'était agi de paravents. J'avais déjà repéré chez lui des rêves effrayants, lesquels étaient tous en rapport avec ses robots/jouets. Pour l'aider à
pousser je lui avais parlé du loup... et autres fauves de la nuit. Rien ne fonctionnait comme mes maîtres me l'avaient annoncé. Je fus très surpris de constater qu'il n'avait pas du tout envie de s'approcher des grues. Il paraissait même franchement effrayé. Décidément ses terreurs prenaient des allures bien singulières. Il en fit une véritable obsession durant la journée qui suivit. La grue avaleuse était passée dans ses jeux et fantasmes aux côtés des robots et autres figures cuirassées. Je l'initiai donc à la domestication de la grue/robot à l'instar de ce que l'on m'avais déjà appris pour domestiquer les monstres de l'inconscient. Je tenais cette méthode de ma vie en Afrique. Selon les vieux africains, au lieu de favoriser le refoulement des peurs dues aux images intérieures effrayantes, les adultes ont pour rôle principal de faciliter l'intégration de celles-ci en aidant l'enfant à éprouver ses premières forces en se mesurant aux monstres... avec l'appoint des forces parentales. C'est à cette fin que des jeux sont mis en place qui miment l'approche, le combat et finalement la victoire de la conscience sur le fauve titanesque que l'enfant rapporte à sa tribu comme gage de sa jeune puissance.
Je suggérai donc à mon fils de se reposer sur moi ou sur sa maman pour faire face aux robots de sa nuit, aux excavatrices de son inconscient.
Ses pérégrinations lui permirent au moins de considérer les robots un peu plus comme des jouets. Il se mit à les manipuler, à en construire. Il ne les détruisit plus.
Quel impact cela eut-il sur son évolution ?
Je ne sais. Nous verrons dans vingt ans , lui et moi !".
A la suite de cette anecdote je décidai de me pencher sur le problème et en parlai à ceux de mes amis qui pouvaient avoir des enfants en âge de passer au stade de la conscience (3 à 4 ans). Les informations vinrent confirmer mon
hypothèse de départ : Il existe bel et bien une équivalence psychologique entre l'ancienne Nature et la Culture contemporaine. "
Nous n'avons plus de forêt sacré mais nous sommes chaque jour à la lisière d'une jungle terrifiante, celle de nos images intérieures qui défilent sans ordre. L'enfant citadin
sait où est son monstre et il convient seulement de lui donner les moyens de pénétrer dans sa forêt intérieure. Pour cela il suffit simplement de savoir que "ça existe".
Les vieilles légendes meurent, les enfants ne croient plus en la puissance terrifiante du loup qu'il soit simplement habillé ou revêtu des attributs du garou. Certains intellectuels sont ravis d'une telle transformation de l'espèce humaine et se frottent les mains à l'idée que l'humanité s'affranchit des terreurs anciennes, désuètes et idiotes. D'autres au contraire se lamentent de nostalgie et prônent déjà un retour aux traditions légendaires. Nous pourrions comprendre ces jérémiades de nantis si nous ignorions que la crainte des choses obscures qui gisent au fond de l'âme révèle aussi chez l'enfant la naissance d'une forme de conscience, la réplique exacte de celle qui saura plus tard maîtriser les outils de la modernité, construire des robots pour améliorer la vie, pas forcément pour la détruire...
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Il existe beaucoup de rêves de robot chez l'adulte, ceux-ci n'expriment pas forcément une tendance mécaniste de la psycé. Les terreurs contemporaines sont bien plus du côté de la mécanique et de l'électronique que provoquées par des aventures dans une jungle transformée en réserve africaine. En nous tournant vers des scènes de la vie quotidienne nous constatons que l'homme moderne projette sur ses outils et sur la technique les fantasmes que nos ancêtres attribuaient plutôt aux monstres de la nature environnante : fantômes, démons, elfes et autres animaux fantastiques...
Ne parle-t-on pas de virus informatique, de parasites dans les logiciels ?...
Lisons ces lignes extraites de "L'événement du jeudi" du 31 mars 1988 :
"De son côté, Chirac, qui a voulu incarner l'avenir a fini par en faire un peu trop.
