Dans tous les pays du monde, lorsque l'étudiant quitte sa ville natale pour
étudier dans une autre ville, il doit faire face à une multitude de problèmes auxquels il n'avait jamais songer depuis son cocon familial. En Inde, les étudiants affluent du pays entier pour
étudier dans la capitale, non pas que cela soit obligatoirement le meilleur endroit avec les meilleures institutions mais le prestige
de la capitale rayonne davantage sur le plan national et international que celui
d'une petite ville de province même si celle-ci possède d'excellentes
infrastructures éducatives. Les étudiants font face à des problèmes d'adaptation, leur cadre de vie est totalement différent de celui d'où ils viennent, que cela soit dans les
hostels appelés chez nous cités universitaires, ou dans les logements
privées. Leurs occupations et activités varient entre les études et les loisirs.
De la diversité des origines
Tous les États indiens de
l'Union (au nombre de 28 et 7 territoires de l'Union) sont représentés
à Delhi à travers la jeunesse estudiantine que cela soit l'Uttar Pradesh, le
Bihar, le Rajasthan ou le pays des guerriers rajpouts et des maharajahs, le
Maharastra dont la capitale Mumbai (l'ancien nom de Bombay) est la capitale
financière du pays, ou encore l'Orissa, le Madhya Pradesh. C'est un véritable
melting pot de langues et de faciès, certains de couleur plus sombre
viennent du sud de l'Inde, d'autres, aux yeux bridés, viennent des « sept
soeurs », États du nord-est qui se trouvent de l'autre côté du Bangladesh,
leurs apparences et cultures sont largement influencées par leurs voisins
chinois, bouthanais et birmans. On trouve aussi des sikhs solides à la peau très
claire, aux yeux verts et de haute stature qui viennent du Punjab ou du
Cachemire. Mais devant tant de cultures locales différentes et de dialectes
(1600 au minimum), ces étudiants venus d'horizons variés se mettent à parler ou
à apprendre l'hindi et l'anglais pour ceux qui ne les connaissent pas car
l'hindi est la première langue nationale du pays tandis que l'anglais conserve
un statut privilégié. Delhi est aussi un pôle d'attraction pour les étudiants
étrangers qui forment de grandes communautés : mauriciens,
africains, bangladeshis, étudiants de l'Asie du sud-est ou de l'Extrême-Orient,
quelques poignées d'américains et d'européens. Qu'il soit étranger ou indien,
chacun se trouve confronté aux mêmes tracasseries de la vie quotidienne.
Des problèmes
d'adaptation
Loin
de leur famille les étudiants ont des difficultés à s'adapter à leur nouvel environnement
car même si Delhi est la capitale indienne, la culture qu'elle génère est
très différente et, d'une petite ville à cette métropole, le passage est déphasant.
Parfois les étudiants arrivent seuls à Delhi, véritable jungle pour les
nouveaux arrivants qui n'en connaissent pas ni les lois ni les codes. Tout comme
les touristes, les étudiants peuvent être truandés et escroqués s'ils ne
s'opposent pas aux manigances de leurs congénères, en fait les débuts dans la
capitale sont souvent périlleux jusqu'à ce que les repères soient complètement
intégrés puis la sécurité de la routine prend le dessus. La mentalité des
habitants locaux sont également différentes. A Delhi l'indifférence et
l'individualisme sont rois alors que pour tous ces étudiants qui viennent d'une
autre région, ils leur semblent inimaginable de ne pas connaître leurs voisins
ou de ne pas leur venir en aide en cas de problème.
Les préparations culinaires ne sont pas les mêmes et varient d'une culture à
l'autre, par exemple un étudiant bengali mange chez lui du riz et du poisson à
tous les repas et pourtant il devra s'habituer ici à manger des chapatis
plutôt que du riz et beaucoup moins de poisson ! Plus fréquemment les étudiants
arrivent en petit groupe, ce qui est plus sécurisant et ils reproduisent très
vite un schéma qui les rapproche de leur société natale en restant entre eux.
Ainsi on trouvera aux alentours de l'université des quartiers étudiants aux
couleurs asiatiques, ils viennent du nord-est, ou alors ce seront des quartiers
où prédominent entre autre des étudiants du Bihar ou d'autres étrangers. Le
sentiment d'appartenance à tel ou tel état ou à telle ou telle caste se
renforce lorsque la cellule familiale est lointaine et que les difficulté
rendent l'installation difficile.
La cité
universitaire, un paradis
Pour
se loger il y a plusieurs solutions comme habiter en pension complète dans une
famille d'accueil, dans une cité universitaire appelé ici hostel ou
dans des logements privées. Les familles d'accueil n'ont pas toujours bonne réputation
même si cela semble être une structure idéale pour un jeune étudiant perdu
hors de sa famille. En effet les familles d'accueil en font un moyen facile de
gagner de l'argent, par exemple en caricaturant la qualité de la nourriture,
toutefois des étudiants vivent aussi de très bons moments avec leur famille
d'accueil surtout lorsqu'elle a des enfants du même âge avec qui sympathiser.
