Je viens de me demander comment il se fait qu'ayant �crit depuis 40 ans
de nombreux articles, donn� d'innombrables cours et conf�rences, je n'ai jamais
pris l'individuation pour th�me. Si j'en ai parl� de bric et de broc, jamais je
n'ai pris cette ligne de r�flexion comme axe principal. A l'�vidence cela ne
peut �tre d� au hasard et doit r�pondre � des motivations profondes.
N'y a-t-il pas lieu de se demander lesquelles ?
Si depuis 30 ans, j'ai �vit� d'aborder ce sujet de front, c'est �
l'�vidence qu'il est redoutable, voire dangereux. Redoutable, car il lance un
d�fi � l'auteur, � son faible savoir, � son exp�rience parcellaire, � sa
totalit� seulement entr'aper�ue, � son propre devenir d'individu, � sa propre
individuation en marche et jamais atteinte jusqu'� l'heure de son dernier
souffle.
Mais cela me semble secondaire, ayant abord� par la plume et par le
discours des th�mes apparemment autrement scabreux. Ce qui me semble avoir �t�
d�terminant, c'est que ce sujet est dangereux, singuli�rement pour le lecteur
ou l'auditeur.
Dans l'agitation intellectuelle, dans l'effervescence et la d�sesp�rance
actuelles, dans la soif de merveilleux, de magique, signes et exposants d'un
manque grave d'une recherche vraie, d'une qu�te de vie spirituelle, le lecteur
peut se demander en premi�re impression : qu'est-ce que ce nouveau
��blabla��, qu'est-ce que cette nouvelle m�taphysique g�latineuse,
qu'y-a-t-il dans cette pataphysique ? Or c'est tout l'inverse, c'est le concret
et la sacr� m�me de l'homme qui est en cause.
Dans la h�te, la voracit� et la rapacit� de l'homme moderne, ce vecteur
de l'individu et cette id�e de l'individuation ne sont-ils pas la porte ouverte
� bien des malentendus, des abus, des �go�smes, des auto-satisfactions, des
gargarismes et finalement une fuite dans l'�go�sme, le narcissisme, le
solipsisme, un refuge dans le marginal et l'irr�el.
Il ne faut pas, en avan�ant un terme ou une notion, priver le lecteur de
sa spontan�it�, de sa chance d'�volution naturelle, d'une naissance � lui-m�me,
d'une renaissance en esprit, � cause d'un terme mani� avec l�g�ret� dont il
fait une fabrication intellectuelle et un nouveau ��b�ton bloquant��
C'est pour toutes ces raisons que j'ai �vit� jusqu'� pr�sent de traiter
de l'individuation. Celle-ci ne doit surtout pas �tre confondue ou associ�e �
Dieu sait quel concept intellectuel donnant lieu � des joutes dialectiques.
�
L'individuation est de l'ordre du plus intime, de l'ordre du d�roulement
le plus spontan�, faute de quoi elle serait d'embl�e vici�e, voire vicieuse et perverse
(la pornographie est pr�cis�ment une illustration de ces d�viations), ce qui
peut engendrer, comme nous le montrerons, de grandes catastrophes personnelles
et collectives.
L'individuation rel�ve donc pour une grande part de l'ordre de l'intime,
du discret de l'�tre et non du para�tre et par cons�quent du secret et du
sacral, car c'est sans doute elle qui est appel�e � nous relier au sacr�.
Si donc, pendant 30 ans, je me suis tu sur ce sujet, c'est qu'il fallait
�viter en la mati�re banalisation et vulgarisation quelles que soient les
peurs, les anxi�t�s, les angoisses, les paniques de nos contemporains qui, pour
y �chapper, somment, en quelque sorte � travers les m�dias, les hommes de l'art
de leur livrer co�te que co�te ce qu'ils esp�rent pouvoir �tre une panac�e.
Une panac�e sans doute pour certains, en tout cas une dimension capitale
s�rement mais qui pour nous ne sera bienfaisante que si elle est prise et
�labor�e � bon escient.
Et puis, il fallait aussi compter avec les r�sistances de tout un chacun
et du public en g�n�ral, avec la folie du moi qui se veut seul existant alors
que chacun est scind� au moins en deux parts de son �tre.
