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Le mythe, la raison et nous
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Entre la science et le mythe, il y a toujours eu des malentendus. Comme chemin du savoir la science tend � ignorer ce qui est mythique � muet �. Cependant les recherches arch�ologiques et historiques on souvent donner consistance au moins partiellement � ce que rapportent les mythes et les l�gendes. D�s lors la science peut coloniser le mythe, lui faisant subir les triturations exp�rimentales qui lui semblent opportunes. Il n�est �videmment pas question que le mythe, comme mod�le d�expression de l�imaginaire, devienne autonome, qu�il pr�tende avoir une vie propre. Il est encore plus aberrant d�affirmer que le mythe pourrait repr�senter le mouvement d�une culture � travers l�Histoire et en diff�rents territoires� � Les th�ses contemporaines qui critiquent les productions de l�imaginaire, dont le mythe, sont parfaitement pr�sent�es par Henri Atlan dans son essai �pist�mologique : Intercritique de la Science et du Mythe (Ed. du Seuil, 1986). Atlan d�nonce fort � propos les diff�rentes impostures qui auraient la pr�tention de se pr�senter comme des recours modernes. Son rep�rage des diff�rents courants de pens�e est pr�cis, exhaustif � autant que la chose soit possible actuellement � et sa d�monstration fait preuve d'une nettet� rare pour une �uvre d'�pist�mologie. En outre, le prestige de l'auteur apporte un surcro�t de sagesse � un travail tr�s vaste. Pourtant, si l'auteur int�gre parfai�tement le discours psychanalytique freudien, il se livre � une critique fort habile des th�ses jungiennes et des travaux des continuateurs de Jung, notamment ceux de Pierre Soli�. C'est, semble-t-il, le meilleur ouvrage de critique de l��uvre de Jung qui ait �t� �crit jusque-l� et qui apporte au freudisme une caution scientifique que nous avions cru perdue. La th�se d'Henri Atlan est claire, quoique s�duisante et partielle malgr� les garanties du contraire. Intercritique de la Science et du Mythe ? Il e�t mieux valu annoncer qu'il s'agissait du fondement du Mythe selon l'auteur, ou le recours supr�me de la Science. Il expose des vues tout � fait partisanes et r�ductrices sur le mythe, n'en r�cup�rant que ce qui para�t accessible au regard de la science. Le reste, rejet� dans les oubliettes de la fabulation ou de la mystification, est class� comme sp�culation. Il est clair que l'imaginaire de soci�t� doit �tre assujetti � la science. N�anmoins, ses th�ses restent un support de r�flexion et une exhortation � la prudence. Ses rappels des textes bibliques servent parfois de support � la glose et donnent une vague impres�sion d��cum�nisme. Mais cela fait partie des modes de la litt�rature scientifique. Ainsi, (p.351-352), ��la v�rit� poussera de terre�� et, si nous suivons bien, la paix aussi. C'est l� un rappel heureux, l'homme devant accepter que sa recherche de v�rit� passe par l'exploration du sol avec ce que la m�taphore peut laisser peser comme sens. La v�rit� ne tombe pas du ciel mais se d�couvre et se d�voile progressivement au regard de celui qui veut bien la chercher. L'auteur s'appliquera tout au long de ces pages � nous composer une sorte de po�me mystique d�di� � la V�rit�, mais, en m�me temps, il cherche par tous les moyens � att�nuer la partie po�tique de son propos comme s'il sentait bien le pouvoir de s�duction et de fascination de la nudit� de la Sophia. La t�te peut-elle rester froide ? Le regard qui se porte sur la Sagesse �ternelle la laisse inchang�e, immuable et fixe comme la vierge surgie du sol, s'�l�ve vers le ciel dans son assomption divine. Et Atlan finit, � son insu, par aller � l'encontre de sa propre d�monstration : il r�v�le un emporte�ment mystique alors qu'il propose de passer toute forme de syst�me au crible de la science. Atlan met une forme de science en critique, essayant de r�concilier les valeurs fondamentales issues de la Torah avec la psychanalyse. L��uvre reste au plan de la logique formelle, la po�sie �tant contenue dans des arri�re-plans que le discours ignore. Car dans la po�sie s'exprime