Transformé par ses conseillers en image en vue superman jeune, heureux, sans souci d'argent, sans ennui de santé, il s'est en quelque sorte deshumanisé.
Décontracté, excessivement décontracté, ayant un peu vite réponse à tout, il fait quelques fois penser à un robot et à ce titre il inquiète.
Car un robot, aussi avenant soit-il n'est jamais autonome ; il existe toujours, dans l'ombre quelques hommes mystérieux qui l'ont programmé."
Ainsi s'exprime un journaliste que l'on ne peut pas soupçonner de se livrer à des interprétations psychologiques fantaisistes. Cette remarque exprime pourtant quelque chose de vrai au plan de l'imaginaire.
Face aux outils modernes, l'homme a peur, terriblement peur que le contrôle de la machine ne lui échappe. Ce n'est pas un thème de science-fiction, c'est une hypothèse largement débattue par les experts. Ses terreurs se portent désormais sur la micro-nature et sur la technologie. C'est en elle que logent les démons. Toute cette foule se trouve aussi maintenant dans le corps de l'homme et dans les atomes qui servent de base à la technique. L'être humain a désormais peur d'être pollué, infiltré par des sortes de parasites qui le détruisent et par des virus intelligents.
Le loup s'est déguisé en robot et Merlin, le magicien, pilote désormais des ordinateurs sophistiqués.
L'homme et la femme modernes sont bien plus effrayés par la complexité du monde moderne que par les dangers d'une Nature qui n'existe plus. Pendant que l'enfant, dans un réflexe simple et immédiat se prémunit seul des craintes que ses parents lui lègue.
La véritable révolution de l'ère moderne se situe dans ce passage quasi imperceptible d'un objet réel/naturel à un objet réel/culturel.
Qu'est ce qui agite l'Homme moderne pour qu'il soit aussi méfiant à l'égard de la technique et prêt à en brider l'utilisation. L'Ethique, nouvelle déesse purificatrice, complète remarquablement l'écologie pour ce qui est de freiner les "progrès" de la technique. L'écologie apporte la pondération, l'Ethique l'ordre moral.
Cette position est fortement chargée d'ambiguïtés. D'un côté, pour la préservation de son bien-être et de sa santé, l'individu moderne demande à celle-ci d'être la plus performante possible, de l'autre il lui est impossible de supporter les conséquences de cette demande : la blessure d'une planète qui saigne et menace de mourir.
Dans un sursaut de bonne conscience il accuse la société, les cadences, l'inhumanité des villes... Le réflexe écologique vient à point, traduisant le désir de revenir à Nature naturante comme au temps du paradis, dans l'harmonie. Malgré tout, le réflexe écologique, même s'il paraît être le seul qui soit légitime face aux agression de la technique, n'est pas totalement assumé ni clairement justifié. La conscience écologique, telle qu'elle s'étale communément, est une mauvaise conscience qui abrite des morales douteuses, fondées sur la peur. Il n'est pas sûr que l'écologie scientifique se reconnaisse tout à fait dans cela. L'Homme moderne ne se rend pas très bien compte que science et technique vont ensemble et sont les fruits de l'Humanité elle-même. Tout se passe comme si les humains ne supportaient pas d'avoir à surmonter les difficultés dues à la maîtrise des techniques. Pour l'occidental, tout devrait être facile et couler de source. Qu'une menace plane et il se sent trahi, c'est bien au travers de cette trahison que se dessine ce sentiment de déchéance et de dégoût de soi, si poignant dans les idéologies contemporaines.
L'enfant divin est abandonné ! L'Occidental est empêtré dans l'incompréhension de l'objet qu'il a créé et qui n'est pas le moins important dans le champ culturel car il s'agit en fait de l'ensemble des outils sur lesquels reposent la société moderne. Parmi ceux-là, l'électronique semble devoir subir le sort particulier du fils honni, réitération du mythe de Caïn. L'informatique est visée par les campagnes d'épuration de la culture.
