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Regard sur la Psychologie


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L'individuation

Roland Cahen

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Roland Cahen a traduit les principales �uvres de C. G. Jung en fran�ais. Il a anim� de nombreuses conf�rences, particip� tr�s activement � tout ce que la psychologie comptait de vie sociale de 1950 � 1992. Il fut longtemps pr�sident du Groupe d'�tudes C.G. Jung � en 1957. Il fut �galement l'ami de Pierre Soli�, autre figure de la psychologie analytique. Nous pensons que le mouvement jungien en France lui doit beaucoup et qu'il fut injustement �cart� des cercles dirigeants de la Soci�t� Fran�aise de Psychologie Analytique.
L'article ci-dessous a �t� �crit sur notre incitation car nous pensions que Roland Cahen avait beaucoup � dire sur � l'Individuation �, une des notions � C. G. Jung n'a jamais construit de th�orie et il ne s'agit donc pas de concept � les plus difficiles � comprendre de la psychologie analytique.
Faisant une recherche pour trouver des informations concernant Roland Cahen, nous apprenons son d�c�s � tous renseignements sur les pages du groupes C. G. Jung. Puisse cette publication lui rendre hommage.
Illel Kieser

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Je viens de me demander comment il se fait qu'ayant �crit depuis 40 ans de nombreux articles, donn� d'innombrables cours et conf�rences, je n'ai jamais pris l'individuation pour th�me. Si j'en ai parl� de bric et de broc, jamais je n'ai pris cette ligne de r�flexion comme axe principal. A l'�vidence cela ne peut �tre d� au hasard et doit r�pondre � des motivations profondes.

N'y a-t-il pas lieu de se demander lesquelles ?

Si depuis 30 ans, j'ai �vit� d'aborder ce sujet de front, c'est � l'�vidence qu'il est redoutable, voire dangereux. Redoutable, car il lance un d�fi � l'auteur, � son faible savoir, � son exp�rience parcellaire, � sa totalit� seulement entr'aper�ue, � son propre devenir d'individu, � sa propre individuation en marche et jamais atteinte jusqu'� l'heure de son dernier souffle.

Mais cela me semble secondaire, ayant abord� par la plume et par le discours des th�mes apparemment autrement scabreux. Ce qui me semble avoir �t� d�terminant, c'est que ce sujet est dangereux, singuli�rement pour le lecteur ou l'auditeur.

Dans l'agitation intellectuelle, dans l'effervescence et la d�sesp�rance actuelles, dans la soif de merveilleux, de magique, signes et exposants d'un manque grave d'une recherche vraie, d'une qu�te de vie spirituelle, le lecteur peut se demander en premi�re impression : qu'est-ce que ce nouveau ��blabla��, qu'est-ce que cette nouvelle m�taphysique g�latineuse, qu'y-a-t-il dans cette pataphysique ? Or c'est tout l'inverse, c'est le concret et la sacr� m�me de l'homme qui est en cause.

Dans la h�te, la voracit� et la rapacit� de l'homme moderne, ce vecteur de l'individu et cette id�e de l'individuation ne sont-ils pas la porte ouverte � bien des malentendus, des abus, des �go�smes, des auto-satisfactions, des gargarismes et finalement une fuite dans l'�go�sme, le narcissisme, le solipsisme, un refuge dans le marginal et l'irr�el.

Il ne faut pas, en avan�ant un terme ou une notion, priver le lecteur de sa spontan�it�, de sa chance d'�volution naturelle, d'une naissance � lui-m�me, d'une renaissance en esprit, � cause d'un terme mani� avec l�g�ret� dont il fait une fabrication intellectuelle et un nouveau ��b�ton bloquant��

C'est pour toutes ces raisons que j'ai �vit� jusqu'� pr�sent de traiter de l'individuation. Celle-ci ne doit surtout pas �tre confondue ou associ�e � Dieu sait quel concept intellectuel donnant lieu � des joutes dialectiques.

