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L’inceste dans le couple … version masculine

dimanche 27 janvier 2013, par Dallaire (Anne)

Le ph�nom�ne des agressions sexuelles dans notre soci�t� prend davantage de place comme question sexologique, et les sexologues sont de plus en plus sollicit�s pour y participer en tant que professionnels. Le v�cu de ces femmes dans leur relation avec leur partenaire a grandement �veill� la curiosit� de nombreux sexologues. Anne Dallaire M.A., sexologue clinicienne au Qu�bec nous donne ici un aper�u de son exp�rience.

Le ph�nom�ne des agressions sexuelles dans notre soci�t� prend davantage de place comme question sexologique, et les sexologues sont de plus en plus sollicit�s pour y participer en tant que professionnels. Les agressions sont de plus en plus d�nonc�es et discut�es. Il en va de m�me pour l’inceste. C’est la raison pour laquelle nous nous penchons sur ce sujet. Plus pr�cis�ment, notre exp�rience aupr�s des victimes d’inceste et d’agressions sexuelles dans l’enfance et notre formation de sexologue clinicienne nous ont amen�e � nous interroger sur la sexualit� de celles-ci ainsi que sur celle de leur conjoint. Le v�cu de ces femmes dans leur relation avec leur partenaire a grandement �veill� notre curiosit� pour ce dernier.

Dans un premier temps, nous faisons �tat des donn�es scientifiques au sujet des partenaires de survivantes d’inceste ou de victimes d’inceste. Il s’ensuit une critique des �crits consult�s pour cette recherche. Ensuite, nous traiterons de la m�thodologie utilis�e pour cette �tude, c’est-�-dire que nous discuterons de la th�orie ancr�e (grounded theory), de son application, ainsi que des limites des donn�es recueillies par cette recherche. Le lecteur trouvera une pr�sentation des principaux r�sultats de notre �tude portant sur les partenaires de survivantes d’inceste. Cette analyse fera ressortir cinq grands th�mes dans la comparaison des donn�es. Ces th�mes sont�: la sexualit�, les �motions et les attitudes, l’identit�, la d�pendance ainsi que le cheminement personnel. Ceci nous am�nera � traiter des consid�rations cliniques de notre �tude.

En conclusion, nous ferons ressortir les principaux r�sultats de cette �tude. Nous esp�rons que cette �tude apportera un regard plus �labor� sur la question importante des partenaires de survivantes d’inceste. De futures recherches devront �tre entreprises pour alimenter nos connaissances actuelles et une meilleure compr�hension de cette dynamique chez les partenaires, car la probl�matique tend � vouloir se d�velopper dans ce milieu d’intervention.

Les partenaires de survivantes d’inceste

Il y a tr�s peu d’�crits sur l’impact de la victimisation sexuelle � l’enfance sur les partenaires (Wolfe, 1988). Peu d’�tudes, de recherches ou d’articles se sont pench�s sur le v�cu et le point de vue du partenaire dans une relation o� la femme a �t� agress�e sexuellement dans l’enfance. La litt�rature � ce sujet s’attarde plut�t � informer le partenaire sur le v�cu �motif et le processus de gu�rison de sa conjointe. Beaucoup d’informations sont disponibles sur les cons�quences ou encore sur le v�cu �motif de la personne lors d’un abus sexuel dans l’enfance, mais peu d’informations sont disponibles pour saisir les r�percussions de cet �v�nement dans la relation de couple, et surtout par rapport au partenaire lui-m�me�; d’o� la d�cision d’�tudier dans notre recherche cette dimension aupr�s du partenaire de la survivante d’inceste.

Mais tout d’abord, nous croyons utile de d�finir qui est le partenaire. Par exemple, Graber (1991) �tablit sa d�finition comme suit�: Par partenaire, j’entends les amants, les �poux, les amis intimes, les membres de la famille ou quiconque vit une relation interpersonnelle avec une survivante et qui se voit affect� par les �motions et les actions de la survivante (traduction libre). Pour notre part, et pour les besoins de notre recherche, nous limiterons notre d�finition au conjoint ou encore � la personne qui vit une relation de couple depuis au moins un an avec la survivante et qui subit les impacts de l’inceste.