parfois l'emphase religieuse et le fait religieux est psycholo�gique or si le religieux veut embrasser l'universel, le psychologique se veut et se croit souvent au-del� du religieux. Au prix bien souvent de pures sp�culations vides de sens, sans autre int�r�t qu'au plan de la logique (quand cela r�ussit � soutenir la rigueur d'un raisonnement logique). Henri Atlan analyse ainsi un certain nombre de syst�mes r�put�s coh�rents. Au terme de tous ces d�tours surgit la Science, toujours la m�me. On arrive alors � croire que Tout est explicable et on atteint le but inverse qu'on s'�tait fix�. A vouloir vitaliser la psychologie en la hissant hors des dogmatismes d'�cole et des �chafaudages intellectuels, on finit par pr�tendre expliquer jusqu'au myst�re de l'�tre. Tout s'explique, chacun y met de sa science, m�me les astrophysiciens ; alors le myst�rieux frappe l� o� notre raison est vici�e, l� o� r�side l'ombre de nos pr�voyances, de nos s�curit�s et de nos certitudes. Ce n'est pas tant l'explication sur toute chose qui peut g�ner, c'est bien plut�t de laisser croire la disparition de toute forme de myst�re qui constitue une imposture. Les scientifiques ne veulent absolument pas se rendre compte qu'une telle vis�e est pr�cis�ment celle de toute religion : r�pondre aux grands myst�res de l'�tre. Le XXe si�cle offre un spectacle "charmant" si l'on compare les th�ories scientifiques et les dogmes religieux. Tous les discours cohabitent, des plus archa�ques aux plus avanc�s. Le sauvage, primitif et rude sous son habit de citoyen, c�toie les germes du futur, dispers�s chez quelques individus qui, tr�s souvent, ignorent eux-m�mes qu'ils en sont porteurs. Comment concilier tous ces discours puisqu'ils se nient les uns les autres et que cette n�gation garantit la s�curit� de chacun ? Science et religion sont � pr�sent aussi �trang�res l'une � l'autre qu'un iceberg le serait � un champs d'oliviers. Mais cette ��chose�� myst�rieuse qui sait si bien exploiter les techniques de l'Homo Sapiens n'a de cesse d'englober et de rationaliser tous les myst�res, fondant chaque jour de nouvelles g�n�rations de dogmes et de certitudes qui durent le temps des roses sans en avoir ni les charmes ni les parfums. La V�rit�, comme une ma�tresse offens�e, semble se d�tourner de son ancien amant que l'angoisse alors �treint. L'Homme blanc a perdu sa religion et sa science fait p�le figure devant l'univers. La ReligionD'aucuns pr�nent le retour du religieux pour r�enchanter le monde. L'unanimit� des penseurs se fait l�-dessus. Mais, nombreuses sont les postulantes en comp�tition pour combler ce besoin de cercler le chaos de notre culture. Comme si le pourvoi contre l'angoisse du monde constituait une t�che prestigieuse. Cela s'av�re comme un ch�ur, une rumeur dont le contenu trahit un discours qui s'aveugle lui-m�me, g�mit sur la perte de l'�motion mystique alors qu'il en participe, geint devant l'immensit� de la t�che alors m�me que la mise en �uvre se fait (sans lui). Car l'Occidental oublie souvent son ethnocentrisme et les pr�tentions universalistes de sa pens�e. C'est d'abord de cela dont il sera question s'il s'agit de refleurir notre petit paradis intellectuel, de regreffer les fruitiers d�sormais st�riles de nos universit�s. La pens�e occidentale ne cr�ve-t-elle pas de l'espoir insens� de se suffire encore � elle-m�me ?[1] Tout serait simple s'il ne s'agissait encore d'une affaire de famille, comme sous la Terreur. Mais si l'�tre Supr�me a rat� son entr�e, la notion m�me de Totalit� trouve un terrain propice dans tous les domaines de la vie de l'Homme (plan�taire celui-l�). En moins de dix ans, gr�ce aux techniques modernes de communication, n�importe quel fait culturel important, m�me ���conomique��, a fait le tour du monde. C'en est d�sormais fini des affaires qui se r�glent au fond des officines. Les bannis r�clament leur d� aux portes du palais. La dette est ancienne et date de la conquista. Souvenez-vous, l'Europe sortait du Moyen �ge. Les rivi�res d'or de la conqu�te coulaient, accueillantes et fra�ches aux pieds de l'Homme blanc ma�tre de la Nature gr�ce aux outils