Il fallait compter avec les d�fauts et les faiblesses de la vie
int�rieure � laquelle personne en Occident n'est pr�par�, avec la faiblesse du
pouvoir d'abstraction et sa monopolisation, sa captation par le monde des
choses, des objets et de la logique dite cart�sienne.
Mon retrait, mon refus de parler de l'individuation correspondait donc au
besoin de ne pas d�sacraliser la croissance de l'�tre, d'un �tre et des �tres,
de ne point l'arr�ter par le fait m�me d�en parler mal, ne point la gauchir.
Mon silence au fond doit �tre rapproch� de l'herm�tisme d'un Lacan qui �tait
sans doute conscient du m�me probl�me mais, qui, ne pouvant pas ne pas parler �
sa meute, se drapait pour une part dans un herm�tisme langagier de d�fense.
Sa solution �tait sans doute plus populaire que la mienne mais elle n'en
�tait pas pour autant meilleure, sa s�duction versant souvent malheureusement
dans une subduction, c'est-�-dire une s�duction pervertie et pervertissante.
Mais cette pr�occupation est tellement essentielle, capitale et lourde
que cela ne pouvait pas en rester l�. �tre un individu, devenir un individu,
devenir l'individu que l'on est, na�tre � qui l'on est, et tout cela au c�ur
d'une soci�t� �crasante, d�voreuse d'individus, au c�ur d'une massification
grandissante, �touffante de tout devenir personnel, ne pouvait pas ne pas susciter,
� d�faut de r�volte et d'explosion, une mise au point permettant, je l'esp�re,
de m�nager � chacun dans sa vie, dans son mental et dans son devenir, dans son
besoin de comprendre et dans ses aspirations � la v�rit� une sente cheminant
entre ces pi�ges et ces labyrinthes tant ext�rieurs qu'int�rieurs permettant de
contourner les obstacles et de d�boucher dans une verte clairi�re : celle d'un
�quilibre � la mesure vraie de l'homme d'Occident et de son �tre.
�
Depuis toujours, ou presque toujours, le ph�nom�ne individu et partant le
��devenir un individu�� et l'individuation donc, ont �t� une pierre
d'achoppement ou une interrogation, voire un �merveillement pour toutes les
t�tes pensantes, et par cons�quent pour les philosophes. Certes, l'individu n'a
pas toujours exist�, il a �t� pendant des mill�naires noy� dans la masse
tribale et ce n'est que lorsque le niveau de conscience en a permis la
perception, la s�paration, la s�paration de la participation mystique et
collective que l'individu et son devenir, de la naissance � la mort, de
l'esclave au roi est devenu une pi�ce essentielle sur l'�chiquier de la vie
collective et personnelle. Nous retrouverons � tous les �chelons de notre
r�flexion ce balancement entre la fusion des origines, l'arrachement � la collectivit�
g�nitrice et nourrici�re pour l'affirmation de soi et nous verrons combien,
dans la crise actuelle de soci�t� souvent saccag�e et d�truite, les probl�mes
de ��reliance��, contraignent l'individu � construire un �difice
nouveau dans son propre sein, dans son propre c�ur, dans son mental, ce qui
dans les cas heureux semble d�boucher sur ce que j'ai appel�, il y a 30 ans,
une simplicit� de retour � le probl�me ne m'�tant pas �tranger �, c'est-�-dire
une simplicit� retrouv�e dans les liens sociaux, dans les rapports
inter-communautaires, dans les liens vrais du c�ur, liens �chappant aux
contraires de filiation et au feed-back projectif.
�
C'est � Leibniz que revient le m�rite d'avoir en 1551, abord� le probl�me
de la fa�on la plus directe dans son ouvrage : Principe d'individuation.
D�s lors, le fait de devenir un individu, individu dot� d'une existence
singuli�re, devient le probl�me en cours d'acceptation sociale.
Mais comme l'histoire l'a montr�, il faudra plusieurs si�cles pour que
s'individualise entre deux individus d'une m�me esp�ce le droit � la diff�rence
et pour que le fait d'exister en tant qu'individu avec ses caract�res
particuliers soit reconnu � l'�tre humain en g�n�ral, � l'homme certes le
premier puis � l'enfant, � la femme et finalement tout r�cemment � l'�tranger
et � l'�migr� ou l'immigr�.