Davidson (1991), dans son rapport d’activit�s sur l’impact de l’inceste dans le couple, qualifie le partenaire de la survivante d’abus sexuel comme une victime secondaire de l’inceste�; et selon Maltz (1988), en raison de la r�ponse de la survivante � l’intimit� sexuelle, le partenaire devient lui aussi victime secondaire. Engel (1991) abonde aussi dans le m�me sens en disant que les partenaires sont d’une certaine fa�on des victimes indirectes de l’abus.

Comme victimes de l’abus sexuel, les partenaires peuvent vivre diff�rentes �motions. Les �motions les plus communes v�cues par le partenaire semblent �tre la col�re, le d�go�t, la peine et la tristesse (Maltz et Holman, 1987), l’impuissance, l’impatience et la frustration (Gil, 1983�; Maltz et Holman, 1987, Sant� Canada, 1994). Selon Engel (1991), la col�re est typiquement dirig�e vers l’agresseur et parfois vers les autres membres de la famille qui n’ont pas r�ussi � prot�ger ou qui n’ont pas cru la survivante lorsqu’elle �tait enfant. La col�re peut �tre combin�e au sentiment d’impuissance de ne pouvoir rien faire face aux �v�nements pass�s. Les partenaires souffriraient fr�quemment d’anxi�t�, de d�pression et de d�tresse �motive (Maltz, 1988).

La col�re peut se transformer en rage face "au sentiment d’injustice et d’impuissance" (Miller, 1987, cit� dans Wolfe, 1988). Les sentiments d’impuissance peuvent avoir comme cons�quences des changements d’humeur, un concept de soi n�gatif et de la d�pression (Jehu et al., en presse cit� dans Wolfe, 1988). Les partenaires souffriraient fr�quemment d’anxi�t�, de d�pression et de d�tresse �motive (Maltz, 1988). Cependant, certains composeraient avec ces sentiments en devenant surprotecteurs et en tentant de prendre la situation en charge (Mc Evoy et Brookings, 1984�; King et Curley, 1987, cit�s dans Wolfe, 1988). D’autres vont se donner comme but de fournir une exp�rience compl�tement diff�rente � leur partenaire (Gil, 1983) que celle v�cue � l’enfance. Dans le m�me ordre d’id�es, Graber (1991) affirme que le partenaire, � cause de l’amour et de l’empathie qu’il porte envers sa conjointe, est affect� par l’abus sexuel. Et lorsqu’il est affect�, le partenaire peut se sentir confus, frustr�, en col�re, ou peut ressentir une vari�t� d’�motions.

La frustration (Maltz et Holman, 1987�; Jehu et al., en presse�; King et Curley, 1987) est une autre �motion ressentie par les partenaires, particuli�rement lorsqu’il s’agit de mettre leurs propres besoins derri�re ceux de la survivante. Ils peuvent aussi se sentir impatients face au besoin constant de la survivante de se faire rassurer (King et Curley, 1987 cit� dans Wolfe, 1988). Selon Sant� Canada (1994), il serait tr�s difficile pour le conjoint de ne pas se laisser envahir par les probl�mes de sa conjointe.

Au niveau de la sexualit�, selon Engel (1991), le partenaire et la survivante doivent constamment composer avec les effets de l’abus. Le partenaire peut ressentir de la col�re, parce que lui et sa conjointe ne peuvent avoir de vie sexuelle "normale" (mais cette notion n’est pas d�finie par l’auteur). Selon Graber (1991), par rapport � la sexualit�, la plupart des partenaires sauraient qu’il y a des probl�mes avec la sexualit� ou sentiraient que l’intimit� sexuelle n’est pas tout ce qu’elle pourrait �tre. La sexualit� serait de loin l’aspect le plus probl�matique de la relation (Engel, 1991).

