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Du conflit des g�n�rations a�n�s/cadets � la guerre des demi-fr�res dans les familles polygynes ly�la du Burkina Faso
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Pierre Bamony

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Introduction

Les esprits comp�tents conviennent, en g�n�ral, que l�objet d�une science de la mati�re, par exemple la Physique, est imm�diatement connaissable suivant la pr�cision d�un contexte exp�rimental. En effet, l�exp�rimentateur a le privil�ge de le diss�quer, de l�observer sous divers angles et de l��tudier de telle mani�re qu�il en tire le savoir le plus exact possible.

Il en est tout autrement de l�objet des sciences humaines, telle que l�anthropologie, qui se donne � observer au chercheur tout en se voilant. La nature des difficult�s de la recherche en ces mati�res r�side justement dans la complexit� de celle de l�Homme lui-m�me en ce qu�il est sujet libre et toujours en mutation, comme les soci�t�s qu�il a fond�es. Les probl�mes sont les m�mes, qu�il s�agisse de soci�t�s plus complexes ou moins complexes selon les cat�gories en cours dans les sciences humaines.

Ainsi, en Anthropologie africaniste, un fait, en l�occurrence, le conflit a�n�/ cadet, a �t� per�u et pens� comme allant de soi dans les soci�t�s de l�Afrique sub-saharienne. Comme on avait affaire, jusque dans les ann�es 1975-1980, � des recherches monographiques qui se voulaient exhaustives, on n�a pas eu le souci de pr�ciser, dans les diverses figures de familles, le lieu o� se situe le conflit en question. En d�autres termes, puisqu�il s�agit, dans la majeur partie des cas, de familles polygynes, on a pass� sous silence l�analyse des rapports entre fr�res ut�rins et entre demi-fr�res.

Or, c�est pr�cis�ment dans les relations entre ces derniers que r�side le caract�re aigu de ce conflit. Certes, celui-ci est plus souterrain, voire inapparent au regard rapide d�un observateur, en raison du silence qui a g�n�ralement cours dans ce genre de famille. D�s lors, c�est � �clairer un aspect de ce conflit, de cette guerre m�me entre demi-fr�res que vise l��tude pr�sente.

1 � Une erreur d�appr�ciation�?

La litt�rature de l�anthropologie africaniste a beaucoup insist� sur les rapports g�n�ralement conflictuels a�n�s/cadets. Cette opinion est tellement r�pandue parmi les illustres confr�res qu�ils en ont fait une probl�matique majeure des liens entre les g�n�rations dans les familles de la zone sub-saharienne. Les ph�nom�nes migrations en Afrique de l�Ouest sont m�me consid�r�s comme la cons�quence directe de ce genre de conflit. Pourtant, si l'on regarde de plus pr�s le probl�me des migrations dans le contexte des peuples africains suivant cette perspective, on ne peut que s'accorder avec les nuances qu'apporte Jean-Loup Amselle (Bibliographie), concernant l'une des causes de ce ph�nom�ne, en l'occurrence, l'opposition a�n�/cadet. De quoi s'agit-il ?

L�anthropologie africaniste, d�une fa�on g�n�rale, d�fend la th�se selon laquelle la figure conflictuelle a�n�/cadet[i] est la gen�se, l'expansion et la perp�tuation des migrations en Afrique noire. Une telle conception p�che par son caract�re universel et donc son m�pris de situations singuli�res, des sp�cificit�s dans les multiples visages des mouvements migratoires. Il ne s'agit pas de nier qu'un tel fait, c'est-�-dire l'opposition a�n�/cadet, n'existe pas dans les familles de l�Afrique sub-saharienne. Mais son existence ne peut justifier, � elle seule, tous les caract�res ou toutes les causes des mouvements migratoires dans ce vaste continent. Au sujet de cette opposition a�n�/cadet, Jean-Loup Amselle fait, � juste titre, les remarques suivantes : ��Cette exigence historiciste s'applique �galement, selon nous, � une raison qui est souvent pr�sent�e comme �tant � l'origine des migrations spontan�es ou r�pulsives, c'est-�-dire l'opposition a�n�/cadet [...]. La contrainte exerc�e par les a�n�s sur les cadets a en effet souvent pour r�sultat d'inciter ces derniers � quitter les groupes r�sidentiels et par l� m�me � r�soudre les conflits intervenant au sein des lignages [...]. En fait, � propos de ce type d'explication surgit une difficult� que l'on pourrait formuler de la fa�on suivante : les conflits a�n�s/cadets �tant au principe m�me du fonctionnement de nombreuses soci�t�s africaines et � ce titre ayant une existence tr�s ancienne, ils ne peuvent rendre compte du ph�nom�ne �minemment actuel que sont les migrations�� [1976�: 15-16].

Dans un travail in�dit[ii], nous avons �tudi� la question de l'�migration des Ly�la tant � Abidjan qu'� Bianouan, village de la Pr�fecture d'Aboisso, o� ceux-ci sont plus nombreux que chaque groupe ethnique, y compris les autochtones, en l'occurrence, les Agni. Nous avons remarqu� que cette nouvelle figure de l'�migration, essentiellement �conomique, n'est pas toujours conforme � la sp�culation anthropologique relative � la conflictualit� a�n�/cadet. Bien au contraire, la proportion d'a�n�s que nous avons interrog�s dans le cadre de notre enqu�te, tant � Abidjan qu'� Bianouan, est grande. Nous retiendrons juste deux facteurs qui expliquent ce ph�nom�ne. D'abord, au cours des ann�es 1915 � 1950 environ, les a�n�s fuyaient les recrutements militaires obligatoires op�r�s par les Arm�es coloniales pour faire la guerre en Europe et, plus tard, les travaux forc�s. Ils �taient souvent aid�s par le coll�ge des p�res. En s'enracinant ailleurs (Ghana, C�te d'Ivoire), ils apportaient une contribution financi�re substantielle pour alimenter les familles et pour faire face aux diverses d�penses dont celles des fun�railles. Ensuite, � partir des ann�es 1955-1960, les a�n�s �migraient pour aller chercher l'argent n�cessaire � leur propre mariage. Par la suite, ils s'enracinaient parce qu'ils devaient s'occuper de marier les petits fr�res ou les cadets en assurant l'ensemble des frais. D�s lors, nous avons remarqu� que dans beaucoup de cas, les a�n�s restaient chefs de famille � l'�tranger et d�l�guaient leur responsabilit� aux cadets rest�s sur place au Burkina Faso. Ils ne rentraient d�finitivement chez eux que pour assumer la chefferie de clan selon la r�gle de l'�ge, celle du Primus inter pares parmi les hommes les plus �g�s de chaque clan. Ces observations permettent de consid�rer, sous un angle diff�rent, les rapports entre a�n�s et cadets, du moins, chez les Ly�la.