Avant l'av�nement de la psychologie des profondeurs, cette �volution des
id�es, des choses et des �tres va prendre un tour tout neuf d�terminant une
acc�l�ration folle de l'Histoire. Pour Freud encore, il y a une psychologie de
l'humain, singuli�rement celle de l'homme, celle de la femme �tant rang�e dans
le m�me placard et ne s'individualisant au mieux qu'en creux et en bosse par
rapport � la psychologie de l'homme.
C'est � C. G. Jung que revient le m�rite historique, � la suite de la
perc�e freudienne, d'avoir per�u l'immensit� du probl�me de l'individuation,
devenu un probl�me majeur et central singuli�rement � la suite de la plong�e
dans l'inconscient profond et collectif et de son irruption dans le monde et
les param�tres de la pens�e qui se devra d'en �tre dor�navant profond�ment
modifi�e et r�nov�e.
Redonnant une vie neuve, des accents nouveaux, des harmoniques inconnues
au terme m�me d'individuation, C. G. Jung appara�t au regard historique comme
le grand r�novateur de tout ce qui dor�navant va concerner l'individu en tant
que tel et l'individuation. Freud l'a abord� seulement sous l'angle de la prise
de conscience et de la sublimation, ce qui est d�j� �norme.
L'individuation, en effet, voit sa probl�matique compl�tement d�plac�e et
r�nov�e du seul plan de l'extraversion vers les dynamismes essentiels de
l'introversion et surtout vers le dialogue dor�navant reconnu comme in�luctable
des dehors et des dedans d'un individu.
Ce qui �tait pr�c�demment une confrontation, un affrontement entre
soci�t� et individu dans un sens, sujet et collectif dans l'autre, similitude
et singularit� dans un sens, sujet et identit� dans l'autre, va se voir
extraordinairement � la fois complexifi� et diversifi� par l'irruption majeure
de l'inconscient et des param�tres inconscients.
Car dor�navant la soci�t� appara�t flanqu�e de l'inconscient social, de
l'inconscient du groupe avec ses Surmoi, ses id�aux du Moi, lois r�fl�chies et
raisonn�es, certes, mais aussi ses implications, ses contraintes et ses
compulsions f�roces; et le sujet appara�t pour son compte avec toute sa tra�ne,
toute sa smala de pr�-conscient, d'inconscient personnel, d'inconscient
familial, d'inconscient collectif, tout cela s'enracinant dans sa couche
psycho�de, dans son imaginaire fabulant, son symbolisme balbutiant, son
psychosomatique surmen�, harass�, pollu�, plus ou moins en d�route.
L'on comprend � cette �num�ration les conflits personnels, familiaux,
sociaux des �tres, des nations, conflits qui ont marqu� l'histoire, et l'on
s'accordera sur le fait qu'il faut beaucoup d'entendement pour viser, � l'aube
de l'�re psychologique o� nous sommes, � f�d�rer tous ces courants discordants
et souvent contradictoires.
Le travail sur l�Ombre
Pour C. G. Jung, l'individuation est un chemin personnel, � la fois
supr�mement personnel et supr�mement reliant au social. Ce chemin
singuli�rement commence avec la confrontation avec l'Ombre[1]. C'est � celle-ci
que pr�side en particulier l'analyse personnelle, qui se poursuit pour les
futurs professionnels par l'analyse didactique. C'est cette confrontation avec
l'ombre qui sera le moteur de d�part de la fus�e �volutive.
Mais une erreur est fr�quemment commise : ce travail � deux effectu�,
beaucoup de professionnels se croient sur la bonne orbite, vivent et pensent
que le travail de l'Ombre a �t� accompli une fois pour toutes et ils en
d�tournent leur attention.
Certes, les sensibilit�s sont diverses et les n�cessit�s de travail le
seront �galement.
Il me semble aujourd'hui capital d'affirmer, � la suite de C. G. Jung,
que le travail de l'Ombre, que le labourage des champs de l'Ombre ne doive
jamais cesser, car on n'en a jamais fini avec cette Ombre �ternellement et
quotidiennement renaissante !
Si la r�alit� est la sauvegarde du penseur, le travail constant avec son
Ombre devra �tre dite pour la sauvegarde du psychologue et du psychanalyste,
qu'il soit novice, apprenti, confirm� ou v�t�ran dans cette activit�. Le sort
des professionnels de la psychologie me semble se jouer l� comme aussi au plan
g�n�ral et politique se joue l� le sort du monde.