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L'individuation est de l'ordre du plus intime, de l'ordre du d�roulement le plus spontan�, faute de quoi elle serait d'embl�e vici�e, voire vicieuse et perverse (la pornographie est pr�cis�ment une illustration de ces d�viations), ce qui peut engendrer, comme nous le montrerons, de grandes catastrophes personnelles et collectives.

L'individuation rel�ve donc pour une grande part de l'ordre de l'intime, du discret de l'�tre et non du para�tre et par cons�quent du secret et du sacral, car c'est sans doute elle qui est appel�e � nous relier au sacr�.

Si donc, pendant 30 ans, je me suis tu sur ce sujet, c'est qu'il fallait �viter en la mati�re banalisation et vulgarisation quelles que soient les peurs, les anxi�t�s, les angoisses, les paniques de nos contemporains qui, pour y �chapper, somment, en quelque sorte � travers les m�dias, les hommes de l'art de leur livrer co�te que co�te ce qu'ils esp�rent pouvoir �tre une panac�e.

Une panac�e sans doute pour certains, en tout cas une dimension capitale s�rement mais qui pour nous ne sera bienfaisante que si elle est prise et �labor�e � bon escient.

Et puis, il fallait aussi compter avec les r�sistances de tout un chacun et du public en g�n�ral, avec la folie du moi qui se veut seul existant alors que chacun est scind� au moins en deux parts de son �tre.

Il fallait compter avec les d�fauts et les faiblesses de la vie int�rieure � laquelle personne en Occident n'est pr�par�, avec la faiblesse du pouvoir d'abstraction et sa monopolisation, sa captation par le monde des choses, des objets et de la logique dite cart�sienne.

Mon retrait, mon refus de parler de l'individuation correspondait donc au besoin de ne pas d�sacraliser la croissance de l'�tre, d'un �tre et des �tres, de ne point l'arr�ter par le fait m�me d�en parler mal, ne point la gauchir.

Mon silence au fond doit �tre rapproch� de l'herm�tisme d'un Lacan qui �tait sans doute conscient du m�me probl�me mais, qui, ne pouvant pas ne pas parler � sa meute, se drapait pour une part dans un herm�tisme langagier de d�fense.

Sa solution �tait sans doute plus populaire que la mienne mais elle n'en �tait pas pour autant meilleure, sa s�duction versant souvent malheureusement dans une subduction, c'est-�-dire une s�duction pervertie et pervertissante.

Mais cette pr�occupation est tellement essentielle, capitale et lourde que cela ne pouvait pas en rester l�. �tre un individu, devenir un individu, devenir l'individu que l'on est, na�tre � qui l'on est, et tout cela au c�ur d'une soci�t� �crasante, d�voreuse d'individus, au c�ur d'une massification grandissante, �touffante de tout devenir personnel, ne pouvait pas ne pas susciter, � d�faut de r�volte et d'explosion, une mise au point permettant, je l'esp�re, de m�nager � chacun dans sa vie, dans son mental et dans son devenir, dans son besoin de comprendre et dans ses aspirations � la v�rit� une sente cheminant entre ces pi�ges et ces labyrinthes tant ext�rieurs qu'int�rieurs permettant de contourner les obstacles et de d�boucher dans une verte clairi�re : celle d'un �quilibre � la mesure vraie de l'homme d'Occident et de son �tre.