En effet, la modalit� relationnelle entre a�n�s/cadets se fonde essentiellement sur le respect que le cadet doit t�moigner � l'�gard de son a�n�. Toutefois, ce sch�ma g�n�ral comporte des nuances ; en particulier, chez les Ly�la. En raison de leur temp�rament propre, les a�n�s �tablissent des relations plut�t respectueuses avec leurs cadets dont l'orgueil, le sens de l'honneur personnels, s'ils sont bless�s, peuvent les porter � une tentative d'humiliation publique des a�n�s, auteurs de telles maladresses. En revanche, le jour, ce sont bien les a�n�s, parmi la g�n�ration des p�res, qui conduisent les affaires de la famille. Ce r�le, le jour, de chef de cour ne peut �tre renvers� : le chef de cour (k�l� ki�bal) g�re les biens de la famille, marie gar�ons et filles, veille sur la sant� de tous les membres de la famille, prend soin de la prosp�rit� de ses biens. Les cadets, voire les enfants n'ont pas de biens propres�; du moins, s�ils en ont, ceux-ci doivent �tre soumis au contr�le du chef de la famille. Cette r�alit� sociale qui s'impose avec �vidence, est conforme aux Nia (paroles sacr�es des P�res fondateurs des divers clans). Mais, elle cache une autre r�alit�, moins apparente et qui comporte un ordre diff�rent du premier.

En effet, l'ordre de la nuit brise, en quelque sorte, ce premier syst�me social apparent. Il est marqu� par l'unique volont� de puissance sorcellaire dont toute l'essence consiste � porter des coups contre la vie de n'importe quel membre de sa famille pour des motifs divers : ��jalousie tueuse�� (bw� dur ), d�sir d'�galit� dans le cas d'une anomalie dans la famille etc. En fait, dans le monde des gens de la nuit, les demi-fr�res cadets peuvent tenter d'�liminer les demi-fr�res a�n�s pour deux raisons : avoir acc�s � la gestion des biens de la famille, c'est-�-dire de la cour en en devenant soi-m�me son chef, d'une part, et de l'autre, �pouser la ou les femmes de l'a�n� qu'on a r�ussi � �liminer. L�instance jugeante du kwala[iii] (coll�ge des kial� ) tol�re une telle tentative en laissant faire. Elle ne donne pas un ordre expresse d'�limination, mais elle ne s'oppose pas vraiment � l'action nihilisante, d�s lors qu'il s'agit de la sph�re du droit priv�. Elle ne s'oppose ou n'intervient que lorsqu'un dabi (fr�re de clan) du kwala tente d'op�rer un rapt de l'�me d'un autre sans raison valable, c'est-�-dire objective. Or, les Ly�la le reconnaissent eux-m�mes, la vie d'un �tre humain n'est pas ais�e � d�truire en raison de la complexit� du r�seau relationnel des r�alit�s visibles et invisibles qui concourt � la trame de sa destin�e propre. En ce sens, une tentative crapuleuse peut �chouer et se retourner contre son auteur qui devient une victime offerte � la manducation des autres. Mais, la pulsion sorcellaire qui meut la substance vitale de tels individus est si irr�pressible, incontr�lable m�me qu'ils tentent le tout pour le tout, quitte � perdre leur vie dans une telle aventure. Tel est le sch�ma des relations qui existent ordinairement entre demi-fr�res dans les familles polygynes ly�la�; et qui ne peut se comprendre que par l�examen de l�enceinte familiale ou cour[iv].

Une r�alit� sociale, chez les Ly�la, ne peut se comprendre qu�� travers la mani�re dont chaque cour est organis�e. D�une part, il faut prendre en compte l�occupation de l�espace. Celle-ci n'est jamais laiss�e au hasard. Comme l'�crit fort justement R�diger Schott � propos de cet ensemble de clans et de leur insertion dans l'espace villageois, ��ce qui importe pour leur organisation sociale, ce ne sont pas les relations g�n�alogiques entre des anc�tres fondateurs, mais c'est la relation culturelle entre des groupes claniques venus de divers coins du pays et arriv�s dans un certain ordre temporel se traduisant dans un ordre de pr�rogatives et obligations sociales envers les autres clans du village�� [1993�: 155]. Cet auteur explique, par la suite, les raisons du d�sir des clans qui r�clament, les uns par rapport aux autres, le statut de premier arrivant dans l'occupation de l'espace territorial villageois. En effet, dans chaque village du Lyolo, les doyens des divers clans transmettent aux jeunes g�n�rations les motifs qui rendent compte de la primaut� de clans dans la configuration du terroir villageois.

C�est ainsi qu�Henri Barral pr�sente le village de Tiogo dont les principales caract�ristiques se retrouvent dans tout village du Lyolo : ��Le village l�la pr�sente l'aspect d'un semis de grosses fermes familiales, reli�es entre elles par un r�seau complexe de pistes et de sentiers � l'int�rieur d'un vaste p�rim�tre de terres cultiv�es... On peut distinguer des petites et moyennes concessions de 2 � 20 personnes [...]. Les grandes et tr�s grandes concessions... �tant les "concessions m�res", les moyennes et les petites concessions, les "concessions satellites". Les petites et moyennes concessions dispos�es, lorsqu'elles sont nombreuses, en cercle autour de la concession m�re, en sont distantes de 70 m�tres en moyenne, cependant que l'espacement entre elles est d'environ 55 m�tres. Ainsi le village l�la est caract�ris� par son ordre tr�s l�che, et occupe par cons�quent une surface consid�rable�� [1968�: 22,23].

Cette organisation des kals�[v] (enceintes familiales ou cours) dans l'espace n'est pas fortuite. En effet, au coeur de cette spatialisation de l'habitat humain se trouve le ki�-k'�bal (chef ou ma�tre de l'autel de terre) descendant direct du premier occupant du terroir villageois. Ainsi, lorsqu'un homme d'un autre clan (kwala) veut s'installer dans un village pour y fonder une famille, pour s'enraciner de fa�on d�finitive[vi], il passe par l'interm�diaire de quelqu'un du village. Mais, une telle personne n'est jamais totalement �trang�re au clan dont elle sollicite l'intervention aupr�s du ki�-k'�bal.

De m�me, la disposition interne � chaque cour ob�it �galement � des normes strictes. Car la polygynie oblige l'homme � construire un gui (maison) pour chacune de ses �pouses et leurs enfants afin d'�viter, en particulier, les querelles domestiques et quotidiennes qui rendent la cohabitation de deux concubines difficile, voire impossible. Quant au conjoint lui-m�me, s'il n'est pas encore K�l� k'�bal, ou chef de cour � ce qui oblige � avoir une maison � soi construite soit � c�t� de l'entr� principale de l'enceinte familiale, soit en face pour surveiller le mouvement des membres de la cour �, il habite, en g�n�ral, dans la maison de sa premi�re �pouse. Un c�libataire en �ge de se marier a aussi la sienne. Les adolescents habitent, ou bien chez leurs m�res respectives, ou bien chez les veuves, ou bien encore dans le k�l� k'�bal gui ou maison du chef de la cour.