Il suffit en effet de lire n'importe quel magazine pour constater combien l'Homme nourrit à l'égard de l'outil un immense soupçon. Les humains qui habitent l'Occident sont devenus profondément méfiants à l'égard du monde qu'ils ont créés. Partout c'est le procès de l'outil qui s'annonce et l'on oublie volontiers que " derrière le robot, dans l'ombre il existe toujours quelques hommes qui l'ont programmé. " ... Ce qui veut dire que nos consciences contemporaines reproduisent le mythe du complot. Et cette opinion se répand bien plus parmi les gens autorisés que chez le vulgum pecus.
Voici par exemple l'opinion d'un savant, Pierre Thuillier, spécialiste de futurologie et qui enseigne l'histoire et la philosophie des sciences. "Pollution, dégradations et déséquilibre se multiplient; les sociétés industrielles disposent de techniques puissantes et exercent de telles violences sur l'environnement que les pires excès sont à redouter. La conclusion écologique va quasiment de soi : freiner le processus destructeur chaque fois que c'est possible. "3
Cette opinion est très répandue mais, de la part d'un savant cela résonne avec force. Pollution, dégradations... riment avec techniques. La société industrielle est inculpée. Ses techniques sont "violentes"...
Comme à regret le sage en arrive à dire que la solution écologique s'impose mais il sous entend aussi qu'il ne s'agit pas de la meilleure solution : freiner le processus destructeur... La solution écologique se trouve donc du côté conservateur, c'est ce qui semble gênant, elle est freinatrice de progrès et n'est qu'un signe de défense. Sur ce point de nombreux savants s'entendent pour dire que le réflexe écologique est une sorte de geste
d'autodéfense qui est le moins négatif. Il n'est pas sûr que l'écologie ne soit que cela, pourtant c'est ce qui prévaut pour l'instant.
En marge du procès de l'outil, c'est celui de la programmation - donc d'un manipulateur - qui commence. Déjà les krach boursiers sont mis au compte de l'informatique, les pannes diverses des administrations lui sont imputables. Et beaucoup d'individus ont par rapport à l'outil informatique une attitude étonnamment animiste. L'outil est animé, on lui parle, on l'insulte, il se crée entre lui et l'humain une sorte de lien empli de mana.4 Il n'est pas sans intérêt de constater qu'il se passa quelque chose de semblable au moment de l'arrivée de la voiture sur le marché des ménages.
Notes
3 – L'Histoire, magazine nº 125 - septembre 1989.
4 – Terme inventé vers 1881 par R. H. Codrington,
missionnaire et linguiste. La Mana est ce qui anime les objets, dans les cultes
animistes mélanésiens ; c'est une sorte de véhicule spirituel. Chaque objet est doté de sa mana propre.
On doit à C. Lévi-Strauss la généralisation de ce terme : « une forme de pensée universelle
et permanente ». Néanmoins le terme est peu à peu abandonné par les anthropologues.
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Nombreux furent les hommes qui eurent avec leur mécanique un lien d'ordre amoureux.
La machine était aimée, elle s'appelait "Titine", on la flattait dans les côtes pour la soutenir dans son effort, on s'inquiétait pour elle quand elle toussait ... Puis la voiture fut banalisée et l'on oublia sa charge affective puissante désormais passée au sens commun. Mais la voiture demeure dotée d'une très forte charge affective qui tient du tabou ; tout se passe comme si cet outil dangereux représentait une zone sacrée, or voilà un instrument terriblement bruyant, dangereux, très polluant et dont les ressources mécaniques n'ont aucun rapport avec ce qui lui est demandé.5 Dans de nombreux cas, sauf chez les professionnels, la voiture est plus qu'un vernis de représentation. Nul ne peut y toucher. Si bien que les gouvernants qui gèrent ce secteur selon une ligne fortement démagogique, plus qu'ils ne la gouvernent, ne peuvent pas réglementer l'utilisation des véhicules automobiles selon des objectifs cohérents avec ceux de la Nation. Pour soutenir ce mythe moderne le prétexte économique ne suffit pas et même les écologistes demeurent à ce sujet dans une certaine ambivalence. Quel adulte financièrement autonome ferait actuellement le sacrifice de sa voiture pour n'utiliser que les services des professionnels de la conduite ou des transports en commun ?