Pratiquement que faire ?
Tout b�tement avoir pour son psychisme les m�mes soins et les m�mes
n�cessit�s de toilettage que pour son corporel. Si tous les matins nous
lib�rons nos intestins de ses d�jections, sans doute faut-il avec la m�me
r�gularit�, tous les matins, envisager le probl�me de la tripaille
psychologique.
Si pour le corps on dispose de chasse d'eau et d'eau de Javel, la seule
eau de Javel de l'Ombre sera, h�las, la seule flamme tremblotante de la
conscience.
Et quelle est faible cette flamme vacillante d'une bougie appel�e
conscience ! Combien elle �claire peu et mal, combien elle est soumise � des
contraintes, � des d�tournements, aux ��il faut�!�� du para�tre
et aux tu dois des n�cessit�s, aux retournements des vestes des int�r�ts !...
Or, dot� de moyens d'action ext�rieurs fabuleux, de champs int�rieurs
encore en cours de d�couverte, l'Homme d'aujourd'hui doit faire preuve d'une
libert�, d'une responsabilit� accrue et vigilante au risque de se perdre.
Combien est faible, d�sesp�r�ment faible et vacillante la petite flamme
de sa conscience, seul soutien de son �thique.
Et c'est pourtant cette flamm�che qui doit
m'�clairer sur ma paresse, sur ma l�chet�, sur mes �go�smes, sur mes
faux-fuyants (si vous voulez), sur mon verbiage, mes manques d'affection, mes
manques d'amour, sur tout ce que l'on a �cart� joyeusement pour se dorer la pilule
et se faire une belle image de soi-m�me. En la mati�re, on peut ici faire la
somme des apports r�ducteurs de Freud, d'Adler, de Jung et de tous les autres ;
chacun a r�v�l� une part de l'Ombre : Freud et la concupiscence, l'�dipe, les
impulsions sur les �tres et les choses, (les folles) ; Adler avec la domination
de l'autre et la tyrannie ; Jung et l'inconscience quasi g�n�rale.
Ce n'est que par une prise de conscience de l'Ombre, aussi pouss�e et
minutieuse que faire se peut, que l'�tre peut sentir en lui s'organiser, se
concentrer, se d�gager son �me.
De nos jours, on ose � peine prononcer le mot �me, cet organisme naturel
et merveilleux qui a fait chanter tous les amants et tous les po�tes.
Essayons pour la clart� et nos besoins de th�rapeute d'en circonscrire le
domaine.
Pour notre domaine, nous pouvons avancer que l'�me est cet ensemble t�nu
et subtil, fugace et imp�rieux de tout ce qui vit en moi et �chappe � ma
conscience instantan�e du moment et du moi.
Tout ce que je pressens et devine en moi de moi-m�me, toutes ces
mouvances int�rieures, tous ces d�placements d'images et d'�nergie, toutes ces
perceptions de besoin, de d�sir, tous ces �lans de fantasmes et de r�veries,
toutes ces vell�it�s d'acte, tous ces passages r�ussis ou avort�s � l'action, de
la tendresse la plus fine � la violence la plus brutale que les hommes ont
depuis toujours �pingl�s du mot �me participent d�s lors du plus superficiel au
plus profond de la pyramide inconsciente et de toutes les structures de l'�tre
mental.
Prenant conscience de son Ombre, l'�tre d�bloquera le jeu subtil, les
jeux subtils et essentiels de son �me.
�
Le travail sur l'Ombre va s'accompagner, en route vers les larges
horizons vers lesquels le sujet chemine, de processus psychologiques qui seront
comme autant de bornes sur sa route : il �tait d�s l'enfance et ses imitations
identifi� aux parents et il va devoir s'en d�sidentifier, il va devoir se
d�sidentifier des images de la m�re et du p�re et des impr�gnations dynamiques
qui �manaient de l'une et de l'autre.