L'encerclement de chaque enceinte est constitu� essentiellement par les maisons des femmes mari�es dont chacune comprend, dans l'habitat traditionnel, plusieurs pi�ces juxtapos�es. Selon le volume des cours, chaque k�l� (cour) comporte g�n�ralement entre une trentaine de maisons et une cinquantaine pour les plus grandes dont la population peut atteindre 100 individus. Chaque maison s'ouvre sur un espace bien entretenu, dam� selon les m�mes techniques que celles employ�es pour obtenir l'�tanch�it� des terrasses des maisons. Une murette de terre de quelques centim�tres de haut, de forme vari�e, prot�ge cet espace privatif appel� v�randa, de la cour commune. Selon l'accueil des femmes, cette v�randa peut servir, le soir, de lieu de repos, de r�unions, de causeries ; bref, elle est un univers de vie communautaire en toutes saisons. La v�randa est toujours sur�lev�e par rapport au sol de la maison qui est en contrebas.

2 � La gestion �conomique et morale de l�enceinte familiale

L'ordre dans la construction du k�l� ou cour est con�u de la mani�re suivante�: au milieu de la cour, dans l�alignement des maisons, se trouve la r�sidence du ma�tre de l�enceinte familiale, qui peut �tre aussi celle de sa premi�re �pouse. Celle-ci fait directement face au bw�ra ou entr�e principale de mani�re � situer, du moins dans la majeur partie des cas, � droite, les maisons de son fr�re pu�n� et de son fils a�n�; et, � gauche, celles des cadets. Quant aux fils, les siens et ceux de ses fr�res cadets, avons-nous dit, ils vivent sous le toit de leur m�re tant qu'ils ne sont pas mari�s. Ils pourraient essaimer pour aller cr�er des cours ��satellites�� du domaine paternel, dans la m�me aire familiale, lorsque le k�l� p�re atteint ses limites d'extension ; ou, ce qui est aussi fr�quent, quand des raisons de m�sentente entre fr�res ou fils de m�res diff�rentes obligent � la s�paration. Dans ce cas, la cr�ation de nouvelles concessions se fait sur la base d'une fraternit� ut�rine (enfants de la m�me m�re). Les conflits entre demi-fr�res, dans le cas de la polygynie � ce qui est un fait fort r�pandu chez les Ly�la � �tant nombreux et fr�quents pour des raisons de jalousie essentiellement, la cohabitation de ces derniers est quasi impossible hors de la maison paternelle.

Le k�l� k�bal qui exerce son pouvoir-moral essentiellement-en vue de pr�server l�ordre dans sa cour, tente toujours de r�gler les affaires qui �clatent chez lui. S'il ne s'agit pas d'une simple querelle "domestique", celle par exemple entre les fr�res ou les femmes, qu'il ne peut r�soudre, il la porte aupr�s du chef de son clan ou chef de l�autel du kwala. Si l'affaire d�passe les comp�tences de ce dernier, tel le vol ou l'enl�vement d'une femme dans le m�me village par un membre de son clan, il s'en remet au chef de l�autel de terre ou Ki� k�bal. Celui-ci essaye d'abord de la r�gler avec ses conseillers, en pr�sence du kwala k�bal du coupable lui-m�me, sans si�ger sur l'autel de terre ou ki�ku (litt�ralement �os de la terre�). En cas d�un nouvel �chec, alors on a recours au jugement de la terre. En g�n�ral, ce dernier acte judiciaire co�te la vie au coupable.

Dans cette organisation de la communaut� familiale, l'accession � la chefferie de la famille passe par une condition. En effet, en raison du caract�re patrilin�aire des clans ly�la, le chef de l'enceinte familiale ou k�l� k�bal appara�t comme la premi�re figure de l'autorit� la plus directe ou la plus concr�te. C'est toujours l'a�n� soit dans la g�n�ration des p�res soit dans celle des fr�res soit, enfin dans la g�n�ration des fils a�n�s, qui est autoris� � �tre chef d'un enclos familial. En vertu de son statut de Primus inter pares il est seul habilit� � faire des sacrifices aux anc�tres sur l'autel de ces derniers, le dayi ou sur celui des parents d�funts imm�diats. Sa responsabilit� est d'autant plus grande et plus difficile que la famille est plus nombreuse. On la mesure de deux mani�res : d'une part, l'ampleur des b�timents qui composent l'enceinte familiale, d'autre part, l'existence de plusieurs sorties secondaires que des tas d'immondices assez �lev�s signalent � proximit� de chacune. Le k�l� k�bal dispose de l� autorit� sur les autres chefs de m�nages, en l'occurrence, les fr�res plus jeunes, les fils, l'ensemble des jeunes gens c�libataires et les enfants.

3 � Du conflit � la guerre des demi-fr�res

Dans cette organisation familiale, le chef de l'enclos familial est soumis � une pression constante qui risque, � tout moment, de mettre en cause l'�quilibre de la famille. Les antagonismes entre demi-fr�res, dans le cas de la polygynie, laquelle est assez r�pandue chez les Ly�la, est l'une des raisons fondamentales du d�s�quilibre dans l'enceinte familiale. Ces conflits l�vent le voile sur le cercle vicieux de haine que ce type de foyer conjugal engendre entre les enfants d'un m�me p�re. On s��pie constamment pour savoir ce que les uns et les autres font de bien ou de mal pour �ventuellement riposter avec les armes de guerre. On se m�prise, on se d�teste, on se jalouse et on souhaite secr�tement � son adversaire, le demi-fr�re, une vie malheureuse et m�me la mort. Si l�on estime disposer de moyens occultes puissants, on n'h�sitera pas � en faire usage pour pr�cipiter dans l'ab�me des malheurs les demi-fr�res que l'on hait. Il est plut�t rare que des fr�res n�s de m�res diff�rentes parviennent � s'entendre et � s'aimer. En effet, les m�res, par des paroles insidieuses, poussent les uns et les autres � la s�dition, au d�sordre, � l'opposition syst�matique. La m�sentente, la haine qu'elles nourrissent les unes � l'�gard des autres se transmettent � leurs enfants respectifs. Elles sont g�n�ralement ex�crables entre elles, essentiellement � cause du sexe de leur mari. Car elles ne sont jamais contentes des tours de r�le que celui-ci consacre � chacune d'elles. Souvent, elles jugent, par �go�sme et donc � tort, que l'�poux a trop peu fait pour chacune ; elles se sentent l�s�es autant en biens mat�riels qu'en satisfaction sexuelle, par rapport � un hypoth�tique id�al de vie qui serait accord� � l'une d'elles. Ces ranc�urs respectives se transf�rent aux enfants en suscitant entre eux des causes multiples de conflit dont nous retiendrons quelques-unes dans l��conomie de cette �tude.

A � Sur le plan de l�h�ritage et de la responsabilit� de la famille

L'h�ritage oppose farouchement les enfants de la polygynie, de m�me que le m�rite qu'ils tentent d'avoir aux yeux de leur p�re. Sa pr�f�rence pour tel ou tel descendant est �galement cause de haine � son �gard. On ob�it, certes, � la hi�rarchie des �ges telle que la structure familiale et les traditions l'imposent ; mais c'est, en r�alit�, malgr� soi. L'exemple suivant l'illustrera mieux : le fils pr�f�r� du p�re et de son �pouse bien aim�e, pris de vantardise, essaya de vaincre � la lutte son fr�re a�n�, lors d'une de ces rixes ordinaires en ces foyers polygynes. Celui-ci, exc�d� par le m�pris et la d�mesure de son jeune fr�re, le projeta avec hargne contre un bois qui lui brisa la jambe. Le cadet provocateur se releva boiteux de cette fracture. Honni par ce geste ayant g�n�r� une cons�quence ind�l�bile, il dut s'enfuir au Ghana pour ne plus jamais revenir. M�me plus tard, quand il apprit la mort de ses parents, il ne manifesta aucun signe de vie. Bien au contraire, il alla se terrer dans les fins fonds de la for�t ghan�enne o�, d'apr�s les membres de sa famille, il se perdit.