L'affectation de la voiture est passée dans les mœurs et il faudra beaucoup de temps pour sortir d'une telle idolâtrie. Or, c'est bien cela qui nous démontre que l'Homme moderne est dépassé par l'outil qu'il a créé. La conscience n'a pas suivi les rythmes des changements.
L'informatique et ses industries périphériques sont en passe de subir le même investissement affectif au grand ravissement des producteurs et créateurs de ces produits. La marge économique des produits de l'électronique est telle que tout psychologue y soupçonnerait l'existence de quelque objet précieux surinvesti par la psyché de nos contemporains. Les marges atteignent parfois dix fois le prix de revient. Seules les productions artistiques parviennent à ce niveau dans une économie de marché.
Notes
5 - Les mécaniques sont surpuissantes par rapport aux limitations du code de la
route mais aussi à l'utilisation que l'on peut en faire. Cela résulte des mythes qui ont plus de 40 ans d'âge, quand les sociétés occidentales ne juraient que par la déesse "bagnole".
Sans compter que la vitesse est aussi une des représentations de la
puissance. |
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L'informatique prend peu à peu la place de la voiture, une place religieuse, une valeur de tabou, crainte d'un côté, vénérée de l'autre, presque au même titre qu'une déesse.
Mais nous savons aussi qu'il existe quelqu'un derrière la machine, qui la conçoit et la programme pour nous, et nous n'avons pas accès à ces fonctions quand nous sommes de simples utilisateurs. La maîtrise de cet outil finit par devenir mystérieuse et se constitue en lieu de projection ; l'inquiétude gagne le
cœur de chacun dès qu'il s'agit de s'aventurer dans le monde, la ville, cette formidable représentation de la complexité humaine. Une grande part de la philosophie catastrophiste contemporaine prend sa source dans une telle inquiétude. De plus en plus étranger à sa création, l'humain finit par s'en couper, la rejetant à l'extérieur dans un sursaut de projection qui semble le libérer de cette emprise de l'outil et de "ceux" qui le manipulent dans les coulisses de la vie. Comme les antiques humains nous ne sommes pas loin de donner à la technique une sorte d'âme. C'est un animisme d'un genre moderne et aux conséquences encore imprévisibles.
Pour mieux saisir cette comparaison que nous faisons entre la nature telle que les anciens la percevait et la structure sociale contemporaine, écoutons ce que dit un journaliste à propos de la terre des indiens de l'Arizona :Nous pourrions ajouter comme dernier exemple que désormais L'homme et la femme modernes connaissent face au monde urbain, complexe et truffé d'électronique le même type d'effroi et de fascination que les indiens de l'Arizona ressentaient face à la perfidie de leur nature environnante.
Dans la fantasmatique commune, la complexité de la Culture remplace celle de la Nature. L'humain moderne projette sur la culture les craintes que les hommes préhistoriques nourrissaient à l'égard de la forêt primitive. Il en résulte que la première difficulté à vaincre pour vivre convenablement réside dans la peur que nous avons de la vie urbaine, principale composante de la société moderne. L'enfant cherche à s'en acquitter au travers de la figure des robots qu'il apprend à dominer. L'acquisition d'un savoir sur l'outil et sa domestication sont les autres composantes que l'humain doit englober avant de prétendre à une forme de conscience individuelle. La forêt sacrée est désormais au
cœur des villes. Cela ne nie pas la nécessaire introversion à laquelle l'homme moderne est confronté. Derrière le robot il y a quelqu'un qui le manipule et qui en connaît donc tous les rouages. C'est la Conscience, et nul autre maître. La tâche de la modernité est bien définie.
Peut-être l'éducation des jeunes enfants devrait-elle intégrer désormais la mort du loup ?