De fa�on plus g�n�rale, il va se d�sidentifier des impr�gnations
inconsciemment �mises. Ces impr�gnations, certes, �taient n�cessaires � sa
formation, mais il devra prendre conscience et se lib�rer de ce qu'elles
avaient d'opprimant, de contraignant, voire d'oppressant et d'ali�nant. Il va
devoir se d�sidentifier des images de l'autre que l'autre et les autres
plaquaient sur lui. Il va devoir se distancer du regard de l'autre et des
autres pour na�tre � son propre regard sur les choses et les �tres, prenant
ainsi du champ de ce qui en lui a �t� mal form�, mal construit et qui a
contribu� aux images infantiles qui perdurent en lui et qui bloquent
l'av�nement de sa stature et de ses structures personnelles.
Tout cela devra se faire avec tact et mesure, avec soins et clairvoyance
car il ne s'agit pas dans cette �volution de vider l'enfant avec l'eau du bain.
Si ainsi, par exemple, une jeune fille doit prendre ses distances avec
l'image du p�re vivant en elle, un exc�s dans ce sens allant jusqu'�
l'�vitement du nom du p�re �branlerait jusqu'aux bases de l'�difice mental et
d�s�quilibrait le tout.
L'�vitement de la dette symbolique est synonyme de d�sertification et
d'aridit�.
Se situer en face de la loi des �tres et des choses, se situer dans la
cha�ne de la filiation, c'est pr�cis�ment � l'oppos� du pi�tinement de la loi.
Ce travail au niveau de la diff�renciation d�terminera de nombreux
prolongements, de nombreuses r�percussions, de nombreux remodelages au niveau
des projections et des r�seaux projectionnels.
�
Il ne s'agit pas dans ce travail de d�crire pas � pas tous les �chelons
d'un processus �volutif variable dans chaque cas d'esp�ce.
Je n'ai cit� la diff�renciation et les �laborations projectives que pour
donner une id�e de ce qui se trame normalement au fond d'un �tre et de ce qui
peut �tre entrepris sur le chemin �troit de l'initiation � soi-m�me.
Ce chemin �troit rappelle, certes, la porte �troite des �critures, et ce
n'est s�rement pas un hasard, mais laissons de c�t� momentan�ment cet aspect du
religieux et contentons nous de constater que l'�volution humaine au plan le
plus humain est difficile, voire h�ro�que et parsem�e d'emb�ches.
Cette �volution vers son individuation est un ph�nom�ne bio-psychologique
naturel et n�cessaire � l'�volution des �ges. Encore faut-il se mettre en route
et qu'il red�marre, qu'il se relance quand le sujet, suite aux avatars de sa
vie, de l'enfance, de l'adolescence, de la maturit� ou du grand �ge se trouve
arr�t�, bloqu�, pi�tinant sur place hors du d�roulement du temps.
A cause de cette pyramide des �ges, les probl�mes d'un m�me individu �
10, 20, 40 ou 60 ans sont tr�s diff�rents, exigeant parfois des d�marches et
des solutions compl�mentaires, voire contradictoires.
Ce sujet, en outre, d�j� agress� par les probl�mes de sa pyramide d'�ge
va devoir faire front dans son environnement � la pyramide des g�n�rations, au
probl�me de filiation, filiation re�ue et filiation donn�e, chacun des
partenaires de la vie ayant des n�cessit�s, des besoins, des app�tits, des degr�s
de maturit� infiniment divers.
C'est l'affectif, l'amiti�, l'affection, l'amour qui, � la fois, nous
impliquent et nous permettent de ne pas trop nous y prendre dans ces
tourbillons relationnels : relation, rencontre, affrontement, conscience,
renoncement, sacrifice seront comme des jalons et des bornes dans les
d�roulements de la com�die humaine.
La conscience que l'on peut se faire des choses et des �tres est, me
semble-t-il, une des ressources essentielles pour essayer de traverser la vie
en y voyant clair et temp�rer par l'exemple les explosions de l'affectif.
Compr�hension, v�rit�, amour seront les grands points cardinaux dans
cette d�marche.
L'amour a �t� pr�ch� il y a 2000 ans, les hommes de science ont essay�
d'y adjoindre la v�rit�, la psychologie des profondeurs nous a fait le don
d'une compr�hension neuve et r�novatrice. On ne saurait vivre sans valeurs,
chacun de nous est porteur de valeurs conscientes pour une part, ignor�es et
inconscientes pour une autre part. Souvent, un sujet ne sait pas ce qu'il y a
au-dedans de lui et s'ali�ne en v�rit� en projetant, en faisant porter, en
donnant ses valeurs � un autre ou � une autre, r�ceptacle de son anima ou de
son animus.