De telles querelles, si fr�quentes dans les familles polygynes, aboutissent parfois � la disparition de certains demi-fr�res ; on estime qu�ils ont �t� tu�s soit par empoisonnement, soit par sorcellerie, soit enfin par l'action des forces th�urgiques[vii] nuisibles � la vie. La plus grande humiliation que l'on puisse infliger, c'est de rendre le demi-fr�re infirme ou malade mental.

Apr�s la mort du p�re qui fait toujours, de son vivant, le lien entre tous, une autre cons�quence de ce genre de conflit est la dislocation de la cour et le partage des biens. Les rejetons se s�parent selon les m�res : chacune[viii] regroupe autour d'elle ses enfants et s'installe avec eux, loin de ses autres compagnes et de leurs prog�nitures ; ce qui explique, dans le Lyolo (Province habit�e par les Ly�la) notamment, l'occupation de l'espace par des cours construites sous forme d'enceinte avec une seule porte principale, �loign�es les unes des autres, compte tenu de l'hostilit� mutuelle des demi-fr�res.

Selon les traditions, le fils a�n� doit assurer la continuit� de la cour paternelle en tant qu'il est le gardien des autels des anc�tres, des dieux claniques et des p�nates. Il est tenu de maintenir l��uvre d'unit� par-del� la division et la dispersion. A cet effet, on exige de lui un temp�rament fort, un sens de l'�quit�, une solidit� au niveau de ses g�nies protecteurs quand il n'est pas lui-m�me sorcier. Enfin, il faut qu'il ait une personnalit� imposante, impressionnante m�me pour r�primer les querelles, briser les m�sententes et r�tablir l'�quilibre toujours fragile.

Si le fils a�n� de la famille manque de toutes ces vertus, s'il est faible, la cour paternelle ira � la d�rive t�t ou tard. Il portera la responsabilit� d'une oeuvre ancestrale commune bris�e. D'o� la d�licatesse de sa situation. De m�me, il doit veiller au partage �quitable des terres qui sont souvent la cause de v�ritables drames. Il advient que des demi-fr�res s'entretuent par sorcellerie ou par empoisonnement-faits �tablis de fa�on ordinaire- parce que le premier fils de la famille n'a pas su s'acquitter ad�quatement de sa fonction de justicier. Dans ce cas, pour ramener le calme, le chef de terre est contraint quelquefois d'intervenir.

D�s lors, cette r�alit�, qui est toujours d�actualit� chez les Ly�la -elle se reproduit m�me dans les villes � l��tranger, comme Abidjan en C�te D�Ivoire, quand les facteurs d�hostilit� entre demi-fr�res sont r�unis-, marque la ligne de fissure entre enfants de m�res diff�rentes. Au regard de l��tranger � la famille, les conflits entre ses membres ne sont jamais manifestes : la soci�t� lyel oblige � la r�serve, au silence, � la volont� de cacher des tensions non r�solues[ix]. Cette r�alit� violente signifie �galement l��chec de ce qu�on pourrait appeler un r�sidu du patriarcat. En effet, le pouvoir du p�re ne l�emporte jamais sur les intrigues souterraines de ses �pouses qui travaillent dans le sens de la rupture, de la s�paration, t�t ou tard ; d�autant que la puissance paternelle n�emp�che nullement l�apparente s�r�nit� de la famille d��tre �clabouss�e par la violence invisible, la seule qui compte, en v�rit�. Certes, de son vivant, le respect oblige � un semblant de vie communautaire. Mais, la paix qu�il obtient, qu�il impose est toujours pr�caire ; ce qui contraint, en cas d�exacerbation des conflits entre demi-fr�res, certains de ses enfants � demander l�autorisation de quitter la demeure paternelle avec leurs �pouses et leurs propres enfants, rejoints apr�s la mort du chef de famille par leurs m�res respectives. Dans un tel cas de figure, d�t son orgueil souffrir, il ne peut refuser au risque de maintenir les facteurs familiaux de troubles permanents ; ce qui est pour lui cause d�humiliation au regard de ses fr�res de clan. Mais, nous verrons un peu plus loin que ces ruptures visibles n��vitent pas la lutte nocturne, dans le monde invisible, celui de la sorcellerie, pour se nuire mutuellement, se venger ou pour assouvir la haine que l�on se voue.

A l�inverse, et en l�absence d�un enjeu majeur-les filles �tant destin�es � quitter la famille t�t ou tard-les rapports entre fr�res et s�urs (ut�rins ou non) a�n�s et cadets ressortent de l'esprit qui r�git les relations g�n�rales entre individus : la r�serve, la distance, la discr�tion sont de mise dans l'expression des sentiments. Mais il y a des nuances selon qu'il s'agisse de fr�res et s�urs ut�rins ou de demi-fr�res et demi-s�urs. Ainsi, le fils a�n� de la famille qui, par son rang de primog�niture, est appel� � g�rer la famille, plus exactement � conduire la cour dans un esprit de recherche permanente de coh�sion et de paix, ne peut t�moigner quelque pr�f�rence pour qui que ce soit. Il est le grand fr�re de tous, le successeur potentiel du p�re et, � ce titre, comme l'exige l'esprit du groupe, en l'occurrence, l'�thique de l'enceinte familiale, il doit t�cher d'�tre �gal vis-�-vis de tous ses fr�res et s�urs et, en apparence, des demi-fr�res. Il occupe, d�j�, apr�s son oncle paternel, imm�diat successeur du p�re, une position d'arbitre.

Mais il n�en demeure pas moins que l�a�n� reste plus proche de ses fr�res ut�rins. En effet, en raison de l'hostilit� souterraine entre demi-fr�res, par l�interm�diaire des m�res en famille polygyne, ceux-l� sont ses alli�s fid�les. Il est rare qu'ils aient des int�r�ts divergents. Toutefois, du fait de la proximit� r�elle entre lui et ses fr�res ut�rins, ils sont plus � m�me de le d�stabiliser, d'an�antir sa substance vitale-en g�n�ral imparable - en cas de faute grave entra�nant mort d'homme. C'est donc une relation d'intimit�, de proximit�, de confiance � double tranchant qui s�enracine, par sa forme, dans les deux types de structures visible et invisible[x].

Hormis cette singularit� dans le rapport de l'a�n� avec l'ensemble des cadets, quelque chose de s�v�re structure ces relations entre fr�res. En g�n�ral, l'a�n� ne plaisante gu�re avec le cadet�; et la notion d'ob�issance contribue � distancer les uns et les autres ; m�me si, � juste droit, l'a�n� n'a pas int�r�t � abuser de son pouvoir par l'exercice d'une autocratie mal plac�e ou celui de la violence gratuite sur les uns et les autres. Il serait t�t ou tard culpabilis� pour de tels agissements. En revanche, par rapport aux s�urs, les rapports sont simples et r�serv�s : on prot�ge les s�urs cadettes et l'on a quelque sentiment d'�galit� avec les s�urs a�n�es. Mais, le fr�re a�n� peut avoir une tendance � l'expression de sa sup�riorit�, toujours morale, par rapport � ses s�urs a�n�es, en fonction de son statut.

