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Propos recueillis par Agathe Delisle pour la revue � Conscience de �, N� 17, juin 1990 � � Pierre Soli� Psychanalyste didacticien, Pierre Soli� a �t� pr�sident de la Soci�t� fran�aise de psychologie analytique (psychanalyse jungienne). Auteur de nombreux ouvrages, en particulier sur les rapports de la psychologie � la biologie et sur la psychosomatique, c'est lui qui, le premier en France, a th�oris� le concept de Grande-M�re, ant�rieur m�me � celui du P�re, et a d�gag� les structures psychiques, mythiques et analytiques de ceux qu'il a appel�s les� ��Fils-amants�� par rapport aux ��Fils �dipiens�� de l'analyse freudienne.
La question des originesConscience de : Il y a dans l'histoire familiale d'une personne, une part officielle, connue de tous, transmise verbalement mais aussi une part officieuse, non-dite, tue ou encore objet d'un secret. Je prendrai pour exemple le cas d'une jeune femme qui a ignor� jusqu'� sa majorit� l'identit� r�elle de son p�re. Sa m�re qui l'avait con�ue avec un �tranger, avait refus� de suivre celui-ci dans son pays quand il y. �tait retourn� et s'�tait mari�e avec un autre homme quelques ann�es apr�s. Elle avait alors dit � sa fille que ce dernier �tait son p�re. Cette jeune femme, peu de temps apr�s avoir appris la v�rit� sur ses origines, connut un homme qu'elle fit son compagnon. Elle partit quelques mois pour des raisons que j'ignore et con�ut, avec un autre homme, un enfant. Ensuite elle retourna vers son compagnon et � son tour elle dit � l'enfant qui naquit, que son p�re �tait ce compagnon, passant sous silence I'identit� du g�niteur r�el de l'enfant. Quelles peuvent donc �tre les reconstructions imaginaires de cette part tue ? Existe-t- il un conditionnement des actes du sujet, de ses investissements, un effet du secret et dans ce cas par quelle voie la transmission de ce qui n'est pas dit se fait-elle ? Comment agit ce secret ? � Pierre Soli� : C'est une question difficile sur laquelle, je crois, on travaille finalement depuis les d�buts de l'humanit�, depuis que celle-ci a commenc� � s'int�resser � son identit�, par rapport � l'identit� animale qui nous fonde, donc � l'hominisation, avant m�me l'humanisation. On remonte ainsi � cent mille ans pour l'Homo sapiens-sapiens que nous sommes, mais � trois millions d'ann�es pour la derni�re datation des d�buts de l'Homo habilis: la fameuse Lucie, l'Australopith�que, d�couverte entre autres par un Fran�ais, Yves Coppens, dans la vall�e de l'Omo, en Ethiopie. On peut dire de l'Australopith�que qu'il est un homme et non plus un singe. C'est l� notre identit� biologique sp�cifique et chacun d'entre nous passe une bonne partie de sa vie � rechercher son origine. Ceci pour la grande histoire de l'�volution biologique. Pour l'histoire tout court, la petite histoire, qui fonde une nation telle que la France et la Gaule qui l'a pr�c�d�e, avec les Romains, les Gallo-romains que nous sommes, nous passons aussi notre temps � chercher une origine historique. Il faut alors comprendre comment les Gaulois, les Celtes sont devenus Francs, puis comment, ensuite, tout cela a donn� la nation que nous sommes aujourd'hui. C'est une histoire d'origine d'identit� nationale. Quand Freud fonde la psychanalyse, � la fin du si�cle dernier, il va parler tr�s vite de ce qu'il appelle un ��fantasme originaire��� � arch�typique au sens jungien �, inn�, et qu'il appellera la ��sc�ne primitive �. C'est la vision, r�elle ou imagin�e, fantasm�e, de l'union, de l'acte d'amour parental, des p�re et m�re fondateurs de l'identit� de l'enfant. La � sc�ne primitive � constitue pour Freud, par d�finition, la sc�ne fondatrice de la psychanalyse � �galement fondatrice de son identit� scientifique. Tout ce qui est rattach� � cette sc�ne dans l'imaginaire de l'enfant, puis de l'enfant devenu adulte qui demeure en nous jusqu'� notre belle mort, va tourner autour de ces interrogations qui sont d'ordre mythique: quelle est mon origine, qui est ma m�re, qui est mon p�re ? Quelle est mon identit� individuelle ? En histoire ce n'est pas la m�me chose, on a des datations � partir du moment o� l'on a �crit l'histoire. L'histoire par rapport � la pr�histoire, c'est le moment o� l'�criture est n�e; quand on �crit, on a des documents; que ce soient les documents cun�iformes de la M�sopotamie ou les documents sur papyrus hi�roglyphiques �gyptiens, on a des dates bien pr�cises et on peut fonder une v�ritable histoire. Avant, c'est du vague, de la pr�histoire. Le mot � pr�-histoire � (� l'apr�s-histoire��) est � prendre dans le sens que vous voudrez puisque l'on cr�e aussi, � c�t� des origines, une fin. On a besoin de se cr�er des origines mais aussi des fins et dans les religions cela s'appelle une eschatologie, les fins derni�res. L'on se cr�e donc un paradis originel, dans le mythe, et un paradis terminal dans le mythe aussi, apr�s la mort. On a besoin de �a. L'homme ne peut vivre qu'entre deux vies �ternelles. Il doit fonder sa vie historique sur deux �ternit�s. Nous fonctionnons comme �a, et pourquoi pas, puisque nous ne vivons que de paradoxes: Vie et Mort notamment. Obstin� secretDans la psychanalyse, il y a un autre mythe fondateur et fondamental c'est le mythe d'�dipe. Que fait-il �dipe ? On lui d�clare tout � coup, dans une taverne de Corinthe, apr�s avoir bu un coup : ��Tes parents ne sont pas tes parents ! Tu es un fils �suppos� de Polybe et M�rope, roi et reine de Corinthe, mais tu n'es pas leur vrai fils��. Ah ! comment �a, je ne suis pas leur fils ? Ce n'est pas possible ! Je ne peux pas vivre dans ce secret, Justement, puisque c'est l�-dessus que porte votre question : Qu�est-ce qu'on a cach� � �dipe� ? Qu'est-ce qu'on m'a cach�, se demande-t-il ? Alors il interroge ses p�re et m�re � suppos�s �, Polybe et M�rope, roi et reine de Corinthe, qui lui disent : ��Mais comment ? Qui t'a raconte �a ? Ce n'est pas possible ! Tu es bien notre fils � tous les deux. Tu es bien le Prince de Corinthe, qui va succ�der � son p�re Polybe sur le tr�ne de Corinthe��. Le temps passe, quelques semaines, peut-�tre quelques mois, et puis �a lui revient, au Jeune �dipe, qui doit avoir, peut-�tre l7, l8 ou l9 ans � cette �poque-l� dans le mythe et dans la trag�die qui reprend le mythe. Comme dans le ��complexe d'�dipe�� que fonde Freud, en cette fin de si�cle dernier. � Ne perdons pas le fil de l'histoire, justement ! �dipe pr�occup� se dit: ��Il faut que j'aille voir celui qui sait��. Celui qui sait, � l'�poque, c'est l'oracle de Delphes, c'est Apollon, qui parle � travers ses Pythies, son f�minin, son Anima dirions-nous en termes jungiens. Le voil� qui prend quelques effets sur son �paule et va demander � l'oracle : ��Mais enfin qui suis-je ? De qui suis-je le fils ? De Polybe et de M�rope ? � ��Ordure, fuis d'ici ! r�pond la Pythie, tu es celui qui tuera son p�re et couchera avec sa m�re�!è » C'est tout ce qu'il a comme r�ponse. Voyez comme le ��non-dit�� tient le coup, comme le ��secret�� tient le coup, y compris aupr�s de l'oracle. �dipe s'en va. Il quitte Delphes, prenant la route de retour vers Ath�nes, Corinthe; lorsqu'� un croisement, celui de L�vadia au nord, de Delphes � l'ouest et de Th�bes, Ath�nes et Corinthe � l'est, il rencontre un attelage. Vous savez ce qui se passe. Le cocher veut lui prendre le chemin, �dipe� refuse. Il y avait cinq hommes � bord, il se bat. Il en tue quatre. Il y en a un qui r�ussit � se sauver. Sur les quatre tu�s, il y en avait un assez vieux, barbu. Ayant ainsi r�gl� leur compte � ceux qui lui coupaient la route, il continue son chemin vers Corinthe. Et puis, chemin faisant ‑ il est vrai qu'� l'�poque tuer quatre personnes �a se pratiquait assez souvent, aujourd'hui �galement, mais �a d�passe souvent quatre malheureusement ! Donc, chemin faisant, il se dit : ��mais si ce que m'a racont� la Pythie de Delphes est vrai, si je retourne � Corinthe, je vais tuer Polybe mon p�re et coucher avec ma m�re M�rope. Ce n'est pas possible ! Alors je vais faire halte entre Delphes-L�vadia, o� vient d'avoir lieu le combat, et Ath�nes-Corinthe. Ce lieu s'appelle Th�bes.�� Il se passe des choses bizarres dans cette cit�-�tat, cette polis grecque de l'�poque. A l'entr�e de cette ville se trouve un Sphinx, � t�te et � buste de femme, tr�s belle d'ailleurs, corps de lion avec des ailes d'aigle, un �tre composite, mythique, qui est un monstre, un monstre qui d�vore les passants s'ils ne r�pondent pas � ses questions. Le tr�ne vacant de Th�bes est promis � celui qui lib�rera la ville de ce monstre. Le roi de Th�bes, La�os, est mort, ainsi est-il promis � ce h�ros qui d�livrera Th�bes la reine Jocaste, veuve du roi La�os. Mais qu'� cela ne tienne ! Du haut de ses l8-l9 ans, �dipe vient de tuer quatre hommes; il en aurait bien tu� cinq si le cinqui�me n'avait pas fui; il se dit: � Moi, j'affronte le Sphinx (la ��Sphinge��) !�� Et il y va. Vous connaissez la question qui lui est pos�e : ��Quel est l'�tre qui marche � quatre pattes le matin, � deux pattes � midi et � trois pattes le soir ?�� Et �dipe de r�pondre: � C'est moi, c'est l'Homme �. Aussit�t la Sphinge dispara�t, se suicide purement et simplement, en se jetant du haut de la falaise de la Porte ouest de Th�bes. Il p�n�tre alors dans Th�bes, vainqueur de la Sphinge, du monstre, et comme promis, le fr�re de Jocaste, Cr�on, lui donne le tr�ne de La�os. Il �pouse Jocaste, de laquelle il va avoir quatre enfants, deux gar�ons et deux filles. Jusqu'au jour o� la peste s'abat sur Th�bes. Remarquez comme le ��secret�� rebondit ! La peste arrive � Th�bes et on va consulter, comme toujours ‑ �a se faisait sans arr�t dans la Gr�ce antique ‑ l'oracle, � Delphes qui r�pond : ��La peste ne cessera dans la cit� de Th�bes que Ie jour o� l'on aura d�couvert l'assassin du vieux roi La�os��. ��Ah, bon, qu'� cela ne tienne�� dit �dipe, il faut le d�couvrir�! Et il part aid� de Tir�sias le devin aveugle, de Cr�on, son beau-fr�re pendant la p�riode du ��secret��, mais son oncle en r�alit�, � la recherche de l'assassin de l'homme qui l'a pr�c�d� sur le tr�ne de Th�bes. Il d�couvre alors, apr�s une belle enqu�te, que c'est lui qui, � ce fameux carrefour a tu� ces quatre hommes parmi lesquels se trouvait son p�re, son vrai p�re, pas son p�re ��putatif��, pas son p�re ��supposé » de Corinthe, son vrai p�re g�n�tique : La�os. Il d�couvre donc qu'il est l'�poux de sa vraie m�re, Jocaste, � laquelle il a fait quatre enfants. Jocaste, la m�re-�pouse, tout comme la Sphinge, se suicide. Elle se pend avec sa ceinture; tandis