que sa science lui donnait. A cette �poque, on d�portait des esclaves, il y en eut plusieurs millions. L'Afrique en g�mit encore ! On massacrait les Indiens au Sud, au Nord. L'Homme blanc �ructa � la face des Dieux et se fit une place gigantesque sur la plan�te. Ce fut autant une conqu�te �conomique qu'une affaire religieuse et nous voudrions alors revenir aux vieilles recettes pour oublier (ou faire oublier) les exc�s de l'imp�rialisme occidental qui s'est perp�tu� en pens�es, en paroles et en actions. Rien ne peut effacer la m�moire de la terre. Ce recours au religieux, je l'ai soulign� plus haut, constituerait une gigantesque r�gression qui serait peut-�tre l'aboutissement ultime de la longue marche r�trograde de l'humanit� dont Nietzsche parlait. Pouvons-nous faire l'�conomie du passage au chaos n�cessaire pour un remodelage plan�taire ? Reformulation qui se traduira au plan �conomique, politique, culturel et moral. Plut�t que d'affronter ce passage, finalement naturellement hivernal, nous pr�f�rons pr�server des acquis en conservant les pouvoirs qui nous restent mais dont nous savons qu'ils n'encadrent plus la r�alit�. Tout converge � laisser penser que nous changeons de Dieu ou de Totem, que la plan�te conna�t une r�volution probablement �gale � celle de Copernic, qu'un nouvel arch�type se constelle, qu'un messie est en passe de s'incarner, qu'un mahdi[2] se r�v�le... Nous sommes en d�but de si�cle et de mill�naire. Toutes les terreurs se conjuguent. Mais, d�j�, d'autres se pr�parent. La n�ognose et l'astrologieJ'ai bri�vement fait r�f�rence plus haut aux nombreux mouvements du Nouvel �ge. Que l'aggiornamento l'accepte ou non ces courants contemporains appartiennent � notre quotidien. Leur pr�sence devient aussi incontournable que la port�e de leurs id�aux. Roland Cahen, disciple de Jung et traducteur de ses �uvres en langue fran�aise, rel�ve que la psychanalyse ne fait plus recette et s'interroge sur les raisons de cette d�saffection15 Ce qui vide ceci remplit cela. Or, la plupart des ��th�ories�� du Nouvel �ge s'engouffrent dans les vides des espaces conceptuels de la psychologie acad�mique et se pr�sentent comme les r�actions au r�ductionnisme des syst�mes plus m�dicalis�s. Beaucoup se recommandent de l'��id�al jungien�� tout en gardant une grande libert� par rapport aux contenus cliniques de la psychologie des profondeurs. Il s'y d�veloppe un regard critique sur la psychanalyse m�me si de nombreux emprunts sont faits � cette discipline. Ces courants veulent mettre en valeur ce qui est sup�rieur dans la nature humaine : la libert�, la cr�ativit�, la spiritualit�. Ils est souvent fait r�f�rence � la dimension humaine prise dans sa totalit� galactique ainsi qu'� des notions rest�es �trang�res � la docte psychologie : astrologie, kabbale, �l�ments de gnose, doctrines �sot�riques... On a l'impression de se trouver devant un vaste �chafaudage sans coh�rence aucune et sans autre finalit� que le d�sir de ceux qui en empruntent les voies (qu�te d'harmonie, paix...). Cependant, le psychologue aurait tort d'exclure aussi vite ces mouvements de la psychologie moderne. Certes, les universit�s leur sont ferm�es, mais l'on sait bien que celles-ci r�cup�rent bien plus le savoir qu'elles n�occupent le champ de la recherche en mati�re de psychologie. Ces courants, m�me dans leur exc�s, nous renseignent sur l'insertion de la psychologie dans le r�el, exprimant ainsi une tendance de soci�t� qui �veille des �chos importants dans nos psych�s profondes. Et il ne sert � rien de dire que cela est d� aux modes et qu'il s'agit en fait d'une influence inopportune de la culture dans le champ de la th�orie. La prise en compte des id�aux ainsi expos�s est d'autant plus importante qu'ils furent d�j� exprim�s par des personnalit�s aussi vari�es qu'Arthur Koestler, l'anthropologue fran�ais Marcel Mauss, Koeler et Wertheimer de la Gestalt (cette Gestalt, soit dit en passant, fait actuellement l'objet d'un engouement �tonnant). Traiter les aphorismes de ces syst�mes par le m�pris, comme le font la plupart des psychanalystes et des psychologues contemporains, rel�ve