L'amour qu'il resterait � d�finir est, certes, le plus grand pacificateur
de l'homme avec l'autre et avec lui-m�me. Il ne cherche pas et n'agresse pas
comme la s�duction manipulatrice, car il s�duit en lui-m�me, � son insu.
L'amour n'�tant pas � disposition, surtout pas � la disposition de ceux
qui ne savent et ne peuvent aimer, dans tous les cas de blocage de cette
d�marche, dans tous les cas de surgissements de sympt�mes, de maladies
cliniques, le m�dicament de choix, l'instrument th�rapeutique s'appelle
analyse, analyse psychologique, psychanalyse, dont la finalit� principale est
d'aider le sujet � retrouver le fil rouge de son individuation. Au sein de
l'analyse, les probl�mes difficiles �voqu�s plus haut seront � la fois
facilit�s et complexifi�s par les ph�nom�nes et les liens de transfert et de
contre-transfert qui aideront � les d�nouer et � les faire passer � un plan
plus �lev� de conscience.
�
Je voudrais terminer en vous signalant les joies et les dangers de
l'individuation.
Une individuation r�ussie est un �v�nement qui va lib�rer dans le sujet :
�quilibre, solidit�, sant�, avec une grande puissance en lui-m�me de travail,
de concentration, de r�flexion et aussi une grande puissance d'irradiation tout
autour de lui. Un �tre qui s'est r�alis� ressemble � un colosse. Comment ne pas
penser � Goethe et � Victor Hugo ?
Une individuation manqu�e peut �tre manqu�e � diff�rents �chelons, depuis
les blocages de l'enfance, la n�vrose des parents, les faux aiguillages de
l'adolescence, etc. Chaque sympt�me est comme une marche manqu�e dans
l'ascension du long escalier de son individuation. Mais une marche manqu�e,
Dieu merci, se rattrape � l'occasion de telle ou telle difficult�, de telle ou
telle crise, m�me si c'est de fa�on plus ou moins acrobatique. Par contre, si
d'embl�e, ou en cours de route, un sujet prend le mauvais escalier, voire le
mauvais ascenseur, alors les cons�quences risquent d'�tre tr�s lourdes.
Pour donner tout son poids � ce que j'avance, je vous cite un document :
Il s'agit d'un passage, extrait d'une lettre que Jung �crivit au P�re White au
printemps de 1952.
��Le conservateur du mus�e de l'Histoire des sciences d'Oxford m'a
envoy� une s�rie de r�ves plut�t assez longue qu'il a trouv�e, dans les
manuscrits d'un certain Elias Ashmol�. Il a publi� le Theatrum Chemicum
Britannicum.� (qui correspond pour Jung dans ses �tudes sur l'Alchimie
au cin�ma pour nous).
Ces r�ves s'�talent sur cinq ans. Ils contiennent et expriment l'histoire
dense et significative d'une irruption de contenus inconscients dans une
conscience, qui visent � promouvoir une conjunctio avec l'inconscient ; (Jung
�tait en train de travailler au Mysterium Conjunctionis). Mais l'essai
de cette conjunctio �choue parce que au lieu de la conjunctio
souhait�e, appara�t � nouveau la conscience masculine pr�c�dente. �
(C'est-�-dire une d�marche r�gressive bloquante et sans �volution heureuse. Au
lieu d'�tre plus large et plus humain, le r�veur ne s'appuie que sur sa seule
masculinit�, peut-�tre par manque de vis-�-vis, par manque de dialogue et par
pers�v�ration.)
C'est une esp�ce de parall�le inconsciente au th�me de Faust. Cette
d�marche culmine dans un symbole du Soi qui est le paradis au p�le nord
accompagn� de quatre sources sur une colline et la chapelle de la vierge.�
Il s'agit d'un soi manqu�, froid, glacial, o� manque la chaleur du
c�ur.��[2]
Voil� l'essentiel et le tragique de l'individuation avort�e.
