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�l�ments pour une �tude du genre cin�matographique |
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Andr�-Michel Berthoux Le hasard a voulu, qu�� l�occasion de la sortie en DVD du premier film de Daniel MYRICH et Eduardo SANCHEZ �Blair witch project� (USA - 1999), je visionne peu de temps apr�s �Deliverance� le film du r�alisateur anglais John BOORMAN tourn� aux �tats-Unis en 1972. Si la relation entre ces deux films ne m�a pas paru marquante au premier abord, c�est en repensant � deux autres longs m�trages r�alis�s par de jeunes cin�astes am�ricains �Last house on the left� (USA - 1974) de Wes CRAVEN et �The Texas chainsaw massacre� (USA - 1974) de Tobe HOOPER, que j�ai progressivement �tabli un lien entre ces diff�rents films. En effet, tous se d�roulent, en tous les cas pour la partie la plus importante de l�intrigue, sinon en pleine nature du moins dans un milieu isol�. S�il semble �videmment compr�hensible, au premier abord, que tourner en d�cors naturels permette de r�duire le co�t de production, notamment lorsqu�il s�agit d�une premi�re tentative souvent entreprise avec de faibles moyens financiers, la r�currence du lieu appara�t toutefois induite par la th�matique trait�e : la violence meurtri�re de l�homme sauvage. �Deliverance� a constitu� ainsi, sciemment ou non, pour toute une g�n�ration de jeunes cin�astes sp�cialis�s dans le film gore ou d��pouvante une r�f�rence dont l�influence demeure perceptible de nos jours encore. Alors que dans les ann�es 70, toute une partie de la jeunesse pr�nait le retour � la nature dans laquelle les hommes pourraient vivre en parfaite harmonie, J. BOORMAN nous donne � voir un �tat de nature d�une extr�me violence. Il ne s�agit pas de critiquer le comportement parfois meurtrier d�une certaine soci�t� archa�que hostile � toute �volution vers une plus grande libert� individuelle comme le d�nonce le film de Denis HOPPER, �Easy Rider� (USA - 1969), mais de montrer la v�ritable nature primitive de l�homme sauvage que la civilisation a permis de dompter. Ce mythe effrayant enfoui au plus profond de la m�moire collective de la soci�t� am�ricaine, la magie du cin�ma ne pouvait manquer de le lui rem�morer. �
Les quatre protagonistes du film de John BOORMAN d�cident de descendre en cano�, sans doute pour la derni�re fois, une rivi�re avant que les gorges, dans lesquelles elle sillonne, ne soient d�finitivement englouties sous les eaux du barrage que l�on construit pour alimenter en �lectricit� la ville d�Atlanta (G�orgie). La mise � l�eau des cano�s est tout d�abord v�cue comme un v�ritable retour aux sources, une d�livrance. Tous ressentent une soif de libert� comme ont d� l��prouver les premiers colons partis � la d�couverte du nouveau continent. Au contact de cette nature de r�ve� ils trouvent progressivement la force d�affronter toutes les difficult�s. Mais l�apprentissage de ce retour est parfois difficile, ne serait-ce que pour tuer, d�une fl�che, une biche quand tuer n�est pas encore devenu une n�cessit�, une obligation m�me; et la rivi�re les conduit irr�m�diablement vers ce monde o� toutes les r�gles auront disparu hormis celle de la lutte pour la survie. Leur aventure va devenir alors une v�ritable descente aux enfers. La sc�ne culminante du film est bien s�r celle du viol. Ces montagnards que nos citadins rencontrent ne sont ni des sadiques ni des criminels, et la violence dont ils font preuve r�v�le un comportement irraisonn�, instinctuel. Ils n�appartiennent m�me pas � la plus basse des classes que la soci�t� peut englober. Ils sont purement et simplement en dehors d�elle. La civilisation n�a pas eu d�emprise sur eux. C�est seulement au hasard d�un accouplement, que l�on suppose incestueux ou consanguin, qu�un adolescent sait jouer du banjo. Ce don