d'une forme d'obscurantisme. En effet, ces doctrines insistent souvent sur la n�cessit� de restituer � l'humain sa dimension sacr�e et de lui redonner une dignit� que les r�volutions scientifiques lui ont peu � peu fait perdre. Il ne serait pas sans int�r�t de voir ce que ces th�ories doivent aux sources du Marxisme. Nous y retrouvons la trace de la philosophie de Husserl, mais aussi beaucoup de notions �picuriennes, ainsi que � c'est le plus �tonnant � certaines identit�s avec le courant philosophique russe tel que Berdiaev nous l'a r�v�l� au d�but du si�cle. Ce n'est donc pas tout � fait un hasard si des traits de philosophies asiatiques se rep�rent dans ces syst�mes. Le caract�re brouillon des vocabulaires, la multitude des mouvements, leurs fr�quentations d�rangeantes renvoient � l'acad�misme psychologique leur caract�re puritain, dogmatique et maniaque. C'est pourquoi, si j'ai rappel� tant de noms, parfois inconnus[3] ce n'est pas pour faire �uvre d'�rudition, mais pour sugg�rer la formidable puissance d'ingestion de ces courants de pens�e. Il y a dans cette facult� un ph�nom�ne qui m�rite une certaine attention et je me demande si ces ��th�ories�� ne sont pas traver�s�es par des intuitions cr�atrices qui seraient fondatrices d'un nouveau paradigme. La r�cup�ration si rapide des discours existants ne serait que la manifestation d'une tentative de ces ��fantaisies�� pour se frayer un chemin vers la conscience. En Europe ces alternatives pour un nouveau monde se scindent en deux groupes. L'un reste tout � fait ro�mantique, id�aliste sans aucun pragmatisme et semble prendre le relais de l'ancien �sot�risme, l'autre r�unit des groupes tr�s actifs et particuli�rement r�alistes. La France conna�t surtout le courant id�aliste car le second s'accommode mal du conservatisme ambiant. Souvent ces id�es du Nouvel �ge font r�f�rence � un retour harmonieux de la paix entre les hommes et � la r�conciliation entre l'Homme et la Nature. Ce th�me se retrouve dans d'autres milieux mais aussi dans l'histoire des hommes depuis des mill�naires. Une telle fixit� peut-elle avoir un sens ? Les m�decines douces et le mythe du NaturelLa chute de l'enfant divinCrise de culpabilit� de l'OccidentLes nombreuses solutions � la crise masquent mal le sursaut d'une conscience h�g�monique attach�e � conserver les lumi�res rassurantes de ses pouvoirs face � la mont�e d'un chaos qui se trouve �tre l'envers d'un ordre devenu d�suet. Tout cela se joue dans un d�cor mill�nariste, dramatique � souhait, quelque peu fantastique. Les morts s'en reviennent de leur s�pulture. Leurs faces caverneuses se tournent vers les corps assoupis des vivants, happant leur souffle, leur sang, leur qui�tude. Les nuits de l'Homme moderne se peuplent d'angoisses terribles. A l'image de ce que Andr�i Tarkovski a montr� dans ses films, les guerres viennent maintenant jusque dans nos r�ves. Et, comme un enfant persuad� de la toute-puissance de ses gestes, nous souhaitons r�parer tout cela : ne suffirait-il pas de d�boulonner la D�esse Raison, mise en place en 1789, et de la remplacer par quelque nymphe promue � une nouvelle dignit� ? Harmonie convien�drait tr�s bien pour ce r�le qui l'allierait parfaitement � ses petits fr�res Nombre et Mesure. Au Comit� de Salut Public succ�derait un Comit� National d'�thique... Et les vieux dogmes rafra�chis reprendraient du service. Il y a dans l'air que nous respirons des relents m�phitiques qui tiennent leurs ��qualit�s�� d'autres �manations que celles des hydrocarbures. L'atmosph�re empeste aussi la culpabilit�. La r�f�rence � la R�volution Fran�aise marque un contexte : � ce moment-l�, l'Homme sort d'une p�riode au cours de laquelle Dieu avait �t� un recours. D�s la fin du XVIIe si�cle, la vieille cosmogonie s'�croule et ��l'euphorie newtonienne, quand le savant semble pr�t � tout expliquer par des lois intentionnellement voulues de Dieu, c�de devant l'irreligion pr�ch�e au nom d'une Nature en r�volte contre le Cr�ateur��[4]. L'homme est persuad� qu'en la technique repose le secret du bonheur : chacun devient alors libre de g�rer son plaisir, ses int�r�ts et sa