Des probl�mes multiples reli�s � la sexualit�, les partenaires se plaindraient plus souvent du manque de d�sir de la survivante ou de sa r�pugnance � faire l’amour (Graber, 1991). Il serait commun pour les partenaires de se sentir rejet�s et en col�re et de souffrir �motivement � cause du d�go�t de la survivante face aux contacts sexuels avec celui-ci (Maltz et Holman, 1987). Par rapport � l’abstinence sexuelle, les partenaires se sentiraient fr�quemment d��us et frustr�s s’ils doivent arr�ter de faire l’amour pour laisser de la place au processus de r�tablissement de la survivante (Davis, 1991).

Davidson (1991) discute aussi de la possibilit� pour le partenaire de d�velopper une dysfonction sexuelle secondaire en r�action � l’inceste de sa partenaire. D’ailleurs Maltz (1988) affirme que les partenaires de survivantes d’inceste peuvent �tre identifi�s par les probl�mes qu’ils auraient d�velopp�s face au sentiment de rejet sexuel, ce qui est aussi soulev� par Davis (1991). Les partenaires de survivantes d’inceste, devant l’inqui�tude de leur conjointe par rapport � la sexualit�, peuvent d�velopper des sentiments de peur et de culpabilit� (Maltz, 1988). Les �motions r�elles de la survivante (envers la sexualit� ou envers les hommes) peuvent faire sentir au partenaire le rejet, le rejet de son corps, de sa masculinit� et de sa sexualit� (Davis, 1991�; King et Curley, 1987 cit� dans Wolfe, 1988). Selon Maltz (1988), fr�quemment les partenaires masculins croient qu’ils ont une d�faillance, et ce, dans une partie extr�mement importante d’eux-m�mes, � savoir leur masculinit�, leur virilit�, leur d�sirabilit�. Selon Maltz et Holman (1987) et Engel (1991), les partenaires peuvent se sentir ind�sirables ou inad�quats et peuvent questionner leurs techniques sexuelles. Les partenaires peuvent commencer � avoir des difficult�s � obtenir une �rection ou ils peuvent douter de leur masculinit�. Ils peuvent aussi se sentir submerg�s par des sentiments douloureux caus�s par la distance �motive qu’ils ressentent lorsqu’ils font l’amour. Les probl�mes sexuels qui en r�sulteraient (comme la perte de d�sir, l’impuissance et le manque de confiance sexuelle) peuvent devenir aussi difficiles pour la relation que les probl�mes qui ont initialement origin� de l’inceste. En fait, toujours selon les m�mes auteures (Maltz et Holman, 1987�; Engel, 1991), les partenaires doivent comprendre que le d�sint�r�t sexuel que manifeste la survivante provient de l’abus et n’est pas un commentaire voil� face � leur attrait personnel.

Donc, au sujet de la sexualit�, les partenaires peuvent avoir l’impression d’�tre sans contr�le (Jehu et al., sous presse�; Maltz et Holman, 1987). King et Curley (1987) cit� dans Wolfe (1988) rapportent que les partenaires expriment leurs inqui�tudes face � l’inconsistance de la sexualit�, � la perte de la mutualit� dans la sexualit�, � la culpabilit� de leur propre d�sir et � la tension face � la possibilit� de causer un flashback. Ces probl�mes causeraient le sentiment d’�tre inad�quat (Maltz et Holman, 1987) et des dysfonctions sexuelles chez les partenaires (Jehu et al., en presse cit� dans Wolfe, 1998).

Au niveau de l’intimit�, selon Engel (1991), plusieurs couples se seraient accoutum�s � remplir leurs besoins � travers les contacts sexuels � tel point qu’ils seraient incapables de ressentir et d’exprimer le besoin d’intimit� de toute autre fa�on. Les partenaires de survivantes se retrouvent � l’int�rieur d’un dilemme dans le couple�: s’occuper des besoins de leur partenaire versus partager leurs propres sentiments face � la victimisation (Maltz et Holman, 1987�; King et Curley, 1987 cit� dans Wolfe, 1988). Plusieurs �prouvent de la difficult� � trouver un �quilibre satisfaisant entre les deux.