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Les jeux de beaucoup de nos bambins mâles tournent autour de ces jouets représentant des humanoïdes robotisés. Au travers de ceux-ci les enfants créent un rituel qui leur permet d'exorciser la peur qu'ils ont des mécaniques complexes qu'ils auront à gérer et à commander. Tout se passe comme si la psyché était bien plus malléable, souple et adaptable que la conscience commune, pétri de crainte et conservatrice. Cette faculté de manier l'outil que l'enfant acquiert en dominant ses peurs le conduit alors à aborder des instruments très complexes avec une rapidité qui étonne mais qui est, au fond, toute naturelle car il ne fait que maîtriser le fruit d'une civilisation qui n'est pas forcément le monstre si volontiers dépeint. Les enfants de cinq à sept ans se servent des ordinateurs avec une intelligence qui surprend d'autant plus qu'ils ne savent pas lire, ils se guident grâce aux signes qui abondent dans la plupart des logiciels. Ces enfants, sans guides, parviennent à lire et écrire rapidement sans le recours des méthodes habituelles. De ce point de vue la pédagogie apparaît terriblement désuète et les idéologues se réfugient dans des considérations plus ou moins moralistes qui rejettent de toute manière l'outil électronique jugé froid, impersonnel et déshumanisant... On voit mal comment un ordinateur, à moins que ce ne soit la télé, pourrait être responsable de la décadence culturelle que d'aucuns constatent en tous points.
Que peut-on faire avec, pour ou contre le robot de l'imaginaire de l'enfant ?
Les recours ne manqueront évidemment pas dans les manuels de psychologie. Mais c'est sur le terrain, dans les lieux où cet imaginaire si puissant rencontre le concret que nous aurons le plus de chance d'apprendre. Il nous reste beaucoup à inventer car l'horizon urbain, nouvelle Nature, impose une adaptation de tout le patrimoine culturel et mythique et l'assouplissement de nos mentalités. Peut-être avons-nous à redevenir face aux lieux de l'âme comme ces guetteurs anciens qui épiaient les mouvements de la Nature afin de mieux s'y glisser et pour donner à leur famille tout le confort d'une sécurité conquise de haute lutte.
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Si l'on se penche sur la littérature enfantine, sur la productions des jouets, on est frappé de constater l'énorme place prise par les mécaniques cuirassées. Il est loin le temps des poupées chiffons, des marionettes et des jouets en bois. Il est vrai que ces derniers imitaient les outils du moment.
Cette constatation interfère avec une autre, celle de la prolifération des films qui mettent en jeu des
héros dont la principale caractéristique est d'être doté d'attributs bien plus mécaniques qu'humains. Il en va ainsi des
Mad-Max, Rangoog et autres Bioman. D'autre part, la télévision elle-même contribue par son apport à cette prolifération d'images de
héros irréels, mécaniques, automates et robotisés.
Il est facile de constater que ces productions cinématographiques et télévisuelles font partie de gigantesques campagnes de publicité et dont le jouet pour enfant n'est qu'un des aspects particuliers. La campagne Bioman en fut un exemple frappant. On pourrait dire,
comme d'autres le font à loisir, que ces campagnes ont un impact intolérable sur notre culture par l'influence insidieuse qu'elles exercent sur l'éducation de nos enfants. On pourrait évoquer
aussi la perte des valeurs traditionnelles de courage, d'audace, de solidarité et d'amour et enfin de probité morale qui s'effaceraient devant l'invasion des figures
héroïques brutales, froides, asexuées et donc sans amour. C'est ce qui
paraît à première vue tout au moins.
Pendant ce temps, l'enfant fait son jeu et on ne l'influence pas si facilement que cela. La campagne Bioman l'a bien montré. On dirait que ce sont plutôt les producteurs et les industriels qui ont suivi l'engouement des
enfants – les techniciens du marketing auraient-ils à apprendre aux pédagogues
? Plus tard sont venus les productions littéraires sophistiquées contenant de merveilleuses illustrations, les collections d'images réparties dans divers produits alimentaires et autres.
Les enfants qui avaient l'âge de jouer avec ces figures, à l'époque, ont
maintenant atteint l'adolescence et l'on a oublié...
De la même façon, la série télévisuelle, Les Chevaliers du Zodiaque a-t-elle été à l'origine de tout un circuit
mercanto-culturel dont l'importance dépasse, il faut bien le dire, les seuls intérêt économiques de quelques uns.