terre mise au rang d'objet. Le th�me de la libert� restera primordial. Il est tout � fait net que ce terme confond dans un m�me phon�me des notions tr�s diverses telles que l'affranchissement de toute tutelle, l'absence totale de contraintes, y compris corporelles�; ce qui confond nature et asservissement. Or si la conscience dont parlent les psychologues ne peut se concevoir que chez un �tre affranchi, il est ind�niable que celui-ci int�gre �galement ses composantes psychiques instinctives en les ��domestiquant�� pour les mettre judicieusement au service de sa libert�. Si l'on tient compte de la sagesse de toute exp�rience humaine, il n'y a pas de v�ritable libert� qui ne soit d'abord une alliance entre deux termes d'�gale puissance. En d'autres termes, l'�tre libre est celui qui sait r�soudre en le sublimant son conflit entre Nature et Culture. Ce point est de toute premi�re importance si nous voulons comprendre les grands principes de la R�volution selon un regard psychologique. Prom�th�e technicien r�forme la soci�t� et l'Homme se veut sans tyran, affranchi, libre. D�sormais, la place est faite � cette r�volution qui voudra r�enchanter le monde. Au nom des id�aux les plus grandioses, les Montagnards massacrent les Girondins (trop impurs, contamin�s), la D�esse Raison d�tourne le peuple de Notre Dame de Paris pour le conduire vers les places o� l'on guillotine. Sacrifices d�di�s � l'�tre Supr�me, destin�s � purifier l'Homme de ses crimes pour lui arracher sa mauvaise conscience. La "Libert� Naturelle de tous les hommes" produit le Tribunal R�volution�naire et la Terreur. La crise de culpabilit� qui �treint alors l'Homme �clate en de terribles tornades lourdes d�agressivit� et de violence. L'Homme souffre d'une terrible mauvaise conscience d'avoir souill� la Natura Mater. Ses justiciers lui donneront un Roi et tant d'autres victimes en sacrifice... Les fant�mes que Diderot avait entrevus sortent de l'ombre et les barri�res de la civilisation l�chent pour laisser passer la horde hurlante des fauves sanguinaires d�guis�s en d�mons justiciers de la Nature. L'Homme moderne a-t-il plus de pond�ration et de sagesse ? D'apr�s les discours cela ne fait pas de doute. Mais la guerre du S.I.D.A. � celle des laboratoires et des politiques � a montr� que la b�te est toujours l�, tapie dans l'ombre, pr�te � bondir. Alors, l'obscurantisme que certains pr�di�sent, est-ce bien celui des canons ? Est-ce celui que nous pourrons compenser � coup de subventions dans la culture europ�enne ? Michel Henry s��crie : ��Parce que la culture est l'autod�veloppement de la vie, elle se trouve exclue de l'espace europ�en qui d�finit la modernité »[5] . Et pour ce penseur, la barbarie s'installe dans la coupure entre savoir et culture, technique et art. Ce sont l� des constats, mais cela annonce-t-il pour autant la venue des barbares�? Si nous en croyons les biologistes, la vie rena�t sous les microscopes, les scalpels et dans les �quations des math�maticiens. Est-ce la barbarie ou le signe in�luctable d'un monde qui meurt ? Ne voyons- nous pas l� le triste spectacle d'une philosophie qui n'a pas su d�finir le mal qui la ronge ? Selon le ma�tre Hegel, ce mal n'existe pas ! Mais si�! s'�crient ceux-l� m�me qui en d�crivent les effets. Sid�ration des sens, silence, conflit int�rieur, nous sommes dans l'impasse et nous accusons les m�dia. Le r�le des m�dia��Les m�dia corrompent tout ce qu'ils touchent en pla�ant dans l'inconsistant... l'�tre de l'Essentiel, � savoir l'accroissement en soi de la vie selon sa temporalit� propre��[6] La rumeur anti-m�dia s�est largement amplifi� depuis que ces lignes ont �t� �crites. Chacun y va de sa rengaine, des politiques aux scientifiques, en passant par les sportifs ou les intellectuels. Pierre Bourdieu s�est constitu� une image de fer de lance dans la d�nonciation des exc�s des media. Mais cela ne l�emp�che pas de s�en servir pour cultiver son image de pourfendeur polydirectionnel. C�est un peu comme si nous donnions un violent coup de pied � notre t�l�viseur parce qu�il nous annonce une mauvaise m�t�o ou la chute des actions Alcatel. Les