En général les étudiants cherchent à intégrer une cité universitaire car
alors il n'y a plus de soucis à se faire pour la vie quotidienne, tous les
repas sont servis dans le mess ou réfectoire sur de longues table de bois, les
chambres sont nettoyées régulièrement par le personnel, la salle commune
comporte une télévision par câble, des grands écritoires où il est aisé de
lire les journaux s'ils ne sont pas livrés directement dans chaque chambre
comme c'est le plus souvent le cas, des tables de ping-pong, des tables de jeu
où l'on peut jouer au carrom board ou aux Échecs, on peut recevoir
aussi les coups de téléphone et faire des exercices lorsque l'hostel
est pourvu d'une salle de musculation. En hiver l'eau est chaude, les douches
fonctionnent en été (ce qui est presque un luxe !), les chambres sont de
taille différente avec souvent une avancée en balcon et un air cooler (à
ne pas confondre avec l'air conditionné) d'où l'eau sera propulsée en
minuscules gouttelettes pour rendre l'air de la chambre plus respirable pendant
l'été torride. La vie à l'hostel est aisée mais encore faut-il
pouvoir y accéder puisque le nombre de places est dérisoire par rapport au
nombre grandissant de jeunes qui affluent de partout pour étudier à Delhi. Les
conditions d'entrée sont aberrantes, il faut combiner plusieurs facteurs pour
avoir sa chance. Tout d'abord seuls les meilleurs étudiants y ont accès mais
sur une population gigantesque le nombre d'excellents étudiants reste toujours
important ! A un dossier d'études excellent, il faut ajouter contacts et «
pistons », seuls moyens utilisés dans ce cas pour départager les candidats à
des chambres d'étudiants. C'est à ce moment que rentrent en ligne de compte
les ultimes facteurs de décision que sont l'appartenance géographie et les
castes, par exemple un étudiant rajput aura plus de chance d'avoir une
chambre dans une cité universitaire dominée par les rajpoutes. Ainsi les étudiants
se regroupent entre eux selon leurs affinités géographiques c'est à dire
culturelles.
Les Sheduled Casts ou Castes Répertoriées représentant les intouchables,
les tribus et les personnes « inéduquées » ont des quotas réservés dans
les hostels , de même les étrangers. Au total le critère du mérite
symbolisé par un excellent dossier académique est biaisé par des étudiants
moyens de basse caste qui ont accès à ces chambres universitaires tandis que
de brillants étudiants hors quota se sentent lésés quoiqu'ils soient bien
plus avantagés dans la vie du fait de leur appartenance à une caste supérieure
; à l'inverse des étudiants médiocres jouent de leurs contacts et réussissent
à intégrer une chambre.
En théorie, les castes sont abolies dans la société indienne depuis les années
cinquante mais leur impact est toujours très fort dans la réalité surtout
dans les milieux pauvres et clos comme l'est celui de l'univers universitaire.
Finalement les bases démocratiques au sens théorique semblent être faussées
puisque les critères ne sont ni neutres ni équitables. Pourtant l'Inde est bel
et bien une démocratie qui s'adapte à un environnement complexe.
Le statut spécial
des filles
Les
cités universitaires ne sont pas mixtes et sont à l'image de la société qui
les a produites. Autant les étudiants sont libres dans leurs gestes et leurs
actions, autant les étudiantes doivent demander une autorisation extraordinaire
si elles rentrent plus tard que neuf heures du soir, heure où le chowkidar,
gardien, boucle l'enceinte où elles sont logées. De même les étudiants reçoivent
leurs invités et amis de l'extérieur dans leur chambre sans même les inscrire
sur le registre des entrés et des sorties tandis que les filles reçoivent
leurs invités dans la salle commune du bas avec interdiction de monter dans les
chambres que ce soit une personne de la famille ou des amis. On constate des inégalités
de traitement selon le genre, même s'ils procèdent plutôt d'une bonne
intention, « protéger au maximum les jeunes filles des mauvaises influences de
l'extérieur » ! Là aussi le schéma familial est reproduit avec le
comportement protectionniste de la société indienne envers la gent féminine.
Les règles tendent à s'assouplir pour les cités universitaires masculines
mais elles restent encore très rigides pour les étudiantes.
Un exercice
d'équilibriste : trouver un logement...