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Depuis toujours, ou presque toujours, le ph�nom�ne individu et partant le ��devenir un individu�� et l'individuation donc, ont �t� une pierre d'achoppement ou une interrogation, voire un �merveillement pour toutes les t�tes pensantes, et par cons�quent pour les philosophes. Certes, l'individu n'a pas toujours exist�, il a �t� pendant des mill�naires noy� dans la masse tribale et ce n'est que lorsque le niveau de conscience en a permis la perception, la s�paration, la s�paration de la participation mystique et collective que l'individu et son devenir, de la naissance � la mort, de l'esclave au roi est devenu une pi�ce essentielle sur l'�chiquier de la vie collective et personnelle. Nous retrouverons � tous les �chelons de notre r�flexion ce balancement entre la fusion des origines, l'arrachement � la collectivit� g�nitrice et nourrici�re pour l'affirmation de soi et nous verrons combien, dans la crise actuelle de soci�t� souvent saccag�e et d�truite, les probl�mes de ��reliance��, contraignent l'individu � construire un �difice nouveau dans son propre sein, dans son propre c�ur, dans son mental, ce qui dans les cas heureux semble d�boucher sur ce que j'ai appel�, il y a 30 ans, une simplicit� de retour � le probl�me ne m'�tant pas �tranger �, c'est-�-dire une simplicit� retrouv�e dans les liens sociaux, dans les rapports inter-communautaires, dans les liens vrais du c�ur, liens �chappant aux contraires de filiation et au feed-back projectif.

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C'est � Leibniz que revient le m�rite d'avoir en 1551, abord� le probl�me de la fa�on la plus directe dans son ouvrage : Principe d'individuation.

D�s lors, le fait de devenir un individu, individu dot� d'une existence singuli�re, devient le probl�me en cours d'acceptation sociale.

Mais comme l'histoire l'a montr�, il faudra plusieurs si�cles pour que s'individualise entre deux individus d'une m�me esp�ce le droit � la diff�rence et pour que le fait d'exister en tant qu'individu avec ses caract�res particuliers soit reconnu � l'�tre humain en g�n�ral, � l'homme certes le premier puis � l'enfant, � la femme et finalement tout r�cemment � l'�tranger et � l'�migr� ou l'immigr�.

Avant l'av�nement de la psychologie des profondeurs, cette �volution des id�es, des choses et des �tres va prendre un tour tout neuf d�terminant une acc�l�ration folle de l'Histoire. Pour Freud encore, il y a une psychologie de l'humain, singuli�rement celle de l'homme, celle de la femme �tant rang�e dans le m�me placard et ne s'individualisant au mieux qu'en creux et en bosse par rapport � la psychologie de l'homme.

C'est � C. G. Jung que revient le m�rite historique, � la suite de la perc�e freudienne, d'avoir per�u l'immensit� du probl�me de l'individuation, devenu un probl�me majeur et central singuli�rement � la suite de la plong�e dans l'inconscient profond et collectif et de son irruption dans le monde et les param�tres de la pens�e qui se devra d'en �tre dor�navant profond�ment modifi�e et r�nov�e.

Redonnant une vie neuve, des accents nouveaux, des harmoniques inconnues au terme m�me d'individuation, C. G. Jung appara�t au regard historique comme le grand r�novateur de tout ce qui dor�navant va concerner l'individu en tant que tel et l'individuation. Freud l'a abord� seulement sous l'angle de la prise de conscience et de la sublimation, ce qui est d�j� �norme.

L'individuation, en effet, voit sa probl�matique compl�tement d�plac�e et r�nov�e du seul plan de l'extraversion vers les dynamismes essentiels de l'introversion et surtout vers le dialogue dor�navant reconnu comme in�luctable des dehors et des dedans d'un individu.

Ce qui �tait pr�c�demment une confrontation, un affrontement entre soci�t� et individu dans un sens, sujet et collectif dans l'autre, similitude et singularit� dans un sens, sujet et identit� dans l'autre, va se voir extraordinairement � la fois complexifi� et diversifi� par l'irruption majeure de l'inconscient et des param�tres inconscients.

Car dor�navant la soci�t� appara�t flanqu�e de l'inconscient social, de l'inconscient du groupe avec ses Surmoi, ses id�aux du Moi, lois r�fl�chies et raisonn�es, certes, mais aussi ses implications, ses contraintes et ses compulsions f�roces; et le sujet appara�t pour son compte avec toute sa tra�ne, toute sa smala de pr�-conscient, d'inconscient personnel, d'inconscient familial, d'inconscient collectif, tout cela s'enracinant dans sa couche psycho�de, dans son imaginaire fabulant, son symbolisme balbutiant, son psychosomatique surmen�, harass�, pollu�, plus ou moins en d�route.