L'individuation, c'est cette d�marche qui doit, pas � pas, aider un sujet �
�tre lui-m�me et � se rapprocher de plus en plus de ses axes pulsionnels,
id�els, �motionnels. Chaque fois qu'un sympt�me psychosomatique appara�t, c'est
qu'un �chelon sur le chemin de l'individuation a �t� loup�. Mais si cet �chec
perdure et va d'�chec en �chec, s'il n'a pas �t� r�par�, l'individuation, au
lieu d'aboutir � un �panouissement de l'�tre, aboutit � la mort, � la trahison
de soi-m�me et des autres, voire � des assassinats. J'aurais envie d'ajouter et
au cancer. Pour moi, l'image fondamentale de l'individuation loup�e, de ce contentieux
�norme qui s'est accumul� dans une d�marche d'individuation gauchie et fauss�e,
c'est le cancer ([3])
Certains sujets, en particulier parmi des intellectuels, pensent que,
gr�ce � leur qualit� d'intellectuels, ils peuvent se passer d'analyse. C'est
une d�marche fr�quente chez bon nombre d'entre eux et c'est une d�marche pleine
de dangers, car tout un chacun, f�t-il un intellectuel brillant, a son ombre.
L'individuation n'est donc pas une chose anodine. le fait d'�tre brillant au
niveau de l'intellect ne nous met en rien, et au contraire, � l'abri de la
n�cessit� d'entreprendre ce lavage des mains, cet ajustement � soi-m�me que
l'on appelle une analyse, et ceux qui ��coquettent�� avec la
psychologie sans entreprendre avec s�rieux cette d�marche, en g�n�ral, la
paient cher. A bons entendeurs, Salut !
Il vaut mieux pr�venir que gu�rir. L'analyse est un processus dynamique
qui, si manqu�e, peut avoir des cons�quences lourdes jusqu'� la mort.
Conclusion
Apr�s ce long p�riple o� j'ai essay� de ne rien vous cacher ni des joies,
ni des douleurs, essayons de conclure. L'individuation est un long et
merveilleux voyage : le voyage de la vie. L'individuation est un d�roulement
qui doit nous amener � un �tat d'�tre qui a pouss� en nous et nous a aid�s �
r�aliser notre totalit� psycho-biologique consciente et inconsciente,
pulsionnelle et spirituelle. Il ne s'aurait s'agir d'une construction
arbitraire. Une individuation r�ussie ne peut �tre que l'aboutissement d'un
honn�te travail vis-�-vis de soi-m�me seul avec un tiers, d'un dur labeur
d�terminant un d�roulement[4]
d'une �volution, d'une maturation.
L'individuation, c'est se d�sidentifier. C'est devenir un individu. C'est
s'individualiser apr�s avoir dig�r� tous les apports ext�rieurs et r�alis� ses
propres structures.
L'individuation, ce n'est pas rejeter tout ce qui vient du dehors, c'est
le recevoir, le dig�rer, l'int�grer, le faire sien tout en pr�servant sa propre
individualit�. L'individuation, c'est faire vivre harmonieusement tout ce qui
nous constitue, tout ce qui nous vient de l'inconscient personnel, familial,
collectif, r�unir nos deux p�les f�minin et masculin, notre persona et notre
ombre, notre esprit, notre c�ur et notre corps. l'individuation, c'est marier
en soi l'h�ritage familial, social, religieux et ce qui nous appartient en
propre, ce qui fait que nous sommes un individu diff�rent de l'autre, ce
quelque chose qui nous fait unique.
En conclusion de la conclusion : l'individuation n'est pas un nouveau
concept pour cabrioles intellectuelles et fuites ��paniquardes��. Une
des r�sistances majeures qu'on oppose � l'individuation est que nous avons
souvent l'impression que chaque pas vers l'individuation est en m�me temps un
pas vers la mort, nous nous comportons alors comme si nous croyions �chapper �
la mort en ne faisant pas un pas dans le sens de notre individuation. De fait,
ce blocage infantile, ce surplace paralysant, ne fait qu'acc�l�rer la venue de
la mort.
Ce que je vous ai propos� ressemble bien davantage � une forteresse, � la
fois assez pleine et assez vide (selon Bettelheim) � la fois b�tonn�e et
d�mantel�e ; il va s'agir d'en faire un si�ge patient pour reconstruire en son
lieu et place bien plus qu'une forteresse mena�ante : une cath�drale
accueillante, lieu d'un approfondissement d'individuation moderne, rationnel et
irrationnel, � la fois, (illisible) et chaleureux, bref d'un individualisme
moderne � r�inventer.