qu�il poss�de, fruit d�une curiosit� g�n�tique, constitue son seul moyen de communication avec le monde ext�rieur. Aussi, une fois le duo improvis� et conduit de mani�re brillante termin�, il retombe dans un mutisme inqui�tant. Ces hommes agissent comme des �tres � l��tat sauvage ob�issant � leurs seuls instincts. Pour eux, un individu un peu grassouillet, n�est rien d�autre qu�une truie qui peut servir occasionnellement � satisfaire leurs pulsions sexuelles. La parole est ici r�duite � des grognements. Le violeur exige de sa victime qu�elle l�imite et couine pour que sa jouissance soit extr�me. Tel est pour BOORMAN le comportement de l�homme sauvage. S�il est demeur� enfoui pendant des si�cles dans l�inconscient collectif des �tres dits civilis�s, c�est que le contact avec la nature a �t� perdu. Mais il ne demande qu�� resurgir lorsque ces m�mes individus s�y sentent � nouveau menac�s. Le r�ve bris�, le mythe appara�t brutalement, les images somptueuses ne faisant qu�accro�tre notre trouble. D�s cet instant, le point de vue de nos protagonistes sur cette nature idyllique changent. Certes l�un d�entre eux r�agit au meurtre du violeur, et souhaite r�v�ler l�histoire � la justice afin de plaider la l�gitime d�fense. Mais il est trop tard. Le vote sert justement, ironie du sort, � contourner les semblants de lois humaines qui leur restent. On enterrera le corps du montagnard sans rien dire de la m�saventure. La rivi�re devient alors soudainement mena�ante et hostile; les bateaux s�entrechoquent, se brisent; les rapides emportent nos citadins dans un chaos dont aucun n�en sortira indemne. La peur qui les gagne justifie leur violence criminelle. Dans cet univers plus de morale, seul compte la bataille pour la survie. Ne subsiste plus aucune loi commune aux hommes, celle dont parle Aristote dans sa �Rh�torique� : �Il y a une justice et une injustice dont tous les hommes ont comme une divination et dont le sentiment leur est naturel et commun, m�me quand il n�existe entre eux aucune communaut� ni aucun contrat; c�est �videmment, par exemple, ce dont parle l�Antigone de Sophocle, quand elle affirme qu�il �tait juste d�enfreindre la d�fense et d�ensevelir Polynice; car c��tait l� un droit naturel�. Dor�navant, plus de s�pulture, la rivi�re a enti�rement impos� sa loi aux hommes et c�est elle qui maintenant engloutit les corps, comme les eaux du barrage enseveliront la vall�e et la feront dispara�tre � son tour. La civilisation est violente, souvent meurtri�re pour les hommes, mais ce n�est rien en comparaison de l��tat de nature. �
Dans le film de Wes CRAVEN, deux jeunes adolescentes, vont subir les pires s�vices et finalement trouver la mort dans une nature o� aurait pu vivre le bon sauvage imagin� par Rousseau. Seulement voil�, ce paradis terrestre va, ici aussi, devenir un enfer. Progressivement, cette violence meurtri�re va contaminer le p�re de l�une des deux jeunes filles. Se montrant tout d�abord hospitalier envers des inconnus qui se sont �gar�s, il les accueille g�n�reusement en leur offrant repas et g�te. Mais lorsqu�il s�aper�oit qu�ils sont les assassins de sa fille, ses crimes seront d�autant plus violents qu�anim�s par un esprit de vengeance dont on sent bien qu�il va se propager dans l�ensemble de la soci�t�. Ren� Girard a d�crit dans la plupart de ses ouvrages les dangers de ce qu�il appelle la crise sacrificielle (voir � ce sujet �La violence et le sacr�, �Des choses cach�es depuis la fondation du monde�, �Le bouc-�missaire�). Lorsqu�au sein d�une communaut�, disparaissent, entre les membres qui la composent, les diff�rences de l�ordre culturel dans son ensemble et resurgissent les rivalit�s profondes et les luttes � outrances, dont tant d�exemples nous sont fournis par la mythologie � travers les trag�dies grecques, s�instaure une violence