Comme mentionn� pr�c�demment, lorsqu’une survivante a un partenaire, ce partenaire deviendrait �galement une victime d’inceste. Voici, selon Maltz et Holman (1987), quelques raisons�: la relation intime est teint�e par les exp�riences de victimisation de la survivante�; le partenaire n’a rien � voir avec l’inceste, mais il doit composer avec les cons�quences, et ce, sur une base quotidienne�; l’inceste deviendrait une partie int�grante de la vie du partenaire. Selon Engel (1991), les partenaires des survivantes mettraient souvent toute leur attention sur les probl�mes de la survivante et omettraient de composer avec leurs propres probl�mes. Il semblerait plus facile pour ces partenaires de composer avec les probl�mes des autres, et de reconna�tre les besoins des autres pour changer. En mettant le focus sur leur partenaire, ceux-ci n�gligeraient des choses les concernant.

Quelques auteurs, dont Davis (1991) et Graber (1991), mentionnent la possibilit� pour le partenaire que celui-ci se retrouve dans un "pattern", un cercle vicieux par rapport � sa relation avec la survivante. Ces auteurs questionnent le partenaire sur sa responsabilit� de vivre et d’�tre avec une survivante. Par exemple, Graber (1991) affirme que le fait de se retrouver � l’int�rieur d’une relation avec une survivante pour un partenaire veut dire que celui-ci doit se regarder lui-m�me pour conna�tre les raisons de cette attirance vers une telle personne. Il ajoute que m�me si l’abus sexuel n’a pas �t� identifi� lorsque le partenaire et la survivante se sont rencontr�s, � un niveau inconscient, ils �taient sur la m�me longueur d’ondes. Dans le m�me ordre d’id�es, Engel (1991) ajoute que les survivantes tendent � �tre attir�es par des personnes qui ont un "background" similaire au leur. La raison de cette attirance est qu’il y a un sentiment de confort et de rapport imm�diat entre ceux qui ont v�cu des situations-�motions similaires. Certains partenaires projetteraient leurs besoins (la compr�hension, l’aide et le soutien dont ils ont d�sesp�r�ment besoin) sur la survivante.

La th�orie de Scarf (Scarf, 1987 cit� dans Wolfe, 1988) sur le choix marital est bas�e sur la croyance que des processus inconscients sont d’abord responsables de la s�lection d’un partenaire. Elle hypoth�tise que les individus sont attir�s par ce qui leur est familier. De plus, elle dit que ce qui est le plus attirant chez un partenaire est aussi ce qui est le plus charg� d’�motions, d’ambivalence, et ce qui est le plus susceptible d’�tre identifi� comme source de conflits, plus tard dans la relation.

Des liens peuvent �tre faits entre ce type de relation et la cod�pendance. Graber (1991) �tablit la cod�pendance comme suit�: tout d’abord la premi�re caract�ristique de la cod�pendance est la pr�occupation face aux probl�mes d’une autre personne, en l’occurrence, la survivante. Les attitudes de cod�pendance m�nent � des comportements de prise en charge qui, ultimement, n’aident ni la survivante, ni le partenaire. Selon Engel (1991), les partenaires auraient tendance � se concentrer sur les �motions, les d�sirs et les besoins des autres comme moyen d’�viter de composer avec leur propre vie. Un cod�pendant a le "pattern" d’entrer en relation avec des personnes qu’il tente de sauver ou de prendre en charge.

Mais, m�me si la partenaire prend soin de lui, l’�puisement d� � l’intensit� du processus de r�tablissement de la survivante semble normal. D’apr�s Engel (1991), un jour ou l’autre, il semble in�vitable que le partenaire en ait assez d’�tre patient, compr�hensif et aidant. Selon cette auteure, il est humainement impossible que le partenaire soit compr�hensif, patient et aidant � tous les moments. Il est donc n�cessaire que le partenaire place ses limites. En fait, l’�puisement pour le partenaire est un signal lui indiquant de prendre soin de lui plut�t que de supporter la survivante � tout prix. Toujours selon Graber (1991), se laisser de la place et du temps serait la cl� du succ�s lors des p�riodes d’�puisement. En fait, attendre trop longtemps avant de se reposer ou de demander de l’aide peut causer la rancune ou d’autres cons�quences qui sont pires que de prendre une pause. Encore selon Graber (1991), les partenaires doivent se rappeler qu’ils n’ont pas caus� l’abus, qu’ils ne sont pas responsables de la r�paration des dommages. Offrir du soutien et simplement �tre pr�sent sont des responsabilit�s assez lourdes et elles peuvent cr�er de l’�puisement.