media sont un outil et, selon toute vraisemblance, nous ne savons pas nous en servir, pas m�me les journalistes d�ailleurs� Et si nous faisons de tels proc�s aux m�dia, c'est bien parce que quelque chose se r�v�le � travers eux et probablement � leur insu. Il semble bien que nous projetions sur les ��m�dia�� les d�rives de notre propre culture. Ce ne sont pas les vecteurs d'information qui sont d�voy�s, ce sont les informations propag�es qui montrent une r�alit� ne correspondant plus � ce que nous attendions. L'homme occidental ne veut pas de ces informations qui lui renvoient une image si ingrate de sa culture. Pour une foule d'individus, il serait pr�f�rable que l'information entretienne la langueur silencieuse des ab�mes de l'inconscient pour ne laisser transpara�tre que la beaut� et la v�rit�. C�est d�ailleurs le r�le de certaines �mission des t�l�vision � la sauce sucr�e que d�effacer les douleurs de la conscience. Ce ne sont pas les m�dia qui sont corrompus[7], mais bien plut�t les v�rit�s qu'ils d�voilent qui pr�sentent un th��tre aux h�ros pitoyables, nous, notre culture, les agents de nos soci�t�s. Pour une fois, dans notre culture, appara�t un d�calage entre le ph�nom�ne vie et sa repr�sentation imaginaire. Reprenons la phase de M. Henry en y glissant un autre sujet�: ��L�Homme Blanc du Nord corrompt tout ce qu'il touche en pla�ant dans l'inconsistant... l'�tre de l'Essentiel, � savoir l'accroissement en soi de la vie selon sa temporalit� propre��[8]. Et le sens devient r�aliste. � Mais cette r�v�lation n'est-elle pas positive ? Est-il permis de penser que nous ne confondrons plus le Noir d'Afrique avec celui de nos r�ves angoiss�s; la sorci�re avec nos compagnes, le maghr�bin avec le Maure...�? Nous sommes bien en pleine confusion quand nous parlons de barbarie, mettant notre monde au milieu de toutes les terres habit�es. Une cultures qui se met au centre de la modernit� en exclut toutes les autres. Mais si elle accepte le dialogue/rencontre, un d�bat d'��auto-accroissement de la vie�� (au sens o� l'entend Michel Henry) peut s'engager... � condition, bien s�r, d'accepter le risque de l'inconnu. Car ce qui est au plan des na�tions l'est aussi � celui des savoirs. Depuis des si�cles, le morcellement de la science profite � une certaine cosmogonie dont la conscience est le centre. Nous avons pill� la plan�te au profit de l'Homme Blanc du Nord et nous avons exploit�, razzi� les patrimoines culturels des autres savoirs, des consciences autres dont le seul tort �tait d'�tre diff�rentes. Et quand ce mouvement d'auto-accroissement de la vie � l'�chelle plan�taire ne se nourrit plus des seules qualit�s de la conscience blanche, celle-ci s'�tiole, perd ses pouvoirs et meurt. Nous pouvons dire que la Nature n'aime plus l'Homme Blanc du Nord. Il y a des peuples qui agonisent apr�s que leur totem se soit bris�. Notre civilisation doit savoir mourir car ses totems sont morts. Nietzsche ne l'avait-il pas dit ? Il n��tait que po�te� Si les media me paraissent devoir �tre affranchis des suspicions qui p�sent sur eux, on sait que, derri�re l�outil, il y a des Hommes, les journalistes. Et ceux-ci, on peut l�avancer, ne connaissent pas leur outil. Il n�est pas s�r qu�ils nous apprennent � bien mourir, au sens de civilisation, bien entendu. [1] � Les d�cisions de G. W. Bush junior sont, de ce point de vue, exemplaires. Qu�importe que la plan�te cr�ve pourvu que la machine de production am�ricaine continue de fonctionner. [2] � Le dernier proph�te que l�Islam attend, celui de la fin des temps. [3]� In� Lierre & Coudrier n�8, 1987, p.8. [3] � Dans la bibliographie je donne des rep�res possibles. [4] � Robert Lenoble, Histoire de l'id�e de Nature, Ed. Albin Michel, 1969 ; p.364. [5] � Michel Henry, La Barbarie,1987, �d. Grasset, Paris. [6] � Ibid, p.197. [7] � Notons en passant que l�image �voqu� par Michel Henry renvoie tr�s pr�cis�ment aux repr�sentations tr�s anciennes des d�mons. La corruption d�abord, l�inconsistance ensuite puis la n�gation de la vie� [8] � Ibid, p.197.
Illel Kieser, le 12/06/2001
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