qu' �dipe, avec la boucle de cette m�me ceinture, et apr�s avoir ��d�pendu�� sa m�re-�pouse se cr�ve les yeux et part en exil avec sa fille Antigone, en exil � Colone, pr�s d'Ath�nes. Et c'est �dipe � Colone qui suit �dipe Roi. C'est l� une trag�die de la fin de la vie de Sophocle. Mais restons dans �dipe Roi. Dans la reconstitution de l'histoire pour savoir qui a tu� le vieux roi La�os, il apprend que Polybe et M�rope, ses parents suppos�s de Corinthe, sont morts. Le voil� destin� � revenir sur le tr�ne de ces parents qu'il avait voulu �pargner en fuyant Corinthe, en restant entre Delphes et Corinthe, � Th�bes. Mais il n'a pas �chapp� � son destin qui �tait de tuer son p�re et d'�pouser sa m�re. Remontons aux origines de ce mythe, qui est un mythe justement de recherche de l'identit�, fondateur aussi de la psychanalyse et qu'est-ce que la psychanalyse sinon une recherche d'identit� : qui suis-je ? o� suis-je ? o� vais-je ? L'origine et la fin. La�os avait re�u de la m�me Pythie de Delphes, un ��oracle��. Aujourd'hui on appelle �a ��un discours de l'Inconscient� (un r�ve par exemple) ; mais �a ne change rien � l'affaire. On est aussi d�muni devant l'Inconscient qu'�dipe et La�os devant la Pythie ou la Sphinge. Donc, La�os qui �tait all� consulter � Delphes au d�but de sa royaut� th�baine, s'�tait entendu dire : ��Tu vas avoir un fils avec ton �pouse Jocaste, un fils qui te tuera et �pousera ta femme��. Ah ! Voyez comme rebondit le ��secret��, de l'oracle, de l'Inconscient du p�re � celui du fils. Quand vous me demandiez : ��O� est ce secret, qu'en fait-on ?�� Eh bien il est l� : l'oracle, � l'�poque, c'�tait l'Inconscient, l'�quivalent de l'Inconscient, � la fois ��collectif�� � la mode jungienne et � la fois ��individuel�� � la mode jungienne encore, mais surtout freudienne. La Pythie r�v�lait autant les secrets d'�tat, les secrets du monde entier (� l'�poque, la Gr�ce, c'�tait le monde entier) que les secrets d'alc�ve, que les secrets familiaux et individuels. Donc La�os s'�tait entendu dire par son Inconscient ��pythique�� : si tu as un fils, il te tuera et �pousera ta femme. Que fait-il, d�s lors, le jour o� il a un fils ? Il charge un berger de le perdre sur le mont Cith�ron. A l'�poque cela se faisait. Les enfants dont on ne voulait pas, on les emmenait dans les bois, on leur laissait une chance de survivre �ventuellement. La chance, pour �dipe, est que le berger de Th�bes le laisse sur le mont Cith�ron, et qu'un berger de Corinthe passe par l�. Il trouve un nourrisson vagissant, pendu par un pied ‑ d'o� le nom d'�dipe qui signifie ��pied enflé ». Il se dit : ��Mon roi et ma reine, Polybe et M�rope, ne peuvent pas avoir d'enfant � Corinthe je l'emm�ne donc �. Et il leur a port� cet enfant qui tombait du ciel. Voil� comment s'est pass�e l'origine d'�dipe, comment le p�re et la m�re (car la m�re Jocaste �tait tout � fait d'accord avec le p�re La�os pour en finir avec cet enfant) sont demeur�s seuls dans le secret de leur Inconscient ��delphique��. Il n'y a eu que le berger qui a su. Et encore, savait-il vraiment qui il portait sur le Cith�ron ? Peut-�tre, mais un berger cela ne dit rien, un berger de la cour notamment. Par cons�quent c'�tait un secret de couple, vis-�-vis d'un souhait de mort qui ��passe � l'acte� dans ce cas. Mais je le r�p�te, en Gr�ce c'�tait chose courante, assez courante ‑ et apr�s tout, m�me chez nous, Saint Vincent de Paul d�couvrait les enfants sous les porches, c'est comme �a qu'il a cr�� l'Assistance publique, et cela n'est pas si vieux. � Mais le souhait de mort (r�alis� donc pass� � l'acte) de ce couple par rapport � leur fils �dipe, ne s'arr�te pas l�. Il se trouve en effet une famille royale pour �lever cet enfant � la place de la famille royale qu'il perdait � Th�bes. Et ce ��secret�� va revenir � �dipe, � travers un compagnon de beuverie, en tout cas de jeu. La rumeur circule et arrive aux oreilles d'�dipe qui a alors l8 ou l9 ans. Il s'entend dire qu'il n'�tait que le ��fils supposé » de ses parents de Corinthe. Il part alors � la recherche de son identit�, de son ��secret��, du ��secret�� qui lui avait �t� impos� par ses parents g�n�tiques, pour aboutir finalement � la d�couverte de qui il �tait, �dipe. � �dipe-Souillure � ayant accompli l'acte de l'Inconscient : le d�sir inconscient de tuer le p�re et d'�pouser la m�re en lui faisant quatre enfants de surcro�t. L'oracle, voie de l'Inconscient...Il est remarquable de constater comme le ��secret��, dans ce cas, a agi � partir de l'Inconscient aid� ou support� par tout le peuple grec ‑ et m�me par le monde entier de l'�poque qui allait consulter � Delphes. Il y avait, certes, d'autres sanctuaires, mais celui de Delphes �tait le plus fr�quent�. Ce syst�me ��delphique��, ce syst�me oraculaire, fonctionnait comme ��Inconscient collectif�� et ��individuel��. Il d�livrait des secrets; mais en fait ce qu'on allait s'entendre dire, c��tait les souhaits que l'on n'osait se formuler � soi-m�me. Souvenez-vous d'une autre histoire de Delphes : c'�tait la seconde guerre m�dique, ceci pour rattacher l'Inconscient collectif et l'Inconscient individuel de Delphes � un fait non plus mythique mais historique. Th�mistocle �tait � ce moment-l� le chef de l'arm�e d'Ath�nes. A l'�poque (en 480 av. J.