Analyse mythographique modèle appliqué au cinéma Le silence des
agneaux,
Catherine Barbé
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Sécurité, stabilité,
mais aussi ordre, des principes acteurs des sociétés modernes ne
laissent guère de place à l'instinct, à l'émotion et à l'imaginaire. Loin de contribuer à l'effort de civilisation, cet endormissement favorise
un retour beaucoup plus néfaste des instincts laissés en friche, quasiment à l'état sauvage... Si nous n'avons plus à nous défendre
contre des fléaux naturels, il demeure dans la nature de l'Homme une infinité de comportements nuisibles. Or, rien dans l'éducation
ne permet à l'enfant moderne de se prémunir contre ces actes de l'Ombre.
Ce n'est pas une morale défensive : "Il ne faut pas ! ", "Fais attention...", qui nous assure d'une bonne défense contre les attaques
nuisibles des tréfonds de notre psyché. Ni non plus une attitude répressive ! Comment dès lors, l'Homme ordinaire se crée-t-il ses
propres moyens de défense contre ses fléaux internes, pour participer au courant de progression de l'humanité ?
La violence au cinéma, à la télévision et dans les médias — bande dessinée, roman, etc. — constitue une défense tout à fait naturelle
d'un peuple ou d'un groupe ethnique contre cette perte des instincts les plus immédiats dont — entre autre — la possibilité viscérale,
immédiate de mettre la conscience en alerte quand un danger menace. Et tant que ce danger demeure effectif, la raison ne peut avoir
prise sur l'impression que l'on en a.
L'éducation contemporaine est si protectrice que l'enfant ne peut aguerrir ses sens, éprouver ses propres facultés de défense
autrement qu'en figurant une violence supposée à travers des contes modernes. Sans cette possibilité, dans un monde en
désarroi, la seule réaction qui resterait serait de se terrer ou de laisser l'inquiétude se manifester sous forme auto-destructrice
et nous rencontrons régulièrement ces types de réaction dans d’autres secteurs de la vie sociale.
Par ailleurs, l'adulte assailli par des informations multiples dont il ne peut mesurer le degré d'influence sur son environnement
se retrouve comme un animal traqué par un prédateur inconnu, mystérieux et qui ne se dévoile jamais — c'est le thème de nombreux
films. Que cela soit réel ou supposé ne change rien, seul compte la valeur affective que le sujet donne à ses impressions.
Il arrive alors que ce dernier ne puisse plus réellement mesurer l'ampleur de ce qui le menace. Qu’il y est alors une place pour
une information ou une éducation est une autre histoire, aux implications plus politiques.
Les films de violence, si on y regarde bien sont construits sur des thèmes semblables. Il n'y a pas de hasard dans ce domaine.
Les réalisateurs reprennent, sans jamais vraiment le laisser apparaître les grands thèmes du folklore et de la mythologie populaire.
Ils inventent des contes modernes ! Qui viendrait soutenir que rien de violent n'existe dans les contes anciens ?
Quand les personnages abattent froidement leurs adversaires, les dévorent ...
Avant de s'en prendre à la supposée violence des images du cinéma, il conviendrait d'abord de regarder d'un peu plus près les
contenus de notre patrimoine imaginaire.
"Quelque chose se passe comme si la Conscience collective s'emparait des scénaristes pour créer des climats particuliers
dont la finalité serait de forger des défenses. Grâce aux films la Conscience collective demeure en éveil contre les dangers
de notre propre potentiel de nuisance mis en scène dans une sorte de rituel guerrier.
Mais, il existe une limite aux vertus positives d'un tel consensus. C'est l'inconscience dans laquelle nous sommes de ce
processus d’auto-éducation. La violence dans le cinéma ou à la télévision est dénoncée partout mais chacun s'en abreuve.
Les jeunes particulièrement mais ce ne sont pas les seuls. Cela place chacun de nous dans une position d'ambivalence et de conflit.
On est attiré par une pression intérieure qui nous pousse à boire ces images mais l'environnement culturel les dénonce comme
négatives et porteuses de vices.
Prise dans cet étau, la conscience peut alors devenir l'otage de perversions idéologiques. En effet le clivage s'accentuant de plus
en plus entre ceux qui, prétendant penser et détenir le savoir, possèdent les outils de l'information et ceux qui pensent vraiment
la vie et le futur sans avoir accès à l'information ou ceux qui consomment. La rupture menace d'être inéluctable. Le résultat en
serait une sorte de dictature de ceux qui détiennent le pouvoir des médias, donc de la vérité et de la vertu et, finalement de la morale.
Toutes les considérations qui circulent sur la violence, la décadence de nos sociétés, sur leur pollution par des agents perturbateurs
internes ou externes découlent d'une morale bien pensante et terriblement, dangereusement rétrograde. C'est ce qu'exprime l'opinion
des moralistes modernes. En vertu de quel pouvoir ?
Un tel état de fait conduit au refoulement et à la création de tabous, à une sacralisation négative de l'instinct, qui ne peut alors
rejaillir — par la moralisation qui plane — que d'une manière pervertie et menaçante, renforçant la conviction de ceux qui prônent
l’abolition de la violence dans les médias. Un système moraliste, élitiste se renforce de lui-même. La violence des images sert
d'alibi à ceux qui la dénoncent, en même temps que le peuple s'en nourrit, par besoin, pour aguerrir les défenses individuelles
contre les dangers d’un futur inaccessible.
Loin de prôner la violence comme un mal nécessaire il s'agirait plutôt d'initier un débat plus vaste, partant d'une meilleure
reconnaissance des savoirs, pour une neutralisation des discours culpabilisant et finalement religieux.
Que cela veut-il dire ? Les pionniers de la psychanalyse ont déjoué le tabou de la sexualité qui existait dans les sociétés
puritaines, en amenant d'une part les patients à en parler, mais en provoquant d'autre part un débat autour de la sexualité et de l'éducation sexuelle.
( Nous connaissons les débordements et les abus qui suivirent. Mais les déviances de la psychanalyse proviennent de ce
qu'elle se transforma en idéologie dans les années 40. La psychanalyse devint un discours dogmatique et elle n'était pas prête
à cela. Il n'existait pas dans la théorie psychanalytique de moyens d'aller au-delà de la sphère individuelle. Depuis rien ne nous
permet d'envisager la dimension collective des complexes qui s'expriment dans l'âme humaine.)
Le cinéma, art populaire par excellence, pris comme modèle de la diffusion d'images et de mythes nouveaux nous dévoile quelques
ressorts occultes de notre potentiel collectif. Pourquoi ne pas en faire un objet d'investigation et d'échanges plutôt que le mettre
sous la coupe des censeurs modernes ?
Nous disposons d'outils fiables et solides pour mieux témoigner de ce qui se passe autour et à propos de la violence humaine
qui paraît éclater actuellement sur la planète entière ...
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