r�ciproque qui plonge l�ensemble du clan dans une guerre sans fin. Seul le choix d�une victime �missaire au sein de la soci�t� en crise, consid�r�e unanimement comme seule responsable de cet �tat chaotique, pourra par son sacrifice lors d�un rite cathartique, permettre � la communaut� de retrouver l�ordre, la paix et la f�condit�. Mais la d�signation d�un tel bouc-�missaire n�cessite une convergence d�opinion, une croyance commune qui sous-tendent une communaut� d�int�r�t, l�int�r�t de chacun �tant devenu l�int�r�t de tous except� d�un seul. Il existe donc dans une telle soci�t� un mode d�organisation minimale, une structure pr�gnante pour parler comme un ethnologue, qui laisse supposer que l�on soit sorti de l��tat de nature. �
La menace est encore r�elle dans �Massacre � la tron�onneuse�. L� aussi, il s�agit d�individus retourn�s � l��tat de nature. Les abattoirs dans lesquels ils travaillaient ont ferm� et ne peuvent plus, ainsi, agir comme un exutoire � leurs besoins naturels et ataviques de d�couper de la viande. Cet homme qui agite sa tron�onneuse, � la fois symbole phallique et castrateur, pourchassant � travers la for�t une jeune fille, ultime rescap�e de la tuerie, nous donne toute la dimension tragique de la repr�sentation de ce mythe de l�homme sauvage. Et si son portrait devient ici une caricature aux aspects parfois burlesques, ce n�est que pour mieux soulager la soci�t� am�ricaine de ce poids qu�elle ne peut maintenir refoul�. �
Il faudra attendre presque trente ans, avec la sortie du film �Blair witch project� en 1999, pour que cet �tre disparaisse des �crans. Trois jeunes cin�astes entreprennent de r�aliser en pleine for�t un reportage sur une ancienne l�gende, la sorci�re Blair. Ne retrouvant plus leur chemin, la panique les gagne, la nature devient, ici encore, soudainement mena�ante. Mais, en dehors d�eux, aucune pr�sence n�est r�elle. Seuls des indices, des traces laissent supposer qu�un �tre mal�fique les observent. Mais alors, on peut penser que cet �tre sauvage d�une extr�me violence, n�ob�issant qu�� son seul instinct de survie n�est qu�un simple fantasme, pure imagination de conteurs habiles et rus�s qui le temps d�un r�cit ou d�un film nous on fait croire � un mauvais r�ve. �
Ces films r�v�lent, me semble t-il, cette peur inconsciente que suscite la r�surgence de la v�ritable nature de l�homme sauvage. Cet �tre n�est pas un �tranger; ce n�est ni un indien, ni un ennemi quelconque. Il s�agit bien de nous. De la partie diabolique qui nous compose et que la civilisation et le droit ont permis d�engloutir comme le d�luge � recouvert l�humanit� corrompue. �
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Cette repr�sentation de l�homme � l��tat de nature est fort �loign� de celle que Rousseau d�crit notamment dans son �Discours sur l�origine de l�in�galit� parmi les hommes� : �Je le vois, nous dit-il, se rassasiant sous un ch�ne, se d�salt�rant au premier ruisseau, trouvant son lit au pied du m�me arbre qui lui a fourni son repas; et voil� ses besoins satisfaits� Selon lui l��me de l�homme naturel ob�it � deux principes ant�rieurs � la raison : �l�un nous int�resse ardemment � notre bien-�tre et � la conservation de nous-m�mes�, principe qui peut nous amener, l�gitimement, � faire du mal � autrui, �et l�autre nous inspire une r�pugnance naturelle � voir p�rir ou souffrir tout �tre sensible, et principalement nos semblables�. C�est pourquoi, il accorde � l�homme cette vertu naturelle, la piti�; �vertu d�autant plus universelle et d�autant plus utile � l�homme, qu�elle pr�c�de en lui l�usage de toute r�flexion, et si naturelle, que les b�tes m�mes en donnent quelquefois des signes sensibles� L�homme, dans l��tat de nature, a donc des devoirs. C�est un �tre raisonnable qui d�sirant que quelqu�un ne souffre, ne d�sire pas autre