Cependant, certains partenaires �prouveraient du ressentiment face � la demande de changement qui est implicite dans le r�tablissement de leur partenaire. Plusieurs partenaires doivent ren�gocier de nouveaux r�les dans la relation, dans les patterns de prise de d�cision et de communication, et dans leur pratique sexuelle (Jehu et al., sous presse cit� dans Wolfe, 1988). Graber (1991) nous d�voile que les partenaires qui n’ont aucune connaissance du processus de r�tablissement des survivantes ont souvent beaucoup d’incertitudes face au changement dans la relation.

Concernant la parentalit� des partenaires de survivantes d’inceste, les p�res se poseraient davantage de questions, et un des probl�mes face � la relation p�re-fille concerne notamment la peur du partenaire d’abuser de ses propres enfants. En mati�re de pr�vention, les partenaires croient en g�n�ral que la protection des enfants face � la victimisation sexuelle cr�e une plus grande inqui�tude � l’int�rieur de leur famille (Wolfe, 1988).

Dans leurs relations avec les autres hommes, Jehu et al. (sous presse) cit� dans Wolfe (1988) notent que plusieurs hommes se sentiraient isol�s des autres en raison du secret qu’ils doivent garder. Ils ne partageraient pas leurs probl�mes personnels li�s � la relation et � leur vie sexuelle avec d’autres. Leurs relations avec d’autres hommes seraient souvent distantes puisqu’ils refuseraient de s’engager dans des conversations sur les femmes et la sexualit�.

Bref, d’apr�s la publication de Sant� Canada (1994), qui se fonde sur l’exp�rience clinique, �tre conjoint d’une survivante d’inceste peut se r�v�ler une �preuve autant qu’une exp�rience enrichissante.

Donc, les donn�es scientifiques utilis�es dans cette recherche nous permettent de constater que les partenaires de survivantes d’inceste semblent r�agir d’une fa�on ou d’une autre vis-�-vis l’inceste de leur conjointe. Nous verrons ce que r�v�le les donn�es empiriques de notre �tude, mais pour l’instant nous allons nous permettre une critique des �crits consult�s.

La critique des �crits consult�s

Le partenaire n’a pas beaucoup de place, car il semble occup� plus souvent qu’autrement par la survivante. Sa place � lui est cr��e en fonction du besoin de soutien de la survivante dans son processus de r�tablissement. Il n’y a pas ou encore tr�s peu d’informations, ou de donn�es sp�cifiques et scientifiques sur le v�cu �motif du partenaire, et les cons�quences psychologiques ou sexologiques possibles de l’inceste sur lui restent encore trop silencieuses. Que l’on pense seulement � la fa�on dont il se sent et se vit comme homme ou comme p�re�; ou encore � sa genralit� ou � son identit� sexuelle (par exemple, comment le partenaire se sent-il si sa conjointe vit de la col�re contre son agresseur qui est un homme, ou encore si elle vit des r�miniscences ou des flashbacks lors d’une relation sexuelle�?).

De m�me que les �crits n’accordent pas beaucoup de place au partenaire, notre regard critique nous permet d’ajouter qu’il n’y a pas beaucoup de place pour lui, non plus, dans le processus de r�tablissement de la survivante. Il est souvent dit que le partenaire doit faire ceci ou cela pour aider et soutenir la survivante. Selon certains auteurs, il est m�me dit que celui-ci doit s’oublier un peu pour faire place au processus de r�tablissement de la survivante (Graber, 1991�; Maltz et Holman, 1987).