L'on comprend � cette �num�ration les conflits personnels, familiaux, sociaux des �tres, des nations, conflits qui ont marqu� l'histoire, et l'on s'accordera sur le fait qu'il faut beaucoup d'entendement pour viser, � l'aube de l'�re psychologique o� nous sommes, � f�d�rer tous ces courants discordants et souvent contradictoires.

Le travail sur l�Ombre

Pour C. G. Jung, l'individuation est un chemin personnel, � la fois supr�mement personnel et supr�mement reliant au social. Ce chemin singuli�rement commence avec la confrontation avec l'Ombre[1]. C'est � celle-ci que pr�side en particulier l'analyse personnelle, qui se poursuit pour les futurs professionnels par l'analyse didactique. C'est cette confrontation avec l'ombre qui sera le moteur de d�part de la fus�e �volutive.

Mais une erreur est fr�quemment commise : ce travail � deux effectu�, beaucoup de professionnels se croient sur la bonne orbite, vivent et pensent que le travail de l'Ombre a �t� accompli une fois pour toutes et ils en d�tournent leur attention.

Certes, les sensibilit�s sont diverses et les n�cessit�s de travail le seront �galement.

Il me semble aujourd'hui capital d'affirmer, � la suite de C. G. Jung, que le travail de l'Ombre, que le labourage des champs de l'Ombre ne doive jamais cesser, car on n'en a jamais fini avec cette Ombre �ternellement et quotidiennement renaissante !

Si la r�alit� est la sauvegarde du penseur, le travail constant avec son Ombre devra �tre dite pour la sauvegarde du psychologue et du psychanalyste, qu'il soit novice, apprenti, confirm� ou v�t�ran dans cette activit�. Le sort des professionnels de la psychologie me semble se jouer l� comme aussi au plan g�n�ral et politique se joue l� le sort du monde.

Pratiquement que faire ?

Tout b�tement avoir pour son psychisme les m�mes soins et les m�mes n�cessit�s de toilettage que pour son corporel. Si tous les matins nous lib�rons nos intestins de ses d�jections, sans doute faut-il avec la m�me r�gularit�, tous les matins, envisager le probl�me de la tripaille psychologique.

Si pour le corps on dispose de chasse d'eau et d'eau de Javel, la seule eau de Javel de l'Ombre sera, h�las, la seule flamme tremblotante de la conscience.

Et quelle est faible cette flamme vacillante d'une bougie appel�e conscience ! Combien elle �claire peu et mal, combien elle est soumise � des contraintes, � des d�tournements, aux ��il faut�!�� du para�tre et aux tu dois des n�cessit�s, aux retournements des vestes des int�r�ts !...

Or, dot� de moyens d'action ext�rieurs fabuleux, de champs int�rieurs encore en cours de d�couverte, l'Homme d'aujourd'hui doit faire preuve d'une libert�, d'une responsabilit� accrue et vigilante au risque de se perdre.

Combien est faible, d�sesp�r�ment faible et vacillante la petite flamme de sa conscience, seul soutien de son �thique.

Et c'est pourtant cette flamm�che qui doit m'�clairer sur ma paresse, sur ma l�chet�, sur mes �go�smes, sur mes faux-fuyants (si vous voulez), sur mon verbiage, mes manques d'affection, mes manques d'amour, sur tout ce que l'on a �cart� joyeusement pour se dorer la pilule et se faire une belle image de soi-m�me. En la mati�re, on peut ici faire la somme des apports r�ducteurs de Freud, d'Adler, de Jung et de tous les autres ; chacun a r�v�l� une part de l'Ombre : Freud et la concupiscence, l'�dipe, les impulsions sur les �tres et les choses, (les folles) ; Adler avec la domination de l'autre et la tyrannie ; Jung et l'inconscience quasi g�n�rale.