-C.), Ath�nes dominait toute la Gr�ce qui se battait contre Ies M�des (les Perses). D�j� les compatriotes du .strat�ge avaient consult� la Pythie delphique sur l'issue de cette guerre et il leur avait �t� r�pondu : ��Ath�nes�� ne sera sauv�e que par des remparts de bois�� . Les voil� qui se mettent � construire des remparts en bois. On d�couvre m�me, � cette occasion, les premiers remparts en bois d'Ath�nes et on en construit de nouveaux. Jusqu'au moment o� Th�mistocle qui voit �a d�clare : ��Non, mais �a va pas ! Des remparts en bois pour lutter contre les Perses, il suffira d'y mettre l'�quivalent d'une allumette pour en finir, ce n'est pas pensable�! Je vais la voir, moi, cette fameuse Pythie !�� Et celle-ci lui dit ��Mon cher Th�mistocle, Ath�nes ne sera sauv�e que par des remparts de bois �. Il la regarde bien en face et il lui demande : � Qu'appelles-tu ��remparts de bois���?�� � Je n'en sais rien, c'est Apollon qui me dicte �a, ��des remparts de bois�� ! � Mais tu veux dire... alors... j'ai compris !�� Il s'en va, retourne � Ath�nes et d�clare : � Vous allez construire une flotte et laisser tomber vos murs de bois. C'est une flotte qui va nous sauver, un ��rempart de bois����. A l'�poque les navires �taient en bois, les remparts de bois, c'�tait donc une flotte. Et c'est ainsi que les Grecs remport�rent Salamine ! Tout est dans l'interpr�tation que l'on fait du discours de la Pythie. Si l'on a envie de s'entendre dire qu'il faut tuer son fils, on se l'entend dire. Comment fonctionne ce syst�me oraculaire ? Comme le r�ve : c'est le d�sir qui parle, et on va l'arranger � sa propre sauce. C'�tait le d�sir de La�os et de Jocaste de se d�barrasser d��dipe; comme c'�tait bien le d�sir d'�dipe de tuer son p�re et d'�pouser sa m�re : il se l'entend dire aussi. Il tente quand m�me de l'�viter. Essayant de l'�viter il tombe dans le pi�ge du � secret ?? de sa v�ritable identit� qu'il ne connaissait pas. S'il l'avait connue, il ne serait pas all� � Delphes pour se faire dire son ��secret�� qui �tait de tuer son p�re et d'�pouser sa m�re. Il l'aurait n�goci� comme il l'aurait pu, sur place; et comme tout le monde � ou presque �, sans passer � l'acte. � Alors que l�, il ne sait pas. Il veut savoir et alors intervient le probl�me de la ��r�p�tition��, comme vous le disiez; puisque c'est le m�me souhait que son p�re qu'il manifeste, le m�me d�sir, aupr�s de la Pythie de Delphes. Freud, � partir de ce mod�le, dira : � C'est le souhait de tout le monde, c'est le mien �. Freud comprend cela apr�s la mort de son p�re en se d�couvrant � coupable � de la mort de celui-ci. Il a d�, imaginairement, participer � la mort de son p�re. Il revoit alors la trag�die de Sophocle, �dipe Roi, et il fait le rapprochement, s'�criant comme Flaubert : ��Madame Bovary, c'est moi !��, ���dipe, c'est moi�!��. C'est le d�sir de tout fils de tuer son p�re pour se mettre � sa place et pour �pouser sa m�re. Passer � l'acte ce d�sir, c'est une autre histoire; mais il y a cela en chacun d'entre nous, ne serait-ce que pour devenir grand il faut devenir comme papa, et pour devenir comme papa il faut qu'il se pousse un peu. Et maman ? Maman, elle, est � moi, je ne vais pas la lui abandonner comme �a � cet homme. C'est fondamental dans la nature humaine : l'�te-toi de l� que je m'y mette, tu me fais de l'ombre. Celle-l� (ma m�re) elle est � moi et elle n'est pas � toi. Et la ��r�p�tition��, elle est d�j� dans la simple r�p�tition des th�matiques humaines, qui sont toutes les m�mes, � partir du fils par rapport au p�re et � la m�re, de la fille par rapport � la m�re, au p�re, au fr�re, � la s�ur. On retrouve toujours les m�mes th�matiques, avec des mises en sc�nes diff�rentes, plus ou moins diff�rentes. Ce th�me d'�dipe est fondateur � au m�me titre que la � sc�ne primitive�� � de la psychanalyse et reste le complexe fondamental de la psychanalyse freudienne. Pour Jung c'est plus vaste. Il y a ce mythe qui est tout � fait fondamental aussi; mais il y a tous les autres. Tous les autres mythes aussi importants que celui d'�dipe. L� on parle du meurtre du p�re et des �pousailles de la m�re. Chez les Atrides, � Myc�nes, on parle du meurtre de la m�re, Clytemnestre, pour venger le p�re : Electre et Oreste, pour venger Agamemnon. Dans un autre mythe, c'est le meurtre de la m�re d'une autre fa�on : le th�me m�sopotamien de Marduk-Tiamat. C'est le meurtre du fr�re dans Isis et Osiris, et on �pouse la s�ur. Fondamentalement, c'est identique, et dans tous les cas il y a une histoire de ��secret��[1]. Car il n'y a pas de vie sans secret. On croit que l'on va pouvoir en finir avec la pauvret� par exemple mais ce n'est pas vrai; on croit qu'on va pouvoir en finir et cr�er un �ge d'or sur terre mais �a aboutit au Goulag; et on construit un mur � qui vient de s'ouvrir, Dieu merci ! le mur de Berlin. Par cons�quent l'humain fonctionnera toujours comme un humain, avec des ��secrets�� fondamentaux, avec du ��non-dit��, avec du ��refoulement��, du ��d�ni��, de la ��d�n�gation�� ?, et de la � forclusion��. De l'un � l'autre de ces concepts, les nuances seraient � d�finir. Ce qu'il faut bien voir, et que l'on voit fort bien dans le mythe d' �dipe et la trag�die d'�dipe, c'est que nous fonctionnons avec quatre parents. L' on a des parents de remplacement dans nos imaginaires d' enfant. On n'appr�cie jamais parfaitement le lieu o� on est n�, m�me si on na�t chez les rois. Les rois d'� c�t� ce serait bien mieux. Il en va de m�me pour �dipe qui pense que le roi de Th�bes serait mieux que celui de Corinthe. Pourquoi ne suis-je pas n� � la cour de Th�bes ? C'est comme �a qu'il va s'y retrouver. On a toujours au moins quatre parents : les parents r�els, g�n�tiques et les parents imaginaires, ceux que l'on voudrait avoir, car les r�els ne correspondront jamais � ce que l'on veut. Jamais un d�sir n'est combl� jusqu'au bout, sinon on se suiciderait. Si on trouvait Dieu, il n'y aurait plus rien � trouver. Donc souhaitons qu'il reste loin : ��Notre P�re qui �tes au cieux... restez-y�!