Enfin, nous croyons qu’il est grandement temps qu’une place de choix soit offerte aux partenaires de survivantes d’inceste, tant au niveau des �crits (qui doivent devenir plus scientifiques � l’aide de recherches) qu’au niveau des services offerts � ceux-ci. Et ce, afin que la probl�matique soit reconnue comme autonome et ne soit plus surtout le prolongement du processus de r�tablissement d’une survivante d’inceste, parce que, � ce moment-l�, le r�le se limiterait ainsi � donner des informations et � conseiller. Une meilleure connaissance des partenaires et des implications de l’inceste sur eux permettrait de mieux red�finir leur r�le et leurs besoins.

La m�thodologie utilis�e

Pour les besoins de notre recherche, nous utiliserons comme d�marche m�thodologique la th�orie ancr�e telle que pr�sent�e par Glaser et Strauss (1970). La "grounded theory" ou la th�orie ancr�e est une m�thode de recherche qualitative bas�e sur la m�thode d’analyse par comparaison constante (entre la th�orie et les donn�es). Ce mod�le d’analyse dans cette m�thodologie donne pr�pond�rance aux donn�es recueillies sur le terrain. Le but de cette m�thode consiste � d�crire et conceptualiser l’exp�rience dans le but de g�n�rer une th�orie substantive. Les auteurs visent � d�passer la simple description pour construire une nouvelle th�orie (proche et partant de la r�alit�). L’approche permet une vision d�veloppementale du sujet plut�t que statique, le sens prend davantage d’importance.

Avec la m�thode de Glaser et Strauss (1970), la connaissance n’est donc pas la d�couverte de la "v�rit�" mais est plut�t une mani�re de repr�senter des exp�riences partag�es. L’entrevue est donc un processus social � travers duquel des significations sont faites. C’est � travers des questions d’entrevue que le chercheur entre dans la r�alit� construite par le r�pondant.

Cette m�thode pr�conise quatre op�rations majeures dans le processus de recherche qualitative (Glaser et Strauss, 1967�; cit� par Manseau, 1990). Ces op�rations consistent en�:

  • l’accumulation des donn�es th�oriques�;
  • la r�alisation d’entrevues�;
  • l’analyse�;
  • l’�laboration d’un mod�le th�orique int�grateur.

Les limites des donn�es recueillies

Cette recherche nous a permis d’ouvrir des pistes int�ressantes au sujet du v�cu des partenaires de survivantes d’inceste. Toutefois, cette �tude comporte certaines limites quant au processus de recherche comme tel. Notre �chantillonnage a �t� plus ou moins homog�ne, la fa�on dont les participants ont �t� s�lectionn�s fut davantage ax�e sur la disponibilit� de ceux-ci face au sujet de l’�tude. Une autre limite de cette �tude concerne l’impossibilit� de g�n�raliser les r�sultats, compte tenu de son �tendue, � savoir quatre cas. Cette recherche se veut davantage une �tude exploratoire sur le sujet et vise comme objectif � faire voir l’importance d’un ph�nom�ne trop peu souvent �tudi�.

L’analyse des donn�es empiriques

Au total, quatre partenaires de survivantes d’inceste ont �t� rencontr�s en entrevue face � face. La confrontation des �l�ments th�oriques et des donn�es empiriques nous aura permis d’identifier cinq th�mes associ�s aux caract�ristiques sexuelles et ph�nom�nologiques des partenaires de survivantes d’inceste. Chaque grand th�me comporte des sous-th�mes qui pr�cisent et colorent la cat�gorie conceptuelle en question. Ces grands th�mes sont les suivants�:

1-La sexualit�;

2-Les �motions et les sentiments�;

3-L’identit�;

4-La d�pendance�;

5-Le cheminement personnel.