Ce n'est que par une prise de conscience de l'Ombre, aussi pouss�e et minutieuse que faire se peut, que l'�tre peut sentir en lui s'organiser, se concentrer, se d�gager son �me.

De nos jours, on ose � peine prononcer le mot �me, cet organisme naturel et merveilleux qui a fait chanter tous les amants et tous les po�tes.

Essayons pour la clart� et nos besoins de th�rapeute d'en circonscrire le domaine.

Pour notre domaine, nous pouvons avancer que l'�me est cet ensemble t�nu et subtil, fugace et imp�rieux de tout ce qui vit en moi et �chappe � ma conscience instantan�e du moment et du moi.

Tout ce que je pressens et devine en moi de moi-m�me, toutes ces mouvances int�rieures, tous ces d�placements d'images et d'�nergie, toutes ces perceptions de besoin, de d�sir, tous ces �lans de fantasmes et de r�veries, toutes ces vell�it�s d'acte, tous ces passages r�ussis ou avort�s � l'action, de la tendresse la plus fine � la violence la plus brutale que les hommes ont depuis toujours �pingl�s du mot �me participent d�s lors du plus superficiel au plus profond de la pyramide inconsciente et de toutes les structures de l'�tre mental.

Prenant conscience de son Ombre, l'�tre d�bloquera le jeu subtil, les jeux subtils et essentiels de son �me.

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Le travail sur l'Ombre va s'accompagner, en route vers les larges horizons vers lesquels le sujet chemine, de processus psychologiques qui seront comme autant de bornes sur sa route : il �tait d�s l'enfance et ses imitations identifi� aux parents et il va devoir s'en d�sidentifier, il va devoir se d�sidentifier des images de la m�re et du p�re et des impr�gnations dynamiques qui �manaient de l'une et de l'autre.

De fa�on plus g�n�rale, il va se d�sidentifier des impr�gnations inconsciemment �mises. Ces impr�gnations, certes, �taient n�cessaires � sa formation, mais il devra prendre conscience et se lib�rer de ce qu'elles avaient d'opprimant, de contraignant, voire d'oppressant et d'ali�nant. Il va devoir se d�sidentifier des images de l'autre que l'autre et les autres plaquaient sur lui. Il va devoir se distancer du regard de l'autre et des autres pour na�tre � son propre regard sur les choses et les �tres, prenant ainsi du champ de ce qui en lui a �t� mal form�, mal construit et qui a contribu� aux images infantiles qui perdurent en lui et qui bloquent l'av�nement de sa stature et de ses structures personnelles.

Tout cela devra se faire avec tact et mesure, avec soins et clairvoyance car il ne s'agit pas dans cette �volution de vider l'enfant avec l'eau du bain.

Si ainsi, par exemple, une jeune fille doit prendre ses distances avec l'image du p�re vivant en elle, un exc�s dans ce sens allant jusqu'� l'�vitement du nom du p�re �branlerait jusqu'aux bases de l'�difice mental et d�s�quilibrait le tout.

L'�vitement de la dette symbolique est synonyme de d�sertification et d'aridit�.

Se situer en face de la loi des �tres et des choses, se situer dans la cha�ne de la filiation, c'est pr�cis�ment � l'oppos� du pi�tinement de la loi.

Ce travail au niveau de la diff�renciation d�terminera de nombreux prolongements, de nombreuses r�percussions, de nombreux remodelages au niveau des projections et des r�seaux projectionnels.

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Il ne s'agit pas dans ce travail de d�crire pas � pas tous les �chelons d'un processus �volutif variable dans chaque cas d'esp�ce.

Je n'ai cit� la diff�renciation et les �laborations projectives que pour donner une id�e de ce qui se trame normalement au fond d'un �tre et de ce qui peut �tre entrepris sur le chemin �troit de l'initiation � soi-m�me.