B � Sur le plan de la distribution des terres

D�abord, L'attribution des gwara (champs domestiques) est donc fonction de cette norme familiale et sociale, c'est-�-dire de l'ordre de cet habitat. Les parcelles individuelles sont cultiv�es par les hommes mari�s. Chacun cultive le gwara situ� derri�re les maisons de ses �pouses. Cette r�gle ne change pas quel que soit le nombre de femmes. Ceci montre, � l'�vidence, qu'un homme mari� qui n'a pas de maison personnelle, n'aurait pas, du m�me coup, de gwara � cultiver. Dans ce cas, le k�l� k'�bal (chef de cour) peut r�soudre le probl�me de la mani�re suivante : si la part de chacun appara�t comme fort peu importante pour justifier une possession individuelle, il la transforme en une part indivise plus grande pour tous les hommes mari�s dans cette situation. Dans ce cas, la culture de la parcelle �tant commune, on proc�de � un partage de la production en fonction du nombre des �pouses et des enfants de chacun. Cependant, s'il tient � garder ses enfants aupr�s de lui, il peut d�cider de d�molir une partie de la cour pour la reconstruire de mani�re � y int�grer la place des fils mari�s. D�s lors, on r�ajuste la place de chacun dans un nouvel ensemble qui se constitue au d�triment de l'�tendue des champs domestiques, c�est-�-dire ceux qui sont cultiv�s dans l�espace ext�rieur de la cour.

Chaque parcelle cultiv�e est limit�e n�cessairement par celle des voisins imm�diats, partant de la muraille du k�l� (cour) et s'�tendant jusqu'aux bornes des gwara (champ domestique) des autres k�l�. A propos de bornes et de leur reconnaissance concernant l'exemple d'un village, en l'occurrence, celui de Tiogo, Henri Barral remarque que ��les limites entre les parcelles individuelles, c'est-�-dire entre les diff�rents gwara d'un m�me k�l� sont souvent mat�rialis�es par des sentiers rayonnant � partir du k�l� vers les k�l� voisins, mais aussi par d'autres signes moins �vidents tels que des semis d'oseille, ou quelques pieds de gros mil rouge (s�parant par exemple deux parcelles cultiv�es en coton), ou encore des pierres align�es.

Il arrive que des gwara soient entour�s d'une cl�ture de chaume de mil. Il s'agit le plus souvent de parcelles attenantes � la muraille du k�l� ; leurs cl�tures peuvent alors former une v�ritable enceinte de paille autour de celui-ci �. [1968�: 29]

Ensuite, le travail agricole montre une permanence de l�activit� comme s�il y avait intention implicite du groupe de r�duire la place des loisirs de ses membres. Ceci pour deux raisons : d�une part, les Ly�la d�pendent d�une m�t�orologie toujours impr�visible et des n�cessit�s naturelles comme l�essence des sols. D�autre part, ces conditions de vie difficiles g�n�rent des incidences qu�on peut qualifier, en apparence du moins, d�heureuses : elles obligent � des solidarit�s �galement ordinaires. En raison des outils du travail dont l�efficacit� est grandement limit�e, des besoins croissants de chaque famille, du nombre assez �lev� des membres d�une cour, la soci�t� recourt forc�ment au principe de solidarit� dans le travail qu�elle a �rig� au rang d�une r�gle sociale n�cessaire. Celle-ci permet de pallier les insuffisances de la rentabilit� individuelle et, du m�me coup, de cr�er un tissu de coh�sion sociale. En ce sens, il est ind�niable que les �quipes de travail renforcent et conservent les liens interindividuels m�me si elles n��vitent pas toujours les rivalit�s, voire des formes d�hostilit� comme, entre autres, les tentatives d�empoisonnement des plus courageux d�entre eux.

Ces raisons objectives ont conduit, au cours de la derni�re d�cennie 1990-2000 � la naissance de nouveaux probl�mes. En effet, du fait de la pauvret� des sols et de l�insuffisance de la production agricole, les Ly�la ont accord� � la culture mara�ch�re une tr�s grande importance. Mais, celle-ci n�est possible que sur des espaces fort limit�s comme les bas-fonds et surtout les gwara. Ces zones sont propices � la culture du tabac et des l�gumes exotiques (tomates, haricots verts, choux, carottes etc.), locaux (oseille, gombo, aubergine, haricot ni�b� etc.)�; mais aussi aux piments et aux patates douces. Avec l�introduction � R�o en 1926 de l�oignon par un cat�chiste catholique tr�s curieux du nom de Th�otime Bado, la culture mara�ch�re est devenue une source consid�rable si ce n�est d�enrichissement, du moins un gain s�rieux susceptible de r�soudre financi�rement quelques probl�mes familiaux.

Cependant, la m�diocrit� de la pluviom�trie, d�une part, et de l�autre, le difficile acc�s aux sources d�eau n�cessaire � l�arrosage de ces cultures, ont engendr� des conflits permanents et violents entre demi-fr�res. Et le mod�le coutumier qui consiste � l�gitimer le fils a�n� comme h�ritier du droit foncier qu�il doit g�rer dans l�int�r�t de tous les membres de la famille tend � voler en �clats. Les jeunes g�n�rations sont gagn�es par le go�t de l�appropriation individuelle, l�acquisition de biens personnels dans le cadre d�une famille de type cellulaire. Cette pr�tention se heurte au droit traditionnel et exacerbe la dialectique conflictuelle des demi-fr�res. Elle donne lieu � un combat qui se d�place du plan de la structure visible au niveau de l�univers des forces inapparentes ou structure invisible.

L�exemple suivant, parmi tant d�autres, illustrera cette r�alit� qui s�instaure dans le Lyolo de nos jours. Jean-Baptiste Bationo est fils a�n� d�une nombreuse famille dans un village du nom de Koukoulkouala, � quelques kilom�tres de R�o. Son p�re meurt dans les ann�es 1990. Il devient h�ritier de la famille comme le veut la tradition. Or, durant sa vie, cet homme pr�f�rait un de ses enfants. Celui-ci engagea, au nom de cette pr�f�rence paternelle, des proc�dures aupr�s des tribunaux issus de la colonisation[xi] � R�o et � Koudougou visant � obtenir le partage non seulement des biens (ovins, caprins, bovins etc.) mais m�me celui des gwara. Comme il n�obtint que partiellement raison -ce qui est d�cid�, en effet, dans un tribunal n�est pas forc�ment ex�cut� par les autorit�s traditionnelles d�s lors qu�une affaire implique leur propre comp�tence- nos informateurs nous ont assur� qu� il d�cida d�engager la lutte sur le plan des forces de la nuit, fait qui n�est pas prohib� par les m�urs sociales. Puisque son pouvoir de sorcellerie d�passerait infiniment celui de son demi-fr�re a�n�, la nuit, il s�emparerait de l�essence de la production des gwara de celui-ci en sa propre faveur rendant vains ses efforts et inutile son travail. Il semblerait que ce genre de pratiques sorcellaires se serait r�pandu dans tout le Lyolo en quelques ann�es obligeant les uns et les autres � rechercher fr�n�tiquement l�appui de pr�tres th�urgiques sp�cialis�s contre ces ph�nom�nes infrasensibles de nuisance.