Dans le domaine de la sexualit�, principalement au sujet de la communication et de la relation de couple, les partenaires de survivantes d’inceste interview�s s’expriment tr�s peu au sujet de l’impact de l’inceste. Cependant, deux partenaires reconnaissent les effets de l’inceste sur la communication (dans la projection n�gative au sujet des hommes dont il se disait l’objet pour l’un, et pour l’autre dans le tr�s grand souci de ses r�actions sur sa conjointe). Au sujet du fonctionnement sexuel, aucune donn�e ne semble confirmer un dysfonctionnement sexuel en r�action � l’inceste de leur partenaire. Cependant, un des partenaires interview�s mentionne devoir s’adapter constamment aux nouvelles r�gles, et l’autre mentionne le contr�le que poss�de sa conjointe dans la relation. Au sujet de l’abstinence sexuelle, aucune donn�e n’a �merg� des entrevues r�alis�es. Toutefois, l’hypersexualisation nous a permis de relever des aspects personnels importants chez deux des partenaires interview�s (l’un se sentait sollicit� par le sexe, il recherchait cela, et l’autre mentionne que c’est sa sexualit� qui tient son couple). Au sujet des cons�quences de l’inceste, certains partenaires peuvent �prouver de la culpabilit�, de la frustration ou de la col�re suite � un flashback de leur conjointe�; ou encore se sentir affect�s �motivement. Par rapport � l’intimit�, deux des partenaires interview�s discutent des aspects de l’intimit� et des contacts sexuels et ces deux aspects semblent �tre tr�s li�s mais aucun d’eux ne parle de difficult�s � �tre intime ou proche de sa partenaire.

Au plan des �motions, les partenaires interview�s ne semblent pas vivre beaucoup d’�motions ou nous supposons que celles-ci ne sont pas exprim�es de fa�on claire et directe�; un seul exprime plus clairement sa col�re. Par contre, par rapport aux sentiments, deux partenaires semblent vivre des sentiments d’impuissance et de frustration tandis qu’un autre exprime un grand sentiment de douleur. Cette sensibilit� s’est aussi retrouv�e pour deux des partenaires interview�s face � la divulgation de l’inceste. Les �crits scientifiques identifient automatiquement le partenaire comme victime secondaire de l’inceste. Cela ne semble pas le cas en ce qui concerne nos donn�es empiriques puisque deux t�moignages recueillis seulement viennent appuyer ces donn�es (l’un s’identifie comme victime secondaire de l’inceste et l’autre peut �tre consid�r� comme une victime indirecte en raison de la projection n�gative dont il est l’objet).

Au plan de l’identit�, concernant l’estime de soi, les partenaires interview�s discutent effectivement de l’estime de soi mais n’abondent pas dans le m�me sens que la litt�rature scientifique qui mentionne une baisse de l’estime de soi. La recherche nous a permis, non pas de dresser un tableau exhaustif, mais certainement d’en apprendre davantage sur l’identit�, et sur certaines dimensions qui n’avaient pas �t� relev�es par rapport aux donn�es scientifiques, telles la masculinit� et la genralit� (plusieurs partenaires ont d�crit comment ils se sentaient comme homme) et la perception de la f�minit�. Par rapport aux relations avec les autres hommes, aucun des partenaires n’a abord� ce sujet. Concernant la parentalit�, seulement un r�pondant mentionne sa plus grande attention vis-�-vis ses gestes. Tandis que deux autres se questionnent sur la pr�vention des agressions sexuelles.

Quant � la d�pendance, la recherche nous a permis de percevoir que certains partenaires semblaient effectivement vivre de la d�pendance. Deux des partenaires peuvent �tre consid�r�s comme des cod�pendants puisqu’ils correspondent aux caract�ristiques de la cod�pendance mentionn�s dans les �crits scientifiques. Et un des partenaires interview�s mentionne clairement des �l�ments de la th�orie du choix marital comme partie int�grante de son choix de relation. Par contre, il semble exister une dynamique de relation personnelle pour chaque partenaire interview�. Sans que des �l�ments aient �t� formul�s pour les autres partenaires, nous croyons � la pr�sence d’�l�ments inconscients dans le choix du conjoint.