�� disait Pierre Dac (et Jacques Pr�vert dans Pater Noster). On vous y cherchera. Les parents de Corinthe (Polybe et M�rope), qui sont les parents adoptifs, ce sont ceux que j'aime appeler ��ph�notypiques��, par r�f�rence � la biologie, au ph�notype et au g�notype. Le ph�notype, c'est ce qui appara�t, par exemple, chez. les poules blanches, les plumes blanches; mais ces poules contiennent potentiellement dans le g�nome toutes les autres vari�t�s de couleurs, seulement il n'y a qu'une vari�t� qui appara�t chez elles : c'est le caract�re ��ph�notypique�� : plumes blanches; �a c'est les parents ��apparents��, si j'ose dire ! � Et � c�t� il y a les parents � cach�s �, inconnus; dans le � secret � qui fonctionne toujours. Vous me parliez d'un cas clinique, donc caricatural; mais c'est vrai pour tous les cas, pour tout le monde. Il y a les parents ��cach�s�� et que j'appelle ��g�notypiques��, g�n�tiques et ��g�notypiques�� : La�os et Jocaste pour �dipe. Ce sont les parents que Jung nommera ��arch�typiques�� par rapport aux parents ��papa-maman�� (Polybe et M�rope). Il ne faut surtout pas confondre ��papa-maman�� avec ce que Jung appelle l'��arch�type du P�re�� et l'��arch�type de la M�re��, qui fonctionnent dans l'Imaginaire et �ventuellement dans l'ImaginaI mais c'est l� une autre question. R�p�tition et pulsion de mortEn tout cas, ces parents imaginaires, arch�typiques, ��g�notypiques��, ces parents-l� sont toujours dans le � secret �, en tr�s grande partie; et c'est avec eux que, dans le mythe d'�dipe, l'histoire d'�dipe va consteller, se nouer, se d�velopper et aboutir � la trag�die qu'on vient de rappeler. Trag�die qui sera rachet�e d'ailleurs, en grande partie, dans celle d'�dipe � Colone. Ceci pour dire qu'il y a le � non-dit � que l'on veut cacher mais que l�on sait; par exemple la patiente dont vous parliez. Sa m�re connaissait fort bien le fait que le p�re qu'elle imposait � sa fille n'�tait pas le p�re ��g�notypique��, g�n�tique; de m�me la fille savait que le p�re qu'elle imposait � son enfant n'�tait pas son premier compagnon, aupr�s duquel elle est revenue. �a c'est du ��non-dit�� pur et simple. A la limite, il ne fait pas de mal celui-l�; peut-�tre que si la patiente ne l'avait jamais su c'e�t �t� mieux pour elle. Elle l�a appris, comme �dipe, au m�me �ge, par la rumeur. Quelle rumeur ? On n'en sait rien parfois. Ici c'est la tante qui le lui a dit : ��Ah, ton p�re c'�tait un �tranger, qui est reparti dans son pays o� ta m�re ne l'a pas suivi��. Donc �a se sait dans l'entourage et on le dit; suffisamment pour �branler cette jeune femme qui va finalement, malgr� elle, r�p�ter la chose. Mais pourquoi cette r�p�tition, alors qu'elle sait maintenant ?. Elle sait, je dirais, superficiellement, elle sait que celui qu'elle a cru �tre son p�re jusqu'� l'�ge de l8 ans n'est pas son p�re. Son inconscient limite ce savoir. Delphes, en somme, a une autre v�rit� que celle-l�. Il y a l� deux choses diff�rentes : il faut faire la part � ce qui est dit consciemment, ce qui est non-dit consciemment � si j'ose dire ; et puis ce qui est non-dit inconsciemment. Ce que racontait l'oracle de Delphes qu'on allait se raconter soi-m�me � travers la Pythie de Delphes aujourd'hui, on le fait � travers le th�rapeute, quel qu'il soit. On se raconte nos d�sirs � travers le th�rapeute-miroir et on s'en offusque �ventuellement. On essaie de parer au sort, on essaie de vaincre le mauvais sort, et en fait, votre patiente ‑ comme �dipe ‑ y est all�e � pieds joints, dans la r�p�tition du m�me secret que la m�re. Il faut voir aussi que, dans cette r�p�tition, elle se punit certes; la compulsion r�p�titive c'est la pulsion de mort aussi, Freud l'y a bien d�cel�e. Elle se punit mais elle punit surtout finalement son enfant, qui va lui aussi �tre condamn� � r�p�ter. Il y a l� une forme de n�vrose de destin de mal�diction. Elle se venge, je dirai, surtout. Comme �dipe finalement�! Il s�est veng� du souhait de mort de son p�re g�notypique en le tuant et du souhait de mort de sa m�re, complice de son mari, en l'�pousant, en lui faisant quatre enfants et la poussant par l� au suicide. Il ne faut pas perdre de vue les deux suicides, celui de la Sphinge qui �tait d�j� une pr�figuration de la m�re, la ��mauvaise m�re�� et puis celui de Jocaste. Il y a un meurtre indirect de la m�re aussi chez �dipe[2]. Donc la m�re ��g�ne�� tout autant que le p�re. A un moment donn� il faut s'en d�barrasser aussi; et il y a forc�ment des souhaits de mort par rapport � la m�re comme il y en a