Ce chemin �troit rappelle, certes, la porte �troite des �critures, et ce n'est s�rement pas un hasard, mais laissons de c�t� momentan�ment cet aspect du religieux et contentons nous de constater que l'�volution humaine au plan le plus humain est difficile, voire h�ro�que et parsem�e d'emb�ches.

Cette �volution vers son individuation est un ph�nom�ne bio-psychologique naturel et n�cessaire � l'�volution des �ges. Encore faut-il se mettre en route et qu'il red�marre, qu'il se relance quand le sujet, suite aux avatars de sa vie, de l'enfance, de l'adolescence, de la maturit� ou du grand �ge se trouve arr�t�, bloqu�, pi�tinant sur place hors du d�roulement du temps.

A cause de cette pyramide des �ges, les probl�mes d'un m�me individu � 10, 20, 40 ou 60 ans sont tr�s diff�rents, exigeant parfois des d�marches et des solutions compl�mentaires, voire contradictoires.

Ce sujet, en outre, d�j� agress� par les probl�mes de sa pyramide d'�ge va devoir faire front dans son environnement � la pyramide des g�n�rations, au probl�me de filiation, filiation re�ue et filiation donn�e, chacun des partenaires de la vie ayant des n�cessit�s, des besoins, des app�tits, des degr�s de maturit� infiniment divers.

C'est l'affectif, l'amiti�, l'affection, l'amour qui, � la fois, nous impliquent et nous permettent de ne pas trop nous y prendre dans ces tourbillons relationnels : relation, rencontre, affrontement, conscience, renoncement, sacrifice seront comme des jalons et des bornes dans les d�roulements de la com�die humaine.

La conscience que l'on peut se faire des choses et des �tres est, me semble-t-il, une des ressources essentielles pour essayer de traverser la vie en y voyant clair et temp�rer par l'exemple les explosions de l'affectif.

Compr�hension, v�rit�, amour seront les grands points cardinaux dans cette d�marche.

L'amour a �t� pr�ch� il y a 2000 ans, les hommes de science ont essay� d'y adjoindre la v�rit�, la psychologie des profondeurs nous a fait le don d'une compr�hension neuve et r�novatrice. On ne saurait vivre sans valeurs, chacun de nous est porteur de valeurs conscientes pour une part, ignor�es et inconscientes pour une autre part. Souvent, un sujet ne sait pas ce qu'il y a au-dedans de lui et s'ali�ne en v�rit� en projetant, en faisant porter, en donnant ses valeurs � un autre ou � une autre, r�ceptacle de son anima ou de son animus.

L'amour qu'il resterait � d�finir est, certes, le plus grand pacificateur de l'homme avec l'autre et avec lui-m�me. Il ne cherche pas et n'agresse pas comme la s�duction manipulatrice, car il s�duit en lui-m�me, � son insu.

L'amour n'�tant pas � disposition, surtout pas � la disposition de ceux qui ne savent et ne peuvent aimer, dans tous les cas de blocage de cette d�marche, dans tous les cas de surgissements de sympt�mes, de maladies cliniques, le m�dicament de choix, l'instrument th�rapeutique s'appelle analyse, analyse psychologique, psychanalyse, dont la finalit� principale est d'aider le sujet � retrouver le fil rouge de son individuation. Au sein de l'analyse, les probl�mes difficiles �voqu�s plus haut seront � la fois facilit�s et complexifi�s par les ph�nom�nes et les liens de transfert et de contre-transfert qui aideront � les d�nouer et � les faire passer � un plan plus �lev� de conscience.

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Je voudrais terminer en vous signalant les joies et les dangers de l'individuation.

Une individuation r�ussie est un �v�nement qui va lib�rer dans le sujet : �quilibre, solidit�, sant�, avec une grande puissance en lui-m�me de travail, de concentration, de r�flexion et aussi une grande puissance d'irradiation tout autour de lui. Un �tre qui s'est r�alis� ressemble � un colosse. Comment ne pas penser � Goethe et � Victor Hugo ?