Concernant le cheminement personnel, il nous semblait important de v�rifier si les partenaires vivaient ou avaient v�cu des probl�mes personnels. Pour certains d’entre eux, les probl�mes �taient l’alcoolisme, la toxicomanie, la sexualisation des relations avec les femmes, le besoin de mettre des limites, la d�pendance, etc. Plusieurs d’entre eux ont fait une d�marche par rapport � des difficult�s ant�rieures. Pour ce qui est de leur cheminement avec leur conjointe, ceux-ci nomment des besoins vis-�-vis l’inceste dans leur relation de couple. Ces besoins sont la communication, mettre ses limites, et continuer d’avancer. Ces donn�es diff�rent quelque peu de la litt�rature scientifique mais la rejoignent quand m�me dans les grandes lignes.

Consid�rations cliniques

Il nous appara�t, lorsque les donn�es scientifiques identifient le partenaire comme victime secondaire de l’inceste, que celui-ci semble affect� par l’exp�rience de sa conjointe. Toutefois, cette dimension de la probl�matique de l’inceste reste tr�s peu document�e et peu explor�e encore sur le plan clinique. Des recherches comme celle-ci peuvent permettre un meilleur �clairage du v�cu du partenaire de la victime d’inceste, et donc une meilleure intervention possible et une attention clinique particuli�re.

Le but de notre travail �tait de susciter une r�flexion sur cette probl�matique, de m�me que d’ouvrir des portes � une nouvelle compr�hension du ph�nom�ne de l’inceste dans la perspective du conjoint. Nous croyons qu’en identifiant davantage la probl�matique des partenaires de victimes d’inceste, les th�rapeutes conjugaux ou les th�rapeutes ayant comme clients des partenaires de victimes d’inceste auront davantage de donn�es et de connaissances pour permettre une intervention plus �clair�e. Nous croyons qu’il est important de poss�der des informations sur la probl�matique du client. Si nous comparons le processus th�rapeutique au creusage d’une grotte, il est plus ais� de le faire avec une lanterne que sans lanterne.

En ayant connaissance de la probl�matique particuli�re du partenaire, des nouvelles pistes d’intervention individuelle, de couple et de groupe pourront se d�velopper. Et une plus grande reconnaissance du v�cu du partenaire pourra alimenter les groupes de soutien et d’entraide de partenaires de survivantes d’inceste qui pourront ultimement se d�velopper davantage. Au Qu�bec, il existe encore tr�s peu de possibilit�s d’intervention pour les partenaires de survivantes d’inceste. Et notre travail se veut un effort dans cette direction. D’ailleurs, nous tentons actuellement de mettre sur pied un groupe d’entraide pour les conjoints de victimes d’inceste ou d’agressions sexuelles.

Cette �tude avait pour objet d’explorer l’exp�rience de vie et les cons�quences sexuelles et ph�nom�nologiques des partenaires de survivantes d’inceste. Par cons�quences sexuelles, nous entendons l’identit�, la masculinit�, la genralit�, la sexualit�; et par ph�nom�nologie, nous faisons r�f�rence � l’exp�rience de vie, aux �motions. Donc, cette �tude avait pour objectif d’approfondir notre connaissance des partenaires par rapport aux dimensions ci-haut mentionn�es.

Compte tenu de l’�chantillon limit� de notre �tude, il nous est impossible de g�n�raliser les r�sultats � l’ensemble des partenaires. Toutefois, notre �tude nous permet d’identifier des dimensions qui semblent importantes pour les partenaires interview�s, � savoir l’identit�, la masculinit�, la cod�pendance, l’existence d’une dynamique intrapersonnelle particuli�re. Mais, � notre avis, la r�flexion doit se poursuivre afin d’approfondir nos connaissances sur un sujet jusqu’ici trop peu explor�, alors que ce besoin semble justement vouloir se d�velopper dans les milieux d’intervention en situation d’abus sexuel.

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Parution

Cet article est paru pr�c�demment dans la revue Sexologie actuelle, la revue de l’Assocation des sexologues du Qu�bec.

Auteur�: Anne Dallaire M.A., sexologue clinicienne

http://www.blaf.ntic.qc.ca/fr/articles/asq_dallaire2.shtml