pour le p�re. On fonctionne comme �a, mieux vaut le savoir; sinon c'est Hitler qui arrive par � derri�re �, ce qui est pire encore. On peut dire que ce non-dit, � cheval entre le Conscient et l'Inconscient, fait partie de ce que Freud appelle le refoulement. Ce qui est refoul�, on ne veut pas le savoir, Sartre appellera �a de la ��mauvaise foi��. L'Inconscient, apr�s tout est toujours conscient quelque part. �dipe le sait puisqu�il va m�me se le faire dire, alors qu'y a-t-il d'inconscient ? Ce qu'il y a d'inconscient c'est qu'il se trompe d'adresse (mal-adresse), de destinataire, mais il sait. Il n'y a pas de non-dit, � la limite. C'est un su, que j'appelle par r�f�rence � Merleau-ponty, ��pr�-r�flexif��. Pour moi, l'inconscience n'est rien d'autre[3]. C'est du ��pr�-r�flexif��; c'est-�-dire qu'il n'y a pas l� conscience ��au carré » : sapiens-sapiens, disions-nous tout � l'heure pour nous d�finir, nous humains, par rapport au N�anderthal ou au Pith�canthrope ou � l'Australopith�que. Il n'y a pas encore une conscience ��au carré », ��r�flexive���; l'Inconscient est ��pr�-r�flexif��. Ce qu'on appelle ��inconscient��, c'est quelque chose qui fonctionne sur le mode animal, c'est-�-dire qui n'a pas de ��bi-r�flexion�� : ��Je sais que je vais tuer mon p�re et �pouser ma m�re; on me le dit en plus, je me le fais dire, mais j'y vais tout droit !�� parce qu'il n'y a pas la conscience bi-r�flexive : ��Je ne sais pas que je sais !�� Je confonds encore mes parents de Corinthe et mes parents de Th�bes, mes parents ph�notypiques et mes parents g�notypiques. Il me manque un bout de conscience qui reste justement inconsciente, inconsciente de cette connaissance au carr� : � Je sais que je sais ! � Je sais que je vais tuer mon p�re et �pouser ma m�re mais je le nie tout en assurant que je vais l'�viter. Et c'est vrai, j'�vite papa et maman de Corinthe, pour tomber sur mon vrai p�re, ma vraie m�re g�n�tiques, ��g�notypiques��. Cela fonctionne toujours � un double niveau. On a pu d�finir la schizophr�nie, qui est la psychose humaine fondamentale ‑ on na�t tous ��schizophr�nes�� et on devient au mieux ��hyst�riques�� comme un double-bind, la double impasse, la double voie, le double lien, le double secret ou le truc qui dit oui et le truc qui dit non en m�me temps� : ��tu choisis la meilleure part ‑ mais si tu la choisis tu auras une vol�e��... Comment choisir, entre la meilleure part et la vol�e ? Eh bien, l'homme fonctionne comme �a. � �a aussi, il faut s'y faire. Il vaut mieux le savoir. On fonctionne dans le ��refoulement��, certes, mais le refoulement ce n'est vraiment rien du tout par rapport au ��d�ni��, la ��d�n�gation��. Nier la r�alit�, par exemple : ceux qui viennent nous dire aujourd'hui : ��Il n'y a pas eu de crimes nazis !��. Il y a quelques historiens pour faire des th�ses l�-dessus, c'est une n�gation, une d�n�gation de la r�alit�, d�j� un d�lire. Il existe une autre forme plus l�g�re de d�n�gation : ��Vous savez, ce que je vous ai dit hier, c�est pas vrai hein ? Hier je vous l'ai dit mais surtout ne le croyez pas !�� �a c'est une autre forme de secret avec soi-m�me; et de secret que l'on essaie d'imposer � l'autre. Une forme plus pouss�e encore du ��secret��, c'est, apr�s le non-dit refoul�, et puis d�ni�, ce que Lacan appelle ��la forclusion��[4]. C'est le degr� le plus important de la non-symbolisation et qui fait qu 'on retrouve dans le r�el ce qu 'on y laisse ce que l'on ne symbolise pas pour soi-m�me, ce qu'on ne passe pas � l� moulinette de la ��bi-r�flexion��, ce qu'on laisse dans le ��pr�-r�flexif�� et qu'on hallucine. C'est voir quelque chose qui n'est pas l� et que je suis seul � voir. C'est croire quelque chose � quoi personne ne croit. C'est entendre sentir, go�ter, toucher... tous les sens sont int�ress�s par les hallucinations ‑ et m�me la sensibilit� g�n�rale et m�me la motricit� g�n�rale ‑ c'est donc �tre atteint d'un syndrome v�ritablement schizophr�nique, jusqu'� la schizophr�nie catatonique, ou parano�de : pers�cuteur-pers�cut�. Ii s'agit d'un monde autistique, ferm� sur lui-m�me, un d�lire de pers�cution, un d�lire d'empoisonnement, un d�lire de jalousie, un d�lire d'amour : l'�rotomanie. Je suis seul � croire, � poss�der, � me sentir agi, � me sentir influenc�, � voir des choses o� il n'y en a pas, � entendre l� o� l'on n'entend rien, etc. On retrouve dans le r�el, la Pythie partout, l'� ��inconscient�� tel que je viens d'essayer de le d�finir, qui est partout[5]. Il n'y a pas de formation symbolique ��bi-r�flexive��. On reste dans une symbolique ��pr�-r�flexive��; il n'y a pas encore ce que Lacan appelle LE symboIique,. par rapport � LA symbolique. Je dirai que toute religion fonctionne fondamentalement comme �a. Les religions gardiennes de l'imaginaireUne religion, c'est, en dehors du c�t� m�taphysique � je ne suis pas pr�tre, je n'ai pas � m'occuper du c�t� m�taphysique de la religion �, un ��pr�-r�flexif��, un inconscient qui fonctionne collectivement comme l'oracle de Delphes. Delphes fait partie int�grante du religieux : de la th�ologie du Dieu Apollon. Ce syst�me fonctionne comme une schizophr�nie, une parano�a[6]. La schizophr�nie, c'est l'Hindouisme par exemple; la parano�a c'est le Juda�sme, c'est l'Islam; la maniaco-d�pressive c'est le