Non content de le r�duire ainsi � la souffrance, tout autant que sa famille, il le plongerait dans une grave maladie par un empoisonnement, au cours du mois d�Ao�t 2000, qui fut la cause apparente de sa mort en Janvier 2001. Mais la raison souterraine �tait tout autre. En effet, le fils a�n� de cet homme, Lazare Bationo, tout autant que son beau-p�re, Barth�l�my Beyon N�galo, qui �tait aussi son conseiller intime, lors de notre derni�re enqu�te en Juillet 2002, nous expliqu�rent ainsi ce fait familial�: ��le demi-cadet de Jean-Baptiste Bationo s�employa, pendant plusieurs ann�es, � l�humilier publiquement par des injures. Il r�ussit ainsi � le contraindre � la faute vis-�-vis des traditions de son clan. Et il parvint � ses fins de la mani�re suivante�: comme les autels des p�res sont �difi�s � l�entr�e de la maison de la m�re du demi-cadet en question, il contraignit un jour son demi-fr�re a�n� � suspendre le sacrifice d�un caprin sur l�autel des anc�tres. Exc�d� par tant d�insolences et d�impolitesses, Jean-Baptiste Bationo d�cida de se d�charger de cette t�che qui lui incombait en d�l�guant � son ennemi ce pouvoir h�r�ditaire. Comme ce dernier ne pouvait le faire au risque de sa propre vie, on n�gligea l�affaire et l�animal destin� au sacrifice s��gara. D�s lors, la non ex�cution de cet acte sacrificiel �tant consid�r� comme un manquement aux devoirs envers les anc�tres-ceci les prive, en effet, de leur nourriture-, les sorciers gardiens de l�autel de leur Kwala �taient alors autoris�s � appr�hender son �me et � l�annihiler suivant les proc�d�s sorcellaires de la privation d�une vie humaine.

Ce faisant, non seulement il acc�de � ses �pouses qui viennent augmenter le nombre des siennes, mais m�me il devient le p�re de ses enfants. C�est vis-�-vis de lui d�sormais qu�ils doivent montrer tous les devoirs qui leur incombent dont, entre autres, accomplir les commissions demand�es, faire des cadeaux sous forme d�argent ou de biens mat�riels etc. Cet exemple montre aussi que la structure invisible change de physionomie et de terrain au fur et � mesure que la r�alit� sociale apparente subit des mutations du fait des influences ext�rieures.

C � Une violence d�embl�e inapparente

Cette violence interne aux familles polygynes n�est pas sp�cifique, semble-t-il, � la seule soci�t� Lyel. Elle caract�rise, en g�n�ral, les modalit�s relationnelles dans les soci�t�s de l�Afrique sub-saharienne. Mais, de telles violences ne sont pas perceptibles � premi�re vue, comme nous l�avons d�j� reconnu. Par-del� les paisibles rapports entre les individus au quotidien le jour, il existe un univers souterrain o� se trament les v�ritables r�alit�s propres � ces soci�t�s. Et pour les d�celer, les lire et les comprendre, il faut beaucoup de temps et de patience, comme on le verra � travers l�exemple d�un Dominicain en Mission au Cameroun. Effet, au terme de plusieurs ann�es de recherches en ce pays, et de plusieurs tentatives d�initiation � la vision sorcellaire b�nigne, Eric de Rosny dans Les yeux de ma ch�vre, tire plusieurs conclusions de ses travaux qui confirment bien l�id�e que l�intelligibilit� des peuples sub-sahariens r�side dans la n�cessit� de lever le voile sur cette double structure ambivalente physico-psychique.

D�abord, l�initiation � la vision d�une forme de sorcellerie plut�t l�g�re et/ou innocente lui permet de mieux comprendre, d�une part, la r�alit� sous-jacente � ce monde qui �chappe totalement � la saisie de nos sens ordinaires�; et de l�autre, de mieux appr�hender le sens de la dichotomie entre yeux voyants et non voyants des r�alit�s supra ou infrasensibles, comme il l��crit � juste titre�: ��Il me fallut attendre ce 24 ao�t, � quelques jours de mon d�part, pour que tout d�un coup, je comprenne le sens de mon initiation, et la raison qui m�avait emp�ch� de le saisir plut�t. L�initiation � la fonction de nganga[xii]consiste � ouvrir les yeux du candidat sur les actes de violence qui se commettent autour de lui. Din me l�avait rab�ch� depuis des ann�es. C��tait l��vidence pour tous ceux, clairvoyants ou non, qui abordaient le sujet. Moi, je cherchais ailleurs. Il ne me venait pas � l�esprit qu�il faille une initiation pour oser regarder la violence en face. J�en �tais emp�ch� par un vice de culture, par l�incroyable peine que l�on trouve � entrer dans les vues des autres..��[1981�: 360]

Ensuite, l�auteur insiste sur le fait qu�on n�entend rien � la psychologie sociale, voire aux modes de fonctionnement g�n�ral de ces peuples, si l�on ne se donne pas la peine d�acc�der � l�univers parall�le o� se joue le destin du monde visible et structur� par les sens ordinaires. Mais, si ceci est vrai pour un �tranger aux cultures des populations en question, il l�est tout aussi pour leurs membres d�nu�s de la puissance sorcellaire, ce qui les fragilise fondamentalement par rapport aux individus dou�s de cette singuli�re puissance qui savent mieux se d�fendre sur le plan de la structure invisible. D�s lors que rien n�est vu, m�me si tout, sur cette violence souterraine, inapparente se dit constamment, se sait, on a beaucoup de peine � comprendre quelque chose dans l�articulation du visible et de l�invisible. On est comme enclin � croire � la puissance extraordinaire de l�invisible qui donne des sueurs froides sur ces pratiques mortif�res. Cette tendance � la croyance des non voyants � le sorcier qui participe � la manipulation des destin�es singuli�res s�inscrit d�embl�e dans l�ordre du savoir�; il n�a donc pas besoin de croire aux maux qu�il cause avec ses cong�n�res � n�est pas d�nu�e de sens profond�: s�ils ne savent rien de ce qui se passe, tant pour eux-m�mes que pour les autres, dans la structure invisible et qui a cependant des r�percutions imm�diates sur la r�alit� visible, ils sont quotidiennement t�moins des r�sultats de cette violence inapparente. Il en est ainsi des maladies, des accidents, des morts qui sont dus � des pratiques sorcellaires�; et quelquefois, la confession de certains d�entre les sorciers qui d�noncent leurs cong�n�res auteurs de tels ou tels cas de maladies, de morts etc.

