Khyber Pass. Un nom magique pour l’ancienne armée
britannique des Indes. Une passe comme il en existe peu, qui commande l’accès
au territoire afghan par la frontière pakistanaise.
Situé au Nord-Ouest du Pakistan, Khyber Pass s’étend sur 58 kilomètres du fort de
Jarmund à Torkham et verrouille l’accès entre les deux pays frontaliers.
Khyber Pass a vu de très importants combats se livrer
entre les forces hindo-britanniques et les Afghans pour l’obtention de cette
vallée stratégique. En 1878, était établi le fort des Khyber Rifles, régiment
britannique dont le nom est demeuré. Cette passe serpente entre des montagnes
décharnées sur une longue distance :
– Elle mesure 1,5 km de largeur dans sa partie la plus
ample et 16 mètres dans sa partie la plus étroite.
Khyber Pass est théoriquement une route marquée par la
présence à intervalles réguliers de postes de garde tenus par l’armée régulière
pakistanaise. Autour de cet axe, précisent les panneaux, règnent les lois
tribales régissant les rapports au sein de différentes tribus de la province du
Nord-Ouest. En fait, on ne sait pas très bien où s’arrête l’étendue
géographique des lois tribales.
Depuis cette année 1991, une autorisation spéciale des
autorités pakistanaises est nécessaire pour pouvoir emprunter Khyber Pass
jusqu’à la frontière afghane ; Khyber Pass étant auparavant inaccessible
aux étrangers.
Munis de cette autorisation et escortés par un soldat
de l’une des unités stationnées à Peshawar, nous avons pu nous diriger entre
collègues vers la frontière afghane au Nord-Ouest de Peshawar.
La traversée s’effectue de manière plus calme sous
l’œil vigilant de notre gardien avec de multiples arrêts nous permettant de
prendre des photographies d’un site montagneux et grandiose. La route est
parsemée sur ses bas côtés de multiples plaques commémorant les faits d’armes
des nombreux régiments hindo-britanniques qui ont combattu à cet endroit contre
les Afghans au temps de l’empire britannique.
Actuellement, seul le “ Khyber Rifles ”
prestigieux régiment hindo-britannique, veille sur la sécurité des Pakistanais
du Nord.
Shagai Fort est le premier fort abritant les
militaires pakistanais, situé sur notre route.
Tout au long de notre itinéraire, les Pakistanais
marchent armés de Kalachnikov. La route en fait leur appartient presque et ils
la surveillent, en espérant ne pas se trouver en situation de conflit avec
d’éventuels Moudjahidin afghans.
Quatre tribus coexistent depuis des temps immémoriaux
autour de cette route serpentant dans la Passe de Khyber. Ces tribus étaient en
guerre permanente avant la domination britannique qui a rétabli un semblant
d’unité bien aléatoire après un état de tension permanent. Depuis la partition
de l’Inde, les hostilités ont recommencé entre les tribus rurales. Si certaines
tribus sont gérées par leurs propres lois sur leurs propres territoires, elles
peuvent occuper également des enclaves politiques créées autrefois par les
Britanniques qui obéissent à la loi fédérale même si les lois tribales s’y appliquent.
L’environnement que nous traversons est un
environnement extrêmement troublé qui subit partout les conséquences de la
guerre en Afghanistan.
Nous parcourons des villages disséminés, fortifiés –
si on peut appeler “ forts ” des constructions de torchis et de boue
constituant des sentinelles immobiles sous un soleil de plomb.
Cette avancée dans le temps et l’espace nous permet à
nous voyageurs de mesurer l’intensité de la vie qui peut animer une étendue
grise et désertique, faisant contraste avec la verdure de la riche vallée de
Peshawar. Les réfugiés afghans vivent ici dans des camps.
Trois millions de réfugiés vivent au Pakistan.
Certains dans des camps, d’autres intégrés dans des villes grâce à l’aide de
l’International Rescue Committee. J’ai eu personnellement durant mon séjour
dans la vallée de Peshawar l’occasion de discuter avec de jeunes réfugiés
afghans.
L’un d’entre eux m’a montré sa carte International
Rescue Committe l’autorisant à apprendre l’anglais au collège islamique de
Peshawar.
L’effort du gouvernement pakistanais qui accueille ces
réfugiés se conjugue avec ceux des missions des Nations-Unies qui sur le
terrain tentent d’apporter une aide économique et alimentaire à ces réfugiés
mais également de dialoguer avec les représentants des différents partis
politiques coexistant chez les Moudjahidin afghans.
Le conflit russo-afghan qui s’est achevé n’a pas
résolu pour autant les problèmes politiques toujours présents en Afghanistan.
Najibullah a été maintenu au pouvoir à Kabul malgré son appartenance au parti
communiste afghan. Les Moudjahidin hostiles à son maintien au pouvoir n’ont pas
déposé les armes et s’approvisionnent grâce aux Américains, grâce également aux
fabrications d’armes situées dans la vallée de Peshawar.
Par la montagne, la nuit, défiant la surveillance des
gardes de la Pakistan Army, des armes gagnent l’Afghanistan.
Cette situation de tension permanente est perceptible
lors de mon déplacement vers le poste frontière de Torkham.
Le garde qui nous accompagne est angoissé – troublé
par la peur du coup de feu tiré de la campagne par un fantassin isolé dans
l’uniformité grise des montagnes de la province du Nord-Ouest de la frontière.
Peu à peu, nous arrivons au terme de deux heures de
route au camp de réfugiés de Landi Kotal auquel, comme je l’ai précisé plus
haut, personne ne pouvait accéder avant cette année 1991 – si ce n’est quelques
diplomates et journalistes accrédités auprès de l’ONU.