chose que son bonheur. Tant qu�il se contenta de ce que la nature lui donna, il v�cut libre, sain, bon et heureux. �Mais d�s l�instant qu�un homme eut besoin du secours d�un autre, d�s qu�on s�aper�ut qu�il �tait utile � un seul d�avoir des provisions pour deux, l��galit� disparut, la propri�t� s�introduisait, le travail devint n�cessaire et les vastes for�ts se chang�rent en des campagnes riantes qu�il fallut arroser de sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bient�t l�esclavage et la mis�re germer et cro�tre avec les moissons�. Ce dernier extrait nous donne de la civilisation une vision apocalyptique qui fait dire � Rousseau que les progr�s ult�rieurs � l��tat de nature ont �t� en apparence autant de pas vers la perfection de l�individu, mais en r�alit� une avanc�e vers la d�cr�pitude de l�esp�ce. Cette pens�e est proche de tradition adamique qui voit en Adam, le premier homme, un �tre parfait. C�est le p�ch�, c�est-�-dire les aventures de l�existence qui lui font perdre sa perfection. �
Le discours de Rousseau est une r�action � la philosophie de Hobbes qu�il accuse de ne pas avoir vu la r�pugnance inn�e de l�homme � voir souffrir son semblable. Hobbes donne dans son c�l�bre ouvrage �L�viathan� sa conception de l��tat de nature, notamment dans le chapitre 13, intitul� �De la conception naturelle des hommes en ce qui concerne leur f�licit� et leur mis�re�. J�en r�sume du mieux possible, � l�aide de larges extraits, l�id�e-force : �Aussi longtemps que les hommes vivent sans un pouvoir commun qui les tienne tous en respect, ils sont en guerre chacun contre chacun. La guerre ne consiste pas seulement dans la bataille et dans les combats effectifs, mais dans un espace de temps o� la volont� de s�affronter en des batailles est suffisamment av�r�e. Tout autre temps dans lequel cette tendance n�existe pas se nomme paix. Dans un temps de guerre il n�y a pas de place pour une activit� industrieuse. Ne subsiste que la crainte et le risque d�une mort violente. La vie de l�homme est alors solitaire, besogneuse, p�nible, quasi-animale et br�ve. Les d�sirs et les autres passions de l�homme ne sont pas en eux-m�mes des p�ch�s. Pas davantage ne le sont les actions� qui proc�dent de ces passions, tant que les hommes ne connaissent pas de loi qui les interdise. En maint endroit de l�Am�rique, les sauvages n�ont pas de gouvernement et vivent ainsi. Dans cette guerre de chacun contre chacun rien est injuste. L� o� il n�y a pas de pouvoir commun, il n�est pas de loi; l� o� il n�est pas de loi, il n�est pas d�injustice. La violence et la ruse sont en temps de guerre les deux vertus cardinales. Justice et injustice ne sont en rien des facult�s du corps et de l�esprit. Ce sont des qualit�s relatives de l�homme en soci�t�, et non � l�homme solitaire. Il nexiste pas dans cet �tat de propri�t�. Cela seul dont il peut se saisir appartient � chaque homme, et seulement aussi longtemps qu�il peut le garder�. Dans l��tat de nature d�fini par Hobbes, est permis tout ce qu�on peut (selon l�expression de Gilles Deleuze). Que les gros poissons mangent les petits est un droit naturel. L�homme ne na�t pas raisonnable, il le devient. Dans cet �tat, l�homme, � la diff�rence de chez Rousseau, n�ob�it pas � des devoirs, mais n�a que des droits. Droit de copuler, droit de chasser, droit de tuer. L��tat social ne peut se penser que comme un devenir qui succ�de � l��tat de nature. Dans cette soci�t�, l�homme aura alors des devoirs, des obligations contractuelles, qui limiteront ses droits et lui permettront de devenir un �tre social. �
La repr�sentation de l�homme sauvage dans l�un des genres du cin�ma am�ricain, plus proche de Hobbes que de Rousseau, semble caract�riser la volont� de sonder les zones d�ombre de l�inconscient collectif de toute une civilisation. Ces films refl�tent, de la part de cin�astes pourtant souvent consid�r�s comme mineurs, la d�termination de r�v�ler la part maudite de l�esprit humain. C�est en montrant d�une mani�re directe et brutale toute la violence dont il est capable, que l�on pourra d�autant mieux la rendre consciente et tenter ainsi de la juguler. Cette auto-analyse de la soci�t� am�ricaine par le biais du cin�ma nous am�ne alors � nous interroger sur notre propre inconscient d�europ�en rationnel. Nous pr�f�rons, par commodit� sans doute, nous r�f�rer � un id�al de nature proche de celui Rousseau mais qui serait impossible � notre m�moire de se le rappeler puisque l�homme social ne l�aurait jamais connu. Aussi loin que l�on remonte dans notre pass�, dans notre mythologie, l�homme vit d�j� au sein d�une civilisation qui a dompt� la nature. L�individu est toujours un �tre historique qui l�emp�che, comme le dit Nietzsche, �de vivre comme un animal, sans d�go�t ni souffrance�, car il demeure prisonnier de son pass�, ne pouvant apprendre l�oubli. L�animal, lui, vit de mani�re non-historique, c�est-�-dire au pr�sent, constamment. C�est pourquoi, l�homme envie son bonheur (Unzeitgem�sse betrachtungen II). Mais, ici encore, l�id�e que l��tat de nature, sorte de soci�t� pr�, ou mieux, non-historique, symbolise le seul espace d�accomplissement du bonheur de l�homme demeure tr�s pr�gnante. L��tat de nature n�aurait donc pas pr�c�d� l��tat social, comme chez Hobbes, et repr�senterait simplement la soci�t� id�ale vers laquelle il faut tendre, sans jamais l�atteindre, afin que l�homme puisse accomplir du mieux possible son devoir d�animal raisonnable. En �vacuant toute forme de violence chez l�homme sauvage, n�y a-t-il pas alors une tentative plus ou moins d�lib�r�e de rejeter ni plus ni moins toute forme de violence gratuite chez l�individu? Celle-ci serait, dans notre civilisation, l�apanage du d�ment. Un philosophe, �galement du si�cle des Lumi�res, va �laborer une conception de la nature humaine bien diff�rente de celle de Rousseau. Il s�agit bien s�r de Diderot. Dans l�un de ses textes les plus brillants, �Le neveu de Rameau�, Diderot reprend le th�me du dialogue entre deux �tres distants et incapables d��change, d�velopp� notamment dans sa �Lettre sur les aveugles � l�usage de ceux qui voient�, pour pr�senter des opinions divergentes concernant le probl�me de la morale. Cependant, entre Lui (le neveu du grand musicien), �tre cultiv� mais capable des pires bassesses pour parvenir au bonheur, et Moi (le philosophe), homme honn�te et vertueux, les points de vue sur la nature de l�homme ne sont parfois pas si �loign�s. En voici un exemple : �Moi - D�accord. Il faut �tre bien maladroit, quand on est pas riche, et que l�on se permet tout pour le devenir. Mais c�est qu�il y a des gens comme moi qui ne regardent pas la richesse, comme la chose du monde la plus pr�cieuse; gens bizarres.
Lui - Tr�s bizarres. On ne na�t pas avec cette tournure-l�. On se la donne; car elle n�est pas dans la nature.
Moi - De l�homme ?
Lui - De l�homme. Tout ce qui vit, sans l�en excepter, cherche son bien-�tre aux d�pens de qui il appartiendra; et je suis s�r que, si je laissais venir le petit sauvage, sans lui parler de rien : il voudrait �tre richement v�tu, splendidement nourri, ch�ri des hommes, aim� des femmes, et rassembler sur lui tous les bonheurs de la vie.
Moi - Si le petit sauvage �tait abandonn� � lui-m�me; qu�il conserv�t toute son imb�cillit� et qu�il r�unit au peu de raison de l�enfant au berceau, la violence des passions de l�homme de trente ans, il tordrait le col � son p�re, et coucherait avec sa m�re.
Lui - Cela prouve la n�cessit� d�une bonne �ducation; et qui est-ce qui la conteste ? et qu�est-ce qu�une bonne �ducation, sinon celle qui conduit � toutes sortes de jouissances, sans p�rils, et sans inconv�nients.