Une individuation manqu�e peut �tre manqu�e � diff�rents �chelons, depuis les blocages de l'enfance, la n�vrose des parents, les faux aiguillages de l'adolescence, etc. Chaque sympt�me est comme une marche manqu�e dans l'ascension du long escalier de son individuation. Mais une marche manqu�e, Dieu merci, se rattrape � l'occasion de telle ou telle difficult�, de telle ou telle crise, m�me si c'est de fa�on plus ou moins acrobatique. Par contre, si d'embl�e, ou en cours de route, un sujet prend le mauvais escalier, voire le mauvais ascenseur, alors les cons�quences risquent d'�tre tr�s lourdes.

Pour donner tout son poids � ce que j'avance, je vous cite un document : Il s'agit d'un passage, extrait d'une lettre que Jung �crivit au P�re White au printemps de 1952.

��Le conservateur du mus�e de l'Histoire des sciences d'Oxford m'a envoy� une s�rie de r�ves plut�t assez longue qu'il a trouv�e, dans les manuscrits d'un certain Elias Ashmol�. Il a publi� le Theatrum Chemicum Britannicum.� (qui correspond pour Jung dans ses �tudes sur l'Alchimie au cin�ma pour nous).

Ces r�ves s'�talent sur cinq ans. Ils contiennent et expriment l'histoire dense et significative d'une irruption de contenus inconscients dans une conscience, qui visent � promouvoir une conjunctio avec l'inconscient ; (Jung �tait en train de travailler au Mysterium Conjunctionis). Mais l'essai de cette conjunctio �choue parce que au lieu de la conjunctio souhait�e, appara�t � nouveau la conscience masculine pr�c�dente. � (C'est-�-dire une d�marche r�gressive bloquante et sans �volution heureuse. Au lieu d'�tre plus large et plus humain, le r�veur ne s'appuie que sur sa seule masculinit�, peut-�tre par manque de vis-�-vis, par manque de dialogue et par pers�v�ration.)

C'est une esp�ce de parall�le inconsciente au th�me de Faust. Cette d�marche culmine dans un symbole du Soi qui est le paradis au p�le nord accompagn� de quatre sources sur une colline et la chapelle de la vierge.�

Il s'agit d'un soi manqu�, froid, glacial, o� manque la chaleur du c�ur.��[2]

Voil� l'essentiel et le tragique de l'individuation avort�e. L'individuation, c'est cette d�marche qui doit, pas � pas, aider un sujet � �tre lui-m�me et � se rapprocher de plus en plus de ses axes pulsionnels, id�els, �motionnels. Chaque fois qu'un sympt�me psychosomatique appara�t, c'est qu'un �chelon sur le chemin de l'individuation a �t� loup�. Mais si cet �chec perdure et va d'�chec en �chec, s'il n'a pas �t� r�par�, l'individuation, au lieu d'aboutir � un �panouissement de l'�tre, aboutit � la mort, � la trahison de soi-m�me et des autres, voire � des assassinats. J'aurais envie d'ajouter et au cancer. Pour moi, l'image fondamentale de l'individuation loup�e, de ce contentieux �norme qui s'est accumul� dans une d�marche d'individuation gauchie et fauss�e, c'est le cancer ([3])

Certains sujets, en particulier parmi des intellectuels, pensent que, gr�ce � leur qualit� d'intellectuels, ils peuvent se passer d'analyse. C'est une d�marche fr�quente chez bon nombre d'entre eux et c'est une d�marche pleine de dangers, car tout un chacun, f�t-il un intellectuel brillant, a son ombre. L'individuation n'est donc pas une chose anodine. le fait d'�tre brillant au niveau de l'intellect ne nous met en rien, et au contraire, � l'abri de la n�cessit� d'entreprendre ce lavage des mains, cet ajustement � soi-m�me que l'on appelle une analyse, et ceux qui ��coquettent�� avec la psychologie sans entreprendre avec s�rieux cette d�marche, en g�n�ral, la paient cher. A bons entendeurs, Salut !