Dans ce camp, la pagaille est indescriptible. Après
présentation au responsable militaire du territoire de Landi Kotal, nous
pouvons déambuler dans les ruelles sordides du Bazar où les Afghans fument du
haschich, vendent du haschich, vendent de nombreux produits alimentaires et
font du commerce avec les Pakistanais et les quelques voyageurs étrangers.
Les senteurs de haschich de mauvaise qualité se mêlent
aux odeurs de la viande de mouton grillé ainsi que du thé chaud.
L’expression de ces hommes et de ces enfants est celle
de la méfiance, de la peur face à des étrangers qu’ils ne connaissent pas.
Nous n’encourons aucun danger en raison de la
protection armée dont nous bénéficions mais nous restons sur nos gardes de peur
d’une réaction violente que nous ne pourrions prévenir.
Les regards qui se tournent vers nous en disent long
sur l’état de dénuement et de solitude de ces Afghans.
La chaleur est humide et rend encore plus infectes les
odeurs qui envahissent le camp.
Quelques “ posters ” de Saddam Hussein ici
et là… Des images qui d’ailleurs apparaissent régulièrement dans la vallée de
Peshawar, des “ posters ” contemplés avec admiration par leurs
propriétaires.
Nous marchons peu après sur une distance de 200 à 300
mètres pour voir l’étendue des tentes bâchées de toile grise, écrasées par le
soleil, qui protègent les literies infectées de leurs habitants. Notre véhicule
reprend sa route vers la frontière – le point ultime de cette traversée étant
le poste de Michni tenu par l’armée pakistanaise.
Nous n’irons malheureusement pas jusqu’à Torkham à
l’extrémité des 58 kilomètres de la Passe de Khyber. Le poste de Michni –
composé de trente six hommes dirigés par un Major qui nous accueille très
poliment – est le dernier avant-poste pakistanais à la frontière du Nord-Ouest.
Les hommes se relaient devant la plaine de Torkham qui
a connu ces dernières années de violents combats. L’officier nous apprend que
la veille deux de ses hommes ont été tués par l’armée afghane qui s’était
lancée à la poursuite de Moudjahidin afghans sur le territoire pakistanais.
L’exercice de ce “ droit de suite ” a entraîné des combats de nuit
qui ont provoqué la mort de plusieurs soldats de l’armée pakistanaise,
peut-être à la suite d’une erreur de l’armée afghane.
La situation que nous montre cet officier sur une
maquette de plusieurs mètres de long demeure extrêmement troublée dans cette
région. Au printemps 1983, les troupes russes ont progressivement pris le
contrôle de la frontière et elles ont poursuivi les Moudjahidin jusque dans le
territoire de Kurram à Parachinar. Les Russes les ont ramenés en pays afghan et
ils les ont probablement exécutés.
La guerre s’est poursuivie en 1985 par le siège de
Torkham par les troupes soviétiques et l’entrée des blindés sur le territoire
pakistanais toujours en vertu du “ droit de suite ” parfois invoqué
au niveau gouvernemental.
Dans ce poste où nous sommes accueillis, la vie semble
calme.
En apparence seulement, car la tension permanente se
lit sur les visages des soldats.
Seul un régime de faveur paraît concerner l’officier
pakistanais.
Celui-ci habite à Landi Kotal à quelques kilomètres,
avec son épouse, gagne le poste le matin et en repart le soir. Je ne peux
m’empêcher d’être personnellement frappé par la gentillesse de ces hommes qui
acceptent volontiers d’être photographiés près de leur mitrailleuse à deux
canons, unique défense face à l’ennemi.
Près du corps de garde, quelques roquettes éventrées
sont plantées verticalement dans le béton, signes d’une violence guerrière bien
réelle.
Le Passe de Khyber est une passe parmi d’autres
passes.
Celles-ci ont toujours eu un rôle commercial et
militaire. Près de cette région passait Grand Trunk Road qui constituait le
nerf vital de la route de la soie. Cette route reliait Rome et Xian (en Chine)
au sous continent indien.
Les passes sont nombreuses et Khyber Pass, enjeu
stratégique, n’est pas le seul point névralgique. Il y a Kotal, Kot Kala Pass
en dessous de Chitral dans la région de Dir ; les Passes de Kurram, de
Tochi, de Gamal forment d’autres voies qui de tous temps ont été empruntées par
les envahisseurs, les voyageurs de commerce et les nomades.
Depuis des temps immémoriaux, les tribus voisines se
livrent une lutte continuelle qui a pour objet la contrebande de la drogue sans
que l’on puisse oublier qu’aujourd’hui ces mêmes farouches Pakistanais (les
Pathans) jouent le rôle de passeurs pour nombre de rebelles afghans.
Enjeu de deux puissances, ce territoire de Khyber Pass
constitue un sanctuaire difficilement violé où l’armée pakistanaise apparaît
bien seule écrasée par la responsabilité qui pèse sur ses épaules. Khyber Pass
a toujours été une zone de pénétration dès l’antiquité, d’abord pour les
Achémeniens puis pour les légions grecques d’Alexandre le Grand, puis pour
nombre d’envahisseurs ultérieurs.
Cette passe a gardé son intérêt stratégique
immémorial.
Prise entre la nécessité de tout faire pour éviter la
contagion d’une rébellion qui dure depuis treize ans et son désir d’éviter une
conflagration bien plus inquiétante pour le sous continent indien, l’armée
pakistanaise joue ici un rôle d’interposition dans une nature hostile.
Dans un pays où loi fédérale et régimes particuliers
entrent souvent en contradiction, les forces de Peshawar apparaissent comme le
garant d’une légalité qui s’accommode difficilement des différences ethniques.
Des chiens de garde … oui, mais des chiens de garde
qui assistent bien souvent passifs à la continuation d’une situation tragique.