Cette incapacit� de l��tranger et du non sorcier, qui appara�t lui-m�me comme un �tranger au milieu de sa famille, voire dans sa propre soci�t� d�s lors qu�il n�a pas acc�s � la science ou vision des r�alit�s essentielles, est cause de beaucoup de souffrances. L�intelligence de cette r�alit� profonde des peuples sub-sahariens conduit Eric de Rosny � faire les remarques suivantes�: ��Piti� pour l��tranger�! L��tranger doit compenser par une d�marche intellectuelle sa c�cit�, son inaptitude � sentir et � r�agir au diapason de ses h�tes. Il lui faut reconstruire ce que les autres poss�dent par h�ritage. Je n�avais pas compris, jusqu�� l�intervention finale de Din, pourquoi il fallait la longue patience de l�initiation, ses peines et ses privil�ges, pour acc�der au spectacle de la violence. J��tais comme un �l�ve obtus. Pourquoi une initiation, quand la violence s�offre quotidiennement et publiquement au plus commun des mortels�? Je ne savais pas qu�une pi�ce de l��difice culturel des nganga me manquait pour en embrasser la vue.�� [p. 360]

Enfin, l�auteur montre comment les soci�t�s sub-sahariennes, � travers l�exemple du groupe qu�il a �tudi� au Cameroun et au milieu duquel il vit encore depuis de longues ann�es, s�emploient � capter et � dig�rer la violence sur le plan de la structure visible. La violence n�est pas manifeste, comme Eric de Rosny le souligne dans les soci�t�s occidentales�: ��Les soci�t�s europ�ennes ont sans doute autant de raisons de craindre la violence que toutes les autres. Les gouvernements disposent de garde-fous de toutes sortes pour s�en prot�ger� La soci�t� moderne qui autorise des manifestations de violence, se privent des services de l�imaginaire et rend inutile l�initiation.��[p. 362]. Contrairement � de telles organisations sociales, les peuples sub-sahariens s�emploient � voiler la violence comme s�il fallait la cacher aux yeux de la structure apparente pour emp�cher une �ventuelle r�bellion des individualit�s susceptibles de la faire �clater. Pour son auto-conservation, cette derni�re structure craint les d�bordements. D�s lors, ces soci�t�s qui portent en elles-m�mes l�empreinte d�une violence essentiellement mortif�re, malgr� l�apparence visible harmonieuse mais trompeuse et dissimulatrice, sont f�condes dans la recherche des moyens efficaces pour la cacher. D�o� l�existence d�un nombre impressionnant d�institutions occultes, comme les cultes th�urgiques, les m�urs vigilantes sur le respect des autres, sur l�ob�issance�; ou telle l�inclination de la croyance au Divin ou � l�intervention constante dans les affaires humaines du suprasensible, des puissances surnaturelles, voire des habitudes acquises, d�s la tendre enfance, pour encaisser et voiler la violence familiale ou clanique, chez les Ly�la entre autres, sur le plan de la structure apparente.

Selon Eric de Rosny, la sorcellerie comme genre efficient de violence mortif�re appara�t comme le fondement de ce mode d��tre culturel. Elle est le pouvoir sous-jacent, l��difice solide sur lequel repose, en dernier ressort, la paix civile. Cette colonne vert�brale de ces soci�t�s tient par en-dessous tous les piliers institutionnels observables sur le plan de la r�alit� visible. Mieux, la sorcellerie comme pouvoir ambivalent agissant efficacement sur les deux plans � structure apparente et structure invisible � explique essentiellement l��quilibre social de ces soci�t�s. On comprend, d�s lors, le sens de ces remarques suivantes, apr�s s��tre �veill� par l�initiation aux r�alit�s invisibles et, du m�me coup, compris la place centrale de la sorcellerie chez ces peuples�: ��Il m�a fallu du temps pour accepter ce paradoxe�: la sorcellerie qui passe pour d�cha�ner les pires fureurs, peut �tre la complice de l�ordre �tabli et de la paix sociale�! Je ne suis pourtant pas le seul � l�avoir constat�: l� o� elle r�gne, les m�urs sont apparemment plus pacifiques, les enfants plus calmes, les bagarres � main arm�e, les suicides et les assassinats statistiquement moins nombreux. Ce n�est pas un hasard. La sorcellerie porte en elle-m�me ses propres antidotes�: les antisorciers � devins, exorcistes et nganga. Le secret de sa r�ussite tient dans ses relations avec l�invisible, et le savoir de quelques hommes visibles, les initi�s. Si le paroxysme de la violence n�est pas � la port�e des yeux ordinaires, si les vrais conflits se jouent, et que les comptes se r�glent dans les champs de bataille de l�invisible, il devient inutile de se livrer � des luttes aux yeux de tous. Autant de gagn� pour l�ordre public�� [p. 361].

La violence, au quotidien, doit �tre assum�e m�me si l�on sait qui en est la cause. En face du mal, on impose de rester muet. Car ce qui est dit est lui-m�me facteur de violence�: l�acc�s � la pleine lumi�re du secret d�actes violents ou mortif�res peut �tre g�n�rateur de violence effective sur le plan de la r�alit� sociale visible. Non pas que la soci�t� nie la violence�: elle l�assume parfaitement, elle en joue m�me au d�triment des non sorciers ou des plus faibles parmi les membres des familles. L�assomption du silence sur la violence sorcellaire, la r�serve sur ce que l�on sait au niveau de la structure invisible, l�art du secret ou du discret sont des vertus cultiv�es tr�s t�t chez les enfants et rendues n�cessaires pour permettre la coexistence pacifique dans le champ de la structure apparente. C�est ce que remarque aussi Eric de Rosny quand il �crit�: ��Je revois encore ces deux hommes, assis sur le m�me banc et se passant goul�ment la m�me bouteille. Je savais, comme tous les autres convives, qu�une inimiti� mortelle les s�parait, car l�un �tait, en sorcellerie, le meurtrier pr�sum� du fils de l�autre. A les voir ainsi ensemble, qui aurait pu le deviner�? Voici la violence amortie, camoufl�e, d�tourn�e, sauf aux yeux des initi�s, qui ont pour fonction de la regarder en face et d�agir sur elle, pour la sauvegarde de la soci�t�. Mais � quel prix�?�� [P.��361] Il est possible de r�pondre � cette question, comme chez les Ly�la�: l��quilibre social � l�int�rieur des familles et des clans, la paix civile entre les divers kwala doit se maintenir co�te que co�te, au prix m�me du sacrifice des singularit�s lorsqu�elles sont mises en accusation par les kial� (sorciers gardiens du Kwala), au niveau de la structure invisible, pour des motifs r�els ou suppos�s de d�linquance sur le plan de la structure visible.