Il vaut mieux pr�venir que gu�rir. L'analyse est un processus dynamique qui, si manqu�e, peut avoir des cons�quences lourdes jusqu'� la mort.

Conclusion

Apr�s ce long p�riple o� j'ai essay� de ne rien vous cacher ni des joies, ni des douleurs, essayons de conclure. L'individuation est un long et merveilleux voyage : le voyage de la vie. L'individuation est un d�roulement qui doit nous amener � un �tat d'�tre qui a pouss� en nous et nous a aid�s � r�aliser notre totalit� psycho-biologique consciente et inconsciente, pulsionnelle et spirituelle. Il ne s'aurait s'agir d'une construction arbitraire. Une individuation r�ussie ne peut �tre que l'aboutissement d'un honn�te travail vis-�-vis de soi-m�me seul avec un tiers, d'un dur labeur d�terminant un d�roulement[4] d'une �volution, d'une maturation.

L'individuation, c'est se d�sidentifier. C'est devenir un individu. C'est s'individualiser apr�s avoir dig�r� tous les apports ext�rieurs et r�alis� ses propres structures.

L'individuation, ce n'est pas rejeter tout ce qui vient du dehors, c'est le recevoir, le dig�rer, l'int�grer, le faire sien tout en pr�servant sa propre individualit�. L'individuation, c'est faire vivre harmonieusement tout ce qui nous constitue, tout ce qui nous vient de l'inconscient personnel, familial, collectif, r�unir nos deux p�les f�minin et masculin, notre persona et notre ombre, notre esprit, notre c�ur et notre corps. l'individuation, c'est marier en soi l'h�ritage familial, social, religieux et ce qui nous appartient en propre, ce qui fait que nous sommes un individu diff�rent de l'autre, ce quelque chose qui nous fait unique.

En conclusion de la conclusion : l'individuation n'est pas un nouveau concept pour cabrioles intellectuelles et fuites ��paniquardes��. Une des r�sistances majeures qu'on oppose � l'individuation est que nous avons souvent l'impression que chaque pas vers l'individuation est en m�me temps un pas vers la mort, nous nous comportons alors comme si nous croyions �chapper � la mort en ne faisant pas un pas dans le sens de notre individuation. De fait, ce blocage infantile, ce surplace paralysant, ne fait qu'acc�l�rer la venue de la mort.

Ce que je vous ai propos� ressemble bien davantage � une forteresse, � la fois assez pleine et assez vide (selon Bettelheim) � la fois b�tonn�e et d�mantel�e ; il va s'agir d'en faire un si�ge patient pour reconstruire en son lieu et place bien plus qu'une forteresse mena�ante : une cath�drale accueillante, lieu d'un approfondissement d'individuation moderne, rationnel et irrationnel, � la fois, (illisible) et chaleureux, bref d'un individualisme moderne � r�inventer.

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([1]) C. G. Jung, Dialectique du moi et de l'Inconscient, Collection Id�es/Gallimard, 1973.

([2]) Correspondance g�n�rale, recueillie, choisie et �dit�e par G�rard Adler avec Aniela Jaff�, Tome 2, p. 260 (en langue allemande)

([3]) On a vu avec ceux qui participaient � mon s�minaire (Maison des Sciences de l'Homme - Hautes Etudes, 54 Bd. Raspail) la seconde ann�e, dans l'�change de lettres entre Jung et le p�re White, que White �tait pass� � c�t� de l'analyse, de l'individuation et qu'il mourut tragiquement d'un cancer.

([4])Si celui-l� est gauchi : le couteau de cuisine.

�Roland Cahen, Paris 1990. Cet article devait �tre �dit� par la revue Conscience de, N� 24, Lierre & Coudrier �diteur. Tous droits r�serv�s. Mauvezin le 21/01/2001 �

Malgr� nos recherches nous n'avons pas trouv� de site explicitement consacr� � Roland Cahen.

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