La
majorité des étudiants qui n'ont pas la chance d'avoir accès aux chambres
universitaires doivent se débrouiller seuls pour trouver une chambre dont le
loyer variera selon la localisation, l'humeur des propriétaires et la qualité
des murs. Plus la chambre est proche du campus, plus le loyer augmente et, à
l'opposé, les chambres en périphérie sont moins chères. Certains propriétaires
font preuve parfois de « ségrégationnisme » plus ou moins justifié envers
les étudiants de certains États auxquels ils refusent simplement de louer en
raison de supposés « comportements regrettables ».
Un exemple ? La plupart des propriétaires louent leur maison officieusement
pour deux principales raisons, éviter de payer les taxes et surtout d'appliquer
les taux fixés par le gouvernement car ceux-ci sont huit fois inférieurs aux
loyers ordinaires dont la hausse est proportionnelle à la hausse des prix.
Certains étudiants mal intentionnés qui viennent souvent du Bihar dénoncent
simplement leurs propriétaires au gouvernement qui force alors le propriétaire
à louer à ces étudiants au prix ridiculement bas fixé par le gouvernement.
Dans d'autres situations, les étudiants ou des familles s'installent à un étage,
payent leur loyer normalement mais y restent pour des années au point qu'ils
s'approprient presque cet étage de la maison car le propriétaire ne peut pas
les jeter dehors sous peine d'être dénoncé ! Il en résulte une véritable
phobie des étudiants du Bihar à qui la plupart des propriétaires de Delhi
refusent de louer car trop souvent des conflits suintent au détriment du propriétaire.
Ainsi les mauvaises actions de certains étudiants entachent-elles la réputation
de toute une région. Les étrangers sont en général bien accueillis
puisqu'ils ne créent pas de problèmes.
Une fois la contrainte du toit réglée avec plus ou moins de bonheur, il faut
maintenant nourrir les ventres et c'est un problème majeur pour les étudiants
qui doivent apprendre à cuisiner ou accepter de manger la nourriture distribuée
par des cuisiniers qui font la tournée du quartier en déposant les tiffin
carriers de nourriture devant la porte des étudiants qui l'ont demandé. Malheureusement
la nourriture est de très mauvaise qualité et froide lorsqu'elle n'est pas
mangée immédiatement. En effet il n'y a pas de restaurant universitaire,
seulement de simples cantines avec des en-cas ou des préparations aléatoires
pour l'estomac. Devant les problèmes tracassants de la vie quotidienne les étudiants
se regroupent à trois ou quatre pour partager un appartement et louer un
cuisiner pour quelques centaines de roupies par mois qui viendra tous les jours
cuisiner chez eux et ainsi ils peuvent faire face plus efficacement à ces
inconvénients qui s'ajoutent aux coupures d'électricité et d'eau ainsi qu'au
climat difficile.
Lorsque l'on est hors de sa maison il est difficile d'étudier en Inde, d'ou la
ruée vers la cité universitaire, « deuxième maison » où tous ces problèmes
quotidiens sont pris en charge par le personnel , ce qui permet à l'étudiant
de se concentrer beaucoup mieux sur ses études.
Étudier tout en
passant le temps
Une
fois que les étudiants ont réussi à s'accommoder du quotidien avec une
organisation efficace, ils n'ont plus vraiment d'autres soucis que d'étudier et
de passer leur temps comme le font tous les étudiants de la terre. Chacun dévoue
le temps qu'il estime nécessaire à ses études mais en général on observe
une poussée d'énergie cérébrale quelques mois avant les examens tandis que
le reste de l'année se passe entre discussions avec les copains, virées au cinéma,
badmington et cricket pendant les heures douces de la journée voire de la nuit
en été car ce sont les seuls moment où il fait moins chaud. La politique est
un des passe-temps favori de ses étudiants avec les élections à l'université,
dans les cités universitaires, les grèves de la faim ou du travail. Cette
jeunesse discutaille, complote, suppute, formule des hypothèses, passe des
heures à débattre de telle ou telle question, joue aux cartes, prend des décisions.
Ce sont aussi de grands cerveaux. De nombreux étudiants font des exercices de
très bon matin pendant la saison ultra-chaude, vers trois-quatre heure du matin
ils se lèvent pour aller courir dans le Ridge voisin au milieu des
singes endormis sur les branches. D'autres pratiquent le yoga et la méditation
avec leur gourou qui leur enseigne les voix de la sagesse et de la maîtrise
de soi. La vie sur le campus est dispersée sans beaucoup de festivités ou
d'activités qui les rassemblent, il n'a y a pas cette vie nocturne sans
laquelle nos étudiants français ne pourraient vivre !
Les
étudiants prennent souvent un certain temps pour s'adapter à l'environnement
pas toujours facile de Delhi, ensuite chacun choisit son rythme personnel. Ici
le mouvement de la vie est différent, le temps moins pressant pourtant derrière
les rideaux des arbres et des maisons, c'est une vie intense qui bruit en
profondeur.