�

Finalement, dans notre manuscrit pr�cit�, nos observations des rapports conflictuels entre demi-fr�res nous ont conduit � �crire des pages plut�t sombres sur ce genre de soci�t�, comme celle des Ly�la. Nous remarquions qu�en raison de l�inimiti� permanente entre demi-fr�res, voire entre les membres d�un m�me clan, ��l'individu non sorcier �puise l'essentiel de son �nergie spirituelle et physique, ses biens mat�riels � t�cher de parer aux forces nuisibles de la sorcellerie qui trament des pi�ges invisibles contre lui et le traquent sans arr�t. La dynamique fondamentale de la soci�t� elle-m�me r�side dans le culte th�urgique anti-sorciers �mangeurs d'�mes� : lutter toujours et constamment contre une force nihilisante et destructrice, per�ue comme une zone d'ombre dans et � la p�riph�rie de la soci�t�. Dans ce contexte, occup� � tenter de sauvegarder son existence psychique et physique, l'individu n'a ni le loisir, ni l'�nergie n�cessaire pour s'adonner aux travaux qui permettent une vie plus confortable, plus �panouie pour soi-m�me et pour le groupe social. Il en est de m�me des activit�s qui �l�vent l'esprit au-dessus des n�cessit�s vitales et mat�rielles et facilitent le bonheur personnel ; celui-ci appara�t m�me comme une injure au regard des probl�mes ou des malheurs quotidiens des autres. Ce pan de la r�alit� de nos soci�t�s nous plonge encore dans une sorte �d'�tat de nature� o� la crainte pr�domine sur tout le reste parce que l'on demeure constamment sur le qui-vive, parce que chacun voit dans l'autre son ennemi potentiel.

Dans ce type de soci�t� communautaire, m�me si l�individu est tout amour, m�me s�il n'en veut � personne, il y aura toujours des gens pour lui causer des ennuis. En outre, l'�picurisme africain aidant, tout homme aspire au bien-�tre mat�riel et au succ�s social. Pour y parvenir, on a recours aux faiseurs de bonheur, aux puissances redoutables du monde infra-sensible ; on est pr�t � �liminer un concurrent soit en le rendant malade, soit en le tuant. Pour peu que l'on veuille jouer � l�ange, au bon chr�tien dans ce contexte d�hostilit� g�n�ralis�e, on tombe dans des pi�ges��.

Bibliographie

Amselle, Jean-Loup (Sous la direction de) 1976 : Les migrations africaines, Paris, Fran�ois Maspero.

Barral, Henri 1968�: Tiogo- Etude d�un terroir l�la (Haute Volta), Pais in O.R.S.T.O.M., La Haye, mouton et Co.

G�r�g-Karady, V�ronica 1979�: Contes bambara du Mali, -2vols, Paris, Karthala.

Nicolas, Fran�ois-Joseph (P�re) 1953�: Glossaire L�ELE-Fran�ais, Dakar, IFAN.

Rosny (de), Eric 1981�: Les Yeux de ma ch�vre, Paris, Plon, Coll. ��Terre Humaine��

Schott, R�diger 1987�: ��Serments et V�ux chez les ethnies volta�ques (Ly�la, Bulsa, Tallensi) en Afrique occidentale��, Pais, in Droit et Culture, Revue d�anthropologie et Histoire, Vol. 14.



[i] � M�me dans certains contes des habitants des pays du Sahel, tel que le Mali, on trouve des traces de ce conflit. Ainsi, selon V�ronica G�r�g-Karady, dans ses Contes bambara du Mali, ce genre de litt�rature orale met en sc�ne ou traite ��des probl�mes d�importance vitale pour la survie collective�: hi�rarchie entre relations de sang et d�alliance, tension cr��e � l�int�rieur de la famille par la polygamie, conflits plus ou d�guis�s entre les g�n�rations a�n�s/cadets��. [ 1979�: 9]. Elle montre ainsi le transfert, sur le plan de l�imaginaire, des r�alit�s quotidiennes comme le conflit aigu a�n�s/cadets.

[ii] � Ceci une partie de recherches qui s'�tendent sur plus de 20 ans. Nous en avons extrait les �l�ments qui traitent de notre propre exp�rience qui est une plong�e dans le ph�nom�ne de la sorcellerie. Notre M�moire de D.E.A. d'Anthropologie � l'E.H.E.S.S. de Paris porte �galement sur l'immigration des Ly�la � Bianouan.

[iii] � Il s�agit d�une autorit� judiciaire d�un genre particulier en ce qu�elle r�gle les probl�mes ultimes des membres de la communaut� au cours de r�unions nocturnes et auxquelles les membres sorciers du clan ont acc�s. C�est lors de ces derni�res que l�on d�cide ou non de la mise � mort de quelqu�un, quand celui-ci a commis une faute grave, comme l�adult�re avec une femme du m�me clan.

[iv] � Cour ou concession sont �quivalents suivant les termes de l�anthropologie africaniste.

[v] � L�orthographe des deux termes ( k�l�, champ et k�l�, enceinte familiale) d�signant des r�alit�s diff�rentes est semblable dans le Glossaire L�El�-Fran�ais du P�re Fran�ois-Joseh Nicolas que nous avons adopt� dans ces recherches. La nuance se situe seulement au niveau de l�accentuation orale.

[vi] � Nous l'avons vu pr�c�demment : les Ly�la ont horreur de l'�migration d�finitive, � la mani�re des Moos�, en raison de leur attachement aux autels des p�res ou cultes des anc�tres

[vii] Nous appelons ainsi le terme ��f�tiche�� � connotation p�jorative consacr� par l�anthropologie africaniste.

[viii] � Ceci montre, � l'�vidence, que ces soci�t�s patrilin�aires sont, aussi, structur�es sur la base de lignes maternelles. La place de la m�re est pr�pond�rante chez les Ly�la. L'influence du p�re ne demeure aussi sensible et majeuredurant sa vie. Nous le verrons, les liens entre fr�res et soeurs d'une m�me m�re sont plus forts en raison de la suspicion qui r�gne entre des demi-fr�res ou des demi-soeurs potentiellement ennemis.

[ix] � C�est cette tendance au silence, � la discr�tion qui rend difficile, comme nous le montrerons ult�rieurement � travers l�exp�rience d�un P�re Dominicain au Cameroun, qui rend difficile la perception claire ou la lisibilit� des conflits internes � celles-ci�; et qui, du m�me coup, conduit aux erreurs d�interpr�taion sur leur nature r�elle.

[x] � Chez les Ly�la et, sans doute, chez d�autres peuples de l�Afrique de l�Ouest, il faut toujours consid�rer les ph�nom�nes humains sous une double dimension�: il y a d�abord, la forme apparente des r�alit�s sociales, des figures de pouvoir, ensuite, sous-jacente � celles-ci, des puissances souterrraines qui les commandent, les r�gulent, les font fonctionner suivant un vouloir non arbitaire. C�est cette dualit� des r�alit�s sociales chez les Ly�la que nous avons appel� l�ambivalence des pouvoirs, visibles et invisibles, dans l��conomie de notre th�se d�anthropolgie sociale et d�ehnologie.

[xi] � Ce jeune homme s�abstient de porter une telle affaire devant les autorit�s traditionnelles en raison du risque encouru pour sa propre vie. Car la question de la terre rel�ve de la seule comp�tence du chef de l�autel de terre. Contester une portion du sol dont une famille n�a que la jouissance et non l�appropriation juridique au sens occidental du terme, c�est remettre en cause la l�gitimit� presque sacr�e du chef de terre. Une telle provocation a un prix �lev�: l�annihilation par les sorciers du clan du fautif de sa biopsych� selon les m�thodes sorcellaires de la n�gation de le vie physique.

[xii] � Voyant et m�decin traditionnel au Cam�roun.

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