Moi - Peu s�en faut que je ne sois de votre avis; mais gardons-nous de nous expliquer�. �
Le philosophe fait r�f�rence � un mythe, qui deviendra c�l�bre par la suite pour les raisons que l�on sait, pour d�signer la violence de l�homme sauvage. L��ducation permet de rem�dier � cette tendance naturelle de l�individu, mais elle peut �galement devenir un moyen d�assouvir ses penchants aux vices sans risque. Mais qu�est-ce alors que cette �bonne �ducation� ? De l� � consid�rer que la mauvaise ne sert qu�� transmettre des pr�jug�s � l�enfant dans le seul but de lui causer des remords lorsqu�il enfreint les interdits, il n�y avait qu�un pas � faire, et c�est cette limite que Sade franchira quelques d�cennies plus tard. Sade rejette l��ducation fond�e sur l�interdit et la culpabilit�, autrement dit celle issue de la religion parce qu�elle contrarie la nature v�ritable de l�homme. La bonne serait alors celle que re�oit Juliette au couvent de Panthemont de l�abbesse Delb�ne qui lui prodigue les conseils suivants : �Ce qui fait, ma ch�re Juliette, que l�on �prouve du remords apr�s une mauvaise action, c�est que l�on est persuad� du syst�me de la libert�, et l�on se dit : Que je suis malheureux de n�avoir pas agi diff�remment! Mais si l�on voulait se persuader que ce syst�me de la libert� est une chim�re, et que nous sommes pouss�s � tout ce que nous faisons par une force plus puissante que nous, si l�on voulait �tre convaincu que tout est utile dans le monde, et que le crime dont on se repent est devenu aussi n�cessaire � la nature que la guerre, la peste ou la famine dont elle d�sole p�riodiquement les empires, infiniment plus tranquilles sur toutes les actions de notre vie, nous ne concevrions m�me pas le remords�. La violence chez l�homme est dict�e par M�re nature, mais elle n�est pas celle de l�homme sauvage. Le d�terminisme permet � Sade de l�gitimer toutes les atrocit�s commises par ses personnages et d�expliquer leur absence de remords. Cependant, ces tortionnaires font partie de l�aristocratie. Ils vivent en autarcie, dans un lieu clos au sein duquel ils forment avec leurs aides et leurs sujets une soci�t� compl�te. Leur pouvoir s�exerce aussi bien par l�argent, n�cessaire pour qu�ils puissent acheter tout ce dont ils ont besoin lors de leurs exactions (nourritures, victimes, ...), mais qui, �galement, �prouve le vice et entretient la jouissance�, que par la parole. Roland Barthes dans son ouvrage �Sade, Fourier, Loyola� montre toute l�importance du langage comme instrument de domination absolue des ma�tres de c�r�monie sur leurs victimes : �Hors le meurtre, il n�y a qu�un trait que les libertins poss�dent en propre et ne partagent jamais, sous quelque forme que ce soit : c�est la parole. Le ma�tre est celui qui parle, qui dispose du langage dans son entier; l�objet est celui qui se tait, reste s�par�, par une mutilation plus absolue que tous les supplices �rotiques, de tout acc�s au discours, puisqu�il n�a m�me aucun droit � recevoir la parole du ma�tre. (...) Dans la cit� sadienne, la parole est peut-�tre le seul privil�ge de caste qu�on ne puisse r�duire�. Ce sont des �tres cultiv�s, inspir�s par la pens�e libertaire des Lumi�res, des hommes de pouvoir suffisamment riches et puissants pour �viter toute condamnation, ayant droit de vie ou de mort sur leurs sujets. Hors de la fiction sadienne, on les imagine capables d��tendre leur emprise sur le monde et d�interrompre le cour de l�histoire. La folie de ces hommes, cr�ateurs d�un monde nouveau, deviendrait alors bien plus meurtri�re que celle des hommes retourn�s � l��tat sauvage. Leur tuerie scientifiquement pr�par�e et id�ologiquement justifi�e engendrerait une extermination. On pr�f�re plut�t penser qu�il s�agit de d�ments qui n�ont plus rien de commun avec une quelconque nature humaine. A ma connaissance, un seul cin�aste europ�en, a �tabli un lien entre Sade et la r�alit� historique de son pays � une certaine �poque, il s�agit de Pier Paolo PASOLINI, dans son dernier film, �Salo� o le 120 giornate di Sodoma� (ITALIE - 1975). �uvre solitaire mais � combien r�v�latrice de nos contradictions d�homme moderne et civilis�. La r�alit� devient ici trop insoutenable pour ne pas �tre, alors, totalement refoul�e. �
Index des films cit�s :�
1)
�Blair witch project� de Daniel MYRICH et Eduardo SANCHEZ (USA - 1999)
2)
�Deliverance� de John BOORMAN (USA - 1972)
3)
�Last house on the left� de Wes CRAVEN�
(USA - 1974)
4)
�The Texas chainsaw massacre� de Tobe HOOPER (USA - 1974)
5) �Easy Rider� de Denis HOPPER (USA - 1969) 6) �Salo� o le 120 giornate di Sodoma� de Pier Paolo PASOLINI (ITALIE - 1975) Andr�-Michel BERTHOUX |
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