On peut bien dire que la publicité influence les enfants et qu'en diffusant une image altérée de la culture elle contribue à l'appauvrissement de notre patrimoine idéologique. Mais on peut tout de même se demander comment un bambin de deux ans peut être influencé par la publicité dès lors qu'il ne regarde pas la télévision, qu'il ne fréquente pas encore l'école, lieu de toutes les contaminations, qu'il ne sait pas lire mais s'intéresse par contre aux images et constitue par ailleurs une véritable éponge des affects de l'entourage. Or, sur quel jouet le bambin va-t-il jeter son dévolu ? Sur les voitures d'abord, les robots ensuite. Les enfants sont-ils tous toqués ? Ou bien les parents manifestent-ils à ce point leur démission et leur défections pour les fondements de nos sociétés qu'ils laissent quasiment leurs enfants livrés aux images de la rue, sans souci de la portée future d'une telle apathie. Faut-il donc élever nos enfants selon les préceptes antiques, dans des lieux protégés à l'intérieur desquels la consommations des biens vulgaire seraient strictement limités ?
On aura reconnu ici certains slogans des philosophies modernes et manifestement ceux-ci traduisent le désarroi, non des enfants en bas-âge, mais des parents. Dans ce maelström, les enfants conservent un statut privilégié qui semble contenir les assauts moralistes des parents. On l'a parfaitement vu avec la fameuse affaire des Crados qui a tant ému la gent parentale pendant que les enfants se délectaient de ces représentations grimaçantes, vulgaires et monstrueusement insolentes à l'égard de la morale bien-pensante.
Il suffit de se reporter aux image de Crados qui avaient fait scandale dans les années 80.
Et maintenant voici les Pokémon...
Seuls les adolescent auront le cruel privilège de se heurter à l'ambivalence de nos morales opportunistes et éclairées. Les adolescents constituent en effet une véritable caste d'individus qui auraient perdu le pouvoir de l'invention mais seraient encore assez proches des richesses inventives de l'enfance pour se cabrer contre le sort d'esclaves qui leur est réservé grâce au gavage de protection dont ils sont l'objet pendant un temps très long. Comme les quartiers de haute sécurité sont, dans les prisons, de véritables pépinières à délinquants, il n'y a pas de meilleure machine à fabriquer des drogués ou des apathiques que cette manière qu'ont de nombreux parents de prolonger l'adolescence de leurs progéniture au delà de la trentaine. Mais, délinquants, drogués ou apathiques, ce sont de toute manière des nervis que l'on fabrique. Leur capacité d'invention s'est épuisée dans la rencontre cotonneuse des sollicitudes et des bienveillances parentales.
L'enfant, avec peut-être l'aide de quelques financiers avides – des sorciers ou des diables sûrement
– peut encore se réserver une terre vierge dans laquelle son imaginaire s'engouffre à loisir. Ses parents n'y comprennent rien de toute façon ! Mais de tous temps, ce sont les marchands qui ont assuré la relation entre les peuples, cela dans un souci de négociation. Les militaires et les politiques, eux, l'ont assuré dans la domination et l'extermination, souvent avec l'appui de la science ou de la religion... Les marchands, c'est bien connu, n'ont pas de foi!
Et si la solution résidait dans cette absence impie de foi?
C'est bien là, en effet, que se passe peut-être une révolution. L'enfant, grâce à sa plasticité, nous montrerait le chemin d'une meilleure intégration au monde moderne. C'est pourquoi le débat sur la violence des images ne m'intéresse pas, pire, il me paraît éminemment dangereux car rétrograde et stérile.
S'il y a de la violence dans les images c'est que nous ne trouvons pas d'autre moyen de passer le cap de la civilisation. Passer d'une volonté de contrôle et de domination à l'ouverture et à l'abandon nous est encore étranger, d'où cette volonté sécuritaire...
Et si nous regardions nos enfants pour apprendre à domestiquer les monstres contemporains ?
Illel Kieser 'l Baz, Paris 21/12/97, revu et corrigé le 21/01/2001
J'ai volontairement gardé des références qui ont plus de quinze ans d'âge pour montrer que nos mentalités n'ont guère évolué
depuis.
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