Christianisme. Dans toutes les religions l'on trouvera une th�matique psychopathologique. Je ne dis pas qu'elles se r�duisent � �a, je le r�p�te, mais elle est l� cette th�matique. Existentiellement, une religion est un syst�me qui nous permet de drainer ces noyaux pathologiques, ces noyaux psychotiques. Elle nous permet de les drainer, de les contenir, de les ma�triser, � moins qu'elle ne tombe elle-m�me dans son propre pi�ge qui est le fanatisme et qui est sa perversion. Elle nous permet de n�gocier les noyaux pervers, comme les noyaux psychotiques. Quand Freud disait : ��la religion c'est une n�vrose obsessionnelle collective��, il �tait gentil; si �a n'�tait qu'une n�vrose obsessionnelle... Mais c'est toute la pathologie mentale qu'elle rec�le et la pathologie lourde fondamentalement, d'abord la schizophr�nie, la parano�a, les d�lires chroniques, la maniaco-d�pressive et toutes les perversions. Pourquoi permettent-elles de les traiter ? Parce qu'elles nous les pr�sentent comme la Pythie de Delphes : ��Tu es cela qui est pers�cut�, tu es cela qui est pers�cuteur��. ��Tu es��, entendez-le comme vous voudrez ! ��Tu es cela qui est morcel� et qui a dix mille dieux; tu es cela qui doit mourir pour rena�tre dans ton initiation maniaco-d�pressive��. Ce sont tous les Livres des morts; c'est de la po�sie, et � combien ! C'est la po�sie fondamentale de l'homme, si l'on ne veut pas y voir autre chose. C'est cela un texte sacr� et �a fonctionne comme chez les meilleurs psychiatres. Les religions sont les meilleurs ��asiles�� d'ali�n�s... que nous sommes. D'ailleurs il suffit d'observer ce que donne aujourd'hui le d�clin des religions, il faudra faire avec�! �a s�est d�j� produit dans l'histoire, � la fin de la p�riode romaine. C'est Flaubert, je crois, qui disait dans sa Correspondance que, de Cic�ron � Marc Aur�le, l'homme, pendant pr�s de 200 ans avait v�cu sans dieux. Les dieux romains mouraient, et le Dieu chr�tien n'�tait pas n�. Il est n� � socialement ‑ au IIIe si�cle de notre �re, en tant que religion d'�tat. Donc il y a des p�riodes o� l'homme s'est assum� sans dieux et sans Dieu. On en traverse une, ce n'est pas facile. Et le Dieu � les dieux � qui va na�tre, on ne sait pas o� il na�tra, quand il na�tra, ce qu'il sera. Ceci pour dire que, pour l'instant, nous n'avons plus l'��asile psychiatrique�� que renfermait une religion, et ce n'est pas facile. Ces religions fonctionnaient � ou fonctionnent encore � sur ce mode� delphique �, qui nous r�fl�chit nos d�sirs et nous dit notamment comment il faut traiter avec le sado-masochisme qui nous habite. Il n'y a rien de plus ��sado-masochiste�� que le Christianisme ou le Juda�sme dans toute la p�riode de l'Exode. Il faut imaginer ce peuple, prisonnier des Egyptiens et qui, chaque fois que Mo�se s'entend avec Dieu � le P�re � YHVH � pour le lib�rer; celui-ci se reprend et lui dit : � Non, non, non, pas encore, souffre�! souffre ! souffre ! continue � souffrir ! � Et �a dure �a dure, on n'en finit pas de souffrir. Et puis quand �a triomphe, alors on n'en finit pas de faire souffrir l'autre : les Canaan�ens en l'occurrence quand les H�breux sont arriv�s d'Egypte pour les coloniser. C'est qu'il n'est pas possible � l'homme de tout symboliser, de tout �� m�taboliser�� au niveau de la ��bi-r�flexivité » symbolique et imaginale. Il y aura toujours du non-dit, toujours du refoul�, toujours du d�ni� et toujours du forclos. Et ces m�canismes � surtout le forclos �, on va les retrouver ��hallucin�s��[7] dans une religion ou une autre, une secte ou une autre, une id�ologie ou une autre. Les id�ologies, qui sont des ersatz des religions, fonctionnent aussi comme �a. C'est l'heure, plus que jamais, de se reporter au communisme, surtout stalinien. Durant ces 70 derni�res ann�es, le communisme a fonctionn� comme une vraie religion, mais surtout dans sa forme perverse. Tout cela fonctionne pourtant comme � le secret �, le non-dit, le refoul�, le d�ni� et le forclos. Quoi qu'on fasse on n'�vitera jamais un certain degr� de non-dit, et d'ailleurs si on se disait tout, on s'entre‑tuerait encore plus vite ! On ne serait plus l�. Le simple mensonge est un mensonge d'abord pieux, par respect de l'autre. Dans la plupart des cas, si on disait ce qu'on pense � ceux qui passent, tous les jours l�, dans nos cabinets, on n'en verrait plus aucun � la s�ance suivante. Il est �vident que l'on s'arrange avec le mensonge toute la journ�e et la vie sociale n'est faite que de demi-mensonges; la vie politique, n'en parlons pas ! Et il le faut. Ne soyons pas des boy-scouts, on ne peut pas faire sans cela. Le refoulement �a va un peu plus loin d�j� et dans le refoulement il y a le ��retour du refoulé », qui peut �tre sauvage, barbare, sans pouvoir pour autant expliquer ��un retour du refoulé » du type hitl�rien, nazi. Pour assister � un ��retour du refoulé » du type nazi il faut qu'il y ait le d�ni de r�alit�, voire la forclusion. Hitler �tait fou, et son syst�me d�lirant parano�de se trouve dans Mein Kampf. Il nous a donn� son d�lire. On ne peut pas dire qu'on ne savait pas, il en a �crit sept cents pages environ. Il les a donn�es � lire au monde entier, semblant vouloir nous dire : Faites-en ce que vous voudrez, mais si vous me laissez faire, voil� ce qui va arriver ! Est-ce qu'on ne le savait pas ? Les. communistes qui nous d�clarent aujourd'hui � propos de Ceausescu : ��Mais on le savait pas��. Non ce n'est pas possible ! Les camps nazis, on ne le savait pas non plus ! Voil�, pour le moins, de la ��d�n�gation��[8]. On en avait besoin, c'est tout, reconnaissons �a ! Notre sadisme � et notre masochisme � avait besoin de �a, � l'�poque; y compris celui de ceux qui combattaient les nazis, � commencer par le p�re de Gaule. L'archange et le dragon : il n'y a pas l'un sans l'autre ! On fonctionne comme �a et on ne l'emp�chera pas de si t�t. Si l 'on peut rompre, par exemple � propos de votre patiente, le cercle vicieux de la r�p�tition, en l'amenant � symboliser ��bi-r�flexivement�� le ph�nom�ne, tant mieux ! Il est probable que son enfant s'en trouvera mieux; elle aussi; ainsi que son mari, son compagnon actuel qu'elle fait p�re de son enfant, alors qu'elle sait que ce n'est pas lui, comme pour �dipe ses parents ph�notypiques; tout le monde s'en trouvera mieux. Mais on ne peut pas toujours rompre ce cercle vicieux de la r�p�tition; auquel cas, on fait ce qu'on peut. �a peut �tre d�volu � la g�n�ration suivante Les Hindous appellent �a le Karma, cela n'est pas plus maL On na�t avec un Karma et si on est l�, c'est qu'on a un Karma � purger, sinon on serait ��lib�ré ». On n'aurait pas � revenir sur cette terre de purgatoire, on en aurait termin�. Alors si on est l�, c'est qu'il y a un Karma � r�dimer. C'est-�-dire une ��r�p�tition��de ce type, du type de votre patiente, du type d'�dipe, et du type de toutes les histoires des mythes qui racontent, ainsi que les religions d'ailleurs, qu'il faut ��purger�� jusqu'� �puisement nos ��fautes�� ou nos ��attachements��. Par cons�quent, il faut s'atteler autant qu'on le peut, � lutter contre cette ��r�p�tition�� du destin, tout en sachant qu'on en viendra jamais � bout. �a a l'air pessimiste mais c'est concurremment rassurant. La mesure humaineEn homme qui exerce depuis trente ans pass�s, en fin de carri�re, si je n'avais pas l'issue de secours de me dire : j'ai fait ce que j'ai pu m�me si j'ai peu pu, je ne serais pas suffisamment satisfait des r�sultats que j'ai eus tout au long d'une carri�re finalement peu gratifiante si je ne pouvais aussi me dire : on ne vient pas � bout de tout Il ne faut pas se prendre pour la Toute-Puissance, ou la Toute-Science, ou la Toute-Pr�sence Tous ces attributs sont divins, on n'est que des hommes, et n'�tant que des hommes on fonctionne sur ce mode inconscient ��pr�-r�flexif�� � plus de 50%. J'attribuerai 40% au ��bi-r�flexif�� et j'ajouterai � mais �a c'est pour le chapitre Imaginal qu'on n'a pas entam� aujourd'hui � l0% de ��trans-r�flexif��. L�, je suis optimiste. On fonctionne donc sur ce mode � pr�-r�flexif �, disons pour au moins la moiti� de notre connaissance actuelle; on est conscient au niveau � bi-r�flexif � que d'une petite moiti� de nos connaissances possibles. L'autre moiti� est encore chez la Pythie de Delphes, dans l'Inconscient collectif et individuel � � savoir dans le � pr�-r�flexif �, et dans ce � pr�-r�flexif � entrent toutes les cat�gories du ��secret�� qu'on vient d'essayer de cerner avec le simple non-dit, le simple mensonge, plus ou moins pieux, le refoulement, la d�n�gation, le d�ni de r�alit� et la forclusion. D�cembre 1989 � � � Pierre Soli� est d�c�d� en 1993, voici ce qu�en dit Michel Cazenave�: In Bulletin Interactif du Centre International de Recherches et �tudes transdisciplinaires n� 1 - Mars 1994 (sur http://perso.club-internet.fr/nicol/ciret/bulletin/b1c2.htm#ps) PIERRE SOLI�(1930-1993) M�decin par formation et par vocation, psychanalyste par vocation et par passion de l'�me humaine, Pierre Soli� est de ceux qui auront fait toute leur vie du transdisciplinaire par inclination naturelle. Rien de plus important pour lui, en effet, que de traverser conjointement les domaines de la m�decine et de la biologie, de la psychologie, de l'anthropologie et de l'histoire des religions, en y recherchant sans arr�t des effets de structure qui eussent r�uni toutes ces sciences � tout en respectant leurs diff�rences fondamentales et leurs sp�cificit�s fonda-trices. C'est un esprit vaste, curieux, sans arr�t en recherche et en mouvement, qui nous a quitt�s l'automne dernier et dont l'absence, depuis, se fait cruellement sentir. MICHEL CAZENAVE Livres de Pierre Soli� toujours disponibles : La Femme essentielle (Seghers) La dynamique de l'�me (Poiesis, diffusion Le Mail) Le Sacrifice (Albin Michel) � � [1] � Pierre Soli�, La Femme essentielle, Seghers-Laffont, Paris. Le Sacrifice, Albin Michel, Paris. [2] � Comme chez Oreste et Electre. Cf. P. Soli�, Les destins de l'�me, S�veyrat, Paris. [3] � En tout cas l'��Inconscient collectif�� de Jung. [4] � Verdrangung : refoulement; Verleugnung : d�n�gation; Verneinung : d�ni (de r�alit�); Verwerfang : forclusion. [5] � La � psych� objective � de Jung. [6] � Mais ne me faites pas dire qu'une religion se r�duit � cela. [7] � L'hallucination est imaginaire; la ��Vision��, ou ��Audition��, ou ��Olfaction��... mystique, est imaginale. [8] � Tout secret, quelque part, est ��secret de polichinelle��. C'est l'��inconscient�� de Sartre comme ��mauvaise foi��. |
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